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02/05/2006 - L'italie au lendemain des élections - Marc Lazar, auteur de "l'Italie à la dérive"

Exposé

Douze ans de domination du paysage politique par Sylvio Berlusconi aboutissent à une alternance obtenue de justesse. Le taux de participation élevé (près de 83 %) indique une démocratie transformée et vivante. L’élection de la chambre des députés (âge limite 18 ans) crée une chambre gouvernable: pro-SB = 44,4 %, Union centre gauche = 49,8 %. En revanche on observe 23 000 voix d’écart seulement sur 16 700 000 en ce qui concerne l’élection du sénat (âge limite 21 ans). L’Italie est coupée en deux. S’agit-il vraiment d’une anomalie sachant qu’une situation comparable est observée dans d’autres pays européens ?

Trois questions se posent.

– Quelles sont les raisons de cette longue persistance du berlusconisme ?

SB représente un phénomène social profondément enraciné dans la société malgré ses défauts évidents. Il est soutenu par deux blocs dont les intérêts sont divergents : les responsables de PME, les artisans et commerçants, les professions libérales d’une part, les couches populaires à faible niveau d’instruction de l’autre. L’ensemble des entrepreneurs et des commerçants, sensible à la valeur de l’argent et à l’économie de marché, aspire à la liberté d’entreprise. Sentant son industrie traditionnelle menacée par la mondialisation, il est cependant moins enthousiaste qu’en 2001. Les deux arguments qui le touchent encore sont la baisse des impôts (successions) et l’anticommunisme. Les professions libérales ont, elles, profité du système et vu leur pouvoir d’achat augmenté. L’autre bloc, celui des laissés pour compte de la mondialisation, est particulièrement exposé à la propagande de la télévision. La stratégie de SB a consisté à remobiliser cet électorat sur fond d’anticommunisme basique comme en 1948 et de promesse d’augmentation de la retraite minimale. Cette division est territoriale : SB domine dans le nord (Lombardie, Vénétie = régions à chômage résiduel), les démocrates chrétiens sont majoritaires dans le sud. Les électeurs sont devenus volatils après l’opération mains propres qui a provoqué l’effondrement des partis classiques. SB a alors inauguré une nouvelle ère en politique où la communication est devenue fondamentale. Sa capacité à personnaliser le débat et son discours simpliste ont dans un premier temps satisfait les attentes de ceux qui souhaitent plus d’enrichissement avec le moins d’état possible.

– Quelle est la signification de la victoire de la coalition de centre gauche ?

C’est une coalition très large qui comprend le centre (Toscane, Ombrie, Marches, Romagne) ancien fief du PC et le sud volatil par habitude et à l’affût d’aides sociales. Il s’agit d’un électorat jeune à haut niveau d’instruction. Comme ailleurs la gauche n’attire plus les couches populaires. RP est le seul à réussir à contrer SB (1996 et 2006) qui lui sert d’épouvantail. Il a recueilli 4 000 000 de voix lors des élections primaires, ce qui lui confère sa légitimité populaire. Il a été élu par un regroupement très hétérogène difficile à gouverner : l’Unione qui fédère une dizaine de partis et est emmenée par lui + le Rassemblement communiste + les Démocrates chrétiens pour l’essentiel.

– Quels enjeux pour l’Italie ?

Il y a de sérieux problèmes à régler. La dette publique et le déficit sont très importants. En ce qui concerne la dette, le revenu moyen par habitant est faible et il est difficile de demander des sacrifices. Le déficit est quant à lui dépendant de graves problèmes structurels : l’Italie est faite de petites entreprises, il n’existe pas de grands groupes industriels. D’importantes réformes de société sont à prévoir dont l’introduction d’un équivalent de notre PACS en opposition avec le Vatican. Les enjeux culturels sont importants : gros retard en matière d’enseignement et de recherche. En ce qui concerne la politique extérieure, l’Europe est une priorité pour RP. Elle est cependant pour l’opinion responsable des difficultés économiques : l’Europe rapporte plus qu’elle ne coûte selon 50 % des italiens seulement (51 % en France, 52 % en moyenne dans les autres pays européens). Le problème du désengagement des opérations en Irak n’a pas été abordé. L’Italie a surtout du mal à se penser comme une nation. Il existe un climat de quasi « guerre civile » entre les deux coalitions et un antagonisme nord-sud difficiles à apaiser. Comment faire cohabiter individualisme et déni des lois avec les valeurs de solidarité prônées par les électeurs de RP?

