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02/06/2008 - Comment sortir des crises financières - Jacques Mistral

Exposé

JM se dit d’emblée redouter les effets néfastes de la politique Bush/Greenspan (ex président de la Réserve Fédérale, la FED) mais être aussi prudent dans son diagnostic au vu de la « résilience » (capacité à amortir les chocs violents) apparente de l’économie américaine. Il souligne l’aspect à la fois fascinant et banal des crises financières : fascinant à cause de la technicité déployée ; banal car les crises financières reposent toutes sur des « effets de levier » i.e des processus ou un capital propre faible est complété par beaucoup de crédit pour réaliser des opérations gigantesques à faible rentabilité intrinsèque mais suffisante pour bien rémunérer le peu de capital propre engagé. Ces opérations finissent toujours par buter sur le fait que le développement du crédit ne peut être illimité.
Dans la crise dite des « subprimes », la partie proprement dite des subprimes (i.e l’octroi très laxiste de crédits hypothécaires pour le logement) était la plus grossière. En fait le marché était relativement étroit puisque les en-cours se situaient entre 100 et 300 milliards $, mais c’est l’opacité du procédé de titrisation utilisé en aval par les opérateurs financiers pour se débarrasser d’une partie de ces actifs et respecter les ratios de liquidité qui leur sont imposés qui a instantanément frappé l’ensemble du système bancaire. En effet, l’évaluation des titres correspondants ne reposait pas sur le marché mais sur des modèles habilement « vendus » et les opérateurs soudain pris conscience du fait qu’il était hasardeux de dépendre de conventions non jugées par le marché. D’où une contraction brutale de la liquidité et des crédits interbancaires.
À ceci se sont superposées à mon sens trois réactions cycliques jouant à la baisse de l’activité : D’une part la fin d’un cycle cinquantenaire amorcé à la fin de la guerre WW2 basé sur des investissements lourds d’équipement (« auto et béton » pour simplifier), d’autre part un cycle plus court reposant sur la nouvelle économie avec un pic en 2001 (« bulle internet »), enfin un cycle plus récent amorcé en 2003 et fondé sur la croissance de la consommation des ménages et le logement. La crise est donc pour une part importante l’héritage de la politique d’A.Greenspan malgré les signaux d’alarme tirés de divers côtés (G8, banquiers centraux, think tanks US). Et même à l’intérieur de la FED.
Faut-il pour autant condamner l’innovation financière (i.e la titrisation) ? Non, mais il faut bien cerner le vice du modèle financier qui a prévalu : Auparavant, les banques distribuaient des prêts et les portaient à l’actif de leur bilan. Elles étaient ainsi pleinement responsables de leur politique de prêt. Aujourd’hui les banques distribuent toujours le crédit et cherchent à s’en débarrasser pour faire porter le risque par des organismes mieux à mêmes de le porter. Dans cette attente, les prêts ne sont plus inscrits en actifs, mais apparaissent comme des engagements hors bilan dans des SIV (« special investment vehicles »). D’où une gestion laxiste du crédit. Le mauvais contrôle de la constitution de ces SIV et leur évaluation discutable sont donc à corriger.
La complexité des produits titrisés est un problème : mis à part leurs concepteurs, personne n’y comprend rien et les experts comptables en sont mal à l’aise . Une certaine normalisation de la titrisation est nécessaire. Il faut aussi revoir l’organisation de la normalisation comptable pour qu’elle donne une image correcte de la situation des opérateurs. Les experts comptables, pour assurer leur indépendance, l’ont beaucoup trop basée sur la « fair market value » des actifs avec pour défaut que cela a été considéré facilement comme la valeur à la casse exagérant les situations de crise. L’affaire présente montre qu’on est allé trop loin dans l’autre sens.
Faut-il normaliser les procédures des agences de rating ? Il faut sans doute plutôt normaliser des produits exagérément complexes comme peuvent l’être ces produits de titrisation.
Où sont allés les produits issus des titrisations ? D’abord dans les banques européennes (allemandes, suisses) abusées par le modèle d’évaluation de ces titres. Puis le comportement grégaire a fait le reste.
L’Amérique est-elle menacée de récession ? Je pense que oui. L’économie réelle américaine paraît tenir le coup, mais c’est de plus en plus fragile. La FED a certainement évité un effondrement systémique, mais il y aurait fallu une réponse budgétaire pour qu’apparaisse le coût pour le pays des défauts de son système. Le président Bush a préféré faire régler le problème par la FED pour son compte. Cela ne peut qu’entretenir le laxisme du système bancaire !
Un sous-produit de la politique qui a conduit à la crise a été le dopage de la consommation contribuant largement à la croissance des pays émergents et par contre coup à l’insuffisance des investissements pétroliers. Il reste qu’on voit mal la croissance des pays émergents se poursuivre sans biter sur la nécessité d’un ajustement sévère comme l’expérience l’a toujours montré. La décroissance du $ n’est pas terminée, mais les USA ont les ressources et les ressorts pour se réadapter. La France a du souci à se faire compte tenu de ses déséquilibres (finances , retraites …).
Il reste que des conséquences politiques importantes sont à prévoir aux USA avec des élections « transformatrices » en vue. Un cycle de plusieurs dizaines d’années se termine : le cycle néo-conservateur reaganien, qui faisait suite à celui inauguré par le New Deal de 1930. Nous pensons l’égalité d’une façon stricte qui n’a pas d’écho dans la société américaine car tout le monde espère arriver dans le lot des riches. En revanche, elle a une conception de l’équité beaucoup plus exigeante que nous : quelqu’un qui travaille dur, doit pouvoir émerger. Les inégalités très profondes des 20 dernières année vont buter sur une réaction. L’hégémonie du modèle tout libéral sera remise en cause, mais avec une perspective de populisme à la clé !

