EXPOSE
Le vote FN est apparu en 1984 soit depuis 31 ans. Difficile à admettre sur une telle durée qu’il ne s’agisse que d’un vote de mécontentement.
Trois zones privilégiées : le Nord-Est, la zone méditerranéenne, le long des fleuves apparaissent avec une grande constance. Mais vote très contrasté au niveau des communes.
S’agit-il du fonds historique de l’extrême droite ? L’évolution des cartes des votes d’extrême droite depuis 1889 (Général Boulanger), jusques qu’au vote « Tixier Vignancourt » de 1979 ne montre aucune corrélation.
Mais corrélation dans le temps depuis 1875 avec les cartes de « motivations » axées sur l’immigration et la sécurité qui sont effectivement les marqueurs affichés par le FN.
Que se cache-t-il derrière cela ? 0n a étudié la question dans deux zones caractérisées par un habitat plus ou moins groupé : la Marne, 80%, ou l’Ile et Vilaine, 20%, pays d’enclos et de bocages soit deux zones de sociabilités très différentes réagissant en sens inverse aux changements apportés par la modernisation (motorisation). On cherche à se rassembler à l’Ouest, à s’isoler à l’Est ou une culture fondée sur des rumeurs s’installe plus volontiers et où la criminalité est inversement proportionnelle à la largeur des rues,. De même sur les axes de grandes circulation (fleuves).
À l’Ouest le FN est arrêté par le bocage. Au dessus de 150 m d’altitude, il ne passe plus.
Tout cela est assez enraciné et il n’est pas facile de réagir.
Le FN change à partir de 2002 car s’il ne fait que 1,5% de mieux au 2ème tour de la présidentielle, c’est qu’il a fait le plein de ses voix. En 2007, Sarkozy réalise un hold up sur le FN. Le « pompage » est surtout important dans les grandes villes. Une nouvelle carte apparaît qui oppose les centres ville importants et leur périphérie.
En 1986 en Bretagne, le vote FN est un vote maritime et la carte du PC, très traditionnelle, colle avec celle de la pratique religieuse. En 2014 le FN pousse à l’intérieur des terres et cherche une clientèle apparue au loin des villes (zones périurbaines) et en effet on voit que si les étrangers sont plus nombreux au centre de l’IDF par exemple, le vote FN montre l’inverse.
Qui habite dans la zone périurbaine ? Des gens à la limite de leurs possibilités, menant une vie plus risquée. Il y règne l’anomie propre aux déracinés qui touche les milieux les plus fragiles (inégalités locales, taux de chômage, proportion de jeunes sans diplômes, familles monoparentales)
Si l’on essaie de faire la synthèse par canton, on a quelque chose qui ressemble au FN mais avec un vote plus faible dans les villes où il y a des possibilités de changement. C’est la carte des cantons où il n’y a plus de possibilités d’ascension sociale. C’est une illustration du paradoxe de Saint Petersbourg fondé sur la différence entre les probabilités mathématiques et les probabilités ressenties : les jeunes qui migrent vers la ville estiment avoir une chance de gagner.
Pourquoi ce manque de perspectives alors qu’il y a une mutation profonde de l’enseignement (En 1960, 25% de jeunes ont au moins un CAP contre 65% aujourd’hui). On a plus de perspectives avec un niveau d’instruction élevé mais une situation comparativement moindre que ce que leurs parents auraient obtenus avec le même niveau de formation. D’où beaucoup de frustrations et de ressentiment d’injustices dans la compétition pour les emplois.
Il y a eu un reflux du FN dans les régions qui se portent le mieux mais le terrain a été repris entre 2012 et 2015 avec l‘inflexion de la stratégie apportée par Marine Le Pen (MLP) en direction des classes moyennes (On veut montrer que le FN peut gérer des villes importantes. On cherche à séduire des intellectuels…). Bref une 3ème vague serait en marche. Les sondages donnent le FN à 26%. On verra dans deux mois ce qu’il en est
DEBAT.
.Q1. Peut-on dire que le vote FN est celui de la désespérance ?
R. En partie seulement. C’est plutôt celui du manque de perspectives. Le vote des chômeurs n’est pas différent de ceux qui ont un emploi. La différence est nette entre d’une part les centres ville où les immigrés sont là et comme les autres et d’autre part la grande périphérie où il n’y en a pas mais où les gens en voient dès qu’ils utilisent les transports. Ni trop près, ni trop loin, les rumeurs peuvent circuler et les fantasmes prendre corps. Dans les campagnes on assiste au développement de l’anomie (isolement) lié à la fin de la petite paysannerie traditionnelle.
