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02/03/2020 - Djihadisme en Afrique - Christophe Boisbouvier

Au préalable, Ch. Boisbouvier tient à rappeler la mémoire des deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon tués le 2 novembre 2013 près de Kidal (Mali). En dépit des efforts menés par l’avocate Marie Dosé les juges d’instruction Trévidic et Herbaut pour savoir par qui, on l’ignore encore.


I. Qui sont les djihadistes du Sahel ? Qui est Al Qahida ?
Au sud Sahel et en Afrique, le djihad ne date pas d’aujourd’hui.
En 1885, au Soudan, l’insurrection Mahdiste se solde par la chute de Khartoum à la suite de laquelle le général anglais Gordon est assassiné tandis que la garnison anglo-égyptienne et les habitants sont massacrés ou réduits en esclavage. C’est première défaite des occidentaux face à des armées africaines. Le Mahdi installe alors son pouvoir, puis les mahdistes battront les italiens en Ethiopie, à Adoua, en 1895. La reconquête anglo-égyptienne du Soudan(1896) sera terrible et les représailles britanniques dureront jusqu’en 1920…Dans les colonies françaises de l’AOF, l’empire Peul musulman du massif du Fouta Djalon, en Guinée, connut une forte résistance à la colonisation française jusqu’en 1891. Lors d’une révolte peule à Conakry en 1911, 13 français furent tués entrainant de sanglantes représailles. En 1941, au Nord-Soudan français, en AOF sous administration vichyste, dans le cadre d’une résistance à la reprise de la conscription et du recrutement dans l’armée, 31 chefs locaux sont tués par les autorités françaises.
Au Soudan, après le coup d’Etat du général Omar El Béchir soutenu par le Front islamique national le 30 juin 1989, s’installe une République islamique qui se veut disciple du Mahdi et où la législation prend sa source dans la loi islamique et la Charia. Le régime durera 30 ans, jusqu’au coup d’Etat militaire du 11 avril 2019 qui renverse Omar El Béchir et sera suivi d’un retour à la démocratie en août 2019.
Quant à AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique), c’est un groupe armé et une organisation d’inspiration salafiste djihadiste, né le 25 janvier 2007, issu du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), groupe algérien issu d’une dissidence du GIA (Groupe islamique armé) algérien.

Au Soudan français, Mali actuel, rural, anciennement fétichiste et hiérarchiquement organisé, l’Islam est traditionnellement, depuis le XVe siècle, dominé par les confréries soufies qui représentent une conception souple de l’Islam marquée par un certain monachisme, le culte des saints, des griots et marabouts, une pratique comportant l’animisme, des chants et danses… Le Salafisme, est violemment hostile au soufisme qu’il accuse notamment de panthéisme et de dérives idolâtres (culte des saints, fétichisme…), donc de défaut de monothéisme. Il est en pleine expansion et entre en conflit avec le soufisme dominant au Mali (la Constitution malienne de 1992 reconnait la liberté de religion)…

De janvier à avril 2012 le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, Touaregs), allié aux groupes djihadistes salafistes voulant imposer la Charia, Ansar Dine, AQMI et Mujao, attaquent les camps de l’armée malienne et des villes dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal puis contrôlent ces trois régions du Nord-Mali. Le 6 avril, le MNLA décide de cesser les opérations militaires et proclame l’indépendance de l’Azawad touareg, ce qui est unanimement condamné, tant au Mali qu’en Afrique et internationalement. En juin, le Mujao et AQMI chassent le MNLA de Gao et le repoussent au nord. En janvier 2013 les groupes djihadistes menacent très directement Bamako. A la demande du président malien par intérim, Dioncounda Traoré, les troupes tchadiennes repoussent les djihadistes, puis la France, en accord avec l’ONU, engage l’opération militaire Serval pour libérer le pays. Après le recul des djihadistes, il est décidé de convertir l’opération Serval en opération Barkhane (1er août 2014) destinée à sécuriser toute la bande saharo-sahélienne comprenant le Niger et le Burkina Faso face à la nouvelle forme de conflit adoptée par les djihadistes, des coups de force surprise ponctuels très meurtriers menés à partir de sanctuaires terroristes épars et dissimulés en particulier, contre des bases de l’armée malienne . En outre, des conflits communautaires graves subsistent notamment dans la région de Mopti (2018) et entre Dogons et Peuls (2019…)

Pourquoi le salafisme ne pénètre-t-il pas dans les masses rurales maliennes ?
L’Islam soufiste des masses rurales maliennes chez qui, par exemple les femmes ne sont pas cloitrées chez elles, n’accepte pas la Charia ni la destruction des mausolées de saints opérées par les djihadistes d’Ansar Dine (ou Ansar Eddine) à Tombouctou (30 juin 2012); ils ont d’ailleurs été reconstruits. Toutefois, le salafisme a gagné en milieu urbain et commerçant, en particulier à Bamako où se côtoient musulmans, catholiques et animistes. Les salafistes demandent la justice sociale et le respect de la moralité contre la corruption. Aussi, le président Amadou Toumani Touré [ATT] (co-auteur du coup d’Etat du 26 mars 1991 contre Moussa Traoré), après avoir rétabli la démocratie en 1991, élu en 2002 et réélu en 2007 (victime d’un coup d’Etat le 22 mars 2012), avait tenté en 2009 de réaliser une réforme égalitaire du droit de la famille. Le code des personnes et de la famille, favorable aux femmes, reconnaissant notamment l’égalité des sexes, « l’autorité parentale », la non répudiation, une égalité dans les successions, adopté par l’Assemblée nationale en août 2009, fut rejeté par le Haut conseil islamique du Mali comme « insulte au Coran ». L’iman sunnite Wahhabite rigoriste, Mahmoud Dicko organisa une manifestation rassemblant 50 000 personnes parmi les organisations musulmanes du pays, au stade de Bamako, pour exprimer le refus de ce nouveau code. ATT préféra alors renoncer à promulguer le code adopté et le renvoya à nouveau à l’Assemblée nationale qui l’adopta seulement le 2 décembre 2011 après être revenue sur les avancées du code voté et avoir introduit à nouveau les dispositions telles que la « puissance paternelle », « la femme doit obéissance à son mari ». Cette affaire exemplaire montre la division de la société malienne et surtout la puissance des mouvements islamiques, notamment en ville, qui a fait plier ATT.
L’on voit apparaître alors deux hommes clefs de la radicalisation au Nord Mali, Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa (alias Amadou Diallo).
Iyad Ag Ghadi, touareg. Après avoir appartenu à la Légion islamique de Khadafi entre 1975 et 1990, il est le fondateur en 1988 du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Azawad) devenu MPA (Mouvement populaire de l’Azawad). Peu religieux, il évolue, se met à fréquenter les mosquées à partir de 1996 et est acquis au fondamentaliste en 2000. Bien implanté à Bamako, il est envoyé par le gouvernement malien en août 2003 négocier la libération de touristes occidentaux prisonniers d’Abou Zeid, algérien, chef du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, devenu en 2007 Al Qaïda au Maghreb islamique, AQMI). Ils seront relâchés contre une rançon de cinq millions d’euros. En 2007, il est nommé consul du Mali à Djeddah (Arabie Saoudite), poste qu’il choisit pour être proche de La Mecque. Soupçonné par les Saoudiens d’être un agent de liaison d’Al-Qaïda, il est expulsé vers la France en 2010, vit à Paris quelque temps, puis retourne au Mali. En 2012 il fonde Ansar Ed-Dine, groupe salafiste, et participe aux opérations de 2012 au Nord-Mali avec AQMI et le MUJAO, groupes qui, par ailleurs se combattent entre eux. En janvier 2013 il dirige les offensives contre le Sud-Mali, puis en février 2013, il s’échappe lors de l’attaque du sanctuaire djihadiste de l’Adrar Tighargar par les tchadiens et les français et semble avoir trouvé refuge en Algérie. En 2014, dans une vidéo, il proclame que son but est d’établir la Charia au Mali et de débarrasser le pays des croisés, la France en tête. Très reconnu, il jouit d’une grande autorité auprès des islamistes et est dès lors considéré comme un des chefs terroristes les plus dangereux. Il est signalé en 2016 à l’hôpital de Tamanrasset ; deux faux médecins sont envoyés pour le supprimer mais l’opération échoue car il a été changé de chambre. Le 2 mars 2017, les groupes islamistes de l’Afrique de l’Ouest dont Ansar Dine, fusionnent en un Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) qui prête allégeance à Ayman Al Zawahiri, émir d’Al-Qaïda, à Abdelmalek Droukdel, algérien, émir d’AQMI et à Haibatullah Akhundzada, émir des talibans. Iyad Ag Ghadi aurait été désigné comme chef du GSIM.