Débat

Q1. Peut-on imaginer que les pays pétroliers prennent l’euro comme monnaie de référence ?
R. Trois réponses : Ce n’est jamais le bon moment surtout aujourd’hui où l’on n’est pas loin d’un pic ! Par ailleurs cela ne se décrète pas sauf dans des situations de grande crise qui seraient très dangereuses. Enfin l’€ est certes un grand succès et le recul du $ est inscrit dans les tables. Mais sa montée est fragile faute d’une capacité politique de l’UE.

Q2. Comment n’y a-t-il pas eu une réaction de nature éthique des grands patrons des grands opérateurs financiers américains devant le laxisme d’une politique de crédit qui a conduit au désastre des dizaines de milliers d’américains ? Ne voit-on pas ce manque d’éthique également dans l’affaire de la Société Générale où une très grande banque trouvait normal de faire une part considérable de ses profits sur une spéculation qu’elle s’est montré incapable ou n’a pas voulu contrôler de trop près tant qu’elle « payait » ?
L’accélération de la croissance des pays émergents due au dopage de la consommation américaine par la politique Greenspan, a certes accru les tensions sur le marché pétrolier. Mais cette tension est inéluctable lorsque l’on voit d’une part la disparité de consommation d’énergie/habitant d’un chinois et d’un européen sans même parler d’un américain qui consomme plus de deux fois plus d’énergie qu’un européen, d’autre part la raréfaction des découvertes pétrolières majeures qui laisse présager la proximité d’un pic de la production mondiale de pétrole. Nous sommes bien face à la superposition de trois crises : d’une part la crise du système financier née des subprimes et face à la croissance des pays émergents géants d’autre part, une crise alimentaire qui mettra du temps à se résoudre et une crise pétrolière majeure obligeant à changer de paradigme (considérée comme un don du ciel par les écologistes !). Penser qu’une reprise des investissements pétroliers la résoudra semble hasardeux.
R. Nombre de grands pays producteurs de l’OPEP (Arabie saoudite, Venezuela, Iran, Irak…) ne favorisent pas les investissements des compagnies pétrolières et l’on n’a pas d’idée correcte de leurs ressources ultimes en pétrole.
I. L’Arabie saoudite est assise sur un tas d’or aux cours actuels du pétrole. Peut-elle, à supposer que cela soit géologiquement possible, décider de doubler sa production avec un double risque : soit épuiser trop rapidement ses réserves avec une rentrée très marginale de $ si les prix redescendent de ce fait aux alentours de 60-70 $/bbl alors que 90% de son économie repose sur le pétrole, soit si les prix ne fléchissent pas sensiblement augmenter considérablement ses réserves financières sans aucun besoin interne au risque de déstabilisation politique, financière et sociale profonde chez elle et dans la Région ? Par ailleurs, le problème du réchauffement climatique semble absent de votre analyse.
R. S’agissant de la question éthique, les USA jouent sur un registre très différent du nôtre, mais la règle y est bien souvent plus rigoureuse (atteinte à la concurrence, délits d’initiés…). La finance a par nature besoin de vases d’expansion. Les réglementations courent en permanence derrière les innovateurs. Vous êtes sévère à l’égard de la Société Générale. L’ENSAE que j’ai dirigée, a formé les X de la salle des marchés de la banque. Ce fut un investissement humain considérable. Quelque chose a peut-être déraillé, mais il en sera toujours ainsi.

