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02/10/2023 - Christophe BOISBOUVIER - France-Afrique : la mutation d’une situation post-impériale vers des partenariats est-elle possible ?

Christophe BOISBOUVIER, Journaliste, Directeur adjoint chargé de l’information Afrique à RFI.

C. Deltombe  : Combien de choses imprévisibles se sont produites depuis votre intervention de 2020 !Les coups d’état se sont multipliés dans ces anciennes colonies françaises, on y trouve plus de juntes militaires que de démocraties. L’hostilité vis-à-vis de la France croît. L’opération Barkhane a été un échec. Les 5000 hommes qui y participaient n’ont pu venir à bout des djihadistes. Une population de quelques cent mille personnes se trouvent sous contrôle djihadiste. Qu’en penser ? La décision récente de stopper les opérations culturelles de la France avec cette région d’Afrique montre surtout l’impuissance de la France à trouver une bonne politique africaine. La mutation d’une situation post-impériale vers des partenariats est-elle possible ?

C.Boisbouvier :
I La partie de bras de fer avec le Niger.
Il y a eu une série d’occasions manquées par la France depuis 40 ans. J-P. Cot proposait une nouvelle politique et la fin de la Françafrique, mais il a dû quitter le gouvernement au bout de dix-huit mois. Houphouet-Boigny était le vrai patron de la politique africaine. Cet axe écrase tout le reste. En 1990, on a le discours de Mitterrand à La Baule où il fait la leçon aux pays africains et joue sur la carte de la fidélité à la France. Omar Bongo va être aidé par les paras français. Mitterrand désavoue Pierre Joxe et soutient le dictateur. Il soutient aussi le gouvernement Hutu alors qu’il va commettre le génocide contre les Tutsis. Jospin en 1998 voulait le paritarisme et ni ingérence ni indifférence, mais Chirac soutient à Brazzaville Denis Sassou Nguesso et couvre les méfaits de son régime autoritaire.
Hollande se laisse griser par la victoire de l’opération Serval contre les groupes dijihadistes au Sahel en mars 2013, mais il ne rappelle pas les troupes françaises pré-positionnées, en 2014 il lance l’opération Barkhane et les laisse s’enliser. Macron en 2017 fait à Ouagadougou un discours aux étudiants du Burkina-Faso où il reconnaît les crimes de la colonisation. Il ouvre les archives sur le Rwanda, commence la restitution des biens culturels, lance la réforme du CFA. Il met fin à l’opération Barkhane en 2022.
Mais la France n’a pas su partir. Elle a été chassée. La France vit au-dessus de ses moyens militaires. Notre état-major a été grisé par ses succès de 2013 où elle avait repris Gao, et Tombouctou. Beaucoup de jeunes africains reprochent la contradiction entre les discours de la France et ses actes. Le Tchad est, depuis 1942 avec De Gaulle, un « porte-avions » pour les français, un verrou stratégique. La France a été désemparée quand Idriss Déby est mort. Macron se précipite pour adouber le fils de Déby, Mahamat Idriss Déby. Mais les manifestations contre ce soutien français et contre Idriis Deby ont donné lieu à ce que l’armée tire dans la foule, d’où une rupture de confiance dans les discours de la France en faveur des Droits de l’Homme et de la démocratie. Les élections et l’alternance ne suffisent pas. Depuis Trump, on assiste à un culte de l’homme fort, du césarisme et un retour du nationalisme. Obama disait : « L’Afrique a besoin d’institutions fortes, pas d’hommes forts. » Hélas, il n’y a que des « hommes forts » à l’exception du Congo Kinshasa. Des démocratie anciennes y succombent, le Mali, la Guinée-Conakry. La démocratie à l’occidentale semble avoir échoué.
Poutine fascine par ses initiatives guerrières, ses diatribes contre l’Occident décadent… Macky Sall lui-même applaudit le joueur de foot qui refuse de jouer avec un maillot arc-en-ciel (contre l’homophobie). Ce n’est pas opportun d’envoyer un contingent français pour contrer ce que fait en Afrique le groupe Wagner, mais on pourrait trouver des moyens pour lutter contre la désinformation et les fake news sur les réseaux sociaux !
L’Afrique anglophone, par exemple un homme d’affaires de Lagos comme d’Afrique du Sud, se méfie beaucoup plus des Russes. Dans l’Afrique francophone on attribue tous les maux, y compris l’avancée des djihadistes, aux Français. Il y a un vrai ressentiment contre la France, même si au Niger, après le coup d’Etat de l’armée qui a chassé du pouvoir Mohamed Bazoum, la première manifestation était en sa faveur, avant que l’armée ne fasse reculer la foule en tirant en l’air et qu’elle paye d’autres gens pour manifester contre lui. Le divorce entre la France et l’Afrique est-il consommé ? Je ne le crois pas.
D’autre part, les anti-français ne sont pas pro-russes. Au Sénégal, l’opposant populiste Ousmane Sanko, emprisonné, a l’honnêteté de dire que le remède russe n’en est pas un. Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, populiste imprégné de culture française, n’a pas envie de voir les Russes y prendre de l’influence.
Ce que veulent les Africains, c’est ne plus avoir de tuteurs du tout ! Dans beaucoup de pays francophones, beaucoup de gens sont attachés à la France, il y a les diasporas, comme celle malienne à Montreuil, les transferts d’argent vers le Mali plus importants que jamais, les flux d’immigrés, les retraités… les liens humains entre maliens et français, il ne faut pas y toucher. La France a une place à part. Elle est présente culturellement, au niveau des ONG, des jumelages. Il y a un lien fort entre Africains et Français. On est des partenaires, mais la crise actuelle avec la jeunesse africaine ne sera pas surmontée sans un aggiornamento de la France. Macron a fait un début d’auto-critique : les mots d’aide, de coopération ne passent plus. Il faut un partenariat économique, financier (nouvelle réforme du franc CFA hérité de la colonisation), militaire (fondé sur une présence européenne et non française, des brigades mixtes franco-africaines), restitution d’objets historiques ou d’art africain. Il faut un discours plus honnête, recréer de la confiance.
Il y a 10 ans, en 2013, au moment du drame des 2 journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, tués par des djihadistes près de Kidal, il y a eu appel commun et une solidarité Nord/Sud des journalistes et grands médias africains et français pour la liberté de la presse. Et récemment à Kinshasa, nos collègues, correspondants de Jeune Afrique, ont été expulsés ou mis en prison.

