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06/11/2023 - Jean-Paul Chagnollaud - Quelles conséquences politiques et géopolitique aura l’opération du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 ?

J-P. Chagnollaud, Professeur d’université, président de l’Institut de Recherches et d’Etudes
Méditerranée-Moyen-Orient (IREMMO).

André Bourgey : Jamais Israël n’avait connu une agression telle que celle du 7 octobre 2023,
qu’on peut qualifier de crime contre l’humanité. Et sa réponse est terrible, plus de dix mille
morts, dont 4000 enfants dans les bombardements de Gaza. Des généraux français parlent
de désastre moral.

Première Partie, Hier.
Le problème dans cette tragédie, c’est qu’elle n’a pas commencé le 7 octobre. Le conflit a l’âge du siècle. Commence-t-il à la déclaration Balfour de 1917 sur le projet d’établir en Palestine un foyer national pour le peuple juif, ou en 1922, avec le mandat britannique sur la Palestine qui entérine ce projet, ou bien à la guerre des Six-Jours de 1967 où Israël occupe le Sinaï, la Cisjordanie, Gaza et une partie du Golan ? C’est alors une puissance occupante qui a à remplir les obligations énoncées par la Convention de Genève. Israël est certes une démocratie, mais elle encourage l’occupation et l’installation effrénée de nouvelles colonies dans les années 1970… Les accords de Camp David en 1978 avec Sadate et Begin n’y mettent pas fin, non plus que les accords d’Oslo.

On a assisté à un double refus :

  • De la part des acteurs, refus de la paix
  • De la part de la communauté internationale, refus de s’impliquer

Refus de la paix, violences : depuis 40 ans, le Hamas pour les Palestiniens, s’arc-boute sur une résistance armée, avec des attentats jusqu’à Oslo ou au cœur de Jérusalem.
Le Hamas fait tout pour déstabiliser. Il prend le pouvoir à Gaza, avec la majorité aux législatives de 2006. D’où des violences entre Hamas et Fattah car le Hamas récuse la stratégie de l’OLP et du Fatah. Donc des guerres qui se succèdent, la stratégie de l’OLP et du Fatah est récusée. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité Palestinienne depuis 2005, et qui avait signé les accords d’Oslo en 1993, tente la réconciliation avec le Hamas mais elle n’aboutit pas, le Hamas refusant tout compromis politique, car son objectif est de détruire l’Etat d’Israël.

Puis assassinat par un sioniste radical, le 4 octobre 1995, d’Yitzhak Rabin qui devait mettre en œuvre les accords d’Oslo en 1996. Après la mort de Rabin, Nétanyahou l’emporte d’un point d’écart sur le travailliste S. Pérès qui aurait continué vers la paix… Netanyahou refuse la paix. Pour lui, les accords d’Oslo ne sont pas la solution, ils sont le problème. Lorsqu’Obama arrive au pouvoir en 2011, il propose avec le Quartette (Etats-Unis, Europe, Russie, ONU) un calendrier de paix et la résolution 2334 de l’ONU du 23 décembre 2016 exige d’Israël la fin de sa politique de colonisation qui menace la viabilité du projet des deux états. Obama veut faire reprendre les négociations, Nétanyahou fait tout pour les saboter, il s’allie à des extrémistes suprémacistes et exclut toute idée de solution à deux Etats. C’est le naufrage des accords d’Oslo.

Le 20 janvier 2017, arrive Trump, avec sa politique contraire aux accords, qui enterre le plan de paix et la question palestinienne. La communauté internationale oublie la question et Israël réussit à faire oublier la résolution 2334 et à normaliser ses relations avec une bonne partie des Etats arabes, (les Emirats-Arabes-Unis, Bahrein, l’Arabie Saoudite, le Maroc, le Soudan), par les Accords d’Abraham, et la France oublieuse du projet des deux Etats a appuyé les accords d’Abraham. Donc, on a refus de la paix des 2 côtés. Le statu quo est pourtant impossible avec les 5 millions d’Arabes de Gaza et des territoires de Cisjordanie.

