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05/12/2016 - Big Data, révolution anthropologique ? Gilles Babinet

Exposé

J’ai eu un parcours d’entrepreneur avec des succès variés mais qui m’a permis d’« embrasser » le « numérique. Une tribune dans « Les Échos en 2010 » m’a conduit à la présidence d’un Conseil national du numérique (CNN) créé en avril 2011 par Nicolas Sarkozy. J’ai été alors stupéfait de l’incompétence inquiétante des politiques et des fonctionnaires de droite comme de gauche. Cette dernière (via Fleur Pellerin) m’a nommé « digital champion » auprès de la Commission de Bruxelles à l’occasion d’un remaniement du Conseil en décembre 2012.

Le croisement de trois forces est à l’œuvre dans ce domaine :

  • Le doublement tous les deux ans du nombre de transistors présents sur une puce de silicium (sa puissance). Prédit par Moore (un des trois fondateurs d’INTEL) en 1965, il s’est avéré exact[1].
  • En 2025 tout le monde sera connecté à Internet de diverses façons. Un nombre considérable de données (data) est généré SUR LE NET avec une croissance explosive[2] en provenance d’une « multitude » (le « crowd ») de sources[3].
  • Depuis une dizaine d’années existe une nouvelle génération « d’algorithmes » permettant de gérer ces données des centaines et même des milliers de fois plus vite qu’auparavant. Cet ensemble de technologies est couvert par l’appellation de « big data ». Il permet de mieux comprendre[4] notre société, notre environnement et de faire apparaître avec une précision inconnue jusqu’alors les contours des politiques publiques souhaitables et de leur évolution utile, débouchant sur un  accroissement considérable de leur efficacité (et/ou une diminution importante de leurs coûts).

Il en résultera des caractéristiques fortes de la révolution numérique :

–          Les pyramides (ou processus) traditionnelles de prise des décisions seront bouleversées de façon irrémédiable conduisant à une véritable révolution anthropologique.

–          La façon dont les jeunes se serviront de leur cerveau sera effectivement bien différente de la nôtre. Ils sauront manier des savoirs différents et seront ainsi capables de générer des co-créations grâce au phénomène de multitude. Des super pouvoirs capables de mailler par des réseaux des compétences très pointues et surtout inattendues émergeront .

–          On ne se heurtera plus à la hiérarchie souvent bloquante des « sachants ». Plus les pouvoirs seront verticaisés, moins ils seront en adéquation avec cette dynamique et l’« esprit du temps » qui favorisera un monde « plus plat ».

La Commission de Bruxelles en est beaucoup plus proche que les États membres qui ont apporté leur incompétence à Bruxelles.

En 2020, on estime à 1 million le déficit de compétences qui en résultera dans l’UE. Et il faut dire que les candidats aux « primaires » ont dans l’ensemble un regard peu affûté sur ces questions.

Les domaines impactés par cette révolution seront nombreux :

o    L’agriculture.

En un siècle on a multiplié la productivité par hectare par 6 ou 7 par :

  • La mécanisation
  • La chimie
  • La sélection des espèces

en contrepartie d’une consommation de beaucoup de polluants et d’une atteinte importante à la bio-diversité.

Grâce à une accoutumance des agriculteurs US à l’usage des nouvelles technologies, le concept d’agriculture de précision y a pris corps et a permis des augmentations de rendement de 10 à 20%.

L’avènement des big data va permettre un nouveau bond dans ce sens. On pourrait atteindre des productivités très élevées sur de petites parcelles avec de plus des externalités positives.

Les sources de mesures se multiplient (tracteurs, drones …) dans cette perspective avec pour objectif d’apparaître d’abord à l’avenir comme vendeur de services issus du traitement de ces données en amont de la vente de produits (cf. le rachat par Monsanto de l’éditeur « Precision planting », de « The Climate corporation »…). Du coup le problème de la propriété et de l’usage des données collectées commence à inquiéter les fermiers et le débat s’est engagé avec pour but d’éviter l’accaparement de la valeur par les vendeurs de ces services dont l’intérêt in fine n’est pas nié.

o    La santé. Épidémiologie.

La durée de vie commence à reculer dans l’ensemble des pays riches dans certains segments de la population.

