Exposé
Nous devons abandonner une vision trop simpliste de l’Allemagne réduite à l’image des couples de dirigeants français et allemands qui ont jalonné l’histoire de la relation entre nos deux pays : De gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl, Sarkozy/Hollande/ Macron-Merkel .
En y regardant de plus près, les relations sont plus complexes car les peuples, les économies, les cultures sont différents.
– Trois traditions façonnent lourdement l’approche allemande :
- La tradition du mercantilisme telle que formulée par Friedrich List (économiste allemand du XIXème siècle) selon laquelle le libre échange n’est bon que pour les pays déjà développés. Pour les autres il faut trouver des accommodements intelligents et se tourner résolument vers l’exportation. En bref il faut se protéger de la concurrence des pays plus développés tant que l’on n’est pas compétitif.
C’est elle qui a par exemple inspiré le Japon ou la Corée du Sud pour redresser leur économie après WWII et la guerre de Corée : flot croissant des exportations de voitures japonaises ou de pétroliers coréens à partir des années 70s mais impossibilité de vendre une voiture européenne au Japon à l’époque ou de commander un pétrolier dans un chantier de l’UE.
Cette tradition est déjà présente dans le fonctionnement et le développement de la ligue hanséatique au XII-XIIIème siècles.
Ainsi en Allemagne le développement d’un excédent commercial est une priorité alors qu’en France on parle plus volontiers de contrainte liée à l’équilibre du commerce extérieur. Aujourd’hui l’Allemagne a un excédent commercial de 245 G€ tandis que la France enregistre un déficit commercial de 45 G€.
- La mémoire de l’hyperinflation de 1923 (acheter son pain avec une brouette de billets qui perdait le jour même une bonne partie de sa valeur) qui a fait fondre l’épargne allemande en conséquence des réparations exigées par le traité de Versailles. Elle a réapparu en 1946-47 en laissant un très mauvais souvenir.
- La facture de la réunification. Kohl a alors décidé la parité entre les mark Ouest et Est ruinant l’industrie est-allemande et engendrant un transfert de 2000 G€ de l’ouest vers l’est. « On ne va pas refaire cela pour la Grèce » pensent les allemands.
Dans ce contexte est survenue la crise financière de 2008 partie des USA en raison d’une croissance débridée de « l’industrie financière ». Les allemands avaient sacrifié le mark à l’Euro pensant pouvoir faire une BCE calquée sur la Bundesbank. Grâce à M. Draghi, la pratique de la BCE nous a sauvés de la dépression main M. Draghi est près du départ et les allemands rêvent de le remplacer par le président de la Bundesbank alors que la crise a accentué les divisions entre le Noud et le Sud de l’UE.
– Dans la crise grecque l’Allemagne avait deux idées en tête : Une première non dite de sauver les banques allemandes fortement détentrices d’obligations grecques (au rendement très élevé, contrepartie du risque pris). La dette publique auprès des banques privées a ainsi été transformée en dette envers la BCE.
La deuxième portée par W. Schauble était de pousser la Grèce à faire (comme l’Allemagne) de l’excédent budgétaire. Cela a été si bien fait que le FMI est intervenu pour modérer le mouvement jugeant la dette publique grecque irremboursable.
– La crise de 2008 a stoppé la croissance de l’UE sauf en Allemagne qui avec son vieux réflexe mercantiliste s’est lancée avec succès dans la quête de débouchés hors de l’UE.
– Mais A. Merkel a aussi sauvé l’honneur de l’UE en accueillant un million de réfugié en 2015.
Dans ce contexte comment répondre à la question posée : « La grande coalition allemande sera-t-elle au rendez-vous de l’Europe post-brexit ? »
E. Macron et A. Merkel ont promis de présenter au sommet de juin à Bruxelles un « paquet » de mesures propres à relancer l’UE alors que :
– Celle-ci se délite et qu’une nouvelle crise qu’on ne peut exclure la trouverait désarmée et risquerait d’être très dure, le levier de l’endettement étant épuisé.
