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04/11/2002 - Faut il réformer la loi sur les 35 heures ? - Jacques Freyssinet, Directeur à l'Institut de Recherches Economiques et Sociales.

En 1997, une expérience de 20 ans montre que la RDT (réduction de la durée du travail) peut avoir un effet sur la création d’emploi pourvu qu’elle soit forte et généralisée d’une part, qu’elle soit mise en œuvre de façon diversifiée et programmée de l’autre. Elle montre aussi le quasi-échec des tentatives menées depuis 1978 d’abord avec R.Barre (le gouvernement invite les partenaires à négocier et s’engage à traduire les résultats dans la loi) en passant Delebarre en 1986 puis Seguin en 1987 (le gouvernement élargit d’abord l’espace de négociation par la loi et impose aux partenaires des négociations de branche tous les 3 ans avec un texte balai pour en couvrir les résultats par la loi.)

En 1997, on a compris que le rapport de forces entre les partenaires sociaux défavorise une négociation positive. Par ailleurs on est à un niveau historiquement haut du chômage sans qu’une perspective de reprise se dessine. Ceci explique le montage adopté : la loi Aubry I annonce une RDT forte à 35 h et pousse à des négociations rapides grâce à des incitations fiscales très importantes. Elle annonce qu’une loi Aubry II en traduira dans la loi les résultats qui s’en dégageront.

L’opération reposait sur deux hypothèses : – L’augmentation de 11% des coûts de main d’œuvre pour les entreprises peut être compensée dans l’ensemble par : o Un gain de productivité pour 1/3 selon une relation qui semble bien établie entre RDT et productivité o Les exonérations de charges prévues pour les bas salaires o Les engagements de modération d’augmentation des salaires que prendront les partenaires sociaux.

– Un coût globalement nul pour la collectivité en raison de la réduction des dépenses de chômage et d’un effet positif attendu sur la consommation du fait des chômeurs remis au travail (rentrées de TVA accrues etc…) ; mais avec toutefois un problème lié au fait que le budget de l’Etat assume 100% des dépenses d’incitation et que ce sont les budgets de l’UNEDIC et de la Sécurité Sociale qui récoltent les fruits de la diminution du chômage. D’où des disputes en perspective entre les partenaires sociaux et l’Etat qui tentera de récupérer partiellement sa mise auprès d’eux.

Les études récentes s’accordent sur un effet «emploi » des lois Aubry voisin de 300000 emplois créés, au centre de la fourchette prévue. Mais il est clair que l’impératif de création d’emplois, massivement prédominant en 1997, s’est estompé du fait de la reprise de la croissance dès 1998 avec 1,5 millions d’emplois créés en 4 ans. Un nouvel intérêt de la loi Aubry I est alors apparu : celui de la relance et de l’enrichissement de la négociation collective à tous les niveaux : les partenaires, du fait de l’ampleur de la RDT ont du faire l’apprentissage bénéfique de négociations multidimensionnelles à l’encontre d’une tradition de négociation jusque là très cloisonnée : on discutait des salaires, puis des conditions de travail, puis de la formation etc…

Cela a bien marché. Mais il est certain que l’ouverture désormais possible de la négociation à la flexibilité (jusque là interdite) ainsi que le bénéfice espéré des exonérations et des incitations y a poussé fortement. Il y a donc doute possible sur le caractère durable de cette relance de la négociation collective. Les effets des lois Aubry ont été ressentis différemment par les différentes catégories de salariés : les cadres ont généralement exprimé leur satisfaction, tandis que les ouvriers sont ceux qui ont exprimé le plus une insatisfaction.

Faut-il réformer la loi Aubry ? le diagnostic est contrasté suivant les chapitres :
– Pour le SMIC, les cabinets ministériels concernés, harassés, s’étaient pris les pieds dans le tapis. La machine était devenue folle. Le nouveau gouvernement a exploité l’erreur. La solution apportée par F.Fillon au problème est acceptable.
– S’agissant de l’organisation de la négociation collective, l’opération RDT a fait apparaître l’urgente nécessité de revoir les mécanismes existants d’organisation qui sont codifiés de façon précise (représentativité des syndicats, conditions à réunir pour qualifier un accord, extension des accords etc…).
– Pour les heures supplémentaires (HS), il n’y avait pas urgence à bouger : les HS sont loin d’être un mécanisme rigide, les négociations de branches peuvent modifier le contingent. Par ailleurs l’introduction de la flexibilité en diminue nettement le besoin. Le nouveau gouvernement a donc voulu faire passer un message politique : la lutte contre le chômage ne passe plus par la RDT.
– Faut-il un régime spécial pour les PME ? : A moyen terme non, ce serait négatif pour tout le monde. A court terme, il faut certainement des dispositifs d’adaptation. Ceci étant le signal du départ a été donné en 1997 et en 5 ans les PME auraient du avoir le temps de s’adapter : malheureusement ce sont celles qui ont décidé de ne pas bouger qui ont gagné.
– S’agissant de l’usage des exonérations, deux conceptions se disputent : o La conception libérale selon laquelle seule la baisse globale du coût salarial permet de créer des emplois, o Celle qui estime qu’il est légitime de créer des transferts en faveur des entreprises dès lors qu’ils sont la contrepartie d’externalités positives (baisse du coût du chômage, participation à la formation etc…) créées par les entreprises.