Notre système de santé se caractérise comme un système post traumatique[5] reposant sur la chimie avec des externalités négatives (effets secondaires).  Il est à bout de souffle : 12% du PIB croissant à 4%/an ce qui est insoutenable avec une croissance de l’ordre de 1%. Des études prévoient un coût supplémentaire de 4,5% du PIB pour le grand âge en 2040.

Un nouveau système est bâti sur l’examen de très nombreuses données médicales t né à Shanghai. Il ouvre la voie à une nouvelle médecine préventive globalement beaucoup moins coûteuse.

De nouveaux modèles épidémiologiques sont apparus à cet effet qui génèreront un retour vers la médecine de ville à l’encontre de l’hôpital. Aujourd’hui encore, les data qu’utilise réellement le corps médical sont extrêmement limitées. Elles existent pourtant bien. Bien que créées par le corps médical elles sont encore trop éparses.

Nos vies numériques disent par ailleurs tout de nous (déplacements, habitudes alimentaires etc…). Extrêmement précieuses, elles ne sont pourtant utiles à personne alors qu’elles pourraient l’être au patient bien sûr mais aussi à la collectivité. IBM explore la voie de l’analyse de très grandes quantités de données (expérimentation du système Watson d’aide au diagnostic). On ne peut exclure que le système de santé devienne rapidement obsolète.

Cela fait plus de douze ans que la France essaie sans succès de se doter d’un système d’informations unifié dans le domaine de la santé permettant de disposer pour chaque citoyen d’une information exhaustive de ses antécédents médicaux (DMP).

o    L’éducation.

Stanislas Dehaene, psychologue cognitif, professeur au Collège de France essaie de comprendre ce qui fait que l’on apprend :

Il y faut plutôt des têtes imaginatives que des têtes bien faites. On en arrive au concept d’éducation inversée très intéressant pour faire face aux « décrocheurs ». Faire le pari de « l’intelligence » pour faire un monde plus « horizontal » grâce à l’accès aux data.

o    L’environnement

o    La gestion des villes

o    Le marketing….

Débat

Q1. Pouvez-vous expliquer les effets de cette dynamique de l’horizontalité sur la démocratie ?

R.  Il y a un débat aux USA pour savoir si les réseaux sociaux n’ont pas favorisé l’élection de D. Trump. L’empreinte de Trump sur ces réseaux était effectivement très supérieure à celle d’H. Clinton. Les rumeurs s’y diffusent bien mieux que la vérité mais la possibilité d’une démocratie représentative qu’ils portent est très intéressante. Il faut d’abord s’efforcer de comprendre les dynamiques en jeu.

  1. Google a collecté des données qu’aucun d’entre nous n’arrivera à réunir. Problème ?
  2. Comment juger de la compétence des candidats à la primaire ? Pourquoi n’y a-t-il pas de groupe ou de journal qui aborde la réalité sous l’angle nouveau que vous nous découvrez ?

R.  Je suis ici pour alerter et dire « Ne bloquez pas cette dynamique avant d’en avoir bien compris les enjeux. Puis ceci fait regardez les pare feux possibles pour en garder les avantages ».

  1. Quels sont les pays en tête dans l’UE dans l’utilisation de ces techniques ?

R.  Danemark 1er.  France 16ème.

  1. Que fait le Danemark que nous ne faisons pas ?

o    Plus de connectivité des citoyens

o    Usage des technos-data dans les services publics

o    Éducation des citoyens au numérique (gros retard en France)

o    Usage des data au sein de l’appareil productif

  1. Je ne suis pas d’accord avec vous sur l’éducation

R.  Ce n’est pas l’avis de Stanislas Dehaene pour qui notre système pédagogique ne marche plus. On peut avoir des systèmes cognitifs très différents avec une approche très différente des professeurs.

  1. Comment expliquer la faiblesse des grandes administrations (qui signifie largement celle des « politiques ») dans le numérique ? Y a-t-il un snobisme de ne pas comprendre ?

R.  Qu’ils passent la main ! Il faut repenser un système injuste et (car) trop verticalisé

  1. On peut être inquiet devant le phénomène « smartphone : c’est se regarder soi-même qui devient important. Comment y faire face ?

Q8.2 Avec le « toyotisme » la recherche de la qualité totale va de pair avec une organisation horizontale et un accès de tous aux données. La hiérarchie doit être au service de la production mais les enjeux de pouvoir demeurent.