Amadi Koufa, peul, fils d’un imam de Koufa, région de Tombouctou, après un séjour au Pakistan il milite pour une République islamique. Prêcheur bien diffusé à la radio et influent dans les années 1980-1990, il dénonce, auprès des éleveurs peuls, non sans opportunisme ni démagogie, la pauvreté, l’hypocrisie des notables, des familles de marabouts et leur enrichissement, les « voleurs » et les femmes non voilées et trop légèrement vêtues. Il connait un grand succès en particulier auprès des jeunes peuls. Proche des sectes islamistes, il se lie en 2000 avec Iyad Ag Ghadi, fondateur d’Ansar Ed-Dine en 2012, groupe qu’il rejoint. Il participe alors aux combats de conquête du Nord-Mali puis aux offensives vers le Sud repoussées par les troupes tchadiennes et françaises. En 2015 il fonde la Katiba Macina, ou Front de libération du Macina, groupe armé (« katiba ») salafiste et djihadiste, affilié à Ansar Ed-Dine, puis au GSIM en 2017, présent dans les régions de Mopti et de Ségou, « Macina », en référence à l’Empire peul du Macina fondé au début du 19e siècle par un marabout. Amadi Kouffa, prédicateur radical et guide spirituel est l’inspirateur du groupe, tandis que le chef militaire était Abou Yehiva (Mahmoud Barry) jusqu’à son arrestation en juillet 2016 par la DGSE malienne. La Katiba Macina, qui a tiré profit des frustrations et du ressentiment dans la région, procède par assassinat ciblés et enlèvements de représentants de l’Etat malien (militaires, conseillers municipaux, magistrats enseignants, notables…). Dans les zones conquises, elle gère la vie des populations, impose la fermeture des écoles publiques (464 autour de Mopti, soit 68%), la Charia, les prières obligatoires, le vêtement des femmes, leur interdiction de circuler sans l’accompagnement d’un homme ; elle interdit les chants, les baptêmes et mariages, et multiplie les prêches, notamment dans les marchés. Elle est l’auteur d’attaques et d’attentats à Bamako (Hôtel Radisson blu), à Nampala… Depuis 2018, Elle conduit des attaques contre les « chasseurs Dozos » et les Dogons (37 tués le 2 janvier 2019) qui les attaquent ou leur résistent… Entre janvier et août 2018 cinq cent civils auraient été tués et 30 000 personnes auraient fui la région. Amadi Kouffa aurait été tué le 23 novembre 2019 par l’armée française près de Mopti.
Un troisième chef djihadiste Abdoulaye Al Sahraoui (alias Lehbib Ould Ali Ould Saïd Joumani), membre du Polisario qui s’est rapproché des peuls, a fait allégeance à AQMI, puis au GISM en 2017. Il dirige un groupe installé près de Gao qui a notamment conduit des attaques au Burkina Faso en 2016.
Il est incontestable qu’il existe des liens entre ces groupes islamistes, en particulier AQMI/GISM, qui sévissent au Nord-Mali, au Niger et au Burkina-Faso et les djihadistes du Moyen-Orient. Non seulement ils sont liés par l’allégeance à Al Quaida, mais aussi par leurs approvisionnements en armes provenant du Moyen-Orient via la Lybie.
Il convient tout de même de relativiser le rôle de l’endoctrinement islamique car des facteurs personnels, opportunistes ou économiques jouent aussi notablement. Par exemple l’adhésion des femmes pour s’autonomiser ou se protéger de leurs parents, celle des éleveurs pour défendre leurs troupeaux… En mars 2020, l’« Imam du peuple »Wahhabite rigoriste Mahmoud Dicko, qui s’affirme républicain, après avoir sévèrement critiqué le Premier ministre et le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) au sujet de la gouvernance et la situation de l’école au Mali, s’est prononcé pour un dialogue entre les djihadistes et les autorités maliennes.
S’agissant de la situation du Mali l’on peut s’interroger sur l’origine de la violence terroriste islamiste pour tenter de déterminer ce qui est premier entre la situation sociale ou le djihadisme en se référant au débat d’analyse qui divise en France les chercheurs Olivier Roy et Gilles Kepel: Est-ce le phénomène générationnel social et sociologique, la « révolte nihiliste » qui est premier et qui fonde l’islamisation de la radicalité (O. Roy) ou bien est-ce le phénomène religieux de radicalisation islamique, la mutation de l’Islam, qui est premier (G. Kepel)… Quant à la situation du Mali, Christophe Boisbouvier, penche pour le type d’explication avancé par Olivier Roy, c’est-à-dire une islamisation (2) de la radicalité sociale(1).

II. Quel rôle jouent les Etats africains dans le développement du djihadisme ?
Il est clair qu’a été pratiquée, selon les pays, une politique d’exclusion des communautés périphériques ou d’inclusion. Deux types de politiques différentes ont été menées d’une part au Burkina-Faso et au Niger, d’autre part au Mali.
Au Niger, depuis 1990, les dirigeants ont conduit des politiques de forte inclusion des communautés peuls et de réconciliation avec les Touaregs, ceux d’Agadez en particulier. Ainsi, le Président de la République, Mahamadou Issoufou, Haoussa, élu le 7 avril 2011 (57,95 %des voix) et réélu le 20 mars 2016 (92,51% des voix) a-t-il nommé dès 2011 et renouvelé comme Premier ministre en 2016 un touareg, Brigi Rafini, ancien élève de l’ENA, homme modéré et pondéré. En 2013, Mahamadou Issoufou a fait entrer dans le gouvernement des représentants des partis d’opposition. En octobre 2013 quatre des otages français capturés en septembre 2010 à Arlit (mines d’AREVA), au Nord-Niger, par le groupe touareg AQMI d’Abou Zeid (tué en 2013) pourchassé par les troupes françaises ont été libérés grâce à Mohamed Akotey, Touareg, ancien ministre de l’environnement et proche du président Issoufou, lequel a pesé pour obtenir cette libération. Le Président Hollande a d’ailleurs formellement exprimé sa «gratitude » au président Issoufou. Cette longue détention a donné lieu à quelques rebondissements marqués par plusieurs actions sans succès de la force Serval et, en 2010, la rivalité entre d’une part une équipe menée par Areva, qui a réuni une rançon, et le ministère de la défense et d’autre part une équipe conduite par la DGSE et l’Elysée, partisane de négociations avec les personnalités locales influentes, notamment, du côté malien l’ambigu Touareg Yiad Ag-Ghaly (futur fondateur d’ Ansar ed-Dine en 2012, voir plus haut). L’Elysée a tranché en faveur de la politique de négociation des agents de la DGSE (J-M. Gadoullet). De plus, dès 2012, F. Hollande a annoncé un changement stratégique en matière d’otages : officiellement le refus de payer des rançons puisqu’elles financent les djihadistes. D’ailleurs un étrange avion, porteur d’une forte somme d’argent, a vu alors son décollage bloqué à Bruxelles.