Les accords de coopération militaire ne sont-ils pas l’impensé de la politique africaine de la
France ?

Il faut des accords, nécessaires pour définir et encadrer la présence militaire française et d’éventuelles interventions.

Le djihadisme se développe, les campagnes sont conquises, la charia est imposée. Qu’est-ce qui va
se passer ?

C’est un problème de moyens. Quand on posait à F. Hollande la question : Pourquoi n’êtes-vous pas intervenu en Centrafrique malgré la demande du président élu Faustin Touadeira ? Il répond : « Je ne pourrais pas être au Mali et en même temps en Centrafrique » C’est encore plus le cas aujourd’hui avec la guerre en Ukraine ! La France a eu les yeux plus gros que le ventre, elle a déçu les observateurs. On a entendu certains africains dirent que les français parachutaient des armes aux djihadistes !
Il est indispensable en affichage que les bases de Libreville au Gabon et de Port-Boüet en Côte d’Ivoire par exemple soient franco-gabonaise et franco-ivoirienne. F.Hollande avait demandé une lettre écrite formalisant l’appel au secours de Bamako en janvier 2013 pour appeler la France à les défendre. On ne reproche pas l’opération Serval1 à la France mais Barkhane2. La présence française au Tchad mérite débat. Le Tchad n’est pas soumis aux menaces de ses voisins.

N’y a-t-il pas de négociations avec les djihadistes ?

