En 2017, P. Veltz avait publié « La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif ». Il y montrait
une nouvelle grammaire productive, très différente de celle du siècle passé, de plus en plus dématérialisée,
composée de services. L’industrie est mondialisée, le numérique change tous les secteurs. On passe d’une
économie des choses à une économie des usages.
Dans ce nouveau livre (2021), P.Veltz s’affronte « à une question existentielle, le défi écologique : nous
savons les causes et les effets de la crise climatique qui menace l’humanité de chocs bien pires que la crise
sanitaire actuelle. Nous savons l’évolution de nos économies et les transformations globales de nos
sociétés. Sans changements profonds nous courons à la catastrophe. Chez les climatologues, l’ambiance
est lourde. La situation est critique et va dominer les décennies à venir. La coupure générationnelle est
frappante : dans toutes les couches de la jeunesse, par ex. dans les écoles d’ingénieurs, la menace
climatique est la préoccupation la plus importante, alors que c’est une question parmi d’autres dans la
campagne électorale actuelle. Et on est noyés d’informations parcellaires et divergentes.
On peut signaler 3 impasses :
– Croire que le capitalisme soit disposé à « verdir » et qu’il assure la transition (en faisant des profits « as
usual ») avec les nouvelles technologies, l’esprit d’innovation.
– Le radicalisme selon lequel il faut supprimer le capitalisme sinon rien ne peut bouger, et instaurer un
gouvernement mondial, une révolution totale et partout.
– Le localisme : se concentrer sur des zones locales (ZAD) où on peut résoudre les problèmes, avoir son
éolienne et ses panneaux solaires, cultiver son jardin, faire son pain, etc. Penser qu’il faut oublier
l’industrie qui nous a menés dans le mur.
Or, on n’a pas le temps d’attendre la révolution, d’attendre que les conditions soient réunies pour un
gouvernement mondial et révolutionnaire. Ce radicalisme revient à une démission, à accepter la
catastrophe. Le temps nous est compté : la bifurcation doit se faire avant 2050, alors que le temps de la
démocratie est long : il faut construire un consensus. Pour cela il faut accepter le réformisme, bâtir un récit,
montrer la voie étroite avec des solutions. P. Veltz se désigne comme un ingénieur, pas un philosophe…
Les problèmes doivent être résolus à une échelle pertinente. Il faut revenir à une réflexion sur l’Etat et poser
les bonnes questions.
Le changement doit être profond : il y a consensus sur l’obligation où nous sommes de changer notre
système énergétique. Il faut qu’on sorte des énergies fossiles (zéro émissions Co2 net en 2050). Or, leur
niveau ne descend toujours pas, quand le changement doit être urgent : le Co2 s’accumule et le système
climatique s’emballe, la température va augmenter longtemps après l’arrêt des émissions, or chaque demi-
degré entraîne plus de casse, malgré puits de carbone, forêts, océans, quoi qu’on fasse.
Le problème est international. Bien sûr c’est l’Occident qui nous a menés là ! et la Chine et l’Inde ne vont
pas arrêter leur développement avant d’avoir rejoint le nôtre. Augmenter le prix du carbone, on a vu les
effets sociaux de la taxe carbone !
Comment rendre le changement socialement acceptable ? Cette mutation ne pourra se passer d’un
récit qui ne soit pas punitif, qui la rende désirable et juste. Il faut avoir une visions stratégique et positive.
On a un paquebot : il faut changer de trajectoire et de motorisation sans que les passagers soient
malades….
1. Il faut des politiques d’efficacité
On sait déjà faire plus avec moins d’énergie, moins de ressources, moins de pollution, plus de recyclage
possible. On a fait des progrès. La Chine est le premier émetteur global de carbone, mais, par tête, n’émet
pas plus qu’un habitant de nos sociétés en 1900. La gamme des Boeing 707 a gagné 70 % d’efficacité
énergétique depuis 1958. Les matériaux aussi, l’acier, le papier, le plastique, la recherche a permis
d’améliorer leur bilan énergétique. L’isolation des logements est commencée (pompe à chaleur) . Mais ça
ne suffira pas du fait de l’effet-rebond : les gains d’efficacité sont effacés par l’augmentation de la
demande, donc la consommation ne baisse pas.
Ex : On augmente le thermostat et on vit en T-shirt quand la maison est bien isolée et la chaudière dernier
cri de l’économie d’énergie.
– La canette de bière en acier est plus légère et recyclable mais la consommation s’est emballée. C’est un
mécanisme incontrôlable : les produits sont conçus pour être toujours plus vendus.
– Les fermes de serveurs informatiques sont moins énergivores mais se multiplient bien plus vite que les
gains d’énergie (augmentation exponentielle des videos en ligne)
– La mode est un secteur économique qui vit du renouvellement incessant et très polluant des textiles.
– La complexification technologique de tous nos objets, voitures, électro-ménager, équipement
informatique les rend très énergivores, bien plus fragiles, et exigeant des composants en minerais rares,
cette complexité étant source cachée d’augmentation de la consommation de matière/énergie étant
donné notre mode de vie.
– Notre petit déjeuner exige désormais des machines (à café, à toaster, à extraire le jus de fruit) et des
aliments transformés venant du bout du monde !
