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07/10/2002 - De l'exception culturelle à une politique de la culture, quelles missions pour les pouvoirs publics ? - Xavier Merlin, directeur des affaires internationales au Centre National du Cinéma

De l’exception culturelle à une politique de la culture. Avec Xavier MERLIN. 7 octobre 2002
Exposé
Au plan juridique, l’ « exception culturelle » n’existe pas dans les accords internationaux de 1994 dits GATS (en français : Accord général sur le commerce des services) qui incluent entièrement l’audiovisuel sans aucun statut spécifique. Ces accords rentrent désormais dans le champ de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette disposition générale est irréversible.
De fait, l’opinion a raccourci de façon excessive l’expression généralement acceptée « la culture n’est pas une marchandise comme les autres » en « la culture n’est pas une marchandise », car il y a effectivement une dimension commerciale de la culture.
Cela ne veut pas dire qu’elle ne pose pas de problèmes à certains. Ces problèmes se focalisent largement sur le cinéma pour des raisons à la fois d’inégalités de concurrence flagrantes et de nécessité reconnue de faire vivre les cinémas des différentes cultures. Déjà en 1947, l’accord GATT (General agreement on tariffs and trade) le reconnaissait dans un article 4 consacré au cinéma, posant des dérogations aux principes fondamentaux de l’accord et autorisant des contingentements.
Dans la négociation en 1993 ( dite « Uruguay round »), les français, en parlant d’ «exception culturelle », ne demandaient aucunement de sortir la culture du champ de l’Uruguay round. Cela n’a été compris par notre opinion où l’expression a fait florès.
Un débat passionné en a résulté dans notre pays : les enjeux liés au rapport entre Culture et Commerce doivent-ils être traités uniquement par l’OMC qui dispose au demeurant de pouvoirs considérables pour juger des différends et sanctionner les fautifs et est très respectée par ses membres pour son objectivité ?
Ce débat a vite été perçu de l’extérieur comme un débat purement franco-français. Pour se sortir de ce piège, nos négociateurs lui ont substitué le concept de « diversité culturelle », bien compris par de nombreux pays. Il recouvre à la fois la question de la diversité de l’offre et celle de l’accès à cette diversité. Malgré son caractère un peu flou et ambigu, il a permis de réouvrir le dialogue avec nos partenaires internationaux.
L’accord international sur les services est basé d’une part sur la négociation permanente : à peine un « round » (qui peut prendre plusieurs années) est-il terminé qu’un autre sera ouvert ou chacun sera invité à faire un pas de plus ; d’autre part sur un principe de liste : chaque membre doit finalement produire une liste de services qui font l’objet d’un engagement irréversible de libéralisation basé notamment sur l’impossibilité de toute discrimination les concernant. Si tel domaine de services n’est pas mis sur la liste d’un pays, il doit le compenser par l’inscription d’un autre domaine (par exemple les services postaux).
L’engagement de libéralisation étant par nature incompatible avec une politique culturelle, la France a réussi, mais très difficilement, à obtenir en 1994 de l’Union Européenne, seule à intervenir dans la négociation, que le secteur culturel (en fait l’audio-visuel) ne soit pas porté sur sa liste. Sur 135 membres de l’OMC à l’époque, seuls 19, dont les USA, ont pris un engagement de libéralisation. En ce sens on peut dire qu’à l’époque « l’exception fût la règle » !
Aujourd’hui les 135 sont devenus 144 et tous les nouveaux venus ont opté pour la libéralisation. Au niveau européen, autant les pays-membres comprennent que le cinéma ne figure pas sur la liste, autant ce n’est pas le cas pour la musique alors que dans la négociation cinéma et musique sont mis dans le même sac de l’audio-visuel. Autrement dit, le bien-fondé de la position de 1994 est moins solidement admis aujourd’hui. Au plan français, le débat transparaît aussi dans l’attitude hésitante de Vivendi. Il se résume ainsi : entre tout libéraliser et ne rien libéraliser, il doit bien y avoir moyen de faire prévaloir un juste milieu disent les partisans d’une ouverture. La difficulté est que rien n’est jamais fixé à l’OMC, la dynamique poussera au round suivant à une remise en cause de l’équilibre obtenu. La schizophrénie de beaucoup d’Etats-membres explique que la France se trouve dans une position de plus en plus dure à tenir en Europe : sauf en France, les ministres des finances ignorent dans l’ensemble ce que disent les ministres de la culture.
Dans l’Union européenne, la place de la culture dans les traités qui la fondent est minime : il peut y avoir une politique culturelle mais son objet est limité et flou. L’essentiel est rejeté au niveau des pays au nom de la subsidiarité. On y parle de diversité culturelle de façon vague. Seules des dispositions favorisant la circulation des œuvres dans l’Union en ont résulté pour briser le comportement nationaliste des distributeurs. C’est le cas de la directive « télévision sans frontières » ou du programme « médias » qui disposent de moyens modestes pour leur mise en œuvre.
Du fait de ce vague, les politiques nationales sont souvent mises à mal par la Commission au nom d’autres règles du traité (par exemple au nom de la concurrence loyale entre films européens, on aboutit peu ou prou à gêner la création de films dont on encourage par ailleurs la circulation dans l’Union !). Une révision générale du dispositif est prévue en 2004 par la Commission.
L’économie du cinéma a fondamentalement changé. Il y a 50 ans, les cinémas nationaux vivaient sans subventions et circulaient sans aide. Aujourd’hui, tous les pays de l’Union sont obligés de subventionner le cinéma face à un cinéma américain qui a la capacité unique de pouvoir amortir ses films sur son seul marché où les barrières invisibles aux films étrangers sont très fortes. Ils souhaitent à la fois continuer de le faire et…avoir la peau de la Commission. Finalement le débat intra-européen est très compliqué.
En France, le CNC (Centre national de la cinématographie) est un établissement public, sans conseil d’administration, créé en 1946, rattaché alors au ministère de l’industrie, puis en 1959 à celui de la Culture. Il prépare la réglementation et gère, ou plutôt co-gère avec les professionnels, le comte de soutien (COSIP) alimenté par une taxe sur toutes les entrées en salle (0,9 E/place), sur les videos et sur les publicités. 1,5 milliards de Francs subventionnent ainsi la création cinématographique par un soutien proportionnel aux entrées sur les seuls films européens, et un soutien spécifique pour les films dits Qualifier ce dispositif de protectionniste serait abusif d’autant que près de 70% de la diffusion en salle est d’origine américaine. Il n’en est pas moins incompatible avec un engagement de libéralisation qui serait pris dans le cadre de l’OMC.
Débat.
Q1 : le cinéma anglais est-il subventionné ? R : Oui, à partir de la loterie nationale qui alimente le « Film Council ». Celui-ci et le CNC grâce à leurs moyens respectifs peuvent monter des coopérations intéressantes.