La loi Aubry est fondée sur la deuxième. F.Fillon a manifestement pris parti pour la première.

Débat

1. Sur les problèmes rencontrés par les PME, les avis divergent, JF note qu’il y a eu beaucoup d’accords mais qu’ils ne concernent encore qu’une minorité des entreprises. Il est vrai que la complexité du droit du travail est telle qu’elle entraîne une « ineffectivité » qui joue au détriment des PME. Mais cela ne date pas des lois Aubry et on ne peut donc la leur imputer. Pour les PME, la difficulté réelle est dans la transition parce qu’en soi la base des 35 heures n’est pas plus compliquée à organiser que celle des 39 heures. On a pour cela facilité leur recours à des cabinets de conseil. Il faut bien voir que les lois Aubry ne sont que la sanction de la faiblesse de la négociation collective par les acteurs sociaux en France. En 1997, il fallait créer des emplois et c’était le seul outil possible pour que le gouvernement puisse espérer faire bouger les choses.

2. D’autres remarques soulignent qu’on ne peut se payer la RDT que s’il y a des effets positifs sur l’économie. La durée du travail diminue partout dans le monde depuis 1978, était-il nécessaire d’intervenir ? Par ailleurs les gains de productivité exceptionnels nécessité par une forte RDT, ne pouvaient être espérés que dans les grandes entreprises. Enfin et surtout le caractère très politisé des négociations dans la fonction publique et le secteur public ne pouvait que conduire à des aberrations au regard des hypothèses d’équilibre qui étaient à la base des lois Aubry et que JF a rappelé. L’employeur le plus amoral est bien l’Etat ! Ceci ne pouvait conduire qu’à un affaiblissement de notre économie face aux autres économies. Comment les stratèges des 35 heures ont-ils pu l’ignorer ?

JF répond que tout le monde sent bien qu’il y a un problème du secteur public, mais là encore ce n’est pas la faute aux lois Aubry : les 3 fonctions publiques ont toujours fonctionné sur la base de compromis illégaux pour éviter des problèmes. Fallait-il attendre que nos partenaires européens soient décidés à faire comme nous ? La France est un pays qui se situe dans la moyenne (plutôt vers le bas) en matière de durée du travail. Il faut aussi noter l’extrême variété des solutions retenues. Les Pays bas ont déjà les 35 heures. L’Allemagne est à 32 heurs dans certaines branches. On observe une réduction très rapide au Japon (qui vient de très haut, il est vrai). Les USA augmentent lentement leur durée du travail. En France de 1982 à 1997, la RDT n’est que l’effet du travail à temps partiel. On aime bien s’y inspirer de « modèles » comme le modèle « Suédois » par exemple, mais cela signifie que les pays modèles sont, à un moment ou un autre, des innovateurs. Pourquoi pas nous ? En tout cas, la faiblesse du pouvoir syndical en France ne rend pas possible une décentralisation poussée du traitement du problème. Ce qui est certain, c’est qu’il y a des possibilités d’évolution sous réserve de bien prendre en compte la contrainte de compétitivité des entreprises et celui de l’équilibre des finances publiques.

3. Le succès d’une politique de cette ampleur dépend de la manière dont elle est mise en œuvre. Face à sa complexité, les acteurs sociaux étaient-ils capables de le faire correctement ? ne fallait-il pas davantage de pédagogie ?

J.F : la gauche est arrivée au pouvoir de façon inattendue, avec un Sénat, un Conseil constitutionnel, une majorité difficiles à maîtriser. Le problème du chômage était prioritaire. Il était bien difficile de mettre en place une politique parfaitement rationnelle dans ces conditions. La rectification en cours de route en fonction des problèmes rencontrés est parfaitement légitime. Mais il ne faut pas imputer aux lois Aubry toutes les faiblesses de la société française. Cela étant, il n’est pas impossible que le dispositif ait contribué à l’échec électoral car, malheureusement, les chômeurs bénéficiaires ne votent que peu. Il est sûr en tout état de cause que les 35 heures ont provoqué un changement profond des comportements et donc une redynamisation de la réflexion sur notre société. Une appréciation plus positive de ces effets au moins sur le plan social se dégagera sans doute mieux le temps passant.

Gérard Piketty

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