Débat

Q1 : Comment expliquer la séduction exercée par SB sur de nombreux intellectuels?

>> SB séduit plusieurs sensibilités politiques. Pour beaucoup, il apparaît comme un artisan possible du libéralisme économique; pour d’autres, il est le porteur du flambeau anticommuniste ; il est aussi importateur des idées du néoconservatisme américain et considéré comme apte à lutter contre l’Islam en privilégiant le catholicisme. En résumé, il est considéré comme le seul à pouvoir créer une véritable droite qui équilibre les forces de gauche.

Q2 : Qu’est ce qui explique la différence d’écart entre les voies de droite et de gauche lors de l’élection de la chambre des députés et du sénat ?

>> L’électorat n’est pas le même puisque l’âge nécessaire pour voter aux deux chambres est différent. Mais cela ne suffit pas à expliquer le phénomène. Croyant s’assurer la victoire, SB a modifié tout récemment les règles électorales. Les deux scrutins obéissent à des règles proportionnelles complexes. La grande différence tient au décompte des voix qui se fait à l’échelle nationale pour l’élection au parlement et à l’échelle régionale pour l’élection au sénat. Concernant l’élection de la chambre des députés, une coalition doit obtenir 10% de voix minimum pour être reconnue comme telle. Le seuil pour remporter un siège est de 2% pour les partis affiliés à une coalition, de 4% pour les partis non affiliés. Si un parti membre d’une coalition n’atteint pas le seuil minimum, ses voix sont néanmoins prises en compte dans la somme des voix obtenues par sa coalition. Celle qui arrive en tête est assurée d’obtenir au moins 340 des 630 sièges. Le mécanisme est le même pour l’élection au sénat mais les chiffres sont différents: pour être reconnue, une coalition doit obtenir au moins 20% des suffrages et les seuils minimum sont de 3 et 8 % pour les partis. Dans chaque région, la coalition en tête emporte 55% des sièges. Ces modifications de dernière minute ont généré une grande résistance de l’opposition qui craignait la survenue de majorités opposées dans les deux chambres.

Q3 : Quelle a été l’importance de la télévision ? Quels sont les objectifs pour redistribuer le pouvoir médiatique ?

>> On aimerait ne pas croire à la télécratie. Le succès de SB est lié certes à sa capacité à communiquer mais aussi à sa stratégie. Dans le souci de garantir le pluralisme du service public les trois chaînes ont été attribuées à trois tendances politiques différentes dans les années 1960-70. Traditionnellement la Rai1 est donc de tendance démocrate chrétienne, la Rai2 socialiste et la Rai3 communiste. SB a tenté de prendre le contrôle de la Rai1, seule la Rai3 est restée vraiment indépendante. Il s’est montré envahissant dès le début janvier et ses agissements ont eu un impact sur les populations sensibles en particulier les ménagères de plus de 50 ans qui ont massivement voté pour lui. Les partis vont-ils renoncer à contrôler leur chaîne ? Il faut savoir qu’en cas de privatisation d’une chaîne SB a les moyens de l’acheter immédiatement. Il faudrait prévoir une loi sur les conflits d’intérêt qui stipulerait que tout homme d’affaire entrant en politique doive rompre ses liens précédents.

Q4 : On a peu parlé de la guerre en Irak pendant la campagne. Qu’en est-il?