Depuis 5 ans à Bamako, on a des tentations de négocier avec d’anciens fonctionnaires maliens passés au terrorisme. Il y a des contacts. Hollande puis Macron se sont insurgés parce que ces djihadistes ont tué des ressortissants français. Le GSIM3 veut imposer la charia partout et les djihadistes étendent leur contrôle. Des états basculent. Il y a une talibanisation de l’Afrique de l’Ouest. Entre 2020 et 2022 il y a eu 4 coups d’Etat militaires : Mali, Tchad, Guinée, Burkina-Fasso. Et des putchs dans le coup d’Etat comme au Burkina où Christian Kaboré a été renversé par un coup d’Etat en 2022 de la junte menée par Sandango Damiba. Huit mois après, Damiba est renversé par Ibrahim Traoré et s’exile au Togo.
Le coup d’Etat au Niger est un peu différent, car opportuniste : son instigateur Abdourhamane Tiani est un homme richissime et corrompu qui a pris le pouvoir pour protéger sa fortune alors que Mohamed Bazoum voulait mettre le nez dans ses affaires. Tiani n’a pas exclu les relations avec la France. Il acceptera peut-être de laisser le pouvoir dans quelques mois, il a eu de mal avec le chef de l’armée nigérienne.

Quel rôle politique joue l’Algérie en Afrique ?

La priorité de l’Algérie, son obsession, c’est sa rivalité avec le Maroc qui a réussi à se concilier l’Espagne et les Etats-Unis au sujet du Sahara Occidental. Elle veut avoir de l’influence en Afrique, elle reste incontournable avec ses frontières communes avec la Mauritanie, le Mali et le Niger. Elle tient à empêcher la présence des militaires français présents du Nord du Mali (Kidal) au Sud de Tamanrasset.
Elle est préoccupée du djihadisme d’origine algérienne affilié à Al Kaïda au Maghreb islamique, redoute l’instabilité au Sahel mais se satisfait des échecs de la France.

Quel rôle pour les mouvements migratoires ? Quelles relations entre la diaspora malienne en
France et les juntes ?

Les diasporas sont très embarrassées, surtout avec les visas qui ont été coupés. Elles essaient de faire obtenir plus de visas aux étudiants et espèrent une désescalade. Ce qui compte c’est d’être légitimés.

Quel rôle joue la Chine ?

Les Chinois veulent la stabilité pour commercer. Ils font appel aux forces qui sont présentes, au Mali, ce sont les Russes, au Sénégal, c’est encore les Français. Quand des Chinois sont pris au piège, ils demandent à la France de les évacuer.

Quelle est l’attitude de la population vis-à-vis des français ?

Cela dépend. Au Burkina, le président Burkinabé élu avait demandé à Hollande d’intervenir contre les djihadistes, mais de ne pas le faire savoir car la population ne croyait plus aux militaires français, pensant que si elle avait voulu éliminer les djihadistes, ce serait fait, donc ils pensent que les Français ne les tuent pas mais se contentent de les disperser. A Ouagadougou, les gens ne veulent plus de militaires au pouvoir, mais sont-ils capables d’éradiquer les djihadistes ? Y a-t-il une mobilisation forte dans l’armée contre eux ou bien une négociation cachée, on ne sait pas !

Et au Mali ?

La Charia est aujourd’hui appliquée au Mali. Il aurait fallu former l’armée malienne. On a failli si l’armée malienne a failli, l’Etat aussi, qui était faible et corrompu (des clans et une corruption majeure). La montée du djihadisme, c’est la faillite de 2 états. Le Niger était le contre-exemple : Bazoum utilisait fort bien une aide française et américaine.

Pourquoi la Grande-Bretagne est-elle bien vue en Afrique ?

Les Anglais n’ont pas besoin de l’Afrique. Ils ont leur langue. Ils interviennent, ils ont aidé Lagos en Sierra Leone lors de la guerre civile à se débarrasser des rebelles du RUF4 .Ils ont leur soft power.

D’après les études de l’Agence Française du développement et la presse économique africaine,
l’Afrique se développe.

