M. Wieviorka, sociologue, a publié récemment « Métamorphose ou déchéance, où va la France ? »
Une question lui est immédiatement posée : « Comment quelqu’un qui est de gauche se saisit-il du terme de déchéance, qui est utilisé par la droite et même l’extrême-droite aujourd’hui ?
M. W. répond qu’il a souhaité éviter «déclin» ou «décadence». Ce livre cherche à éclairer l’actualité sans la commenter, livre issu du calme obligé du confinement et nous invite à regarder par en-haut l’Etat, et par en-bas la société.
L’Etat
Si on étudie l’histoire de l’Etat français depuis 1945, on observe une tendance qui s’accentue : celle d’une désarticulation de l’Etat proprement politique et de la haute administration. Il y a une dissociation entre ces deux faces de l’Etat avec des conséquences ennuyeuses. L’Etat administratif s’est alourdi. La décentralisation n’a pas abouti. On croit prendre des décisions, mais elles se perdent dans cet Etat gazeux, parfois même fangeux, avec des techno-bureaucrates qui ont un pouvoir énorme. Je n’ai pas rencontré ce que certains (plus ou moins complotistes) appellent « l’Etat profond » qui en secret exercerait le « vrai pouvoir », sauf peut-être dans le domaine militaire (un ingénieur général de l’armement truque quelquefois les chiffres) ou parfois au niveau local.
La société
On peut évoquer aussi la revendication de la liberté de décider soi-même le moment de sa mort (euthanasie)
Autour du dernier ouvrage publié par J. M. Guehenno, Le premier vingt et unième siècle (2021)
Dans ce premier vingt et unième siècle, on est passé de la globalisation à l’émiettement du monde. L’Europe a raté le virage de l’après-guerre froide. Elle n’a pas réalisé son projet.
En 1989, on est au bout d’un cycle où l’on avait le sentiment que l’individu pouvait tout. La crise actuelle n’est pas seulement socio-économique. Quelle légitimité ont aujourd’hui les communautés politiques ? Les électeurs sont peu convaincus. Il y a une crise démocratique. « Pour que la démocratie soit possible, il faut une société »
Nous sommes dans l’âge des données, révolution comparable à celle de la diffusion de l’imprimerie. Cela bouleverse la légitimité des savoirs avec leur diffusion. L’âge des révolutions a été précédé par une longue crise des légitimités. Nous sommes dans une nouvelle ère de destruction créatrice.
Lire le compte rendu →En 2017, P. Veltz avait publié « La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif ». Il y montrait
une nouvelle grammaire productive, très différente de celle du siècle passé, de plus en plus dématérialisée,
composée de services. L’industrie est mondialisée, le numérique change tous les secteurs. On passe d’une
économie des choses à une économie des usages.
Dans ce nouveau livre (2021), P.Veltz s’affronte « à une question existentielle, le défi écologique : nous
savons les causes et les effets de la crise climatique qui menace l’humanité de chocs bien pires que la crise
sanitaire actuelle. Nous savons l’évolution de nos économies et les transformations globales de nos
sociétés. Sans changements profonds nous courons à la catastrophe. Chez les climatologues, l’ambiance
est lourde. La situation est critique et va dominer les décennies à venir. La coupure générationnelle est
frappante : dans toutes les couches de la jeunesse, par ex. dans les écoles d’ingénieurs, la menace
climatique est la préoccupation la plus importante, alors que c’est une question parmi d’autres dans la
campagne électorale actuelle. Et on est noyés d’informations parcellaires et divergentes.
On peut signaler 3 impasses :
– Croire que le capitalisme soit disposé à « verdir » et qu’il assure la transition (en faisant des profits « as
usual ») avec les nouvelles technologies, l’esprit d’innovation.
– Le radicalisme selon lequel il faut supprimer le capitalisme sinon rien ne peut bouger, et instaurer un
gouvernement mondial, une révolution totale et partout.