Seconde partie, Aujourd’hui :
Une guerre sans issue, arc-boutée sur la force militaire et sans perspective politique. Or un militaire n’arrive à rien sans le diplomate. Le Hamas commet le 7 octobre 2023 un crime terroriste contre l’humanité avec 1500 morts et la prise de 250 otages.
Pas d’issue, un traumatisme avec ses implications, les Israéliens ne pouvaient pas ne pas réagir par la vengeance. On en est à 10000 morts et 20000 blessés, la plupart civils avec la moitié d’enfants. Et les otages ? Il est vrai que le Hamas s’abrite derrière des hôpitaux et écoles, mais de nouveaux crimes de guerre sont commis en masse. Les habitants ne pouvaient pas tous abandonner le Nord où ils habitaient, préféraient mourir chez eux que sur la route. La réponse militaire est disproportionnée, on va faire de Gaza un champ de ruines avec la volonté de casser les Palestiniens « on ira jusqu’au bout », mais quelle volonté politique ?
Les implications sont considérables. Des militaires parlent d’un désastre moral pour Israël. Dans le monde arabe, la normalisation avec Israël a été brisée, la population est en incandescence dans les Etats arabes, ce dont ces régimes doivent tenir compte, comme en Turquie et dans le « Sud global ».
En Occident, Européens et Etats-Unis sont alignés sur Israël : les Allemands ne peuvent gêner Israël, la France a été inaudible dans les premiers jours. Les Américains ont d’abord collé à la défense d’Israël, ils commencent à prendre quelque distance.
Un bouleversement est en train de se passer : attention à ce que « le 2 poids, 2 mesures » est apparu. On ne peut soutenir l’Ukraine agressée par l’Union soviétique et accepter qu’Israël viole le droit international ! Ce sont les valeurs que porte l’Occident. Il faut revenir au droit international ! Cela fait le jeu de Poutine.

Troisième Partie : Demain
2 hypothèses :

  1. Les Cendres ! Désolation ! Le plus probable : on ne va rien apprendre de cette affaire ! Gaza va en sortir détruite, et les Palestiniens livrés à leur rage. En Cisjordanie, les colons ont carte blanche pour prendre les terres aux Palestiniens, sous la férule brutale de l’armée et des colons, profitant d’un effet d’aubaine.
  1. Le retour au politique.
    Une trêve humanitaire longue est indispensable. Mais les USA veulent que Tsahal aille au bout et élimine le Hamas. Il faut qu’une force multinationale d’interposition arrête le chaos, essaye de remettre en œuvre le Droit, arrête la colonisation, le contraire de ce que font les colons. Il faut une conférence de paix entre Israël et les pays arabes, assurer la sécurité des Palestiniens, puis celle d’Israël et cette tragédie aura servi à quelque chose.

Quel a été le rôle de l’Iran ? Et le rôle de la Turquie ?

Nous assistons au retour des empires, L’empire Perse en Iran, Ottoman en Turquie, Russe…Le 7 octobre a-t-il été manipulé par l’Iran ? l’Iran est en capacité d’instrumentaliser le Hezbollah, il a été le bras armé du régime pendant la guerre en Syrie. Mais ouvrir un deuxième front au Nord d’Israël, l’Iran n’y a pas intérêt. Le Hezbollah domine le Liban qui est à terre, détruit. L’axe de normalisation est cassé. Et L’Iran active ses proxys et capitalise. La Turquie capitalise aussi sur l’oubli de la question palestinienne. Erdogan parle aux Russes, aux Israéliens, à l’OTAN, la Turquie a la capacité de parler à tout le monde.

Quels sont les buts de guerre du Hamas ?

Torpiller les accords d’Abraham entre Israël et les pays arabes.

Y a-t-il une solution interne à Israël avec la gauche, Benny Gantz pourrait-il être un espoir pour Israël ?

On a oublié la question palestinienne. La configuration a été gelée, avec les équilibres du pouvoir entre le Fatah et le Hamas. En 2022, il y avait déjà en Cisjordanie des violences entre colons israéliens qui s’installaient et Palestiniens. Le Hamas voulait renverser la table : Il y a eu des assassinats qui ont discrédité la cause palestinienne. Mais pour les Palestiniens c’est le désespoir. Une majorité sont des réfugiés chassés d’Israël ou leurs enfants et ils n’ont pas le droit au retour. 67 % des Palestiniens de Cisjordanie sont pour la lutte armée. Israël n’est pas une démocratie au sens où les Palestiniens qui résident en Israël ont le droit de vote mais pas le droit au retour.
En Israël, en 1992, aux élections législatives, la gauche obtient 56 sièges sur 120.

A partir de 2001, effondrement de la gauche, presque tout le spectre de l’assemblée est à droite et avec une radicalisation de la droite. Aujourd’hui la mouvance qui gouverne est celle qui a assassiné Y.Rabin. Et Y.Lapid, qui a représenté l’opposition à Netanyaou, est un centriste, comme Benny Gantz. Mais le Mouvement pour la Paix a disparu ! Depuis le 7 octobre il semble que certains voudraient arrêter les colonisations et l’occupation de la Cisjordanie… Y a-t-il un Homme d’Etat en Israël ?

Est-ce religieux ? le Hamas est-il un mouvement islamiste comme Al Quaïda ou Daech ?