>> RP comme SB a promis de retirer les troupes. Le risque est grand cependant d’être accusé d’abandon d’hommes qui reconstruisent mais n’ont pas fait la guerre. Un retour l’été prochain constituerait un compromis susceptible de rassurer l’opinion publique. Mais les relations avec les USA sont importantes et risqueraient d’en pâtir.

Q5 : Et l’Europe ?

>> Elle représente un axe fondamental pour RP. Il y a une grande incertitude sur la stratégie à venir. Sans doute RP va-t-il négocier un assouplissement des critères économiques et attend-il le résultat des élections présidentielles françaises.

Q6 : Le non à l’Europe existe-t-il? >> Refondation communiste et la Ligue du nord sont hostiles à l’Europe. L’Italie ne peut organiser de référendum puisqu’on ne peut y avoir recours que dans le cas d’abrogation d’une loi.

Q7 : Si SB avait gagné, aurait-ce été une victoire de la droite ?

>> On ne parle pas de droite mais de centre droite qui regroupe 5 composantes essentielles : Forza italia (1er parti au sénat) + l’Alliance nationale ex-néofasciste + Casini issu de la Démocratie chrétienne + la Ligue du nord qui représente la droite populiste + la Démocratie chrétienne ou Nouveau parti socialiste. SB a été obligé aux compromis et il ne peut maintenir ses troupes que si le conflit avec la coalition de gauche perdure. Ce climat entretenu de « guerre civile » est le reliquat de l’affrontement entre fascistes et antifascistes des années 1943-45 et de la difficulté de l’Italie à se constituer comme nation. Pour l’instant la vigilance est forte et l’affrontement reste théorique.

Q8 : Où en est le communisme ?

>> Le communisme d’abord très stalinien est maintenant très ouvert. L’anticommunisme d’origine catholique n’en reste pas moins extrêmement actif. Il s’explique par la frontière commune avec la Yougoslavie et le jeu de SB qui l’a exploité au maximum. Il est majoritaire en Vénétie, région traditionnellement pauvre, enrichie récemment par le développement de ses petites entreprises. Habitée d’un sentiment de revanche, la Vénétie vote massivement pour SB.

Q9 : Observe-t-on une ouverture aux réformes ?

>> La priorité est la relance de l’économie. La situation est préoccupante : perte de compétitivité des entreprises et détérioration des comptes publics. La précarité pèse sur la famille et non sur l’état, le travail au noir est très développé, la démographie est trop faible. Les réformes sont négociables car les syndicats ont le sens de leurs responsabilités. Dix millions d’Italiens sont syndiqués dont 50 % de retraités.

Q10 : Le président de la république ? >> Il est élu par les deux chambres et des représentants des régions. Il a un rôle très important, essentiel dans un pays fragmenté. Il est la clé de voûte du pays, incarne la nation et fait l’unité morale. C’est lui qui nomme le président du conseil et fait respecter les règles.

Q11 : Où en est l’immigration ?

>> L’année 1974 a marqué la fin de l’émigration et des mouvements sud-nord. L’immigration représente un véritable choc culturel qui a relancé le débat sur l’essence de l’italianité. Elle est souhaitée par le nord qui n’affiche que 4 % de chômage. Comme ailleurs les travaux les plus mal payés sont réservés aux immigrés.

Q12 : Comment s’expliquent les taux forts de croissance et de chômage?

>> Le taux de chômage varie beaucoup du nord (4 %) au sud (15 %). La moyenne relativement modérée s’explique par la régularisation des immigrés, le développement des CDD et d’un équivalent du CPE, et le fait que les activités fragiles sont comptabilisées.

Q13 : Peut-on faire des analogies avec la situation politique française ?

>> Oui, en Italie comme en France les institutions sont usées et les mêmes questions se posent: comment transformer la démocratie et participer à ses valeurs, comment modifier la société pour apprendre à vivre ensemble, comment répondre aux enjeux de la globalisation ?

Catherine Finaz

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