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08/01/2007 - Le Pen à 20 %, fatalité ? - Eric Osmond, auteur de "La France blafarde"

Exposé

 

Les modalités de l’action contre le FN sont plus difficiles à cerner qu’en 1998. Jusques là et plus particulièrement à partir de 1995, le FN mettait en application la stratégie définie par B.Mégret : développer une implantation locale en pesant sur la Droite qu’on évitait d’affronter violemment. Investir de même des positions de pression dans la Police (création de FN-Police) ou dans les HLM par exemple. Ce tournant « national-révolutionnaire » est payant puisqu’en 1995 le FN s’empare de 4 villes (Toulon, Vitrolles, Orange et Marignane). Après l’invalidation de l’élection de Mégret à Vitrolles, Mégret va même l’emporter à lui tout seul avec plus de 50% des voix.

Le FN apparaît substantiellement présent et attaquable au quotidien. Cette présence substantielle se confirme aux législatives de 1997 où le FN est capable de se maintenir dans plus de 100 circonscriptions favorisant ainsi la victoire de la gauche. Elle culmine en mars 1998 aux élections régionales (à la proportionnelle intégrale) où le FN a la capacité de prendre la droite en otage : le pouvoir avec le soutien du FN ou le virage à gauche. Dans 4 régions (Bourgogne, Rhône-Alpes, Picardie et Languedoc-Roussillon), la Droite accepte une alliance avec le FN équivalent à la mort du débat démocratique.

Mais à partir de moment là, tout va se détraquer avec le départ de Mégret du FN. Le FN se retrouve dépouillé de son habillage idéologique. Il va devenir immatériel. Le 22 avril 2002 le FN est invisible. Pas de manifestations de joie. Il est devenu insaisissable. Les mouvements anti-FN ont disparu ne sachant comment le saisir. Le Pen a gardé la marque. Le Pen est une marque déposée qui ne nécessite plus de discours. Ses militants ne sont plus à l’offensive. Le FN ne conquiert plus la société. Les électeurs se servent de lui pour envoyer un message. Certes 194000 voix ont manqué à Lionel Jospin soit une moyenne de 2 par bureau de vote alors que C.Taubira a fait 600000 voix et que Le Pen n’a fait que 150000 voix de plus qu’en 1995 mais avec, il est vrai, B.Mégret contre lui. Il n’avait pas alors la force d’aller chercher les 17% d’électeurs qui ont voté pour lui. Ceux-là se sont servis de lui comme d’un instrument pour bouter la société politique installée.

Néanmoins ce 21 avril 2002 marque un coup d’Etat démocratique, expression en fait d’un coup d‘Etat permanent qui s’est installé depuis 1993 ! :

• Aux législatives de 1993, la gauche réunie n’obtient qu’une misérable centaine de sièges à l’AN.

• En 1995, Balladur, pourtant grand favori au départ de la présidentielle, ne passe pas le premier tour et J.Chirac l’emporte avec « la fracture sociale » jusqu’à ce qu’il déclare quelques mois plus tard qu’il « faut se serrer la ceinture » et revenir de fait à la politique antérieure avec pour résultat les grèves de novembre décembre 1995 où la population manifeste sa solidarité massive avec les grévistes du secteur public par protestation contre l’escroquerie électorale.

• Législatives de 1997 : la Gauche donne une claque magistrale à la Droite mais n’arrive pas à franchir le 1er tour de la présidentielle de 2002 tandis qu’aux européennes de 1999, Villiers, Le Pen et Pasqua arrivent à réunir 24% des voix.

Bref la colère sociale est telle qu’elle fait « turbuler » le système pour faire sortir les sortants : En choisissant Le Pen plutôt que Chevènement ou Laguiller, les électeurs font exploser le système démocratique. Le séisme continue en 2004 : que toutes les régions sauf une passent à la Gauche est parfaitement anormal.

Quid alors de 2007 ? Tout indique que le FN reste haut dans les esprits. Pourquoi voudrait-on d’ailleurs qu’il soit bas ? On vote FN parce que le pays va mal et connaît une crise sociale dont la racine profonde est une crise économique qui se manifeste depuis 1973. La terreur de devenir soi-même un SDF est sur le point d’exploser dans le pays.

De fait notre société va plus mal qu’hier :

• Effondrement structurel de l’Etat social et politique de 1945 (crise de l’école, des retraites, de l’accès aux soins…).