– Le localisme : se concentrer sur des zones locales (ZAD) où on peut résoudre les problèmes, avoir son
éolienne et ses panneaux solaires, cultiver son jardin, faire son pain, etc. Penser qu’il faut oublier
l’industrie qui nous a menés dans le mur.
Or, on n’a pas le temps d’attendre la révolution, d’attendre que les conditions soient réunies pour un
gouvernement mondial et révolutionnaire. Ce radicalisme revient à une démission, à accepter la
catastrophe. Le temps nous est compté : la bifurcation doit se faire avant 2050, alors que le temps de la
démocratie est long : il faut construire un consensus. Pour cela il faut accepter le réformisme, bâtir un récit,
montrer la voie étroite avec des solutions. P. Veltz se désigne comme un ingénieur, pas un philosophe…
Les problèmes doivent être résolus à une échelle pertinente. Il faut revenir à une réflexion sur l’Etat et poser
les bonnes questions.
Le changement doit être profond : il y a consensus sur l’obligation où nous sommes de changer notre
système énergétique. Il faut qu’on sorte des énergies fossiles (zéro émissions Co2 net en 2050). Or, leur
niveau ne descend toujours pas, quand le changement doit être urgent : le Co2 s’accumule et le système
climatique s’emballe, la température va augmenter longtemps après l’arrêt des émissions, or chaque demi-
degré entraîne plus de casse, malgré puits de carbone, forêts, océans, quoi qu’on fasse.
Le problème est international. Bien sûr c’est l’Occident qui nous a menés là ! et la Chine et l’Inde ne vont
pas arrêter leur développement avant d’avoir rejoint le nôtre. Augmenter le prix du carbone, on a vu les
effets sociaux de la taxe carbone !
Comment rendre le changement socialement acceptable ? Cette mutation ne pourra se passer d’un
récit qui ne soit pas punitif, qui la rende désirable et juste. Il faut avoir une visions stratégique et positive.
On a un paquebot : il faut changer de trajectoire et de motorisation sans que les passagers soient
malades….
1. Il faut des politiques d’efficacité
On sait déjà faire plus avec moins d’énergie, moins de ressources, moins de pollution, plus de recyclage
possible. On a fait des progrès. La Chine est le premier émetteur global de carbone, mais, par tête, n’émet
pas plus qu’un habitant de nos sociétés en 1900. La gamme des Boeing 707 a gagné 70 % d’efficacité
énergétique depuis 1958. Les matériaux aussi, l’acier, le papier, le plastique, la recherche a permis
d’améliorer leur bilan énergétique. L’isolation des logements est commencée (pompe à chaleur) . Mais ça
ne suffira pas du fait de l’effet-rebond : les gains d’efficacité sont effacés par l’augmentation de la
demande, donc la consommation ne baisse pas.
Ex : On augmente le thermostat et on vit en T-shirt quand la maison est bien isolée et la chaudière dernier
cri de l’économie d’énergie.
– La canette de bière en acier est plus légère et recyclable mais la consommation s’est emballée. C’est un
mécanisme incontrôlable : les produits sont conçus pour être toujours plus vendus.
– Les fermes de serveurs informatiques sont moins énergivores mais se multiplient bien plus vite que les
gains d’énergie (augmentation exponentielle des videos en ligne)
– La mode est un secteur économique qui vit du renouvellement incessant et très polluant des textiles.
– La complexification technologique de tous nos objets, voitures, électro-ménager, équipement
informatique les rend très énergivores, bien plus fragiles, et exigeant des composants en minerais rares,
cette complexité étant source cachée d’augmentation de la consommation de matière/énergie étant
donné notre mode de vie.
Lire le compte rendu →Introduction. Dans la perspective des élections présidentielles et législatives de 2022 se pose la question : quelle gauche pour quels combats ? Si la social-démocratie s’est convertie à l’économie de marché, désormais comment doit-elle se définir et quelle stratégie doit-elle mener ? Face à la montée des populismes en France, à la tendance à la droitisation, au désengagement des classes populaires et à la dispersion des candidats, comment éviter une stratégie d’échec programmé ? Le sujet est au cœur des préoccupations de Terra Nova et des courants de gauche.