Au Mali, le 4 avril 1959, le Sénégal et la République soudanaise s’unirent dans la République du Mali. Dès août 1960 le Sénégal s’en retira proclamant son indépendance et la République soudanaise proclama son indépendance sous le nom de Mali sous l’autorité de Modibo Keïta. Le 19 novembre 1968, il fut renversé par un coup d’Etat conduit par Moussa Traoré qui devint Président de la République le 19 septembre 1969. Le coup d’Etat militaire mené par Amadou Toumani Touré (ATT) du 26 mars 1991 renversa Moussa Traoré. ATT fut élu Président en mai 2002 jusqu’au coup d’Etat de mars 2012 de la junte dirigée par le capitaine Amadou Haya Sanogo. En août 2013, après une période de « rétablissement de la démocratie », est élu le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Le 1er fléau est la politique menée depuis les années 1960 qui a conduit à une plus grande exclusion des communautés Peuls, Songhaïs (centre) et Touaregs (nord) au profit des Bambaras (centre & sud) et des Dogons. Cette politique engendre les guerres au Centre et au Nord entre d’une part Touaregs, arabes et Peuls, d’autre part Bambaras et aussi Dogons et des expéditions au Sud. Depuis le début des années 2000, apparaissent les groupes djihadistes, en particulier la Katiba Macina qui domine dans les régions Peuls du centre Mali (voir plus haut), ainsi que des milices telles que les « chasseurs Dozos » qui défendent la culture Dogon et les Bambaras et des milices peuls qui entendent défendre les Peuls (e.g. 37 morts peuls à Koulogon le 1er janv. 2019 ; 167 morts peuls à Ogossagou le 23 mars ;11 morts dans le village peul d’Heremakono le 13 mai 2019 ; 35 habitants du village Dogon de Sobamé Bâ tués le 10 juin 2019). L’armée malienne (Forces armées maliennes-FAMa) multi-ethnique et peu cohérente (3 000 hommes opérationnels environ sur 14 000 en théorie), qui, par ailleurs subit nombre de revers (11 soldats maliens tués au camp de Nampala le 5 janv. 2015 ; 26 soldats maliens tués à Dioura le 17 mars 2019), entre dans ce jeu ethnique et exerce des actions de répression féroces contre des villages peuls. La liste des massacres réciproques entre 2012 et 2020 est impressionnante. Pourtant, le 19 juillet 2018, le Président Ibrahim Boubacar Keïta s’est rendu pour la première fois à Kidal, au Nord-Est, ville dominée par les groupes Touaregs et djihadistes de GMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) depuis juillet 2016.
Le 2e fléau du Mali réside dans l’existence de clans et d’une corruption notoire, ce que l’on pourrait appeler « la République des copains ». En dépit du départ de Moussa Traoré en 1991 et de tentatives de réconciliation entre les partis et communautés, les clans et réseaux demeurent. Les campagnes électorales (2002, 2007, 2012, 2018), qui opposent différents partis, se résument souvent en des duels de personnes caractérisés par de fréquents retournements et ralliements plus ou moins éphémères. Un autre élément de division de la société malienne apparait dans l’opposition notable entre les élites et la population.
Ces facteurs de division et d’éclatement empêchent la constitution d’un véritable Etat malien solide et rassembleur. Il est va de même de l’armée malienne, désorganisée et démoralisée, qui est dans l’impossibilité de recruter de vrais soldats animés par un esprit d’unité nationale. L’origine ethnique est prédominante parmi les militaires. Toutefois, depuis 2012 un effort de reconstruction de l’armée malienne est peu à peu opéré portant en particulier sur l’instruction des hommes et la rénovation du matériel. La question de la relégitimation de l’Etat malien est fondamentale, aussi, la solution d’un régime autoritaire est évoquée dans certains milieux en référence à la Mauritanie et le Tchad dont, en particulier, les armées sont solides et efficaces.
Le Burkina-Faso procède de l’ancienne colonie de la Haute-Volta, indépendante le 5 août 1960 sous la présidence de Maurice Yaméogo jusqu‘en janvier 1966. De 1966 à août 1983 une série de coups d’Etat portent au pouvoir des militaires jusqu’au putsch du 4 août 1983 du capitaine Thomas Sankara qui rebaptise son pays le 4 août 1984 en Burkina Faso. Il met en place un régime d’inspiration marxiste qui retire tout pouvoir aux chefs traditionnels, lutte contre la corruption, défend la répartition des richesses, la libération des femmes et la mobilisation des jeunes et des paysans. Il est renversé et assassiné le 15 octobre 1987 avec l’appui du capitaine Blaise Compaoré qui, dans le cadre d’une nouvelle Constitution, est élu Président le 1er décembre 1991. Il est réélu en 1998, 2005, 2010. L’ère Compaoré est marquée par des violences, meurtres d’opposants, grèves massives (2008) durement réprimées. En octobre 2014, un mouvement populaire puissant de liberté d’élève contre 27 ans de pouvoir personnel de Compaoré, cristallisé par la protestation contre le projet de révision de la Constitution supprimant la limitation à trois mandats présidentiels pour permettre à B. Compaoré de se représenter à la Présidence de la République lors des futures élections de 2015. Devant les émeutes, B. Compaoré quitte le pouvoir et la tête de l’armée. Le 1er novembre 2014 un président de transition est désigné qui est confronté à un coup d’Etat avorté en septembre 2015 jusqu’aux élections législatives et présidentielles de novembre 2015. Elles désignent à la présidence un civil, économiste de formation, Roch Marc Christian Kaboré (53,49 % des voix), chrétien, Mossi (40% de la population).
A partir de 2012-2013, l’agitation djihadiste du Mali traverse la frontière sud vers les régions peules du nord du Burkina Faso. En 2013, naissent de milices (4 000) mossies (aussi Foulsés et Bellas) armées, « d’autodéfense » et « d’initiative populaires », les koglweogo ou « gardiens de la brousse », contre les Peuls (8 % de la population). Certains se livrent à « la chasse aux peuls » (avril 2019 à Abinda, 62 morts ; janv.2019 à Yrgou, 49 morts). Le 15 janvier 2016, la situation s’aggrave avec l’attaque djihadiste revendiquée par AQMI et la Katiba Al Mourabitoune à Ouagadougou contre l’Hôtel Splendid, principalement fréquenté par les étrangers, qui fait 30 morts. D’autres attentats djihadistes ont depuis 2016 frappé Ouagadougou faisant 60 morts. La même année 2016 apparaît le premier groupe armé islamique local, Ansaroul Islam qui recrute principalement parmi les Peuls. Il a été fondé par l’imam peul Ibrahim Malam Dicko, lié au malien Amadou Koufa (voir plus haut) lequel a, en novembre 2019 dans une vidéo, appelé à la lutte « les peuls où qu’ils se trouvent : au Sénégal, au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Nigeria, au Ghana et au Cameroun ». Ansaroul Islam a fait allégeance au GISM (voir plus haut). Le Burkina Faso est donc désormais aussi frappé par l’ensemble des groupes djihadistes du Sahel et soumis à leurs attaques. Un climat de terreur règne au Burkina Faso. L’appareil sécuritaire et militaire burkinabé est disloqué et les autorités burkinabés sont démunies et contraintes à une certaine passivité ou composition avec tous les groupes…130 000 personnes sont déplacées du Nord, dont 30 000 dans le Centre et le Sud, qui ont fui leurs villages vers les villes, 900 écoles ont été fermées, Ouagadougou compte entre 500 000 et 600 000 déplacés internes…

III. Où en est la France dans la situation présente ?
Les forces françaises sont arrivées en janvier 2013 sur une décision du Président Hollande pour endiguer la marche des groupes djihadistes et Touaregs (MNLA) vers Bamako.
A partir de janvier 2012, au nord du Mali, dans les régions de Gao, Kidal et Tombouctou des groupes rebelles Touaregs et des terroristes djihadistes exercent une pression de plus en plus forte et ont engagé un conflit contre l’armée malienne qui ne parvient pas contenir leur avance. Il s’agit d’une part du groupe Touareg MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et d’autre part des mouvement islamiste salafiste Ansar El-Dine d’Yiad Ad Ghali (voir plus haut), MUJAO et AQMI. Le MNLA veut obtenir l’indépendance de la région, l’Azawad, tandis que Ansar El-Dine et les salafistes veulent y établir une république islamique et l’application de la Charia. A la fin de 2012, les groupes rebelles occupent pratiquement tout le Nord-Mali. Le gouvernement malien s’y oppose au nom de l’unité du pays et de l’intégrité du territoire de l’Etat malien.
