Exposé
Le populisme est-il contagieux ? Tout le monde en parle. C’est un mot-valise. Je vais me concentrer sur l’Europe. Qu’entend-on par « populisme » ? Immense production scientifique à ce sujet. Deux grandes interprétations :
Il y a une histoire du populisme (en France avec Boulanger, les ligues des années 30s, le poujadisme). Il faut distinguer aujourd’hui plusieurs types de populisme :
il ne faut pas le prendre comme un ensemble homogène. Il y a de grandes divergences entre eux, sur l’organisation politique par exemple (RN très différent de Cinq étoiles qui a créé l’horizontalité, une structure très souple avec un chef). La sociologie aussi divise : Le populisme de gauche est généralement plus jeune et plus instruit. La référence négative à l’Islam n’existe pas à gauche. À droite, elle n’apparaît que pour faire ressortir les racines chrétiennes des sociétés européennes. Ce n’est toutefois pas la position de Marine Le Pen pour qui le rejet l’Islam s’exprime par la défense de la laïcité.
Les différents populismes ne parlent pas du même peuple. À droite, ce sont « les gens » (the common people, la plebs). Pour d’autres, c’est le populus, le peuple citoyen. Pour Berlusconi, c’est le peuple consommateur…
Il y a toujours opposition frontale entre les populismes et les élites qui « complotent en permanence » contre le peuple (« l’enfumage » des Gilets Jaunes). Il n’y a pas de problèmes compliqués et il n’y a que des solutions simples. Hostilité partout à la démocratie représentative. Vision binaire sur tout. Jamais dans la nuance. Opposition à l’UE, aux étrangers.
Dans le passé, les accès populistes étaient de courte durée. La nouveauté est qu’ils s’installent dans la durée. Par défiance du politique, par défiance culturelle aussi conduisant à une inquiétude vis-à-vis de l’immigration régulière ou clandestine avec des fantasmes sur le nombre des migrants. Les deux modèles d’immigration sont en crise, modèle d’intégration à la française ou modèle multiculturel (le Danemark en revient !). Peur de l’Islam. Une interrogation se développe : qu’est-on au juste dans une société de plus en plus fragmentée ?
Impact de ces populismes sur les démocraties ? lls se heurtent encore à l’état de droit comme on peut le voir en UK ou aux USA. Ils sont divisés sur beaucoup de choses, incapables de former un groupe unique au Parlement Européen.
Mais la « démocratie du public » (télévision) se développe à la fin du XXème siècle. Une peuplocratie bouscule en permanence les institutions au nom d’une « démocratie de l’immédiateté et de l’urgence » qui se passe des corps intermédiaires et impose son style. Cette dynamique se développe. Comme le dit Nicolas Baverez, l’état de droit n’est pas suffisant, il faut régler le problème de la défiance politique et culturelle.
Alternatives ou parades se trouveront dans la capacité des démocraties représentatives à se réformer au profit d’une démocratie participative complémentaire de la démocratie représentative. La mise sur pied d’une convention citoyenne sur le climat en est un exemmple. À défaut on voit ce qui se passe en Hongrie et en Pologne : réduction du pouvoir de la presse, réécriture du récit historique. Orban essaie d’être le plus cohérent avec son concept de démocratie illibérale. On ne le prend pas assez en considération.
Débat
Q1. Place de la question climatique dans les populismes ?
R. Elle est faible dans les populismes de droite. À gauche, on l’a tout de suite intégrée. Les populismes des « chefs d’entreprise » s’en fichent. Pour les Gilets Jaunes, on s’intéresse d’abord à la fin du mois.
– Les GJ constituent une forme de populisme sociétal. Ce sont des gens qui ont des jobs modestes. Peu de chômeurs. Beaucoup d’autoentrepreneurs. Peu instruits, généralement au bord de la périphérie, des femmes seules divorcées ou non. Aussi des retraités. La plupart s’abstiennent dans les élections ou votent Marine Le Pen puis Mélenchon.
Détestent le président de la république, Emmanuel (Louis XVI dans leur imaginaire) et Brigitte Macron (Marie-Antoinette). Un mot d’ordre : le RIC, clé de la solution de tous les problèmes.
Mais refus des leaders, surtout si c’est une femme ce qui constitue une différence avec ls populismes politiques.
Peu de rejet des immigrés.
Q2. Comment expliquer leur opposition à tout groupe structuré que l’on constate aussi du côté du Pouvoir où l’on ne compte que sur des individus isolés ? Que pensez-vous de la personnalisation de Greta Thunberg ?
R. Il y a une Dynamique d’individualisation à l’œuvre dans nos sociétés (moins de syndicats, de partis). Dissociation de l’adhésion associative d’avec la politique.
