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Archive by category "Comptes rendus"

04/04/2022 – Pour une autre politique de santé – André Grimaldi

Laurent Mignot présente le Professeur Grimaldi, professeur émérite de diabétologie au CHU
de La Pitié-Salpétrière. Il est l’auteur du Manifeste pour la Santé 2022 et un militant de la
défense de l’Hôpital public contre la dérive de notre système de santé vers un système
marchand : on avait en 2000 le meilleur système dans les classements internationaux, nous
voilà à la onzième place alors que nous dépensons 11% de notre PIB pour la Santé, ce qui
nous met à la troisième place pour les dépenses. Mais la Santé est-elle un bien marchand ou
un bien commun ?
Pr Grimaldi : En 2020, au début de la pandémie, on a vécu un moment d’enthousiasme, les
soldats montent au front, la population leur en est reconnaissante. On fait nation. Et après,
on retombe dans la catastrophe. La pandémie agit comme une loupe.
D’une part, des points forts :

  • Les soignants sont solidaires, les gestionnaires sont au service des soignants
  • La Sécu rend vaccins et tests gratuits
  • Le privé fonctionne comme du public et coopère
    Les points faibles : Pas de stocks (l’hôpital est censé fonctionner à flux tendu) : ni
    surblouses, ni masques, ni médicaments, ni lits, etc. Il faut passer de l’hôpital du flux à celui
    du stock. Cette pandémie montre aussi les inégalités de santé. Dans le 93, beaucoup
    d’obèses et de diabétiques, populations les plus à risque. On se contamine dans les
    logements surpeuplés, on ne peut s’isoler, ce que la gestion ne prend pas en compte, faute
    d’une culture de santé publique.
    Il y a à la fois un manque de coordination SAMU, hôpital, on néglige la médecine de ville. Des
    structures ne servent à rien et coûtent très cher :
    D’où viennent ces faiblesses ? Revenons en arrière.
  • De 1945 (le CNR crée la Sécu) à 1970, les années heureuses. La Santé est un bien
    supérieur. Le budget est dédié par les cotisations sociales et cogéré par les
    partenaires sociaux. Il y a des indemnités journalières en cas d’hospitalisation.
  • Les années 70 : fin de l’insouciance, début du freinage des dépenses, on instaure le
    numerus clausus qui réduira de moitié le nombre de médecins (comme si l’offre de
    soins faisait la dépense) sans toucher à la liberté d’installation ni donner plus de
    missions aux infirmières.
  • Les années 80-90 : On attribue une dotation budgétaire fermée à chaque hôpital. En
    96, Juppé instaure le vote de l’Objectif National D’Assurance Maladie, indépassable.
    Pour économiser, on limite les honoraires en secteur 1, ce qui amène les médecins à
    multiplier les consultations et les prescriptions. Puis en 80, on crée un secteur 2, à
    honoraires libres avec des dépassements d’honoraires (plus de 50% des spécialistes)
    et un forfait hôtelier par jour d’hôpital qui n’a cessé d’augmenter. Certaines
    dépenses sont privatisées, les remboursements comportent des franchises (2008), ce
    qui oblige les patients à prendre des assurances-santé complémentaires, mutualistes
    ou non. Cet empilement de mesures et ce doublon rendent le système illisible (d’où
    un non-recours aux droits). La gestion et le financement de cette usine à gaz sont de
    plus en plus coûteux.
  • A partir de 2000, les services publics sont frappés par des réformes absurdes
    instaurant la loi de la concurrence sur un marché libre ! La médecine devient une
    industrie, le médecin un ingénieur, le directeur un manager. A partir de 2004, on
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07/03/2022 – L’Europe à l’heure de la guerre – Pascal Lamy

C. Deltombe présente P. Lamy et introduit la séance :

P. Lamy  a été Président de l’Institut J. Delors en 2004-2005, directeur de l’OMC de 2005 à 2013 et Président du Forum de Paris pour la Paix depuis 2019. Nous avions choisi un sujet sur l’OMC et voulions interroger P. Lamy sur le rôle de l’OMC, la situation du commerce mondial, la Chine qui garde un statut de pays en développement… Est arrivée la guerre en Ukraine. Nous vous proposons d’évoquer les éléments économiques de la guerre en Ukraine. `

4 questions.