La résolution du Conseil de sécurité de l’ONU n° 2085 du 20 décembre 2012 prévoit la mise en place d’une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. Mais le 7 janvier 2013, les colonnes des groupes djihadistes reprennent les combats interrompus depuis mai et avancent du nord vers des positions de l’armée malienne à Konna et Douentza. Elles s’emparent de Konna le 10 janvier, tandis que les forces maliennes reculent vers Mopti (Sévaré). Ce 10 janvier, le Conseil de sécurité se réunit à la demande de la France, inquiète des attaques terroristes islamiques au nord Mali, et du Président malien par intérim, Dioncounda Traoré, qui a saisi le secrétaire général de l’ONU d’une demande d’aide militaire à la France. Le 11 janvier, le Président Hollande annonce que la France est prête à répondre, au côté de ses partenaires africains, à la demande du Président malien dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies et à aider à l’arrêt de l’offensive terroriste. L’ordre est donné aux forces françaises d’intervenir pour appuyer les forces maliennes. Les 12 et 13 janvier, des frappes aériennes françaises arrêtent l’offensive et des troupes françaises sont engagées autour de Mopti. Toutefois, le 14 janvier des colonnes djihadistes s’emparent de Diabaly tenu par les troupes maliennes. Diabaly est reprise le 17 janvier. Dans les jours qui suivent, les forces françaises de l’Opération Serval (1 800 hommes) et maliennes reprennent le contrôle de Gao, Tombouctou et la région de Kidal, tandis que les forces tchadiennes reprennent Kidal tenue par le MNLA.
Il importe de noter que, le 17 janvier, les contingents (800 hommes) de la Mission internationale de soutien au Mali (MIUNSMA) sous conduite africaine composés de soldats nigérians, nigériens, togolais et béninois ont gagné Bamako.
Les villes de Diabaly, Konné et Mopti sont à environ 230 km de Bamako. Leur prise par les groupes rebelles islamistes paraissait être le début d’une offensive sur Bamako ce qui constituait donc une menace directe sur Bamako. C’est cette menace très directe qui a motivé la décision d’intervention rapide des forces françaises en appui de l’armée malienne.
La décision de F. Hollande du 11 janvier 2013 a donné lieu à une controverse au sujet de la nécessité de l’intervention des troupes françaises. Pour le journaliste Thomas Deltombe (Le Monde diplomatique 17 janvier 2013), F. Hollande a eu tort car jamais les djihadistes ne seraient arrivés jusqu’à Bamako. De son côté, Marc-Antoine Pérouse de Montclos (Une guerre perdue, la France au Sahel, 200 p. JC. Lattès, 2020) souligne que F. Hollande avait annoncé en décembre 2012 que la France n’interviendrait pas au Mali. L’objectif était seulement d’appuyer, de façon temporaire, une éventuelle opération de paix de l’ONU pour rétablir l’ordre…
Christophe Boisbouvier pense au contraire qu’en 2013 les colonnes djihadistes présentes à Mopti et Diabaly menaçaient directement Bamako située à seulement 230 km. De plus, à la suite du Putsch militaire du 22 mars 2012, il paraissait important de soutenir d’une part la médiation difficile des chefs d’Etats africains, d’autre part le fragile processus démocratique en cours mené par le Président par intérim Dioncounda Traoré et par le Gouvernement national de transition chargé d’engager le retour à la démocratie et les élections présidentielles de juillet-août 2013. En effet, le Mali sortait du putsch militaire du 22 mars 2012, unanimement condamné, notamment par la CDEAO, l’Union Africaine, le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui avait tourné court et, dès le 12 avril, conduit au rétablissement de la Constitution.
L’Opération Serval s’est poursuivie et achevée en juillet 2014. Elle a été suivie le 1er août 2014 par l’Opération Barkhane en partenariat avec les cinq pays de la bande Sahélo-Saharienne du G5Sahel (Mauritanie, Mail, Burkina-Faso, Niger et Tchad).

Depuis lors, la France s’interroge. Elle a perdu 40 morts et n’a pas pu empêcher l’essor d’une nouvelle rébellion dans la zone des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso). L’année 2019 a connu plus de 4 000 morts civils contre 900 en 2016. Le nombre considérable de déplacés intérieurs s’accroit. De plus, la France est accusée d’être une force d’occupation, y compris au sein de membres de partis au pouvoir. Le sentiment anti français gagne du terrain au Mali et s’exprime de différentes façons.
A la mi-novembre 2019, le chanteur malien Salif Keïta a, dans une vidéo de quatre minutes diffusée sur Facebook, accusé la France de soutenir le terrorisme. Il s’adresse au président Ibrahim Boubacar Keïta : « tu sais pertinemment que c’est la France qui poste des gens pour tuer des maliens, c’est la France qui paye des gens pour faire ça, pour ensuite faire courir des rumeurs disant qu’il s’agit de djihadistes, tu sais bien que c’est la France. ». Et il propose au Président Boubacar Keïta de démissionner s’il ne sent pas capable d’assumer ses fonctions « sans peur » ; il lui reproche sa prétendue soumission au Président français Emmanuel Macron, « un gamin comme ça ». Ces mots ont bien évidemment été condamnés par l’ambassade de France à Bamako et les autorités françaises. La France « dénonce avec la plus grande fermeté ces propos au caractère infondé, diffamatoires et outranciers, à l’instar des nombreuses rumeurs qui courent au Mali ; de tels discours font le jeu de ceux qui cherchent à semer la discorde et entretenir le chaos ». Les critiques ne concernent pas seulement la France mais aussi la MINUSMA et l’on entend même des appels à Poutine. La tentation de l’ « homme fort » (B. Compaoré, président du Burkina Faso de 1987 à 2014) est aussi exprimée face à des hommes politiques faibles…Les autorités françaises s’inquiètent de l’absence de réactions de la part des responsables maliens, IBK en particulier.
Il est exact que, vus en 2020, les succès des armées françaises ne sont pas assurés et que devant la persistance de l’instabilité dans la région, la France est un bouc émissaire facile. Cela renvoie, par exemple, à un vieux complexe, en particulier chez les Bambaras, de collaboration des français avec les grandes tribus Touaregs dans le Sahara (voir : Boilley Pierre, « Un complot français au Sahara, politiques françaises et représentations maliennes » in Mali-France, regards sur une histoire partagée, éd. Karthala 2005, pp. 161-182), ou encore à un hypothétique projet de création d’un Etat saharien par référence à l’OCRS. L’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) était, jusqu’en 1963, une collectivité territoriale créée par la loi du 10 janvier 1957 dont l’objet était la mise en valeur, l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française, à la gestion de laquelle participait l’Algérie, la Mauritanie, le Soudan (Mali) le Niger et le Tchad. Elle englobait des zones sahariennes de ces colonies devenues des Etats indépendants. Il est intéressant de relever qu’en mai 1958, avant l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle, une pétition signée par 300 notables maures, avait été adressée au Président de la République pour demander la création d’une région saharienne rattachée à la France car ils refusaient d’être gouvernés par les majorités noires du sud (voir : Boilley Pierre, Bernus Edmond, Clauzel Jean, Triaud Jean-Louis (dir.) Nomades et commandants : administration et sociétés nomades dans l’ancienne AOF. Paris, éd. Karthala, 1993).
Dès lors, il existe une divergence de vue entre Bamako et Paris au sujet des Touaregs du MNLA. Bamako, au nom de l’intégrité du pays, veut réduire le MNLA qui occupe le Nord Mali, notamment Kidal, et y être présent. Paris a une position plus neutre envers le MNLA qui n’est « ni un ami, ni un ennemi », et ne veut pas s’immiscer dans les relations, tendues depuis l’indépendance, entre Bamako et les Touaregs maliens, ce qui engendre une défiance de Bamako envers Paris. Cette défiance a, en outre a été renforcée par une maladresse de François Hollande en juin 2013 à Kidal. Face aux soupçons maliens de collusion de la France avec le MNLA et à ce que les maliens ressentent comme une position conciliante de la France à l’égard des rebelles Touaregs qui refusent l’autorité de l’Etat malien, il a indiqué que la France « n’a pas de complaisance avec le MNLA, mais est respectueuse de la réalité Touarègue », insistance qui a heurté les maliens (L’indépendant 3 juin 2013, Maliweb .net.). Néanmoins Paris a précisé qu’en cas d’affrontements entre les Touaregs et l’armée malienne, les troupes françaises se tiendraient aux côté des maliens conformément à la résolution de l’ONU.

IV. Depuis la fin 2019, la situation évolue à l’initiative du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) notamment l’ouverture du « dialogue national inclusif »,en septembre 2019 et du « Comité de suivi de l’accord »d’Alger.
La nouvelle orientation comporte différents aspects.