Q2. A-t-on étudié l’influence du langage du FN ?
R. Il ne s’agit pas uniquement du langage. Avec JMLP l’accent était mis sur une économie très libérale alors que MLP réintroduit l’État dans son discours. Ceci dit je ne connais pas d’analyse permettant d’expliquer les différences rencontrées.. Les politiques s’adaptent à ce qu’attendent les électeurs et le FN a une écoute d’autant plus forte qu’il ne s’astreint pas à beaucoup de logique.
Q3. Pourquoi le FN fascine-t-il autant alors que leurs positions ne tiennent pas la route ? Comparaison avec la carte de l’ultragauche ? Quels arguments donnez-vous pour réagir contre l’extrême droite ?
R. la carte de Mélenchon est proche de celle de Hollande. Mais pas de rapport entre vote extrême gauche et vote FN. On disait le FN monte là où le PC descend, mais ce n’était pas vrai. Mais avec la nouvelle stratégie de MLP la carte du FN commence à ressembler à celle du PC.
Pour le reste, le point important est le hiatus entre le niveau d’emploi et celui des diplômes. Pas de solution à court terme. Il faut sur le moyen terme donner des perspectives.
Q4. Le problème du hiatus entre niveau des diplômes et niveaux d’emploi va être beaucoup plus visible en Afrique.
R. Au Maroc le taux de chômage des diplômés est supérieur à celui des non diplômés. Importance des liens avec « le Palais ».
Q5. C’est dans les zones les plus « agglomérées » que le FN progresse le plus.
R. oui, mais depuis 2012 et la nouvelle stratégie.
Q6. Comment votent les gens en fonction de leur histoire familiale vis à vis de l’immigration ?
R. Les descendants des immigrés votent FN comme les autres. JMLP s’est vanté d’avoir le plus d’anciens immigrés dans ses électeurs. « On donne la nationalité au rabais » a-t-il coutume de dire.
Q6. La diffusion des idées du FN sur l’immigration fait son chemin. Dans mon village catholique de 2000 habitants dans l’Aveyron à 800 m d’altitude hors zone FN, on avait coutume de dire qu’il y avait beaucoup de « marseillais » dans le village. Maintenant on entend « C’est plus des marseillais, c’est Alger ».
R. L’augmentation des votes FN est peut être liée aux « marseillais » ! C’est dans les communes où il y avait le plus de brassage des populations que l’on vote le plus pour le FN. Dans l’Est, les « voisins » sont devenus les « étrangers ». Très peu d’études sur les rapports de voisinage. Lorsque le voisinage est perturbé, il y a malaise. Le rêve du pavillon est beaucoup plus fort que la crainte de l’algérien.
Q7. A-t-on étudié la corrélation entre montée du chômage et montée du vote FN dans les différentes communes ? Pourquoi Podemos monte-t-il en Espagne et le FN en France ?
R. L’immigration est remplie d’idées fausses. De 1986 à maintenant aucun progrès dans l’argumentation. On ne peut pas le combattre par la raison. Depuis 5 ans le solde de l’immigration est de 40000p/an et on continue à parler d’invasion. C’est qu’il y a quelque chose d’autre derrière.
Le chômage, oui, mais ce n’est pas la seule cause : la carte du chômage n’a pas beaucoup changé depuis 1982. En Autriche le chômage est très faible. Pas d’enquêtes précises sur les anciens immigrés. L’INSEE publie tous les trois ans une étude sur « Immigrés et enfants d’immigrés ». Les enfants d’ouvriers immigrés (hors de l’UE) sont souvent plus diplômés que les enfants d’ouvriers non immigrés. Mais les nouveaux arrivés sont perçus comme des concurrents.
Pour l’Espagne, les pays qui ont connu le fascisme ne veulent pas se ranger à droite.
En Grèce, 1/10 grec est mort en 1942 et pourtant Aube Dorée est ouvertement hitlérien.
Pour CPNT il y a eu un effet rapide de bouche à oreille, puis cela s’est arrêté. Même effet de flash avec Devilliers. On a sans doute un phénomène semblable avec Podemos. Un moment très court de surprise sur la base de circulation de rumeurs. Histoire différente pour les grands partis qui ont une carte d’implantation à évolution lente.
Gérard Piketty
Sur la base de notes prises
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