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04/01/2016 - La famille enjeu d'avenir pour l'Église - Danièle Hervieu-Léger

Exposé
Nous sommes face à un éclatement probable du « système » catholique en général. Il est difficile de penser la diversité catholique mais cette fragmentation menace la survie de l’institution, menace forgée par sa résistance à la modernité démocratique, aux droits de l’homme etc…
Le modèle de l’intransigeantisme catholique s’est bâti dans la foulée de la révolution française en réduisant les courants libéraux. Ses deux manifestations emblématiques sont le Syllabus en 1864 qui dénonce les errements du monde moderne et le dogme de l’infaillibilité pontificale de 1870.
Il se fissure très vite par les succès de la science moderne et la mise en place de l’école démocratique qui élève le niveau d’instruction générale du peuple, non sans provoquer en réaction le raidissement du modèle, avec Pie XII notamment.
L’effondrement s’accélère sous la pression des revendications d’autonomie. Vatican II (1962) est le résultat d’un effort pour y répondre en desserrant le carcan théologico-politique de l’intransigeantisme (déclaration sur les libertés religieuses). Il représente une ouverture mesurée à l’autonomisme. Il ne prétend plus à la régie du monde. Le mythe de la chrétienté s’effondre mais il prétend encore à exercer un magistère éthique.
Ce déplacement ne sauve en rien la situation. La dissidence lefebvriste est un fait majeur. Le concile n’a pas enrayé le hiatus entre vie civile et l’église (cf. Humanae vitae de 1968). Cette distance culturelle atteint directement la matrice civilisationnelle (sic !) bâtie pendant des siècles de « l’État moral et enseignant » par lequel l’Église continuait à s’adresser à tous.
Au delà d’un petit noyau de fidèles, les autres ne savent même plus ce dont elle parle. François Dubey va jusqu’à faire un parallèle entre la décomposition scolaire et celle de l’institution. Plaider que les « forces vives » sont ailleurs est une fiction : la vague évangélique minorise l’église catholique. Le « système catholique » est fragilisé par le catholicisme occidental.
Cette fragmentation (cf Lefebvre) est l’obsession des derniers pontificats : avec Jean Paul II – pontificat de l’escamotage charismatique de la question par l’incarnation de l’unité sur sa personne charismatique – on assiste à un émiettement de la collégialité. Benoît XVI – l’histoire lui rendra justice – engage la réforme de la Curie et cherche à retrouver l’unité avec les lefebvristes grâce à une production intellectuelle de haut niveau mais déconnectée de la réalité.
Une lourde charge d’attente pèse donc sur François qui a pour lui d’être un pape « venu d’ailleurs » mais jusqu’à un certain point car l’Argentine est venue d’Europe et plutôt que d’un monde « de l’ailleurs », il s’agit d’un monde écartelé.