1-Dimension militaire : La reconstitution d’une armée malienne (FAMa) vraiment multiethnique composée des soldats de l’armée régulière et d’éléments démobilisée de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) et de la Plateforme, groupes armés favorables aux autorités de Bamako …..L’armée malienne « reconstituée » est revenue à Kidal à la place du MNLA le 11 février 2020, en application Accord du 12 janvier 2020 conformément aux Accords d’Alger de 2015. Cela satisfait aussi le Président nigérien pour qui le statut de Kidal était une menace pour la sécurité intérieure du Niger. Les forces françaises ne voulaient pas entrer dans Kidal conformément aux propos tenus aux chefs d’Etats sahéliens par le président Macron le 10 novembre 2019: « Kidal, c’est le Mali et l’Etat malien » …
2-Dimension politique : Le 5 décembre 2019, à l’issue du sommet de l’OTAN, puis le 21 décembre à Abidjan, le président Macron a déclaré qu’il convenait de reclarifier le cadre et les conditions politiques de l’intervention française et de l’opération Barkhane au Sahel pour mettre fin aux doubles discours et aux prises de position ambigües qui n’assument pas la présence française. Il visait à mots couverts en particulier les dirigeants malien (IBK) et burkinabé (Roch Marc Christian Kaboré).
D’un côté, à Bamako ainsi qu’à Ouagadougou, les opinions publiques exprimaient des sentiments violemment anti français (voir le chanteur Salif Keîta) par des manifestations, des prises de positions relayées par certains hommes politiques de tous bord à l’encontre de la présence des troupes de Barkhane (inefficacité et persistance des attaques terroristes, neutralité française envers les Touaregs, non entrée de l’armée malienne dans Kidal, délabrement de l’armée malienne, néo-colonialisme…) et en faveur de leur départ, sans réactions ni condamnations ni prises de position claires de la part des dirigeants. En outre, les chefs d’Etat eux-mêmes exprimaient ce type de critiques. De plus IBK, après avoir depuis 2012 pourtant maintes fois affirmé l’intégrité du Mali, ainsi que son refus d’admettre la rébellion Touareg et le groupe MNLA et l’avoir fermement condamnée (« il n’y aura pas d’autonomie, pas d’indépendance, je suis clair là-dessus »), a fait savoir, en août 2019, qu’il entendait négocier et qu’il avait engagé des pourparlers avec Iyad Ag Ghali (MNLA) et Amadou Koufa (Katiba Macina djihadiste).
D’un autre côté, ces mêmes chefs d’Etat affirmaient leur attachement à la France et leur soutien aux opérations Serval et Barkhane qui avaient sauvé leurs Etats et leur volonté du maintien de cette opération en lien avec la MINUSMA. De plus ils approuvent les nombreuses opérations militaires menées en 2019 et 2020 par Barkhane dont ils disent avoir besoin…A titre d’exemple, le Président Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré a téléphoné au chef de l’Etat français en fin septembre 2019 pour le remercier de l’intervention des forces françaises qui a empêché la prise de la ville de Djibo (province du Soum) au nord du pays lors de l’attaque, le 8 septembre, par une colonne djihadiste, de la localité d’Inata à proximité de la ville, faisant 29 morts civils et le lendemain 4 gendarmes…(de plus, 29 morts le 8 sept. à Sanmantenga,14 civils le 9 sept lors de l’attaque d’un convoi de ravitaillement près de Kelbo, 43 morts dans le village de Barga le 10 mars, 35 morts le 25 déc. A Abinda…).
Dans ce contexte le Président Macron a invité le Président IBK à Paris pour la cérémonie du 2 décembre 2019 en hommage aux 13 soldats français morts accidentellement au Mali. A cette occasion, IBK, accompagné de membres de son gouvernement et de dignitaires religieux, a affirmé que sa présence était un signe de reconnaissance, de respect, de considération et de solidarité, en dehors de toute polémique et qu’« un partenariat respectable et respectueux est le seul de mise entre nous ».
Aussi, le Président Macron a solennellement posé la question du maintien ou du départ des forces françaises aux responsables des Etats sahéliens. Pour clarifier le cadre et les conditions de l’opération Barkhane, il a invité le 10 décembre les cinq chefs d’Etats du groupe G5 Sahel pour un sommet à Pau le 16 décembre. Ce sommet a été reporté, en accord avec le Président nigérien Mahamadou Issoufou, au 15 janvier 2020 en raison de la mort, le 10 décembre, de 71 soldats nigériens lors d’une attaque des djihadistes de l’Etat islamique (EI) à Inatès, à frontière malienne.

Lors du sommet, les cinq chefs d’Etat membres du G5 Sahel 1) ont réaffirmé leur détermination commune à lutter ensemble contre les groupes terroristes opérant dans la bande sahélo-saharienne,
2) ont exprimé le souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel et d’un renforcement de la présence internationale à leurs côtés,
3) ont réaffirmé que cette action commune vise à protéger les populations civiles et à défendre la souveraineté des Etats du G5 Sahel (conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et aux accords bilatéraux en vigueur),
4) sont convenus d’accroître et de coordonner leurs efforts en vue d’une solution rapide de la crise libyenne qui contribue à alimenter l’instabilité au Sahel,
5) sont convenus de mener une discussion avec les partenaires déjà engagés afin de mettre en place un nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel qui marquera une nouvelle étape dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel et la responsabilité collective. Le nouveau cadre prendra la forme et le nom d’une « Coalition pour le Sahel » rassemblant les pays du G 5 Sahel, la France ainsi que tous les pays et organisations qui voudront y contribuer… Ce cadre sera organisé autour de quatre piliers rassemblant les efforts engagés dans quatre domaines :
1-Combat contre le terrorisme, c’est-à-dire contre tous les groupes armés terroristes actifs dans la zone en concentrant leurs efforts militaires dans la région des trois frontières sous le commandement conjoint de la Force Barkhane et de la Force conjointe du G5 Sahel ;
2-Renforcement des capacités militaires des Etats de la région : lancement par la France et l’Allemagne de l’initiative du « Partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel » (P3S) ;
3-Appui au retour de l’Etat et des administrations sur le territoire : Les chefs d’Etat se sont engagés à prendre toutes les mesures visant à accélérer un retour des services publics sur l’ensemble des territoires concernés par la question, en particulier les chaînes pénale et judiciaire pour le retour à l’Etat de droit et prioritairement à Kidal ;
4-Aide au développement : Les chefs d’Etat ont salué les premiers résultats de l’ « Alliance pour le Sahel », lancée sous l’impulsion de l’Allemagne et de la France en juillet 2017 et appelé à poursuivre, de façon davantage coordonnée avec l’action sécuritaire, un recours plus systématique à une programmation conjointe, à concrétiser les engagements pris en décembre 2018 à la Conférence des donateurs de Nouakchott (PIP du G5 Sahel). Ils appellent aussi les partenaires des Etats du G5 Sahel à accroître leur assistance et leur soutien afin de permettre de faire face aux nouveaux défis humanitaires que sont les déplacés internes , les réfugiés, la fermeture des écoles et des centres de santé.
Quant à la dimension politique de l’élément que représente la discussion déjà engagée avec les partenaires (point 5 et pilier 4) par Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), il est pris acte de ce que le bilan actuel est tel qu’il faut explorer toutes les voies et notamment le dialogue avec certains djihadistes et terroristes pour ramener la paix au Mali. La difficulté est de distinguer entre les djihadistes « modérés » et les plus radicaux. Le dialogue a été engagé avec le chef Touareg, Iyad Ag Ghali devenu chef du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), plus opportuniste, et semble-t-il avec Amadou Koufa, chef djihadiste de Katiba Macina, affilié à Al Qaïda, qui « veut aller à l’apaisement ». En revanche, la négociation est rejetée avec Abou Walid Al-Sahraoui, chef très radicalisé de l’EI au Grand Sahara (EIGS), qui a mené les dernières opérations les plus meurtrières (2019-2020) au Mali, Burkina Faso et Niger et qui, sahraoui, est « étranger au Mali » et impossible à « recycler » dans le jeu politique local. D’ailleurs les efforts militaires restent concentrés sur lui et son groupe. Toutefois, l’entourage d’IBK ne se dissimule pas qu’ « il faut cependant être prudent, car, si l’on ouvre la porte à une application de la Charia, cela deviendra difficilement contrôlable ». Une solution politique est envisageable, mais avec quelles contreparties ? S’ils renoncent à l’indépendance, ils demandent l’application de la Charia au Nord Mali.