  • 1) Les sanctions sont-elles de nature à faire reculer Poutine ?
  • P. Lamy part d’un entretien qu’il a eu le matin même avec J. Delors à partir des crises qui se répètent , interconnectées. Au départ, on était dans un monde où la science, l’économie et la politique entretenaient l’idée d’un progrès. La question c’étaient les injustices et la crise climatique. Cette crise de l’Ukraine arrive, guerre à l’ancienne qui suscite la stupéfaction devant cette régression. On ne peut pas ne pas penser  en écoutant les discours de Poutine qu’il n’a pas toute sa raison. Envahir l’Ukraine pour la ré-annexer ? Il se heurte à une résistance. Les sanctions financières et commerciales vont-elles le ramener à la raison ?  Ça va lui coûter très cher par rapport à ce que ça va lui rapporter. L’impact sur la population russe va peut-être devenir insupportable et amener des troubles. Mon sentiment est que Poutine sera perdant au bout du compte, mais à long terme. Les sanctions vont produire leur effet sur la Russie si la Chine ne l’aide pas sérieusement. L’économie russe exporte de l’énergie, de l’aluminium, de la pâte à papier. Avec les sanctions, l’argent va manquer, il y aura de l’inflation. L’embargo sur le pétrole et le gaz russe sera une arme décisive. Actuellement c’est l’Europe qui paye la rente russe du pétrole et du gaz, un superprofit, 200 milliards avec la hausse des prix. Nous ne pouvons pas gagner sans faire monter la pression, et ça va nous coûter cher. Il faut baisser le chauffage ! Sur les prix alimentaires, les céréales, ce sont les pays africains et du Maghreb qui vont souffrir le plus.
  • 2) Quelles mesures prendre en Europe pour pallier les mesures de rétorsion russe ?
  • En France si on a une inflation énergie +alimentation, le chèque pour compenser serait de 20 milliards d’euros en ordre de grandeur. Il faut réviser la stratégie de décarbonations, accélérer les énergies renouvelables, changer les priorités du Green Deal, ça veut dire de gros coûts d’investissement. Vis à vis des états dits « frugaux » , il ne faut pas commencer par dire « on va refaire un grand emprunt commun ». Il faut dire « on a besoin de faire  des investissements », et ensuite « on a besoin de le faire ensemble ». Il faudra d’ailleurs coupler ça avec un geste diplomatique à l’égard de la population russe qui va commencer à sortir du contrôle de la communication, leur dire « on n’est pas contre vous ».
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07/02/2022 – Où va la France ? Michel Wievorka.

M. Wieviorka, sociologue,  a publié récemment « Métamorphose ou déchéance, où va la France ? »

Une question lui est immédiatement posée  : «  Comment quelqu’un qui est de gauche se saisit-il du terme de déchéance, qui est utilisé par la droite et même l’extrême-droite aujourd’hui ?

M. W. répond qu’il a souhaité éviter «déclin» ou «décadence». Ce livre cherche à éclairer l’actualité sans la commenter, livre issu du calme obligé du confinement  et nous invite à regarder par en-haut  l’Etat, et par en-bas la société.

L’Etat

Si on étudie l’histoire de l’Etat français depuis 1945, on observe une tendance qui s’accentue : celle d’une désarticulation de l’Etat proprement politique et de la haute administration. Il y a une dissociation entre ces deux faces de l’Etat avec des conséquences ennuyeuses. L’Etat administratif s’est alourdi. La décentralisation n’a pas abouti. On croit prendre des décisions, mais elles se perdent dans cet Etat gazeux, parfois même fangeux, avec des techno-bureaucrates qui ont un pouvoir énorme. Je n’ai pas rencontré ce que certains (plus ou moins complotistes) appellent « l’Etat profond » qui en secret exercerait le « vrai pouvoir », sauf peut-être dans le domaine militaire (un ingénieur général de l’armement truque quelquefois les chiffres) ou parfois au niveau local.