Non, le Hamas n’est pas condamné par l’opinion publique des Palestiniens, car l’opinion courante, c’est : « Nous souffrons depuis tant d’années ! » Hamas est partie prenante, consubstantielle, des Palestiniens. Leurs dirigeants sont assassinés, ils sont remplacés. C’est un mouvement comme le FLN algérien, de « résistance islamique ». Pour nous Français, c’étaient des terroristes qu’on liquidait…
Le seul qui se soit exprimé sur l’ampleur du drame et l’injustice faite aux Palestiniens par les bombardements de Gaza, c’est Dominique de Villepin qui met l’accent sur les cendres du droit international du fait du bain de sang et du non accès des humanitaires. Crime de guerre pour venger un crime de guerre. Macron, depuis 2017 a fait… rien ! Il a fait son tour au Moyen-Orient. Il découvre la question ! Il lance une conférence internationale pour une trêve humanitaire ; ça n’a pas de sens.

La position des pays arabes ? Pourquoi les pays arabes n’ont-ils pas réagi ?

Les gouvernements sont très inquiets. Le Hamas a été fondé par les Frères musulmans, il est allié aux chiites du Hezbollah. L’ONU ne fait rien, c’est inquiétant. Il y a eu longtemps une position de la France. Il faut relire la conférence de presse de De Gaulle du 27 novembre 67 après la guerre des Six-Jours1. Et Mitterrand devant la droite du Likoud le 4 mars 19822

Les opinions publiques arabes ont été très peu choquées par le 7 octobre… mais la colonisation et ses massacres ne choquait pas tant que ça l’Occident non plus.
Nous vivons un tournant dans les relations internationales, partout l’ordre international se fissure. Ce sont nos valeurs mêmes qu’on nous accuse de ne pas respecter ! Il est absolument inadmissible de s’emparer d’un territoire par la force !
Et l’été 82, la marine française sauve Arafat et l’OLP. Dix ans plus tard, il y a eu les accords d’Oslo et Arafat a reçu le prix Nobel de la paix.
Le droit international doit être mis en œuvre !

Qu’en est-il des arabes israéliens ?

Ils restent calmes. Ils représentent 20% de la population israélienne, soit un million environ. Parmi eux il y a 7% de chrétiens arabes. Ils ont peur des deux côtés. Certains en Israël les considèrent comme une cinquième colonne, il y a parfois des tensions très fortes.

Et Marwan Barghouti ?

Engagé dans le Fatah à 16 ans, il a été arrêté et condamné plusieurs fois à la perpétuité, accusé de plusieurs attentats dans la Seconde Intifada. Certains le comparent à Mandela, très populaire auprès des palestiniens, partisan du rapprochement entre Hamas et Fatah, il avait des chances de devenir chef de parti. S’il y avait une ouverture politique, un échange de prisonniers…il pourrait être élu président. Mais on en est loin et de plus à Ramallah, les caciques du Fatah ne sont pas prêts à lui céder leur place, « Ce n’est pas son tour » !

Et les otages ? Netanyahou n’essaie pas de les échanger ? Il n’y a pas de pression sur lui des familles ? C’est la thèse « on y va, on cogne et tant pis » ?

Ce n’est pas fini. On entend ceux qui réclament des échanges. Il pèse une double responsabilité sur Netanyahou : par son obsession de refuser tout compromis, d’encourager la colonisation en Cisjordanie, et de n’avoir pas été capable de prévoir l’attaque du Hamas alors qu’il avait été mis en garde. Dans l’histoire du sionisme comme mouvement national, il s’agit de faire un Etat pour mettre les juifs en sécurité. C’est un échec, ce qu’il a fait du sionisme !
Vouloir dominer un peuple par la force, c’est dénaturer le sionisme laïc, et c’est un échec.

Pourquoi l’échec de la gauche israélienne ?

La gauche n’est pas en forme partout dans le monde…

Les Etats-Unis peuvent -ils faire quelque chose ?

La communauté juive américaine critique Netanyahou, 45 % des électeurs démocrates sont pour une solution à 2 Etats. Les Américains, Biden, Blinken, Kerry, peuvent peser. Mais si Trump gagne, ce sera la première hypothèse, c’est-à-dire la catastrophe. S’il y a une volonté politique, on trouve des solutions, il peut y avoir des échanges de territoires : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ! »

Compte-rendu par S.Cadolle

1 « Un peuple d’élite[Israel] organise l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion et que s’y manifeste la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme« 

2 « Le dialogue suppose la reconnaissance préalable et mutuelle du droit des autres à l’existence, le dialogue suppose que chaque partie puisse aller jusqu’au bout de son droit ce qui, pour les Palestiniens comme pour les autres, peut, le moment venu, signifier un État.”

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