Pour les GJ, toutes les enquêtes montrent ce que cela représente pour eux le mouvement en termes de sociabilité, mais pas de poussée anticapitaliste ou anti patrons. Les ronds-points rendent visibles des gens qui se croyaient invisibles. Les GJ constituent le mouvement social le plus important que nous ayons connu. Cela ne disparaîtra pas du jour au lendemain. On risque de se retrouver derrière des leaders.
Greta Thunberg illustre le processus de personnalisation et de médiatisation qui nous emporte et auquel les jeunes sont très sensibles.
Q3. Que penser de la vogue des référendums ? Avec le référendum, on n’aurait pas fait la loi sur l’IVG !
R. Tout peut-il relever du référendum ? Oui sur certaines questions ou sur les référendums consultatifs après les quels les députés votent en leur âme et conscience, ce qui est difficile à faire comprendre aux gens. Bref il ne peut être la solution de tout. C’est une illusion démocratique.
Il faut lire le livre de Yasha Munk :un tiers des européens penchent vers un régime plus autoritaire, surtout chez les jeunes.
Q4. Ne faudrait-il pas construire un régime européen festif ?
R. Nos démocraties sont en mutation sous des pressions contradictoires : 1//3 sont pour plus d’autoritarisme, 2/3 pensent à d’autres formes de démocratie.
L’émotion est très instrumentée par les populistes par opposition au discours technocratique ou rationnel. Il faut mettre de l’humain ! Aux élections les populistes ont progressé partout mais ils sont divisés. Le rôle de la Commission à venir va être très important car partout les pays membres souhaitent rester dans l’Union ou dans la zone Euro.
Q5. N’y a-t-il plus de problème compliqué ? Il y a un paradoxe entre l’élévation du niveau culturel et éducatif avec le simplisme des approches populistes. Comment on est-on arrivé là ? Les GJ sont des sans statuts ce qui ajoute à la difficulté.
R. Une partie des GJ vient des parties basses du secteur public (échelles C et D). Il y a bien une élévation du niveau éducatif mais les inégalités se sont aussi creusées. Pour la majorité des français « c’est moins bien qu’avant » ! Il faut aussi prendre en compte la dimension de la défiance très profonde liée au creusement des inégalités. Je suis frappé par les écarts d’éducation. Beaucoup ont décroché. Il y a les gens « d’anywhere » et les gens de « somewhere » qui bougent peu et voient se creuser l’inégalité sociale et culturelle qui est pour eux le grand défi.
En 2017 le RN est le premier parti pour les jeunes avec beaucoup de jeunes sortis du système éducatif et des jeunes des « facs de masse » alors que les jeunes de Sciences Po ou de l’ENS débutent à 55000 € nets et votent Macron.
Q6. Comment situez-vous Eric Zemmour ?
R. Ce n’est pas un solitaire. Il vend à 300000 exemplaires. C’est l’extrême droite qui falsifie l’Histoire !
Q7. Les populistes sont marginalisés parce que la société est prise dans un profond mouvement de transformation. Comment demander au loup et à la brebis de discuter ensemble ?
En Tunisie, on voit déjà la défiance totale envers les politiques après seulement 4 ans de démocratie.
R. Comment éviter qu’un grand nombre de personnes ne soient écrasées par le processus de transformation/globalisation ? Il faudrait créer un « Erasmus » pour les exclus de l’école : envoyer en Allemagne un étudiant espagnol décroché …
L’exemple tunisien illustre le fait qu’il y a de nouveau un mouvement de divorce avec toutes les élites, pas seulement politiques. Cela pose le problème de sélection et de diversification des élites dirigeantes. Problème d’exemplarités. Difficile de faire comprendre que la politique est un métier mais pas à vie. Il faut favoriser le retour à la vie professionnelle en évitant le « Non, ils se sont déjà assez sucrés ».
Q8. Problème de l’accélération médiatique.
R. Oui, c’est le problème des chaînes d’information en continu plus développé en France qu’ailleurs.
J’étais récemment au RDV de l’Histoire à Blois où le thème était l’Italie. Selon un sondage récent, les français ont une bonne opinion de l’Italie alors que 30% des italiens ont une mauvaise opinion des français. Un sentiment antifrançais travaille les populistes italiens. Le problème des migrants y joue un grand rôle…
Gérard Piketty
Exposé
La question est importante. Toute réflexion sur les droits de l’homme est une invitation à la complexité Même si l’événement est déjà lointain, l’actualité le remet à l’ordre du jour. Son soixante-dixième anniversaire a été marqué par de nombreuses manifestations qui en montent l’actualité. Cette soirée est une invitation à se pencher non de manière très générale sur les droits de l’homme mais sur la construction d’un droit international des droits de l’homme dont la DUDH constitue le socle pour comprendre le mystère de son émergence et le succès de son développement, soit d’abord un état des lieux à dresser avant de s’interroger au-delà sur les questions, défis et enjeux aujourd’hui de ce droit des droits de l’homme.