Q2 : France 2 est difficile à distinguer de TF1 ; l’effet culturel des quotas à la télé est limité (répétition des best-sellers), l’origine nationale ou non des capitaux ne joue pas, le câble offre des chaînes très intéressantes : que se passerait-il si on libéralisait toute la télé ? R : la 5 et Arte font un réel effort de diversité culturelle, alors qu’il est vrai que les chaînes du service public ne font pas d’efforts pour promouvoir des films européens. Quant au câble et au satellite, on ne peut les opposer au service public car ils ne concernent encore qu’une minorité. Il faudrait donc plutôt chercher à faire une véritable chaîne de service public. S’agissant des quotas et de la lutte contre les séries US, un gros effort a été fait pour développer une industrie de l’audio-visuel. Par ailleurs si on revoit (trop) les mêmes films pour satisfaire aux quotas, c’est de la responsabilité des chaînes. On a voulu leur indépendance. On l’a et il faut jouer dans cette cour !

Q3 : L’effet de cliquet à l’OMC ne peut durer éternellement. Ne peut-on remettre en cause le fait que la dé-consolidation des engagements déjà pris par chaque pays, est en pratique impossible ? N’est-il pas aussi préférable, compte tenu de la complexité du débat intra-européen, de continuer à faire jouer au maximum la subsidiarité ? R : Il y aura bien sûr un essoufflement de la dynamique de négociation au niveau de l’OMC. On en est pas là : 144 pays doivent se mettre d’accord et les PED sont très contents d’y être. Quant à la subsidiarité, d’accord bien sûr mais reste le problème des interférences entre les politiques nationales et les politiques de base des traités (concurrence…)

Q4 : Différence entre gauche et droite ? R : Il y a une unité de vue absolue sur les enjeux au niveau de l’OMC et européen et sur la marge de manœuvre qu’il convient de se donner. Les différences peuvent apparaître sur l’utilisation de la marge.

Q5 : On semble terriblement sur la défensive. A voir le succès d’Amélie Poulain, le marché américain est-il si impénétrable que cela ? N’y a-t-il pas à réfléchir à partir de ce qui a fait son succès ? R : Tout d’abord, Amélie Poulain est une rêverie à caractère universel. Ce qui n’est pas toujours possible. Par ailleurs, le succès est très difficile à prévoir. Ceci étant, depuis Besson, le cinéma français assume mieux sa dualité culturelle et commerciale. Enfin, UNIFRANCE, financée par le CNC (50ME) pour promouvoir l’exportation s’est considérablement professionnalisée. Il reste que chaque film est un cas particulier.

Q6 : Le CNC applique-t-il une ligne politique ? fait-il pression sur le politique ? R : Le CNC emploie 500 personnes dont 100 à la restauration des archives à Bois d’Arcy. Son DG (David Kessler) est nommé en Conseil des ministres et applique donc la ligne politique du gouvernement. Ceci étant, grâce à une très large co-gestion de fait permanente avec les professionnels, le CNC perçoit bien les attentes et est le mieux à même de faire des recommandations pertinentes au ministre. C’est une caisse de résonance intelligente, dotée d’une vraie autonomie financière. Le Film Council anglais est très différent car il se place en position de co-producteur des films. Il est donc bien davantage juge et partie.

Q7 : Quid du projet de musée du cinéma ? R : C’est un dossier difficile en raison de la rivalité entre les associations : Cinémathèque française, Bibliothèque du cinéma. Un audit financier de la cinémathèque a été demandé.

Gérard Piketty

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