I. Pour Thierry PECH, tout d’abord il convient d’effectuer un retour sur la note de Terra nova du 10 mai 2011 qui préconisait que la gauche se détourne de l’assise électorale des classes populaires et s’appuie sur le nouvel électorat urbain composé des diplômés, des jeunes, des femmes, des minorités des quartiers populaires, unifiés par « des valeurs culturelles progressistes ». Thierry Pech a pris ses distances avec cette position et a pris la direction de Terra Nova en 2013 « sous bénéfice d’inventaire ». Son analyse repose sur le constat que la gauche ne comprend pas ce qui s’est passé en France depuis 20 ans. Pourquoi assiste-t-on à la désaffection des classes populaires envers la gauche ? Pourquoi les classes populaires ont-elles disparu du discours politique ? Pourquoi les hommes de gauche cherchent-ils toujours les ouvriers et les populations de gauche ? Pour Th. Pech, la gauche ne sent plus le concret du peuple : Michel Rocard voulait entendre le bruit de la craie sur le tissu en même temps que le dessin se traçait, mais la gauche ne parvient plus à sentir la réalité du peuple en énonçant ses discours. Au contraire, par exemple, un homme comme François Ruffin, lui, donne la parole au peuple.
La note stratégique de Terra Nova de 2011 constatait que la coalition entre classes moyennes et classes populaires était en crise en particulier en ce que les ouvriers se sont détachés de la gauche et que les classes populaires s’en sont éloignées. Dès lors que les classes populaires sont perdues pour la gauche, il apparaissait inutile de courir après et, plutôt que de les chercher, il faut tabler sur d’autres groupes sociaux, les jeunes, les femmes, les diplômés, les minorités des quartiers populaires, les employés…Toutefois, le constat était en réalité plus complexe qu’il n’était formulé, en ce sens que, miser sur ces groupes sociaux n’est pas s’écarter des classes populaires, mais miser sur les groupes sociaux qui comptent le plus.
Thierry Pech n’adhérait pas à cette analyse considérant d’une part, que les ouvriers n’abandonnaient pas réellement les valeurs de gauche ni ne votaient à droite ; il observait qu’en réalité les voix perdues par la social-démocratie n’allaient pas à l’extrême droite, mais vers d’autres formations, socio-libérales ou centristes, en France et aussi ailleurs… D’autre part, les catégories nouvelles sollicitées pour constituer les nouveaux groupes au soutien recherché sont des catégories tout aussi rudimentaires que celles que l’on voudrait écarter ; il n’y a pas de distinction nette entre « outsiders » et « insiders ».
Quel est alors le problème ?
L’on a assisté à un profond bouleversement des catégories sociales [1]: les ouvriers représentent aujourd’hui 20 % des emplois, contre 30 % dans les années 1980 et 40% dans les années 1950, en raison de la très forte réduction du secteur industriel en France. Par ailleurs, les ouvriers non qualifiés sont passés en 40 ans de 30% à 15 % de l’emploi ouvrier. Les ouvriers d’aujourd’hui sont des qualifiés, guère identifiables comme ouvriers, ni par eux-mêmes, ni par la gauche; plus 60 % d’entre eux ne travaillent pas dans l’industrie. Ce qui s’est joué est le déplacement des ouvriers vers d’autres catégories dans des secteurs où se sont multipliés de nouveaux autres emplois en dehors de l’industrie et qui se trouvent dans les petites entreprises: chauffeurs, caristes, cuisiniers, serveurs, maçons et ouvriers du bâtiment que la gauche, comme la droite, ne connaît pas bien.