Q3. Que pensez-vous des déséquilibres de la zone « euro » ? La Chine ne pourrait-elle pas aggraver la situation en usant de ses énormes créances sur les USA ou en refusant de les financer davantage? S’agissant de la titrisation, c’est le contenu des produits créés dans le cas des subprimes qui n’était pas sain, mais on peut faire de la titrisation comme on l’a fait en France. Quel était l’intérêt des acheteurs des produits titrisés ? Qui finalement a été le gagnant d’une crise qui est toujours à somme nulle ?

R. Les gagnants sont les managers innovants qui ont créé ces produits. Ce n’est pas le capitalisme actionnarial. Par ailleurs, un groupe d’acteurs a joué un rôle important dans la crise des subprimes : ce sont les « monolines », un petit groupe d’assureurs qui ont fait le métier très utile de vendre du « rehaussement de crédit » aux collectivités locales non cotées par Standard & Poors. Le malheur est que leurs managers se sont mis à rehausser d’autres éléments de crédit dans un busines qu’ils ne connaissaient pas et où ils ont pris des risques inconsidérés.
Les déséquilibres internes de la zone Euro sont une question fondamentale. Nous sommes en France dans une situation néfaste avec une politique économique qui est un non-sens. Nous sommes comme des passagers clandestins de la zone Euro et on ose rouspéter parce que le confort des wagons est insuffisant ! On va vers des temps difficiles : le seul moteur qui reste aux USA est celui de l’exportation. Ils vont recréer des emplois dans l’industrie manufacturière à moitié prix. Seul le couple franco-allemand pourra faire face. Nous avons intérêt à nous rapprocher des Allemands.
Le danger chinois ? Je suis assez vieux pour avoir vu le Trésor US ne pouvoir un beau jour de 1979 placer ses obligations au Japon avec en conséquence la suspension immédiate des changes pour les touristes américains. Les chinois ont en main une arme atomique, mais oh combien difficile à manier (regardez l’échec de la tentative d’achat d’une entreprise américaine d’électronique !). Il n’y a donc pas de changement brutal à craindre.

Q4. La manne pétrolière accumulée par les pays producteurs représente-t-elle un risque ? Faut-il contrer les fonds souverains ? La Commission bancaire et l’AMF nous protègent-elles d’une crise financière « à l’américaine » ?

R. On assiste au développement de projets hallucinants dans le Golfe. Les Américains n’accepteront jamais la conversion des fonds souverains en actifs réels de même que nous arriverons à défendre nos secteurs stratégiques. Cela pose néanmoins le problème du maintien de la convertibilité. Si le $ tombe trop bas par suite d’un report sur l’€, on peut craindre une sur-réaction brutale sur le $, bref une instabilité très grande.
Quant à notre système bancaire, il faut aller vers des superviseurs européens. La BCE a agit plus intelligemment que la FED en apportant chaque fois que nécessaire des liquidités au système bancaire mais en échange d’enseignements précieux sur le fonctionnement du système….

Gérard Piketty

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