I- L’état des lieux
La DUDH du 10 décembre 1948 est un texte mythique et sacré. Elle marque une rupture complète avec l’ordre westphalien dessiné deux siècles plus tôt par le traité de Westphalie qui mettait un terme aux guerres de religion ayant décimé l’Europe. Le traité dessine un ordre international – l’ordre westphalien – reposant sur la souveraineté des États – nations et l’égalité entre tous les États. Le droit international s’affirme alors comme un droit des États .
La DUDH ne sort pas du néant. La proclamation internationale des droits de l’homme est le fruit d’une longue maturation de la pensée politique. Au-delà des proclamations nationales des droits de l’homme parfois ancienne (en Angleterre , la charte de de 1215 ,la Pétition des droits de 1628.., aux Etats -Unis, la déclaration d’indépendance de 1776, en France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), les guerres entre les États conduisent à l’adoption des premiers instruments internationaux de protection des droits de l‘homme, d’abord pour assurer à l’issue de la guerre de Crimée et la bataille de Solférino la protection des « blessés » (convention de Genève de 1864 en réponse à l’appel d’Henri Dunant qui fonde alors la Croix rouge internationale ), puis des « travailleurs » dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT) créée après la première guerre sous l’égide de la Société des Nations et qui jouera un rôle fondamental dans leur protection et la promotion de leurs droits, ou encore des « réfugiés » par plusieurs conventions de l’entre-deux guerre.,etc.… Devant la montée des totalitarismes, du nazisme et des fascismes pendant l’entre deux guerres, puis le déchainement de la barbarie de la seconde guerre, la société internationale entend répondre par la création de l’Organisation des Nations unies ( charte de San Francisco en 1945) aux questions qu’Hannah Arendt posait dans Les origines du totalitarisme : comment penser l’impensable? Comment comprendre la terreur absolue et le mépris radical de la personne humaine ?
Le préambule de la charte des Nations unies rend compte de cette prise de conscience mondiale des liens entre la paix et le respect des droits de l’homme en ces termes « Nous peuples des Nations Unies » sommes « résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre […], à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petite[…] ». Il s’agit là d’ « un idéal commun » que la Commission des droits de l’homme créée en 1946 se voit chargée de préciser dans ce qui sera la DUDH. La rupture est majeure. Pour la première fois, l’homme est pris en compte par le droit international en tant que tel, et non plus au vu d’une qualité particulière (celle de blessé, de travailleur..) .Il devient sujet du droit international. Loin d’être une proclamation du seul monde occidental, la charte à des Nations Unies rassemble la signature de 50 États tandis que la Commission de droits d’homme qui élabore la DUDH en rassemble 48 sous la présidence d’Éléonore Roosevelt et la présence particulièrement active de la France mais aussi de la Chine et le Liban.
Cette dynamique n’est pas étrangère à l’action de grandes personnalités. A cet égard doit être cité le nom de René Cassin, mutilé de la guerre de 14 soucieux alors de créer un droit de la responsabilité pour réparer les préjudices causés par la guerre et Président de l’alliance israélite universelle. En 1940, il rejoint De Gaulle à Londres, puis, nommé à son issue vice-président du Conseil d’État, il joue un rôle décisif dans la rédaction de l’avant- projet de DUDH qui en constituera le socle puis de la convention européenne des DH . Il veut associer à la rédaction de la première l’opinion publique et la société civile par la création par les États aux cotés des autorités diplomatiques de comités locaux – comité qui est à l’origine en France de l’actuelle Commission nationale des droits de l’homme – CNCDH) à jugeant que « plus qu’aucun autre, c’est le soutien de l’opinion publique qui forme la clef de voute des droits de l’homme sur le plan international et national ». Bref, il veut profiter des esprits disposés à mettre fin à l’horreur des camps. Il va s’appuyer sur les dispositions existantes en faveur des DH dans les constitutions des États en y ajoutant des principes généraux touchant à ce qu’il nomme « l’unité du genre humain ».
EXPOSE..
L’essence du travail de l’historien est la prédiction du passé !! Dans l’empire ottoman au XVIIIème siècle au moment où la flotte russe arrive à pénétrer en mer Égée et à défaire la flotte ottomane à la bataille de Tchesmé débute la « question d’Orient ». De 1770 à 1802 l’espace politique européen se développe jusqu’à la frontière de l’Inde. Sur fond d’ingérences et d’implications, les conflits locaux prennent une dimension internationale et vice et versa, gérés par le « concert européen » au XIXème siècle (congrès de Paris et de Berlin).