Les nouvelles catégories qui se sont développées sont les fantômes du discours politique et sont manqués par la gauche. Depuis 30 à 40 ans, on assiste à une transformation du monde social où se sont développés la restauration, l’hôtellerie, le transport, le monde du social et de multiples services… dans lesquels travaillent les employés, parmi lesquels 77 % de femmes ; les emplois de ces secteurs sont notamment ceux de vendeurs, chauffeurs, chauffeurs-livreurs, hôtesses… Ce monde est caractérisé par une individualisation des relations d’emploi car ce qui importe est la qualité des prestations, les relations humaines, la qualité et le talent personnels des agents, la confiance des clients…Le rapport de production a changé et est souvent écarté.
Par ailleurs, s’agissant des classes moyennes, depuis 40 ans, l’on a assisté à une énorme ouverture de leur part. Le temps où le père de Jacques Delors ne voulait pas quitter le bleu n’est plus. L’on a assisté à une sortie des classes populaires vers les classes moyennes. Les enfants des classes populaires vont au lycée, à l’université (voir les ouvrages de François Dubet). Les femmes aussi, en particulier, sont sorties des classes populaires pour gagner la catégorie des employés. En outre, l’interaction sociale est de plus en plus importante avec les autres milieux sociaux. La consommation de masse s’est répandue en tous domaines, accès à la propriété, confort domestique, véhicules…Toutefois, il existe une grande hétérogénéité au sein même des classes populaires où la double représentation inégalitaire dominants/dominés demeure.
Que dit la gauche devant ces évolutions ? Des discours classiques sur l’égalité, la liberté…Elle « n’entend pas le bruit de la craie sur le tissu » donc le concret de la vie. Parmi les hommes politiques, personne ne vient de ces milieux (voir majorité LREM). Ainsi, les classes populaires doutent quand les candidats et les élus se distinguent d’eux…
Lire le compte rendu →« La notion de Sécurité Globale, «Global Security», est l’objet de dizaines de commissions
internationales, mais est ignorée en France où elle est confondue avec les problèmes de police.
« Il faudrait rebaptiser le titre de cette conférence sur la géopolitique. Les puissances
mondialisées dont les relations internationales forment la géopolitique, je n’y crois plus. Je me
révolte contre l’usage excessif de la géopolitique ».
Ce mot a une histoire, qui commence en Allemagne en quête d’unification au 18-19° siècle. Dans
le monde westphalien (après le traité de Westphalie ,1648) s’est formée la première carte durable
de l’Europe. Ce sont alors les relations inter-étatiques qui comptent. Les principes :
– Principe de territorialité : les frontières du territoire marquent la souveraineté, la compétence
de l’Etat qui assure la sécurité. On a besoin du Souverain (le Leviathan) pour organiser la
sécurité et éviter la guerre de tous contre tous.
– Le choc des puissances : c’est l’idée d’une compétition entre Etats souverains et pour
organiser leurs relations, il y a la guerre. Hobbes avec Le Léviathan (1651) est le fondateur de la
politique internationale. Entre puissances, c’est la course à la puissance. La paix c’est l’avantguerre, l’entre-deux guerres. Hobbes prône donc l’équilibre des puissances pour prévenir
l’attaque par un voisin. C’est ce qui s’est passé en 1945 et avec la Guerre Froide : la solution
de l’équilbre thermonucléaire.
Mais c’est fini sauf dans la tête des dirigeants !
Ex : Les printemps arabes, les guerres civiles (Libye, Syrie), qui deviennent éventuellement des
conflits inter-étatiques après.
Est-ce que la puissance mène encore le monde ? Les guerres ne se gagnent plus. Et souvent
c’est le plus faible qui gagne ( Vietnam 1975, 25 août 2021, etc.)La puissance est impuissante.
Après la guerre en 1945, les USA vainqueurs pensaient que la puissance écraserait le Mal,
sauverait le monde, et universaliserait la démocratie. Les descendants des pèlerins du Mayflower
se voyaient un rôle messianique. Ils prolongeraient partout le système européen d’états
souverains appliquant le droit international, obéissant à Hobbes.
Lire le compte rendu →
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