II Il faut donc de la sobriété
Orienter autrement l’économie. 3 dimensions :
– 1.Comportementale : une alimentation plus locale et plus simple. Pour notre empreinte carbone, à nos
émissions locales, il faut ajouter celles des produits importés, donc les diminuer. Moins de voyages en
avion. Il faut redevenir maître de sa vie. S’inspirer de l’esprit COLIBRI (P. Rabhi) abandonner les « bull-shit
jobs », faire des choses soi-même. Les circuits courts. Mais on ne pourra se passer du monde industriel !
– 2. Systémique : nos villes, nos territoires sont mal organisés. Il faut investir : les transports en commun
ne sont pas à la hauteur. Il y a un conservatisme écologique : un TER mérite qu’on coupe des haies.
– 3. Economie à développer en nous éloignant de l’accumulation. Accélérer l’économie des usages. On
croule sous les objets et il y aura encore à Noël un record historique de consommation. Réorienter
l’économie vers la santé, le bien-être, l’éducation (marché en fort développement), le divertissement, la
culture, le sport, etc. Une économie humano-centrée : la valeur créée dans la relation, le care (ex:
soignant/patient).
2 grands chantiers que doit organiser l’Etat :
– Le changement de base énergétique. Se passer du pétrole, du charbon et du gaz. On ne peut se
passer du nucléaire si on veut décarboner avant 2050 ! Aujourd’hui notre énergie est à 25 % électrique, il
faut passer à 50 %. Le reste en renouvelable, mais la surface que cela demande est énorme. Les
panneaux photo-voltaïques sont bien pour un usage local, mais on ne fera pas de l’acier avec ça.
Les Allemands ont réussi à beaucoup investir et organiser.
– La transformation de l’agriculture pour nourrir et faire de l’énergie par la méthanisation, le biogaz.
C’est l’esprit de l’Etat colbertiste qu’il faut retrouver mais il faut aussi que les Régions investissent. Une
mission a été confiée au Conseil économique et social. L’industrie se mobilise avec la nouvelle génération
d’ingénieurs. Mais il manque la cohérence d’un projet collectif. Par exemple, il faut réformer les villes et le
système de transports. Il faut un Plan comme dans l’après-guerre !
1. Les incitations par la fiscalité, à internaliser dans le système des prix pour dé-carboner mais
redistribuer le produit de la taxe carbone. (Justice sociale)
2. L’innovation par la R &D (recherche et développement) à accélérer ( la capture du carbone ? ,
l’hydrogène )
3. Besoin d’1cadre pour distinguer les investissements vraiment écologiques de ceux qui se présentent
comme « verts » sans l’être. »
Q. Les énergies renouvelables seront-elles suffisantes ?
R. On a besoin de faire les comptes. David Mc Kay dans son livre « L’énergie durable. Pas que du vent ! »,
accessible sur internet, commence en préambule par « Des chiffres, pas des adjectifs » Il y a trop d’adjectifs
trop de philosophes comme B. Latour parmi les écologistes et pas assez d’ingénieurs.
Q. Et dans le domaine de la défense, quelle sobriété ?
R. Toutes les solutions ne peuvent être abordées qu’au niveau mondial. C’est le problème de la
dissémination nucléaire, qui est un problème de sécurité avec les petites centrales. Une autorité mondiale
est nécessaire par exemple pour gérer la question de la fission nucléaire. Il faut commencer par le groupe
de nations qui partagent nos valeurs.
Q. C’est d’abord en Chine et en Inde que ça se joue !
R. On n’est pas exonéré de réduire nos émissions à l’échelle européenne et dans le monde développé
puisque notre développement est passé par le charbon et le pétrole depuis un siècle et demi. Et les
Africains sont d’abord des victimes. Le mal est fait, et en émissions, ils ne pèsent pas beaucoup. L’Inde si.
Q. Peut-on croire à l’hydrogène ?
R. C’est un créneau prometteur (pour les poids lourds). Il y a une bataille de lobbys (Air Liquide) . Mais ce
sont des solutions qui ne sont pas pour le court terme.
Q. Que pensez-vous des positions radicales de beaucoup de mouvements écologistes ?
R. C’est massif et très inquiétant. J’ai entendu : « On ne lira pas votre livre, vous êtes ingénieur ! » Ils veulent
se passer de l’industrie, mais ils ont tous des smartphones. Je leur demande : « Où poussent les
smartphones ? ». J’ai présidé un jury de jeunes architectes sur le thème : « La ville durable et productive ».
On a eu 200 propositions de potagers, souvent collectifs, inclusifs…avec 1 application sur smartphone…
Notes prises par Sylvie Cadolle.
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Comment ( 1 )
Intéressant mais inquiétant : l’ingénierie politique de la transition énergétique n’est en fait pas commencée. Les COP patinent.
Le souci de justice ne se pose pas qu’au sein des diverses nations mais entre les nations. Les puissances ne savent comment s’y prendre et rechignent à y mettre le doigt et leur puissance.
Alors l’Écologie de la transition comme une religion ? Oui mais abordée rationnellement avec beaucoup d’ingénieurs, y compris aux commandes politiques et quelques très grandes voix ne se gavant pas de mots, dé rêves et hiérarchisant les priorités. Une politique commune de la transition énergétique à mettre en place de façon urgente. Le moteur franco-allemand risque d’avoir des ratés !
Gérard Piketty