Et la France dans ce contexte ? E. Macron est très prudent et se garde de toute expression excessive. Depuis le sommet de Pau, la force Barkhane, portée de 4 500 à 5 100 hommes, poursuit ses opérations aériennes et terrestre dans la zone des trois frontières, en particulier au Nord du Burkina Faso, principalement contre l’Etat Islamiste dans le grand Sahara (EIGS). La redéfinition de l’opération Barkhane serait la dernière tentative avant le retrait militaire de la France. L’on attend les résultats éventuels des négociations entre IBK et les rebelles les plus modérés et les compromis possibles.

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Question 1 : L’application de la Charia est-elle crédible ? L’autonomie territoriale est-elle vraiment possible ?
Réponse : Les récents accords sont inspirés par l’Accord d’Alger de mai/juin 2015, accord de paix, signé à Bamako entre le Mali de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).Cet accord a été laborieusement obtenu par la médiation internationale de l’Algérie, du Burkina Faso, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria, du Tchad, de l’ Union africaine (UA), de l’ONU, de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Organisation de la Conférence islamique(OCI), de l’ Union européenne et de la France. Après beaucoup de réticences, car l’accord ne prévoyait pas expressément l’autonomie du Nord Mali ou le fédéralisme, la CMA l’a finalement signé. L’Accord, destiné à articuler des intérêts divergents touchant à la sécurité du Sahara et à la nature de l’Etat malien, prévoyait la refonte de l’armée malienne par l’intégration d’éléments des mouvements armés du Nord et l’instauration d’équilibres locaux entre des communautés divisées au moyen d’ assemblées locales élues. L’on sait que la mise en œuvre de cet accord n’a pas été réalisée.
Deux grandes idées dominent la solution des conflits : 1) Une décentralisation au Mali comprenant des autorités élues en zone Touareg à Kidal, Tombouctou, Gao… ; 2) la reconstruction de l’armée malienne sur une base réellement pluriethnique intégrant des combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), plus autonomistes que séparatistes.
Question 2 : Le Mali connaît un des taux de fécondité les plus élevés du monde et une croissance démographique considérable qui pose des problèmes de partage de terres, notamment en pays Dogon, et engendre la fabrique de guerriers
Réponse : En effet, le taux de fertilité au Mali est de 6 enfants par femme et le taux de fécondité est de 3,6% l’an (de 9,8 millions d’habitants en 1998 à 18,5 M. en 2018). Au Niger le taux est de 7,6 enfants par femme et le taux de fécondité de 3,9% ; la croissance démographique est la plus élevée du monde : de 18,8 millions d’habitants en 2017, la population s’élèverait en 2050 à 55 millions d’habitants. Le taux de croissance démographique mange le taux de croissance économique pourtant très élevé : 5,6% au Mali, 6,4 % au Niger.
Question 3 : La situation en Libye a-t-elle une incidence sur l’instabilité au Sahel ?
Réponse : La chute de Kadhafi en 2011 a donné une forte impulsion aux autonomistes et aux djihadistes car les soldats maliens et nigériens de Kadhafi sont revenus après sa chute. La légion islamique de Kadhafi (6 000 h), composée essentiellement de jeunes Touaregs maliens (Iyad Ag Ghadi en 1975 par exemple, voir plus haut), de nigériens et de tchadiens a vu environ la moitié d’entre eux retourner au Mali et au Niger. Ce sont ces hommes qui ont assuré la conquête de Gao en 2018. Les Américains, les Français et les Britanniques sont en grande partie responsables d’avoir fait tomber Kadhafi et d’avoir, du coup, provoqué le retour de ces hommes et accru la déstabilisation au Sahel.
Question 4 : Les opérations militaires de Bakharne s’appuient sur le renseignement et la logistique américaine. Si les USA se retirent qu’adviendra-t-il ?
Réponse : Cette hypothèse interroge E. Macron qui bataille depuis janvier 2020 avec D. Trump contre un retrait américain. Florence Parly, ministre des armées, s’est rendue sur la base aérienne de Niamey en juillet 2018, où sont présents des militaires allemands et américains et surtout à Washington, le 27 janvier 2020, pour convaincre les autorités américaines et le Pentagone de ne pas réduire leurs moyens en Afrique, de maintenir leur présence au Sahel et leur soutien à Barkhane. Les avions américains assurent le ravitaillement en vol des Rafales et Mirages 2 000 français qui sont indispensables pour attaquer et détruire des camps djihadistes et surtout les colonnes de motocyclettes très mobiles mais difficilement repérables. Les drones de surveillance américains et aussi français, dotés d’une grande autonomie de vol (48h), assurent la couverture de surveillance de la zone et donc aussi la protection des troupes au sol. Désormais les français utilisent aussi des drones Reaper armés américains au Mali…
Question 5 : Quelle a été l’incidence de la venue de Kadahfi au Mali ?
Réponse : L’attitude de Khadafi à l’égard du Mali a consisté en un soutien politique aux autorités maliennes, non sans ingérences, et en un soutien financier. Lors des cérémonies du cinquantenaire de l’indépendance du Mali le 22 septembre 2010, Kadahfi a, parmi d’autres chefs d’Etat, été l’ « invité spécial » du Président Amadou Toumani Touré (ATT. 2002-2012). Outre les cadeaux faits au chef de l’Etat malien, il a effectué une promenade spectaculaire au Nord Mali, où il était très populaire, maniant promesses, crédits et séduction. En 2007, l’élection d’ATT, qui a obtenu 95 % des voix au Nord Mali avait été marquées par des fraudes et trucages facilités par les largesses de Kadhafi.
La chute de Kadhafi, opposé aux frères musulmans et à Al Qaïda, en 2011, a tari les soutiens financiers. Elle a libéré les forces islamistes, djihadistes et Touaregs rebelles dans le nord, complétées par les anciens de la légion islamique qui ont infligé des revers cinglants à l’armée malienne, contribuant à déstabiliser ATT qui a ainsi perdu son soutien. Le coup d’Etat de mars 2012 au Mali, fondé sur la désintégration de l’armée et de l’Etat malien ainsi que sur les modalités douteuses de l’organisation des futures élections présidentielles prévues le 29 avril 2012 a entrainé le départ d’ATT.
Sur le plan financier, les ressources des djihadistes proviennent aussi de nombreux trafics comme l’a montré l’affaire du « Boeing de la coke ». En novembre 2009, un mystérieux Boeing 727, en provenance du Venezuela, via l’espace aérien nord-mauritanien, s’est posé en plein désert sur une piste de fortune dans le Nord Mali près de Gao, bourré de tonnes de cocaïne (40 000 $ le kg.). La cargaison a été déchargée et évacuée par une flotte de 4×4, et dans l’incapacité de décoller, l’appareil a été incendié. Cette affaire a mis en évidence l’importance de l’Afrique de l’Ouest comme point de transit des réseaux du commerce de la drogue et comme parcours d’alimentation de la cocaïne depuis l’Amérique du sud vers l’Europe ainsi que l’origine des financements des djihadistes, d’AQMI en particulier.
Question 6 : Au Mail 45% de la population a moins de 15 ans et 50% moins de 20 ans. Les violations des Droits de l’Homme ne viennent-elles pas surtout du fait des violences des communautés et milices plutôt que des djihadistes ?
Réponse : Les djihadistes ont largement leur part dans les violences dans les pays de la région des trois frontières (4 000 morts en 2019). Le Président IBK a engagé une campagne sur les excès du nationalisme Bambara. A la suite du massacre de peuls par des chasseurs dozos-dogons à Ogossagou le 23 mars 2019 (160 morts) il a désigné le 19 avril 2019 un premier ministre Peul, Boubou Cissé, et est maintenant plus ouvert au dialogue avec le nord (Peuls, Touaregs, Songhaïs…).

Question 7 : Un malien rencontré a dit : « nous n’avons pas d’Etat »… ?