R.  Les ingénieurs conçoivent une voiture. Les ouvriers la corrigent.

Q9.  Vous êtes dur avec la CNIL. Pourquoi ?

 R.  La CNIL, avec beaucoup de conseillers d’état qui ne connaissent rien aux data, avait une posture conservatrice incompatible avec l’innovation. Dans l’affaire du DMP, la CNIL a voulu mettre des feux rouges a priori. Ce n’est pas son rôle. Cela va maintenant mieux.

  1. La pauvreté ? Les data peuvent-elles contribuer à réduire la fracture sociale ?

R.  Les politiques publiques doivent d’abord viser à réduire l’extrême pauvreté mais le digital ne peut le traiter immédiatement.

Ces technologies aident à obtenir une transparence correcte de la réalité mais se heurtent à toutes sortes de conservatismes.

  1. La privatisation des données par le GAFA n’est-elle pas un danger ?

R.  Le règlement européen des données qui va entrer en vigueur au 1er janvier est très contraignant ……

 

 

 

 

Le compte rendu de cette séance s’est avéré difficile à faire. Le rédacteur s’excuse par avance d’un résultat bien critiquable.

Mais l’essentiel est clair : l’énorme volume de données disponibles d’origine très diverses, sa croissance explosive et de nouvelles techniques de traitement et de croisement de ces données vont révolutionner rapidement la qualité de la représentation des réalités approchées collectives ou individuelles et révéler de façon inattendue des corrélations insoupçonnées dans l’espace et dans le temps.

L’approche, les contours, l’organisation et l’efficacité des politiques publiques ou privées qui s’y rattachent en seront profondément affectées.

Le problème du rassemblement et de l’accès aux données devient central. Il posera des questions sur les procédures d’usage.

Il n’en reste pas moins que les bénéfices à en attendre sont considérables voire indispensables. Il ne faut donc pas bloquer cette évolution, notamment par son ignorance ou par des organisations ou processus de décision trop verticaux, même si des précautions seront à définir pour nous préserver d‘inégalités ou de discriminations. Il faut en rendre conscients les politiques.

La lecture du livre de Gilles Babinet « Big data. Penser l’avenir autrement » est très utile sinon indispensable pour mieux percevoir la force de la dynamique à l’œuvre ainsi que l’ampleur du travail à faire dans notre pays pour désarmer les nombreux conservatismes er en tirer meilleur profit.

  Gérard Piketty

[1] Lors de l’Intel Developer Forum de septembre 2007, Gordon Moore a prédit que sa loi de doublement du nombre de transistors dans une puce tous les deux ans ne serait plus valide dans dix à quinze ans.

[2] L’information disponible sur la planète devrait tourner en 2020 autour de 40 zetaoctets (1 Zo = 1021 octets) produits sur un réseau unifié par le même protocole IP pour véhiculer cette information.

[3] Cette multitude permet notamment la création d’œuvres collectives comme « Wikipédia » ou « Open street map ». On doit parler alors de « co-création » qui remet en cause la propriété du savoir.

[4] En gros, le traitement croisé d’ensembles de données considérables provenant de sources diverses permet d’extraire des signaux faibles impossibles à percevoir autrement.

[5] Seuls 3% des dépenses de santé visent des actions préventives.

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Comment ( 1 )

  • Jacques Miet dit :

    > Il est sur que, en particulier les Gafa , qui sont des monopoles ou au mieux des oligopoles font des marges colossables abusent des prix du marché et de surcroit refusent de payer des impôts sur les sociétés qui seraient pourtant bien utiles aux pauvres états et politiciens qui ne comprennent rien à rien et qui sont responsables de tout y compris du fait que les entreprises françaises et leurs patrons ont peu investis dans la robotisation la digitilisation……
    >
    > je crois qu’il faut rester au plus prêt des faits et se méfier des plaidoyers prodomo.
    >
    >
    > A un niveau moindre j’ai mémoire de l’action des pauvres pigeons pour payer moins d’impôts et je ne peut manquer de mettre cela en parallèle avec les couts de la mise en cause du modèle social actuel de salariat induit par l’inéluctable digitilisation .
    > Les conséquences de cette digitalisation devront être financées …un jour …. en tout cas le plus tôt possible .
    > Par qui? comment?
    > voila un bon débat.pour 2017
    > jacques Miet

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