Un calme relatif s’établit entre 1920 et 1940. Les difficultés reprennent avec la guerre froide.
Pourquoi des guerres dans la région ?
– Charnière géopolitique à la frontière de trois mondes. Route des Indes gardée jalousement par l’Angleterre. Guerre de Crimée en 1854. Puis route du pétrole et tentative des russes de descendre vers le Sud
– Naissance de l’État moderne au XXème siècle. Les chefs d’État ottomans prennent conscience de la nécessité d’un rattrapage grâce à un autoritarisme modernisateur (Kémalisme, Baasisme …) provoquant l’émergence d’une opposition à partir de la religion.
Le MO de 1880 est divisé entre monde civilisé et monde non civilisé. Il va être intégré au monde occidental.
Du coup, par un choc narcissique, la religion devient l’instrument du rattrapage et non une valeur en soi. L’Islam est présenté comme le meilleur moyen de rattraper l’Europe (Hassan El Banna crée Les frères musulmans). Adossé sur son universalité, il se couple avec un anti-impérialisme.
– Les structures de la société traditionnelle explosent : l’homo hiérarchicus fait place à l’homo aequalis (émancipation des juifs en 1850).
– L’explosion démographique d’une région initialement sous peuplée (l’Égypte passe de 5 Mh sous Napoléon à 100 aujourd’hui, la Palestine de 0,35 en 1850 à 9-10 Mh aujourd’hui).
– Des migrations venues de l’Est (« Ma Sri-Lankaise est vietnamienne » !), de la corne de l’Afrique ou du Maghreb ave une succession de modèles économiques : le modèle colonial (matières premières et raisins secs contre objets manufacturés) supplanté par une industrialisation par substitution aux importations d’un secteur privé puis public (qui n’a jamais été un succès) jusqu’à l’arrivée destructrice de la rente pétrolière.
Exposé
Depuis ma venue au Club en 1994 la situation en Israêl-Palestine a bien changé. Les accords d’Oslo venaient d’être signés en septembre 1993 et un certain optimisme semblait possible quant à une issue du conflit. Mais plusieurs choses ont joué en sens contraire. Rappelons le triste et triple anniversaire de 2017 :
Il montre bien les questions fondamentales au cœur du problème : une certaine légitimité d’Israël, le développement de la colonisation surtout à partir de 1977. Le conflit s’installe donc dans la durée mais avec des modalités et motivations différentes.
Plusieurs raisons à cela. Il ne faut pas négliger la dimension symbolique : affrontement de deux projets nationaux dans un endroit très symbolique.
Quelle évolution depuis 1993-1994 ?
Les accords d’Oslo devaient mettre en place un régime d’autonomie pour les Palestiniens. De fait un gouvernement va y fonctionner mais sans souveraineté véritable. L’armée israélienne y intervient à sa guise. Pas d’évolution significative depuis lors. La dynamique des négociations a buté rapidement sur une série de drames :
o Deux États de part et d’autre de la ligne verte de 1967 avant la guerre des 6 jours (avec quelques écarts possibles pour tenir compte des colonies mais avec une logique de compensation territoriale qui impliquerait le déplacement possible de près de 80000 juifs)
o Jérusalem ville ouverte capitale des deux États (sauf pour la vieille ville et les lieux saints).
o Retrait progressif de Gaza.
o Maintien d’un contrôle au moins indirect d’Israël sur la vallée du Jourdain.
o Droit de retour possible des palestiniens sur le territoire de la Palestine. Dédommagement possible pour les autres.
Cela fait plus de 20 ans que les politiques migratoires s’exportent hors des frontières de l’Union Européenne. 2015 fut une année charnière par le nombre important de migrants et les pays européens se sont sentis dépassés. De là date une véritable crise de l’accueil. Les pays européens de l’Est ont fermé leurs frontières et l’UE a mis en place des Hot Spot en Italie et en Grèce afin de faire le tri entre les réfugiés et les autres et a adopté une politique de relocalisation, c’est-à-dire une répartition équitable des réfugiés entre les pays européens. Mais cette politique a échoué du fait du refus de la plupart des pays membres de l’UE, mis à part l’Allemagne.
C’est dans cette logique que la politique d’externalisation s’est développée laquelle consiste à déléguer la responsabilité de la gestion des questions migratoires (accueil, asile, contrôle aux frontières extérieures de l’UE) à des pays tiers. Les objectifs sont de réduire en amont la mobilité des migrants vers l’UE et augmenter le retour des migrants refusés par l’UE.
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