Laurent Mignot présente le Professeur Grimaldi, professeur émérite de diabétologie au CHU
de La Pitié-Salpétrière. Il est l’auteur du Manifeste pour la Santé 2022 et un militant de la
défense de l’Hôpital public contre la dérive de notre système de santé vers un système
marchand : on avait en 2000 le meilleur système dans les classements internationaux, nous
voilà à la onzième place alors que nous dépensons 11% de notre PIB pour la Santé, ce qui
nous met à la troisième place pour les dépenses. Mais la Santé est-elle un bien marchand ou
un bien commun ?
Pr Grimaldi : En 2020, au début de la pandémie, on a vécu un moment d’enthousiasme, les
soldats montent au front, la population leur en est reconnaissante. On fait nation. Et après,
on retombe dans la catastrophe. La pandémie agit comme une loupe.
D’une part, des points forts :
C. Deltombe présente P. Lamy et introduit la séance :
P. Lamy a été Président de l’Institut J. Delors en 2004-2005, directeur de l’OMC de 2005 à 2013 et Président du Forum de Paris pour la Paix depuis 2019. Nous avions choisi un sujet sur l’OMC et voulions interroger P. Lamy sur le rôle de l’OMC, la situation du commerce mondial, la Chine qui garde un statut de pays en développement… Est arrivée la guerre en Ukraine. Nous vous proposons d’évoquer les éléments économiques de la guerre en Ukraine. `
4 questions.
M. Wieviorka, sociologue, a publié récemment « Métamorphose ou déchéance, où va la France ? »
Une question lui est immédiatement posée : « Comment quelqu’un qui est de gauche se saisit-il du terme de déchéance, qui est utilisé par la droite et même l’extrême-droite aujourd’hui ?
M. W. répond qu’il a souhaité éviter «déclin» ou «décadence». Ce livre cherche à éclairer l’actualité sans la commenter, livre issu du calme obligé du confinement et nous invite à regarder par en-haut l’Etat, et par en-bas la société.
L’Etat
Si on étudie l’histoire de l’Etat français depuis 1945, on observe une tendance qui s’accentue : celle d’une désarticulation de l’Etat proprement politique et de la haute administration. Il y a une dissociation entre ces deux faces de l’Etat avec des conséquences ennuyeuses. L’Etat administratif s’est alourdi. La décentralisation n’a pas abouti. On croit prendre des décisions, mais elles se perdent dans cet Etat gazeux, parfois même fangeux, avec des techno-bureaucrates qui ont un pouvoir énorme. Je n’ai pas rencontré ce que certains (plus ou moins complotistes) appellent « l’Etat profond » qui en secret exercerait le « vrai pouvoir », sauf peut-être dans le domaine militaire (un ingénieur général de l’armement truque quelquefois les chiffres) ou parfois au niveau local.
La société
On peut évoquer aussi la revendication de la liberté de décider soi-même le moment de sa mort (euthanasie)
Autour du dernier ouvrage publié par J. M. Guehenno, Le premier vingt et unième siècle (2021)
Dans ce premier vingt et unième siècle, on est passé de la globalisation à l’émiettement du monde. L’Europe a raté le virage de l’après-guerre froide. Elle n’a pas réalisé son projet.
En 1989, on est au bout d’un cycle où l’on avait le sentiment que l’individu pouvait tout. La crise actuelle n’est pas seulement socio-économique. Quelle légitimité ont aujourd’hui les communautés politiques ? Les électeurs sont peu convaincus. Il y a une crise démocratique. « Pour que la démocratie soit possible, il faut une société »
Nous sommes dans l’âge des données, révolution comparable à celle de la diffusion de l’imprimerie. Cela bouleverse la légitimité des savoirs avec leur diffusion. L’âge des révolutions a été précédé par une longue crise des légitimités. Nous sommes dans une nouvelle ère de destruction créatrice.
Lire le compte rendu →En 2017, P. Veltz avait publié « La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif ». Il y montrait
une nouvelle grammaire productive, très différente de celle du siècle passé, de plus en plus dématérialisée,
composée de services. L’industrie est mondialisée, le numérique change tous les secteurs. On passe d’une
économie des choses à une économie des usages.