Il y a 55 Afriques ! Au Sénégal, le sortant ne sera pas candidat, il renonce à son troisième mandat. Ce sera la 3ème alternance démocratique. Le Gabon est un autre exemple. En Côte d’Ivoire, Ouattara a donné une impulsion. Les pays qui ont « putché » sont enclavés, le port de Cotonou est leur débouché naturel. Ils veulent négocier une remise de peine de la CEDEAO5 qui impose des sanctions commerciales. Le Nigéria a coupé l’électricité au Niger comme moyen de pression contre la junte militaire qui a chassé Bazoum. Les troupes de Wagner soutiennent les putchistes au Mali mais n’ont pas que des succès. Ces Maliens sont dans une fuite en avant. En juin 2023, ils ont expulsé la MINUSMA de l’ONU, qui avait une mission de pacification, car L’ONU c’est pour eux l’Occident, et la junte malienne est soutenue par la Russie (et son droit de veto à l’ONU). A. Guterres en est « tombé sur les fesses» !
En Ouganda, grosse polémique sur un méga-projet de Total : un gros gisement près du lac Albert avec un oléoduc de 1500 km, les ONG et les écolos portent plainte (écocide), les populations y sont favorables.

Pourquoi les états africains ont-ils des armées qui font des putchs ?

Ils augmentent leurs armées, s’appauvrissent. Les djihadistes du Nord Mali, profitant des conflits inter-ethniques entre les Peuls et les Bambaras, de la région des Trois Frontières6 s’installent, grignotent, font tomber les régimes. Il y a un début d’Etat islamique qui provoque terreur et séduction vis-à-vis de la jeunesse.

Les relations avec les Touareg ?

La junte malienne est confrontée d’une part aux séparatistes de la CMA7 devenu MNLA8 de Bilal Ag Acherif et d’autre part aux djihadistes avec lesquels avait été signé un accord de paix en 2015 qui a été rompu, Bamako n’ayant pas tenu ses promesses de régionalisation et de désarmement de la région. Les Touaregs indépendantistes et les islamistes terroristes d’origine algérienne devraient se parler ! Il y a des complicités entre le MNLA et AQMI9. Mais l’Algérie ne veut pas de l’indépendance des Touareg. Et le Niger vient d’abandonner sa laïcité.
Les ressources financières des juntes, c’est l’or, les diamants, le coton. Pour contourner l’embargo du Mali, ils passaient par la Guinée-Conakry et la junte de Bamako donne cent millions de dollars par an à la milice Wagner, ils ont doublé le prix. Le pays s’enfonce dans la crise.

La Guinée-Conakry, que s’y passe-t-il ?

Il s’agit de ne pas se fâcher avec la France, c’est la leçon tirée de la période Sakou Touré, fâché avec la France, d’une cruauté incroyable et qui s’était rapproché de la Russie. Ils ont beaucoup souffert de cette fermeture. Ils sont pragmatiques. Aujourd’hui, c’est un colonel formé par la Légion étrangère qui est au pouvoir et promet des élections.

Et au Burkina ?

Le chef de l’Etat ou plutôt l’homme fort depuis 2022, c’est la capitaine Ibrahim Traoré : près de la moitié du territoire échappe au gouvernement et est sous la coupe de groupes djihadistes. Il a été au sommet Afrique/ Russie organisé par Poutine.

Quelle est la politique de Macron ?

Très directif, écoute peu. Quand il décide que l’ambassadeur de France et les troupes françaises doivent rester même si le nouveau pouvoir issu d’un coup d’Etat n’en veut plus, on a été dans le mur.

Pourquoi l’Europe s’intéresse-t-elle peu à l’Afrique ?

Parce qu’elle s’intéresse surtout aux pays qui se développent. Et les allemands ne veulent pas être les faire-valoir des français.

Que veulent les Etats-Unis ?

Remplacer la France dans sa zone d’influence. Entre Hollande et Obama, il y a eu un vrai partenariat. L’opération Serval s’était bien passé, avec ses 3000 ou 4000 hommes et de vieux avions, les américains avaient été impressionnés. Mais les échecs de Barkhane les ont déçus. Il y a divergence entre Paris et le Pentagone. La ministre C. Colonna s’en plaint.

1 2012-2013
2 2014-2022
3 Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans

4 Front Révolutionnaire Uni
5 CEDEAO, Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest

6 Mali, Burkina-Faso, Niger.
7 Coordination des mouvements de l’Azawad
8 Mouvement National pour la Libération de l’Azawad
9 Al-Quaïda au Maghreb Islamique

Compte-rendu de S.Cadolle.

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