La société

  • Il faut reprendre les grandes mobilisations depuis mai 68 qui a été un mouvement social historique exceptionnel où le mouvement social étudiant a été relayé par, et a convergé avec, le vieux (depuis 1864) mouvement social ouvrier. Et bien que les appareils syndicaux et le PC ne soient pas du tout chauds, Alain Geismar avait entraîné le SNESUP et les professeurs à leur donner leur appui. Ce fut un moment où se sont sentis proches les jeunes étudiants et les jeunes ouvriers. Cela ne s’est pas reproduit, même si on peut en rapprocher un peu le mouvement anti-nucléaire et l’affaire de Lip avec son essai d’autogestion.
  • Aujourd’hui, on a des luttes pour défendre le passé : des pans entiers de l’ancienne société, de façon parfois catégorielle, défendent les avantages acquis du secteur classique de notre société.
  • Mais existent aussi des mobilisations éthiques ou culturelles pour construire un monde nouveau : d’abord sur la défense de l’environnement, ensuite pour le féminisme, comme « Me too », enfin pour les droits humains, contre les violences policières ou le racisme. Sur ce thème, on a assisté à d’énormes changements : l’idée de race se réclamait de la science, biologie ou génétique, pour invoquer une hiérarchie des races. Aujourd’hui, vient des Etats-Unis l’idée que la race apparaît comme une construction sociale, la façon dont on est perçu comme partie d’un groupe (on parle de personnes « racisées»), que cette  « racisation » désigne à discriminations ou violences.

  On peut évoquer aussi la revendication de la liberté de décider soi-même le moment de sa mort (euthanasie)

  •   Des mouvements spontanés qui récusent les institutions et les corps intermédiaires :
  • les gilets jaunes
  • les anti-vaccins, anti-passe sanitaire, anti-Macron.
  • qui démarrent et se développent sur internet en lutte contre les médiations et la représentation/trahison : pas de leaders, les représentants sont neutralisés, disqualifiés. Ils ne veulent pas passer par des commissions. Le système de représentation est considéré comme carrent.
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03/01/2022 – Le monde au XXIème Siècle ? Jean Marie Guéhenno.

Autour du dernier ouvrage publié par J. M. Guehenno, Le premier vingt et unième siècle (2021)

Dans ce premier vingt et unième siècle, on est passé de la globalisation à l’émiettement du monde. L’Europe a raté le virage de l’après-guerre froide. Elle n’a pas réalisé son projet.

  • Elle est aujourd’hui en retrait par rapport à la rivalité des Etats-Unis et de la Chine.
  • Elle a raté le train des données, même si elle n’a pas encore perdu la course de l’Intelligence Artificielle.

En 1989, on est au bout d’un cycle où l’on avait le sentiment que l’individu pouvait tout. La crise actuelle n’est pas seulement socio-économique. Quelle légitimité ont aujourd’hui les communautés politiques ? Les électeurs sont peu convaincus. Il y a une crise démocratique. « Pour que la démocratie soit possible, il faut une société »

Nous sommes dans l’âge des données, révolution comparable à celle de la diffusion de l’imprimerie. Cela bouleverse la légitimité des savoirs avec leur diffusion. L’âge des révolutions a été précédé par une longue crise des légitimités. Nous sommes dans une nouvelle ère de destruction créatrice.

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06/12/2021 – L’économie désirable – Pierre Veltz

En 2017, P. Veltz avait publié « La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif ». Il y montrait

une nouvelle grammaire productive, très différente de celle du siècle passé, de plus en plus dématérialisée,

composée de services. L’industrie est mondialisée, le numérique change tous les secteurs. On passe d’une

économie des choses à une économie des usages.

Dans ce nouveau livre (2021), P.Veltz s’affronte « à une question existentielle, le défi écologique : nous

savons les causes et les effets de la crise climatique qui menace l’humanité de chocs bien pires que la crise

sanitaire actuelle. Nous savons l’évolution de nos économies et les transformations globales de nos

sociétés. Sans changements profonds nous courons à la catastrophe. Chez les climatologues, l’ambiance

est lourde. La situation est critique et va dominer les décennies à venir. La coupure générationnelle est

frappante : dans toutes les couches de la jeunesse, par ex. dans les écoles d’ingénieurs, la menace

climatique est la préoccupation la plus importante, alors que c’est une question parmi d’autres dans la

campagne électorale actuelle. Et on est noyés d’informations parcellaires et divergentes.