Dans ce nouveau livre (2021), P.Veltz s’affronte « à une question existentielle, le défi écologique : nous
savons les causes et les effets de la crise climatique qui menace l’humanité de chocs bien pires que la crise
sanitaire actuelle. Nous savons l’évolution de nos économies et les transformations globales de nos
sociétés. Sans changements profonds nous courons à la catastrophe. Chez les climatologues, l’ambiance
est lourde. La situation est critique et va dominer les décennies à venir. La coupure générationnelle est
frappante : dans toutes les couches de la jeunesse, par ex. dans les écoles d’ingénieurs, la menace
climatique est la préoccupation la plus importante, alors que c’est une question parmi d’autres dans la
campagne électorale actuelle. Et on est noyés d’informations parcellaires et divergentes.
On peut signaler 3 impasses :
– Croire que le capitalisme soit disposé à « verdir » et qu’il assure la transition (en faisant des profits « as
usual ») avec les nouvelles technologies, l’esprit d’innovation.
– Le radicalisme selon lequel il faut supprimer le capitalisme sinon rien ne peut bouger, et instaurer un
gouvernement mondial, une révolution totale et partout.
– Le localisme : se concentrer sur des zones locales (ZAD) où on peut résoudre les problèmes, avoir son
éolienne et ses panneaux solaires, cultiver son jardin, faire son pain, etc. Penser qu’il faut oublier
l’industrie qui nous a menés dans le mur.
Or, on n’a pas le temps d’attendre la révolution, d’attendre que les conditions soient réunies pour un
gouvernement mondial et révolutionnaire. Ce radicalisme revient à une démission, à accepter la
catastrophe. Le temps nous est compté : la bifurcation doit se faire avant 2050, alors que le temps de la
démocratie est long : il faut construire un consensus. Pour cela il faut accepter le réformisme, bâtir un récit,
montrer la voie étroite avec des solutions. P. Veltz se désigne comme un ingénieur, pas un philosophe…
Les problèmes doivent être résolus à une échelle pertinente. Il faut revenir à une réflexion sur l’Etat et poser
les bonnes questions.
Le changement doit être profond : il y a consensus sur l’obligation où nous sommes de changer notre
système énergétique. Il faut qu’on sorte des énergies fossiles (zéro émissions Co2 net en 2050). Or, leur
niveau ne descend toujours pas, quand le changement doit être urgent : le Co2 s’accumule et le système
climatique s’emballe, la température va augmenter longtemps après l’arrêt des émissions, or chaque demi-
degré entraîne plus de casse, malgré puits de carbone, forêts, océans, quoi qu’on fasse.
Le problème est international. Bien sûr c’est l’Occident qui nous a menés là ! et la Chine et l’Inde ne vont
pas arrêter leur développement avant d’avoir rejoint le nôtre. Augmenter le prix du carbone, on a vu les
effets sociaux de la taxe carbone !
Comment rendre le changement socialement acceptable ? Cette mutation ne pourra se passer d’un
récit qui ne soit pas punitif, qui la rende désirable et juste. Il faut avoir une visions stratégique et positive.
On a un paquebot : il faut changer de trajectoire et de motorisation sans que les passagers soient
malades….
1. Il faut des politiques d’efficacité
On sait déjà faire plus avec moins d’énergie, moins de ressources, moins de pollution, plus de recyclage
possible. On a fait des progrès. La Chine est le premier émetteur global de carbone, mais, par tête, n’émet
pas plus qu’un habitant de nos sociétés en 1900. La gamme des Boeing 707 a gagné 70 % d’efficacité
énergétique depuis 1958. Les matériaux aussi, l’acier, le papier, le plastique, la recherche a permis
d’améliorer leur bilan énergétique. L’isolation des logements est commencée (pompe à chaleur) . Mais ça
ne suffira pas du fait de l’effet-rebond : les gains d’efficacité sont effacés par l’augmentation de la
demande, donc la consommation ne baisse pas.
Ex : On augmente le thermostat et on vit en T-shirt quand la maison est bien isolée et la chaudière dernier
cri de l’économie d’énergie.
– La canette de bière en acier est plus légère et recyclable mais la consommation s’est emballée. C’est un
mécanisme incontrôlable : les produits sont conçus pour être toujours plus vendus.
– Les fermes de serveurs informatiques sont moins énergivores mais se multiplient bien plus vite que les
gains d’énergie (augmentation exponentielle des videos en ligne)
– La mode est un secteur économique qui vit du renouvellement incessant et très polluant des textiles.
– La complexification technologique de tous nos objets, voitures, électro-ménager, équipement
informatique les rend très énergivores, bien plus fragiles, et exigeant des composants en minerais rares,
cette complexité étant source cachée d’augmentation de la consommation de matière/énergie étant
donné notre mode de vie.
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