Réponse : C’est vrai politiquement. Les politiques de réduction des budgets imposées depuis 1990 par le FMI ont fait très mal aux jeunes Etats africains, notamment au Mali. Néanmoins, certains pays ont réussi à établir et renforcer l’Etat en concentrant leurs politiques : l’Etat au Sénégal s’est concentré sur les politiques d’éducation, de santé et de sécurité, l’Etat en Mauritanie s’est concentré sur les politiques d’éducation et de sécurité…
Question 8 : Quel développement économique est possible ? Quels sont les atouts de ces trois Etats, Mali, Niger et Burkina Faso ?
Réponse : L’agriculture est le principal atout. Au Mali, le coton et le riz, en particulier dans la région de Sikasso ; dans le delta du Niger, le riz ; au Burkina Faso, le coton… Par ailleurs, au Mali, au Niger (Tagharaba) et au Burkina Faso (depuis 2008, 11,4 % du PIB), il y a de l’or qui est exploité artisanalement et industriellement. L’or est la plus importante source d’exportation au Mali depuis 1991 (mines au sud à Keniaba, à Sadiola.. et autour de Kidal…). Il ne faut pas oublier que la guerre n’est pas présente partout au Mali, par exemple Ségou, Sikasso, Bamako…ni au Burkina Faso.
Question 9 : Quel est l’origine du financement des colonnes rebelles et terroristes djihadistes ?
Réponse : Il provient essentiellement de deux sources : d’une part de source extérieure venant des groupes djihadistes du Moyen-Orient, d’autre part interne, pour partie d’abord des rançons versées lors des prises d’otage (de 2005 à 2011 AQMI aurait perçu 65 millions de $), ensuite du payement de « l’impôt révolutionnaire » sur les habitants de la zone des trois frontières (aussi sur les prospecteurs d’or au Mali, Burkina). D’autres sources de financement existent, telles que le trafic de stupéfiants (affaire du Boeing de la coke en 2009, sous-traitance au profit des narcotrafiquants et sécurisation du transport…), la police (racket) sur les routes commerciales, le trafic de biens culturels…).
Avant Serval, un otage français (membre d’ONG, salarié de société) valait entre 3 et 5millions d’euros. L’échange de prisonniers français contre des terroristes algériens et maliens a ainsi été réalisé en 2009.
Question 10 : Quels sont les liens entre l’Algérie et la situation du Sahel ?
Réponse : Du temps de Bouteflika les algériens n’ont pas aidé les français ni les maliens pour plusieurs raisons. D’abord, prudence envers les islamistes et volonté de ne pas risquer de renouer avec la décennie noire de décembre 1991 à février 2002. Ensuite nombre de djihadistes opérant dans le Sahel étaient algériens, anciens responsables des groupes terroristes islamistes en Algérie, GIA et GSCP (Abou Zeïd, Djamel Okacha, Abdelmalek Droukdal, Abou Moussab El-Zarqaoui, Mokhtar BelMokhtar…). D’ailleurs, l’Algérie a donné protection à certains chefs, tel que Iyad Ag Ghali à Tinzaouten et à l’hôpital de Tamanrasset en 2016 (voir plus haut). En outre, les autorités algériennes étaient satisfaites de voir l’Algérie débarrassée des terroristes djihadistes algériens.
Par ailleurs, certains militaires algériens étaient mécontents de voir la France revenir aux frontières sahariennes de l’Algérie. Toutefois, le Sud Algérien proche de la frontière du Mali est frappé d’attaques d’AQMI depuis 2010 (Tamanrasset), telle, celle du 16 au 23 janvier 2013 avec la prise de 41 otages sur le site gazier de Tiguentourine proche d’In Aménas (mort de 23 otages). Depuis, d’autres attaques ont touché des bases militaires algériennes frontalières en août 2017, février 2020…entrainant, en dépit de la doctrine de non intervention de l’Algérie, un renforcement de la protection frontalière et la conduite d’opérations anti-terroristes.
Question 11 : Un accord est-il possible ?
Réponse : En Afrique, tout est possible, radicalisation, non-radicalisation, compromis, sauvetage de territoires…Toutefois, l’un des interlocuteurs, Ag-Ghali (voir plus haut) du MNLA, a tant changé de position, fait de tant de ralliements que tout est possible, y compris le risque d’être tué par ses hommes plus radicalisés que lui…
Question 12 : Quel est le rôle des imams ?
Réponse : Cela dépend de quelle organisation ils relèvent, soit d’organisations traditionnelles soufies modérées, soit Wahhabites, relevant du Haut conseil islamique malien extrémiste, présidé jusqu’en avril 2019 par Mahmoud Dicko, wahhabite rigoriste, très virulent, « bête noire » du Gouvernement. Il a fait reculer ATT sur la réforme du code des personnes et de la famille en 2009 (voir plus haut). Il a été remplacé en avril 2019 par Chérif Ousmane Madani Haïdara, lequel prône un Islam tolérant et non violent et entretient des relations plus mesurées avec le Président IBK. Actuellement existe une polémique au sujet de l’adoption d’un manuel sur l’éducation sexuelle dont les enjeux portent notamment sur les jeunes femmes, la maîtrise des naissances…Les passages sur l’homosexualité ont été violemment dénoncés par Mahmoud Dicko ce qui a entrainé le retrait du projet par le Premier ministre, décision considérée par les laïques comme une nouvelle reculade devant les religieux rigoristes.
Question 13 : Sauvegarde des territoires ou des ethnies ?
Réponse : La question réside essentiellement dans les conflits entre sédentaires et éleveurs.
Question 14 : Qu’en est-il de la diaspora malienne en France ? Quel est son poids ?
Réponse : Elle est principalement originaire de la région de Kayes, dans l’ouest du Pays, préservée, et est étrangère à ces conflits. Il y a environ 200 000 maliens en France, mais ils sont 4 millions en Côte d’Ivoire.
Question 15 : Comment reconstruire un Etat malien ?
Réponse : Il n’y a plus d’Etat, plus de présence de forces de l’ordre, les enseignants ne veulent plus aller dans le pays…Différence totale avec un pays comme le Maroc où il y a un poste de gendarmerie dans tout village, une école…
Il convient de reconstruire le Mali sur le plan économique et sur le plan politique.
Sur le plan économique, l’« Alliance pour le Sahel » lancée en 2017 par la France, l’Allemagne (appui d’A. Merkel) et l’UE comprend désormais douze bailleurs de fonds (Espagne Italie, Royaume-Uni, Banque africaine de développement…). Elle prévoit un plan d’action sur six ans comportant 6 Md € d’investissements au bénéfice des pays du G5 Sahel mettant en œuvre 500 projets dans le cadre de six grands enjeux de développement : emploi des jeunes, sécurité alimentaire et développement rural, énergie et climat, gouvernance, décentralisation et accès aux services de base et sécurité. L’accent est mis sur les zones les plus vulnérables et l’on voit que les trois derniers « enjeux » portent particulièrement sur le retour de l’Etat.
Le Burkina Faso (19,1 M. d’Habitants) n’était pas dans la situation de délitement du Mali. Il avait un Etat, des services publics et une certaine homogénéité ethnique (Mossis 40%, Peuls, Senoufos, Lobis, Bobos…). Jusqu’en 2017, le Burkina était considéré comme un pays tranquille où cohabitent musulmans (60%), chrétiens (23,2 % [Catholiques : 19% ; protestants : 4,2%] ), animistes (15,3%), en particulier à Ouagadougou. Mais les incursions djihadistes venant du Mali ont produit, au Nord du Burkina, de sanglants massacres des villageois ne respectant pas la Charia, des fonctionnaires et des géologues et exploitants de mines d’or (Boungou le 6 nov. 2019). Du coup, les villageois fuient vers les villes accroissant le nombre de déplacés. Les rumeurs de djihad conduisent à la radicalisation de jeunes réfugiés au Sud qui vont commettre des assassinats au Nord.
Question 16 : Qu’en est-il des terres ? Les chinois s’intéressent-ils à ces régions ?
Réponse : Non. D’ailleurs, y a-t-il des terres ? De plus, ces régions sont enclavées. En outre court la fable que c’est la France qui exploite les ressources. Par ailleurs, sur le plan minier, il n’y a pas de pétrole, l’or est exploité artisanalement et par des sociétés canadiennes, l’uranium au Niger, à Arlit , est exploité par la France.
Question 17 : Qu’en est-il du G5 Sahel ?