– l’UE doit faire face à une pression migratoire qui est une tendance lourde de l’Histoire.
– le Chine, reine du mercantilisme, se fait maintenant la championne du libre-échange car elle se pense désormais assez forte pour être la première partout.
On verra ce qu’ils mettront sur la table. Trois orientations sont concevables :
- La tentation de Weimar i.e le sauve qui peut, chacun pour soi. C’est ce que d’une certaine façon tente de faire les anglais. L’Europe de l’Est, quant à elle, est pour la circulation des biens mais pas des personnes. L’Italie est en train de mettre en place une coalition anti-européenne alors qu’on doit le traité de Rome à Alcide de Gasperi. L’Allemagne peut être tentée de faire cavalier seul… mais Weimar s’était effondrée et Il faut conjurer cette tentation avant la survenue d’une nouvelle crise.
- Le fédéralisme Euro. Idée macronienne. L’Euro regroupe 14 pays. C’est plus maniable qu’à 27. Comme il n’y a pas de monnaie sans État, il faut donc un ministre des finances de la zone Euro car l’ Europroupe, pas très vibrant, ne saurait en tenir lieut et la BCE est dans sa tour d’ivoire. Il faut donc un ministre …et un budget avec un contrôle parlementaire (Le patron de la FED doit plancher fréquemment devant le Congrès).
Problème : si l’idée est séduisante, elle ne convainc pas.
- Le compromis Junker amélioré. Je respecte JC Junker qui vient de présenter très discrètement un projet de budget pour la période 24-29. D’autant moins facile à construire que la contribution anglaise (10 G€ sur un total de 180 G€) ne sera plus là.
Côté recettes, Junker avait le choix entre plusieurs approches :
– Faire payer chacun un peu plus
– Inventer une nouvelle taxe. Le projet de taxe Tobin ? Mais il est enfoui dans les sables de la démocratie. Londres est contre et en fait la France n’y est pas trop favorable pour ne pas défavoriser Paris dans sa compétition avec Londres. Une taxe sur le chiffre d’affaires des GAFA ? Compliquée à mettre en œuvre.
Et du côté dépenses :
– La méthode française du coup de rabot (ou du « lit de Procuste ») qui ne fait que des mécontents
– Ou changer complétement de pied avec un projet :
o Doublant les crédits Erasmus
o Multipliant Frontex (contrôle des frontières) par 6 (on passerait de 1500 à 10000 GF)
o Doublant le budget de la Recherche et multipliant par 9 l’appui au numérique
o Coupant les crédits d’infrastructures aux pays refusant l’accueil des migrants
o Réduisant le budget de la PAC (le plus important) de 5 à 10 % en faisant peser les coupes sur les grandes exploitations au prof it d’une agriculture familiale de qualité.
C’est une bonne approche qui pourrait être améliorée sur trois points :
o Il faut alléger la dette des pays du Sud de l’UE
o Faire la taxe sur les opérations financières
o Développer les infrastructures sociales dans les régions les moins développées. Je participe sur ce point à un groupe de travail avec Romano Prodi. Au lieu de financer de gros projets qu’affectionnent les politiques comme le tunnel Lyon-Turin, agir plus près du terrain, faire trier/évaluer les projets par l’équivalent de notre caisse des dépôts, les regrouper en paquets à financer et en vérifier les résultats ce que l’UE fait mieux que nous.
o Il faudrait aussi fonder de plus en plus l’UE sur la sécurité. Grâce à D.Trump, ce n’est plus un sujet tabou !
Débat
Q1. Junker a l’image d’in libéral qui a couvert des accommodements fiscaux contestables au Luxembourg.
Quid des rapports avec la Turquie sur les questions migratoires ?
R. Certes JC Junker est un libéral mais c’est aussi un homme politique intelligent qui comprend que l’Europe financière souffrira si on ne fait pas plus pour l’Europe sociale.
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