La crise de la Covid a déclenché une réflexion qui coïncide heureusement avec la mise en place de la commission Van der Layen.
Si l’on exclut la construction, l’industrie compte en moyenne pour 19 % dans l’UE, 25 en Allemagne et 13 en France. Bien sûr, chaque pays a ses points forts mais cela montre que le taux français n’a pas de réalité dans beaucoup d’autres pays de l’UE. Il est le résultat de choix des politiques publiques, de cultures diverses.
Nous avons de grands groupes mondialisés mais le déficit important de la France en ETI (Entreprises de taille moyenne de 500 à 5000 employés) est bien connu (d’un facteur 10 par rapport à l’Allemagne). Or les ETI délocalisent moins facilement que les premiers.
Ceci étant faut-il relocaliser ou ré-insdustrialiser le pays ? et dans le deuxième cas dans quels domaines ? favoriser la localisation en France dans les domaines d’avenir (airbus de l’hydrogène par exemple) est mieux que de reproduire de l’acier en France.
Est-ce une question de sécurité d’approvisionnement ? Dans ce cas la relocalisation n’est qu’une possibilité parmi d’autres pour réduire la vulnérabilité : stocks stratégiques, diversification des importations … Par ailleurs, la relocalisation peut concerner tous les pays de l’UE.
Une étude de la direction du Trésor de décembre 2020 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/12/17/vulnerabilite-des-approvisionnements-francais-et-europeens note qu’il y a 40% d’achats à l’étranger dans notre production industrielle dont 20% à l’intérieur de l’UE. Sur 5000 catégories de produits analysées, seules 121 dépendraient d’importations très concentrées et seulement 12 seraient réellement vulnérables sans alternatives possibles hors de la Chine. Elles relèvent principalement de la pharmacie, de la chimie, de la métallurgie …
Deux autres dynamiques que celle liée aux pandémies doivent aussi être prises en compte : D’une part l’effet du départ de Trump, d’autre part la dynamique écologique.
Trois grands enjeux européens :
- D’abord la question des délocalisations de l’ouest vers l’est de l’UE. L’UE a mis en place des contrôles des aides des États pour qu’elles restent dans des limites acceptables et c’est heureux.
- Mais il faudrait que l’UE contribue à réparer les dégâts causés ici ou là par ces délocalisations.
- Enfin il y a la question des fusions de grands groupes et des éléments de politique industrielle nécessaires tels que les golden shares pour contrer les poussées des géants étrangers notamment chinois à l’intérieur de l’UE.
Mais il ne faut pas exagérer ce dernier problème : Sur 5000 dossiers de fusion examinés par la Commission seuls 30 ont été bloqués par la Commission et il ne faut pas oublier que mettre un groupe en position dominante sur le marché européen, c’est aussi prendre le risque de payer deux voire trois fois pour cela (augmentation des prix, des aides. Rétorsions possibles des partenaires commerciaux). Les médias s’accrochent à ce qui fait du buzz. Par exemple le dossier Alsthom-Siemens. Mais cela n’a pas empêché Alsthom de racheter Bombardier. Le dossier était mal monté.
À l’inverse, la Commission ne s’oppose nullement à la création de Stellantis (fusion Peugeot, Fiat , Chrysler).
On voit la politique commerciale de l’UE évoluer à l’égard des grands accords de libre échange du fait des défis climatiques et géopolitiques. On parle de taxes d’ajustement carbone aux frontières de l’UE.
Dans le débat
- Le déficit commercial français est très élevé (80 G€) ; c’est très mauvais.
R. Oui. À ce point c’est franchement trop. Il tient en particulier au déficit de la structure industrielle française en ETI. Spécificité française dont les raisons à dégager sont propres à notre pays (organisation politique, politiques publiques, culture colbertiste, politique syndicale …). En Allemagne, grâce à a structure fédérale, les Länders font beaucoup plus attention au dynamisme de leurs propres ETI. Bref on est face à des décisions majoritairement françaises et seulement un accompagnement par l’UE.
Pour redresser la situation dans la perspective de mutations technologiques profondes, le poids donné aux politiques de R&D est particulièrement important. Des pays comme l’Italie, l’Espagne l’ont bien compris. Il y a une politique européenne de la R&D pour encourager les pays à collaborer ensemble. Mais elle n’est qu’accompagnement des politiques nationales.
En France, il y a un biais en faveur des grands groupes.
– Comment voyez- vous évoluer le concept de défense européenne meilleur garant d’une réelle autonomie européenne ; et comment évolue la relation franco- allemande sur le sujet ?
R. il y a eu des avancées notables récemment : 3 exemples
- la mise en commun de la conception d’un avion de combat commun successeur du Rafale par 4 (ou 5 ?) pays européens, alors qu’aujourd’hui l’Europe propose 3 ou 4 avions différents (Rafale, Eurofighter, Gripen …).
- Même chose pour un char de combat commun
- Last but not least, création d’un fond européen de Défense de 7 Milliards d’Euros pour d’autres projets militaires (drones, navires, etc..)
Avancer vite et loin prendra du temps (une génération) car on ne part pas du tout des mêmes points de vue et des mêmes approches politiques. Il y a en Europe une véritable tradition démocratique (contrôle des parlements nationaux) pour engager ses soldats alors qu’en France le Président décide seul et vite… En plus l’Allemagne n’est pas encore remise du traumatisme nazi.
L’exemple de l’engagement militaire français en Lybie a refroidi plus d’un de nos partenaires européens…
Les choses bougent quand même, mais lentement. Cela explique le soutien encore symbolique de notre action au Mali…
je ne crois donc pas à une armée européenne totalement autonome : comment décider ensemble, qui aura le dernier mot ? Le doigt sur le bouton nucléaire ?
Je pense donc qu’il faut plutôt s’orienter vers un pôle européen renforcé au sein d’une Otan renouvelée dans ses objectifs, son fonctionnement.
S. La politique française de Défense avec sa composante nucléaire est définie dans les années 60s dans un contexte de guerre froide intense qui impactait l’Afrique « française » où la décolonisation n’avait pas encore produit ses pleins effets. On voulait garder une liberté de manœuvre entre l’est et l’ouest. Cette politique est aujourd’hui un élément majeur du déséquilibre très dangereux qui s’est développé entre la France et l’Allemagne.
Que reste-t-il de ce contexte alors qu’aucun des pays de l’Union ne prend au sérieux la possibilité de dépendre pour sa sécurité ultime de la force nucléaire française ?
L’idée de pôle européen renforcé au sein de l’OTAN paraît effectivement intéressante. Mais Il y a beaucoup à faire pour convaincre nos partenaires européens de notre volonté d’aller dans ce sens et donc de pouvoir réfléchir ensemble à son contenu.
- Europe sociale ?
R. Le thème suscite beaucoup de crispations chez nos voisins pour qui le social est « régional « et qui se contentent de quelques règles simples (Ordo-socialisme) telle que l’égalité Homme-femme.
Jacques Delors a poussé pour qu’on y intègre aussi l’hygiène et la sécurité au travail.
Les pays avancés sur le plan social (Europe du Nord, surtout) ne prennent pas le « système » social français comme un « modèle » : il est trop lourd, trop cher, pas assez ciblé
Les choses changent néanmoins. L’excellent commissaire luxembourgeois en charge du social, Nicolas Schmidt, pousse à l’adoption d’un salaire minimum dans tous les pays. Ce ne peut être bien sûr le même. Ce serait illusoire que de le vouloir.
Une Autorité européenne du Travail basée à Bratislava a été créée en 2019.
Gérard Piketty
Imprimer ce compte rendu
Commentaires récents