Réponse : Le G5 Sahel (G5S), mis sur pied à la demande de F. Hollande lors d’un sommet du 15 février 2014 pour engager et unir les pays concernés, concrétisé par une convention du 19 octobre 2014, constitue un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. Son secrétariat est en Mauritanie. Créée en 2015, la force conjointe du G5S (FCG5S) constitue la force militaire anti-terroriste conjointe de sécurité et de défense, réellement activée en février 2017 et approuvée, sans financement certes, par le Conseil de sécurité de l’ONU en juin 2017. Elle est le pendant de l’Opération militaire française Barkhane et est destinée à coordonner les actions militaires anti-terroristes des Etats du Sahel ; elle complète la MINUSMA. Elle comprend deux armées fortes et solides, celles de Mauritanie et du Tchad, deux armées faibles, celles du Mali et du Burkina Faso et une armée moyenne, celle du Niger. Ces armées sont assez jalouses de leurs nationalités. Les interventions de l’armée tchadienne, la meilleure, sont demandées par le Mali et le Burkina Faso. La FCG5S a été commandée par un général malien, puis depuis le 15 oct. 2019 par un général nigérien. L’Alliance pour le Sahel renforce la coopération entre le G5S et Barkhane. La première opération de la FC5GS, menée en novembre 2017 dans la région de Gao (N’Tillit) avec un succès mesuré, a révélé des difficultés de coordination et de communication.
Question 18 : Qu’en est-il des Chebab et de Boko Aram ? Quels liens avec les djihadistes du Sahel ?
Réponse : Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidin est un groupe salafiste somalien créé en 2004 affilié à Al QaÏda. Boko Haram est un groupe insurrectionnel terroriste salafiste djihadiste né au Nigéria en 2002. Bien que l’on ait pensé qu’il existait une coordination de Boko Haram avec les djihadistes sahéliens, il n’existe aucune preuve d’une telle coordination, encore moins avec le Chebab. Le mode d’action de Boko Haram est différent, en ce sens qu’il s’attaque aux civils, par de larges massacres et des prises d’otages, au Nigéria, autour du Lac Tchad, au Tchad et au Cameroun. La radicalisation de Boko Haram est très forte, en particulier contre tous les musulmans non radicaux.
Question 19 : Quelle est l’attitude des rebelles et djihadistes et de l’Algérie ?
Réponse : Il existe des groupes de mouvance terroriste dans le sud algérien. A l’heure actuelle, en Algérie, l’islamisme radical est rejeté d’expérience. Le principal parti islamiste est le MSP (Mouvement pour la société de la paix) fondé en 1991 par Mahfoud Nahnah, décédé en 2003. Le MSP est la branche algérienne des frères musulmans. Il est présidé aujourd’hui par Abderrezak Makri. Radical dans les années 2004, ancien ministre et député, soutien un temps de Bouteflika ; il présente habilement un islam politique « soft » hostile aux radicaux (FIS). Il n’a pas été candidat aux présidentielles du 12 décembre 2019.
L’on peut s’interroger sur ce qu’il en est à Ghardaïa, Tamanrasset, dans le Hoggar, à Djanet, dans les régions peuplées de Touaregs ; toutefois il n’y a pas de signes de mouvements radicaux. Les djihadistes sahéliens évitent d’attaquer l’Algérie car ils y trouvent souvent refuge. C’était l’algérien Mokhtar Belmokhtar qui fut l’organisateur des expéditions contre Agadez et Arlit en 2013 au Niger. Quant au territoire algérien, le site algérien d’exploitations de gaz d’In Amenas a été attaqué en janvier 2013. Depuis lors il semble n’y avoir que peu d’attaques d’envergure si ce n’est de postes militaires frontaliers avec le Niger.
Question 20 : Qu’en est-il du trafic de drogue au Burkina Faso ?
Réponse : Le pays est une plaque tournante du trafic de drogue (cannabis, héroïne, cocaïne, méthamphétamine) en provenance du Nigeria, du Ghana et du Togo. Le Burkina, pays de transit, vers l’Europe, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique, est aussi devenu un pays de consommation. Des blancs sont mêlés à tous les trafics.
Il existe aussi un très important trafic de cigarettes transitant notamment par les ports de Cotonou et surtout de Conakry consacré à la consommation locale et de l’Afrique de l’ouest ainsi qu’à la France (un paquet acheté 1€ est revendu à Barbès 4€). Il existe également des fabriques clandestines au Burkina et dans toute l’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Ghana, Nigeria…)
Ces trafics sont des sources de financement des groupes djihadistes ou permettent de blanchir de l’argent d’origine incertaine, voire les rançons provenant de prises d’otage. Ainsi par exemple, des billets remis en rançon d’une prise d’otages, dont les numéros avaient été relevés, ont été utilisés par l’épouse d’un chef d’Etat africain pour effectuer des payements dans un supermarché en France…
Il existe un marché d’otages et un une coopération inter-terroriste comportant un trafic d’otages entre groupes terroristes.
Question 21 : Au Burkina Faso, quelles sont les perspectives des élections de novembre 2020
Réponse : Elles sont fixées au 22 novembre 2020. Le Président Roc Christian Kaboré devrait perdre les élections, mais il bénéficie du poids de l’appareil de l’Etat… Il n’y a pas la guerre à Ouagadougou, mais une masse de déplacés. Parmi les nombreux autres candidats annoncés, figure un ancien premier ministre de Blaise Compaoré, renversé en 2014 après 27 ans au pouvoir. Figure aussi le chef de l’opposition et de l’UPC (Union pour le progrès et le changement), opposant à Blaise Compaoré en 2014, battu en 2015 (29, 65 % des voix) par Roc Christian Kaboré (53,49% des voix), Zéphirin Diabré qui parait être un bon candidat, assez bien placé.
Question 22 : Que deviennent les jeunes en termes d’éducation ?
Réponse : Les moins pauvres viennent en Europe faire leurs études.
Question 23 : Quelle est l’importance de l’UEMOA pour ces pays ?
Réponse : Les trois pays sahéliens en question comptent peu dans l’Union économique et monétaire ouest africaine car ils ne sont pas dans l’« Afrique utile ». Au Mali, après la région de Bamako, troublée, la région de Sikasso (sud-est), calme, grenier du Mali et riche de la production du coton (1er produit d’exportation du pays) et de minerais est économiquement prospère. Mais le pays le plus important de l’UEMOA est la Côte d’ivoire (40% du PIB de l’Union) et les poids lourds de l’Afrique de l’Ouest sont le Nigeria et le Ghana.
Question 24 : Dans l’hypothèse d’un accord avec les Touaregs et les djihadistes modérés, l’application de la Charia parait-elle possible dans la totalité du Nord en particulier aux Dogons et à tous les Peuls ?
Réponse : Non, aucunement. C’est sans doute sur ce point qu’un accord est très difficile à trouver dans le cadre des négociations menées par IBK. Ce n’est d’ailleurs pas prévu dans l’Accord d’Alger de 2015.
Question 25 : Quel est l’état de l’engagement français ?
Réponse : Après la cacophonie de septembre à décembre 2019, le sommet de Pau de janvier 2020 a permis une remise en ordre claire des positions des chefs des Etats de la région et l’expression de leur adhésion aux principes du G5 Sahel. E. Macron a été très ferme et exprimé que désormais la cohésion devait jouer pleinement. Pour souder Barkhane et la FC5GS, il a été décidé d’établir un état-major mixte, d’officiers français et africains locaux à Niamey.
Question 26 ; Quid de l’avenir de RFI ?
Réponse : RFI est très écoutée. Elle exprime, certes avec des réserves parfois, une solidarité francophone. De plus il y a beaucoup de français à Bamako, 2 000 à 5 000 (à évacuer le cas échéant). Par ailleurs, RFI émet, comme la BBC, en des langues africaines : en Swahili (Afrique de l’Est), en Haoussa (Niger, Ghana, Nigeria). Les projets actuels se portent vers des émissions en Bambara, en Mandingue et en Peul ; les Peuls peuplent toute la bande Sud-Sahélienne, de la Guinée Conakry jusqu’au Cameroun. D’autres projets plus lointains concernent le Wolof et l’Amharique (Ethiopie et Afrique de l’est).

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    François COLLY
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