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14/05/2002 - Doit on craindre pour la démocratie en Italie ?.. et en France ? - Gian Paolo Accardo, responsable Italie à Courrier International

Exposé

Le 13 mai 2001, S.Berlusconi revenait au pouvoir après l’échec quasi immédiat de son premier gouvernement en 1994. Il engage ainsi la première alternance sérieuse droite-gauche depuis 1945.
Le processus de restructuration de la vie politique s’était engagé en 1992, année cruciale marquée par :
– L’arrestation du baron socialiste Mario Chiesa pris en flagrant délit de corruption,
– L’assassinat du représentant de la démocratie chrétienne (DC) en Sicile signant la rupture d’une certaine connivence entre le parti au pouvoir et la mafia,
– L’assassinat des juges Falcone et Borselino par la même mafia entraînant une demande populaire d’assainissement de la vie politique et l’accélération par les juges -le parquet est alors totalement indépendant du pouvoir politique- de l’opération « mains propres ».
– Le début, sous la pression des juges, d’une désagrégation rapide de la DC qui s’achevera en 1993 par un éparpillement de ses forces entre la droite et la gauche, mais aussi de celle du parti socialiste italien (PSI) de Bettino Craxi, obligé d’abandonner le pouvoir en 1993 et provoquant ainsi les élections anticipées de 1994.
– L’achèvement de la métamorphose du parti communiste italien (PCI), moins touché que la DC et le PSI, par l’opération mains propres. 87% de ses forces rejoignent le nouveau parti démocratique de la gauche (PDS) dont Massimo d’Alema, plus proche dans ses tendances du PS que du PC français, prendra la tête en 1994. Le petit reste se range sous la houlette de Fausto Bertinotti qui crée le PRC -parti de la refondation communiste (PRC)- proche de l’extrême gauche française.
– L’approbation du traité de Maastricht qui nécessitera d’engager une gestion rigoureuse des finances publiques en vue de la qualification « Euro ».
Sur la base d’un référendum, l’année 93 voit l’introduction du scrutin majoritaire pour l’élection des trois quarts des deux chambres (l’élection à la proportionnelle faisant le reste) pour remédier à l’instabilité gouvernementale (50 gouvernements en 50 ans). A la différence du passé, la réforme oblige les partis à des alliances programmatiques avant les élections.

C’est alors que S.Berlusconi, pratiquement inconnu en politique, entre hâtivement en scène pour les élections de 1994, sans doute poussé aussi à cela par l’éviction de son protecteur, Bettino Craxi, de la vie politique. Il a néanmoins déjà apporté un soutien remarqué en 1993 aux élections municipales de Rome au candidat de l’Alliance Nationale (AN), issue sous la houlette de GianFranco Fini du recentrage en 1991 du MSI, refuge des vieux fascistes italiens.

Jusque là il n’est connu que comme entrepreneur à succès, d’abord dans l’immobilier avec des soutiens financiers encore obscurs, puis dans les médias où il se fait remarquer en France lorsque F.Mitterrand lui confie en 1984 la première chaîne privée française et où, en Italie, il bénéficie de l’appui de Craxi pour donner une dimension nationale à ses réseaux régionaux.

Il noue donc une alliance avec la Ligue du Nord de Bossi ainsi qu’avec l’AN qui prendra de plus en plus ses distances vis à vis du FN de Le Pen. Toutes deux surfent sur la vague de l’opération « mains propres ». L’alliance se fait principalement sur la base d’une obsession anticommuniste bien perçue de l’électorat depuis l’effondrement de la partitocratie centre gauche DC-PSI qui régnait sur l’Italie depuis des lustres. Un « moins d’Etat » vigoureusement réclamé par les PME italiennes particulièrement dynamiques dans le nord du pays, est aussi au programme.

Cette alliance est nettement victorieuse le 13 mai 1994 sans, néanmoins, que Forza Italia (FI), le nouveau parti créé à la hâte par Berlusconi, puisse réunir une majorité à elle seule. A gauche, le nouveau système électoral a fonctionné : il a provoqué un regroupement, l’ « Olivier », dont le PDS de Massimo d’Alema constitue la force la plus solide.

Mais l’alliance va rapidement se déliter sous l’effet des réformes libérales que Berlusconi veut mener au pas de charge, des réactions populaires au projet de réforme des retraites, mais surtout de la défection de la ligue du Nord : celle-ci, inquiète d’un transfert de ses forces au profit de FI et profitant des attaques répétées des juges contre Berlusconi, dont elle est préservée, l’accule à la démission en décembre 1994. Un gouvernement de transition conduit par L.Dini. lui succède. Il tiendra un an avant de démissionner et d’obliger ainsi le président de la république Oscar Luigi Scalfaro à convoquer des élections anticipées en avril 1996. L’Olivier qui s’est renforcé d’un rapprochement de M.D’Alema avec l’austère « professeur » Romano Prodi issu de l’aile gauche de la DC, y remporte la victoire devant un Berlusconi , encore sonné par sa défaite. R.Prodi va conduire un gouvernement de rigueur dont l’objectif premier sera de mener l’assainissement des finances publiques pour obtenir la qualification « Euro »., n’hésitant pas à créer un impôt à cette fin. Ceci fait avec brio et l’orgueil italien satisfait, le « professore » est remercié fin 1998 sous la pression, la crise aidant, du PRC. Il doit laisser la place à Massimo d’Alema qui attendait impatiemment son heure.

Une majorité plurielle compliquée (8 partis) obligera ce dernier à louvoyer sans base idéologique claire. L’échec des régionales de 2000 au profit d’une opposition où Berlusconi a maintenant renforcé sérieusement son parti, le contraint à la démission. Le socialiste Amato fera une transition sans couleur jusqu’aux élections de 2001 remportées par « la maison des libertés » dominée par Berlusconi.