Il a aussi pour lui une expérience pastorale riche et aucune expérience curiale, mais il bénéficie là d’un adossement à la Compagnie de Jésus, puissance en réseau à l’échelle planétaire.
Il a surtout pour lui un style planétaire avec une option stratégique : quitter le magistère normatif pour laisser la place à l’expérimentation. Grand écart permanent entre une réforme nécessaire de la Curie et la reconnaissance de la capacité d’autonomie des communautés chrétiennes mais sans casser le centralisme du « système ».
Il n’est pas étonnant dans cette perspective d’avoir voulu un synode sur la famille car elle est la pierre angulaire de la construction du « système ».
Il faut ici faire un retour sur le mariage et la famille catholique. Le mariage chrétien est une invention récente. Jusqu’au XII-XIIIème siècle, il n’y a pas de théologie du mariage chrétien mais une lutte de l’Église contre le mariage romain étendu largement au moyen âge pour empêcher les legs à l’église ; lutte aussi contre la sexualité toujours adossée à l’infériorité de la femme et à son exclusion.
En 1215 le concile du Latran IV établit la discipline du mariage chrétien en parallèle avec une remise en ordre du clergé. La femme doit exprimer publiquement son consentement reçu par le prêtre pour vérifier qu’elle n’est pas contrainte. La notion de couple encore inexistante n’apparaîtra qu’au XVIème siècle. La famille devient alors la figure de l’église idéale mais à l’intérieur d’un « système » maintenant la femme en état d’infériorité et avec le développement de la figure du prêtre. De là va dériver le modèle européen de la famille prévalant du XVIème au XVIIIème siècle. La modernité du XVIIIème siècle le reprendra à son compte en le faisant survivre à la laïcisation de l’État. L’autonomie moderne va donc s’arrêter au seuil de la famille. Au XIXème siècle, l’Église confrontée à la modernité laïque consolidera le modèle bourgeois du mariage adossé au modèle chrétien du mariage et cherchera à reprendre son empire sur les âmes.
Cette affinité ne sera mise à mal que dans les années 1965-75 avec le divorce par consentement mutuel, tournant aussi important que celui de la révolution française et dont la clé est la contraception et la libéralisation de l’avortement.
L’Église devient alors prisonnière de l’endossement des « lois de la nature » au début du XXème siècle : la loi naturelle est de plus en plus superposable aux lois de la Nature (Dieu se manifeste dans l’utérus de la femme fécondée). En résulte de nouveaux interdits dont celui de recourir à la PMA pour un couple.
Ce discours met la catholicité en porte à faux :
• par son approche irréaliste de la sexualité
• par la fragilité de son discours sur la science
• par une surutilisation du modèle familial pour constituer la communauté ecclésiale.
Il crée une contradiction pratique entre la famille relationnelle et la famille catholique ainsi qu’en amaigamant la position du clerc avec l’autorité du prêtre.
Bref la famille est le problème crucial et non seulement moral. Mais comment faire évoluer sa position dans ce domaine sans menacer toute l’institution ecclésiale ?
Comment François manœuvre-t-il ?
1. Il a commencé par mettre en place de petits aménagements pratiques ne remettant pas en cause le droit canon.
2. Il se place sur le terrain de la miséricorde qui n’est pas celui de la tolérance mais est l’argument évangélique pour se mettre en retrait du terrain normatif.
3. Il veut faire la démonstration d’une alternative possible au dispositif dogmatique par une certaine manière « d’habiter le monde » (cf l’œuvre majeure de Christoph Théobald : le « « Christianisme comme style ») en somme par le passage d’une religion du dogme à une religion du style.
Débat
Q1. Je suis frappé par le désir de conserver un consensus mondial sur la famille.
R. Le pape n’a rien validé des conclusions du Synode. La pluralité catholique explose parce que le système ne tient plus. Il y aura une deuxième étape pour traiter du clivage majeur entre ceux qui tiennent à une religion du dogme et les autres. Il y a une prime au dogmatisme aujourd’hui : moins on en sait sur le catholicisme, plus on est radical. On veut un catholicisme ostensible, repérable. La cause en est une grande inculture religieuse.
La diversité culturelle existe mais le clivage est central. L’Argentine est l’archétype de la recherche d’une hyper modernité culturelle et en même temps d’un traditionalisme radical.
Q2. L’encyclique « Laudato si », saluée par Edgar Morin comme une providence, traduit une « nouvelle façon d’habiter le monde souhaitée par François. Est-ce vraiment une chance pour l’Église ?
R. C’est une encyclique atypique. Elle prend effectivement acte qu’il faut habiter le monde autrement. Le texte est novateur en ce qu’il déplace l’enjeu même d’une encyclique. Est-ce suffisant pour faire face à la remontée du dogmatisme ? Non. Notamment chez les jeunes. Il faut accepter la complexité du monde. Le péril mortel pour l’Église est le simple.
Q3. Femme, j’ai été élevée dans un catholicisme rigoureux. Si le Christianisme est un style de vie, Bravo ! Mais c’est difficile à porter (poids de la liberté, « fatigue d’être soi »…)
R. oui.
Q4. Avec le christianisme comme style pour contourner le dogme, le dogme va-t-il prendre de la poussière ?
R. Le christianisme comme style est en contradiction complète avec l’église du dogme. Comment remonter la surenchère dogmatique du XIXème siècle ? Remonter aux sources. Le propre du religieux est d’offrir une représentation compacte de la continuité. D’où la fascination pour le religieux.
Q5. Dire que le christianisme est une façon d’habiter le monde, n’est-il pas une proposition protestante ?
R. La réforme protestante a mis à mal la « double éthique » en affirmant que le croyant est appelé à faire son salut dans le monde à travers sa situation dans le monde. D’où le puritanisme de l’entrepreneur protestant. Le catholicisme a préservé une morale pour les « virtuoses » du religieux et une autre pour le reste. Cette sortie du monde est réévaluée dans le protestantisme par une réflexion sur l’écologie et sur une alternative au modèle économique dominant. Contrairement au passé, le monachisme a une place importante dans cette réflexion. On croise effectivement ici un enjeu œcuménique.
Q6. Lors du forum social de l’église qui s’est tenu à Tunis, quelqu’un du Vatican a dit que chrétien doit jêtre exemplaire mais a recommandé la discrétion aux chrétiens de Tunis. Qu’en pensez-vous ?
R. Cela met en évidence la centralité de la question de l’hospitalité dans ce tournant stylistique.
Q7. N’y a-t-il pas malentendu sur le dogme ? L’interdiction de la contraception n’est pas un dogme. L’infaillibilité pontificale est due à un abus de la perception de l’infaillibilité du pape. L’indissolubilité du mariage est autre chose.
R. Je ne suis pas sûr que le catholicisme romain puisse survivre à l’ordination des femmes car on sortirait du modèle hiérarchique.
Q8. La liberté religieuse proclamée par Vatican II est totalement opposée au syllabus. Par ailleurs en référence à la dernière question, l’exemple anglican n’est-il pas de nature à nuancer votre conclusion ?
R. C’est un effet du pragmatisme anglais et les prêtres anglicans sont mariés. On ouvrira peut-être le diaconat aux femmes. Pour aller plus loin, il faut d’abord en passer par le mariage du prêtre. Or la caractère sacré du prêtre est lié à la masculinité, à l’image du Christ.
Q9. La raison qui a poussé l’église à s’opposer à l’adoption est-elle la même que celle qui y a conduit l’Islam ?
R. La pratique de l’adoption condamnée au Moyen Âge mais a été reconnue au XVIème siècle. On en trouve des traces dans le droit Canon au XIXème siècle qui s’oppose à la filiation biologique. Le mariage pour tous est la fin du mariage gageant la filiation.
Q10. À Rome en novembre on a vu une convergence très forte vers les fondamentaux par opposition au recours aux dogmes.
R. La problématique stylistique n’est pas une quête vaguement syncrétique. Elle se comprend dans la continuité d’une lignée mais autrement.
Q11. Le « nouveau style » condamne-t-il le libéralisme et s’inscrit-il dans le sens des écologies alternatives ?
R. L’antilibéralisme est naturellement catholique (détestation des autonomies) et structurellement partie de l’intransigeantisme catholique mais il y en a deux visions : l’intransigeantisme traditionnel et celui dérivant de la progression de la théologie de la libération.
On voit émerger une critique de ces logiques mais il faudrait plutôt réinventer une valorisation du libéralisme des Lumières. Inquiétude palpable de l’épiscopat français face à ce simplisme dogmatique.
Gérard Piketty

 

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