On peut signaler 3 impasses :

– Croire que le capitalisme soit disposé à « verdir » et qu’il assure la transition (en faisant des profits « as

usual ») avec les nouvelles technologies, l’esprit d’innovation.

– Le radicalisme selon lequel il faut supprimer le capitalisme sinon rien ne peut bouger, et instaurer un

gouvernement mondial, une révolution totale et partout.

– Le localisme : se concentrer sur des zones locales (ZAD) où on peut résoudre les problèmes, avoir son

éolienne et ses panneaux solaires, cultiver son jardin, faire son pain, etc. Penser qu’il faut oublier

l’industrie qui nous a menés dans le mur.

Or, on n’a pas le temps d’attendre la révolution, d’attendre que les conditions soient réunies pour un

gouvernement mondial et révolutionnaire. Ce radicalisme revient à une démission, à accepter la

catastrophe. Le temps nous est compté : la bifurcation doit se faire avant 2050, alors que le temps de la

démocratie est long : il faut construire un consensus. Pour cela il faut accepter le réformisme, bâtir un récit,

montrer la voie étroite avec des solutions. P. Veltz se désigne comme un ingénieur, pas un philosophe…

Les problèmes doivent être résolus à une échelle pertinente. Il faut revenir à une réflexion sur l’Etat et poser

les bonnes questions.

Le changement doit être profond : il y a consensus sur l’obligation où nous sommes de changer notre

système énergétique. Il faut qu’on sorte des énergies fossiles (zéro émissions Co2 net en 2050). Or, leur

niveau ne descend toujours pas, quand le changement doit être urgent : le Co2 s’accumule et le système

climatique s’emballe, la température va augmenter longtemps après l’arrêt des émissions, or chaque demi-

degré entraîne plus de casse, malgré puits de carbone, forêts, océans, quoi qu’on fasse.

Le problème est international. Bien sûr c’est l’Occident qui nous a menés là ! et la Chine et l’Inde ne vont

pas arrêter leur développement avant d’avoir rejoint le nôtre. Augmenter le prix du carbone, on a vu les

effets sociaux de la taxe carbone !

Comment rendre le changement socialement acceptable ? Cette mutation ne pourra se passer d’un

récit qui ne soit pas punitif, qui la rende désirable et juste. Il faut avoir une visions stratégique et positive.

On a un paquebot : il faut changer de trajectoire et de motorisation sans que les passagers soient

malades….

1. Il faut des politiques d’efficacité

On sait déjà faire plus avec moins d’énergie, moins de ressources, moins de pollution, plus de recyclage

possible. On a fait des progrès. La Chine est le premier émetteur global de carbone, mais, par tête, n’émet

pas plus qu’un habitant de nos sociétés en 1900. La gamme des Boeing 707 a gagné 70 % d’efficacité

énergétique depuis 1958. Les matériaux aussi, l’acier, le papier, le plastique, la recherche a permis

d’améliorer leur bilan énergétique. L’isolation des logements est commencée (pompe à chaleur) . Mais ça

ne suffira pas du fait de l’effet-rebond : les gains d’efficacité sont effacés par l’augmentation de la

demande, donc la consommation ne baisse pas.

Ex : On augmente le thermostat et on vit en T-shirt quand la maison est bien isolée et la chaudière dernier

cri de l’économie d’énergie.

– La canette de bière en acier est plus légère et recyclable mais la consommation s’est emballée. C’est un

mécanisme incontrôlable : les produits sont conçus pour être toujours plus vendus.

– Les fermes de serveurs informatiques sont moins énergivores mais se multiplient bien plus vite que les

gains d’énergie (augmentation exponentielle des videos en ligne)

– La mode est un secteur économique qui vit du renouvellement incessant et très polluant des textiles.

– La complexification technologique de tous nos objets, voitures, électro-ménager, équipement

informatique les rend très énergivores, bien plus fragiles, et exigeant des composants en minerais rares,

cette complexité étant source cachée d’augmentation de la consommation de matière/énergie étant

donné notre mode de vie.

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