Où en est-on aujourd’hui ?

– La gauche est laminée et sans leader. L’opposition se marque par des manifestations populaires spontanées (les « rondes » de Nanni Moretti) sur certains problèmes et de façon plus sérieuse par l’action syndicale qui, sous le leadership de la CGIL, s’oppose vigoureusement à la fin de la « concertation sociale » (co-décision des syndicats et du gouvernement sur toutes les questions sociales) voulue par Berlusconi. Son chef, Sergio Cofferati, apparaît comme l’homme qui monte à gauche et son leader probable lors des échéances à venir, face à un Romano Prodi s’affirmant sur le centre gauche.

– A droite, les extrêmes sont absorbés. Berlusconi s’est porté garant de leur modération. De fait l’AN a accentué son recentrage de 95 et apparaît plus modérée que FI, en fait assez proche du RPR français. La Ligue du Nord a mis de côté ses revendications séparatrices et tout le monde s’est retrouvé sur une décentralisation accrue bien en avance sur le projet « Corse » de Jospin, décentralisation qui reprend en fait le projet de la gauche d’aligner le statut de toutes les régions sur celui des 5 régions « autonomes » avec des pouvoirs nettement accrus en matière de santé et d’éducation. FI de son côté s’est structurée en un vrai parti s’appuyant sur les professions libérales et sur une classe de petits patrons particulièrement dynamique. Sur l’immigration, pas de politique claire. L’accord à droite ne s’est fait qu’a minima sur une répression plus sévère de l’immigration clandestine et de ceux qui en profitent.

– En matière institutionnelle, on en reste au « bipartisme imparfait » avec un pullulement de petits partis profitant due la part de scrutin proportionnel et arrivant à tenir un rôle charnière dans le jeu parlementaire. La cour constitutionnelle, sous couvert de décentralisation, est pratiquement mise hors jeu.

– Au plan européen, l’Italie fait désormais primer ses intérêts sur ceux de l’Union. Proche des idées libérales Thatchériennes, Berlusconi se tourne davantage vers les anglo-saxons et les USA, en partie pour se venger de la condescendance traditionnelle des grands pays européens, et notamment de Chirac qu’il n’aime pas et de Jospin, à l’égard de l’Italie. Il prend davantage d’initiatives en politique étrangère.

– Au plan social, l’opposition concentre ses feux sur la flexibilisation du travail voulue par Berlusconi (la vivacité de la bagarre sur la suppression de l’ « article 18 » en témoigne malgré son caractère symbolique –92 travailleurs concernés en 2001-). En revanche elle se montre aujourd’hui ouverte à la discussion sur la question des retraites, devenue urgente avec l’abaissement du taux de fécondité à 1,1 enfant par femme.

– Enfin sur le plan de la justice, Berlusconi veut remettre le parquet sous l’autorité du garde des sceaux. Il reste impliqué dans 14 affaires de corruption ou de faux en écritures avec 4 procès en cours. Mais « mani pulite » a perdu de son mordant face à une opinion nettement moins pressante. Le projet de loi sur les « conflits d’intérêts » relatifs à l’aménagement des pouvoirs réunis par Berlusconi sur l’ensemble de la télévision, ne la passionne pas et n’avance guère.

Débat

– Sur la gestion de l’extrême droite dans les différents pays de l’UE ? L’Italie, à la différence de la France, a trouvé le moyen de l’intégrer dans la droite. La décrépitude complète de la DC et du PSI n’y a pas été pour rien : Pour une majorité d’italiens, « rien ne pouvait être pire qu’avant ». Le prix à payer a été assez formel car l’on n’a pas vu de décisions d’extrême droite prises, notamment au niveau local. En revanche, il a fallu consentir à un certain euroscepticisme, pouvant d’ailleurs facilement jouer de l’absence pour le moment d’idées claires au sein de l’Union sur les futurs modes de gouvernance de l’Europe. En bref, en dépit du succès de l’Euro, les « fédéralistes » ont perdu de leur influence.

– Sur les manifestations antiberlusconiennes et la menace fasciste ? Le scrutin majoritaire a nettement bipolarisé la vie politique et divisé profondément les italiens. Les oppositions, notamment de rue, sont donc virulentes. Les flèches visent plus le programme libéral de Berlusconi et ses méthodes de gouvernement peu orthodoxes, que ses alliés qui ne font pas véritablement peur en raison d’une faible audience nationale en dépit de positions fortes localement. Il n’en reste pas moins une crainte devant l’énormité des pouvoirs de Berlusconi sur la télévision. Mais leur impact est sans doute surestimé, sinon comment expliquer que le pays se partage sensiblement moitié-moitié entre partisans et opposants au régime ?

Ceci étant la Gauche se mord sans doute les doigts de n’avoir pas décidé en son temps de recourir aux possibilités offertes par la constitution pour démanteler ces pouvoirs, prix sans doute payé à l’époque par Massimo d’Alema à Berlusconi pour accéder plus facilement au pouvoir et succéder à R.Prodi.

– Sur la résorption de la « fracture sociale » ? L’expression est inconnue en Italie. Berlusconi mise prioritairement sur la flexibilité de l’emploi pour le développer. Il veut aussi faire « émerger » l’économie souterraine, très importante et qui constitue un moyen de subsistance important des demandeurs d’emplois.

– Sur les relations franco-françaises ? GPA comprend personnellement mal l’attitude de C.Tasca en mars. Que l’on conteste les positions de Berlusconi, oui. En revanche qu’un ministre refuse le contact et la discussion avec un ministre Italien est mal compris, d’autant que les contre exemples ne manquent pas du côté français.

Gérard PIKETTY

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