• Effondrement de tous les cadres idéologiques (religion, famille, idéologies, conscience ouvrière…). Face à cela, le FN incarne l’autorité paternelle, protectrice dont le pays est en quête. Il recrée une communauté avec de la solidarité (Pour être social, il faut être national !). La réalité vient de plus à son aide : septembre 2001 et les attentats suicides islamiques. Oui, la France s’ethnicise, se colore, a peur et revendique la couleur de sa peau.

• La mondialisation est une inquiétude terrible face à laquelle l’UE n’est plus une protection.

• Dette sociale, économique (17000 Euros/habitant), écologique (changement climatique).

 

Débat

 

Q1. La stratégie d’empiètement de Sarkozy a-t-elle une chance d’être efficace ?… La crise démarre plutôt en 1983 avec le tournant de la rigueur pris par Mitterrand et Delors. La gauche apparaît comme n’ayant plus rien à offrir… Vous mettez en avant la racine économique de la crise, l’analyse économique actuelle faite par les politiques est-elle à la hauteur du problème ?….La France vit-elle une modalité d’une crise européenne ? …Le Pen aura-t-il ses 500 signatures ? La réconciliation Le Pen-Mégret va-t-elle ressusciter le FN version 1995 ?…A Orange, l’aménagement de la ville par le FN s’est fait tranquillement et plutôt à la satisfaction de la population….Ne faut-il pas faire plus pour le logement pour lutter contre la précarité des jeunes ?….Les motivations de l’électorat FN sont multiples. L’inscription massive des jeunes sur les listes électorales est une bonne chose, mais une partie d’entre eux votera Le Pen…..La marque « Le Pen » vieillit. Marine Le Pen reprendra-t-elle le flambeau ?

R. Les immigrés votent Le Pen car c’est le plus formidable signe d’intégration. L’intégration est déjà difficile, inutile de la compliquer avec une masse considérable d’immigrés à intégrer.

• Retour au FN de 1995 ? Non, Mégret criblé de dettes n’est plus rien. Les retrouvailles de Montretout ont un caractère « familial » sans plus.

• La part d’équation personnelle et de charisme est très forte dans la marque « Le Pen ». Marine a pour elle le nom, mais c’est aussi une jeune femme moderne de 40 ans partisane de l’IVG, du divorce qui participe à une tentative de dédiabolisation du FN. Elle permet ainsi aux électeurs de se servir du FN pour exprimer leur mécontentement.

• Crise française, modalité d’une crise européenne ? Non, tous les pays de l’UE, ne connaissent pas de crise de cette nature. Par ailleurs, on ne peut comprendre les mouvements d’extrême droite qu’en les replaçant dans l’histoire de chaque pays.

• L’effondrement socialiste de 1993 est absolument nouveau par son ampleur même s’il est clair que 1983 est une date importante dans le processus : en 1981, tout l’électorat de gauche est convaincu que la crise n’est pas fatale et qu’elle est due à la droite. On a fait la politique de gauche et on est allé dans le mur. Chacun sait depuis qu’il n’y a pas d’alternative. Mais face à la souffrance sociale, le politique est en panne pour y répondre.

 

Q2. Finalement on se dit qu’on a de la chance d’avoir un Le Pen sans ambition politique autre que de prêter son nom aux mécontents et de narguer l’establishment ? N’est-ce pas Sarkozy qui récupère la politique de Mégret ?…. Que pensez-vous de la même façon du Ségolène Royal qui joue sur le registre de Le Pen ?

R. Le Pen s’offre aux électeurs pour être un instrument de « turbulette » : « Si vous voulez faire peur aux puissants, servez-vous du seul vote qui leur fasse peur » leur dit-il. Son jeu subtil est de dé diaboliser son image (via Marine) sans perdre le visage de Satan.

Face à cela, tous les discours des candidats rassemblent trois caractéristiques dominantes :

• Tous, y compris F.Bayrou, lancent un appel au peuple pour qu’il se rebelle contre les élites. La position de Ségolène Royal sur l’entrée de la Turquie dans l’UE est choquante et représente une inversion intégrale du processus démocratique. Si en 1981, François Mitterrand avait écouté le peuple, la peine de mort n’aurait pas été abolie. Il a annoncé la couleur pendant sa campagne.

• Tous veulent incarner une rupture.

• Tous veulent incarner l’autorité. L’ordre juste est peut-être la clé de la campagne. On vit une espèce d’anti-1968.

Bref un drôle de jeu des élites qui jouent un petit air provincial et suranné dans la campagne et une forme de populisme inquiétante.

Tout peut se jouer avec une victoire de Sarkozy… ou de Royal mais avec un sacré doute sur la suite de l’histoire. Faisant de la cacophonie une ligne directrice, on va peut-être à la victoire, mais pour quoi ensuite ?

Gérard Piketty

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