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09/01/2006 - Comment renouveler notre modèle social ? - Bernard Gazier, économiste du travail

Exposé

Le travail des chercheurs européens qu’anime Bernard Gazier se concentre sur le problème du chômage. Il se fonde sur le mot clé de « passerelle » : organiser des passerelles pour ramener les chômeurs dans un état souhaitable. En découleront :

  •  Des réformes des politiques de l’emploi
  •  Une réforme de la relation sociale car la politique de l’emploi en elle-même ne suffit pas.

Il faut voir ce qui se passe à l’intérieur des entreprises.
On vise ainsi un modèle social-démocrate flexible proche du modèle nordique dans le prolongement des réflexions de Boissonnat (contrat d’activité), de l’économiste réformateur suédois Gösta Rehn, du juriste Alain Supiot (« Au-delà de l’emploi »).
L’intuition première peut se résumer ainsi : ma mobilité dépend de la vôtre. Le contrôle du marché du travail est collectif.
Le Danemark l’a expérimenté de façon massive depuis 1994, réussissant ainsi à faire reculer le taux de chômage de 10 à 5%. On a créé divers droits à congé et on a cherché systématiquement à combler les vides par des chômeurs préalablement formés grâce à un système d’avertissement préalable des entreprises. On a constaté que 50% des remplaçants sont restés dans les entreprises tandis que les autres se replaçaient sur le marché du travail, mais avec une référence.
Des tensions sont apparues alors sur le marché du travail et on a régulé le système en le rendant un peu plus coûteux. Il a été finalement démantelé en 2000 pour laisser la place au modèle danois : flexibilité totale mais avec des indemnisations très généreuses et des politiques actives de l’emploi (formation) massives. Dans ce contexte, l’enquête européenne annuelle du marché du travail a révélé une inquiétude des salariés en France opposée à l’attitude « Zen » des travailleurs danois. Peut-on transposer en France ? Non, car d’une part le Danemark est un petit pays de PME, d’autre part parce que 80% des travailleurs y sont syndiqués. Mais il faut donner des garanties suffisamment visibles pour permettre à la collectivité de gérer le problème.
Il peut y avoir deux attitudes face à cette approche : une attitude néo-libérale qui est en gros l’ « Assets basic welfare » de Tony Blair. On complète la protection par divers DTS (droits de tirage sociaux) et on laisse les gens se débrouiller. Ce n’est, dans notre contexte, pas suffisant : il faut «équiper » le marché pour les gens comme l’a fait le Danemark et il faut un employeur en dernier recours. Ce système doit être géré au niveau régional et c’est pour cela qu’il marche bien avec les petits pays (Autriche, Irlande..) : Small is beautiful !
En France, on a fait les préretraites. C’est la seule chose donnée aux perdants. Mais elles n’ont pas raison d’être pour les autres, ceux qui ne l’ont pas demandé. Il faut garder les gens à mi-temps dans l’entreprise et pour le restant dans une association.
Pourquoi le retard en France ?
Il tient aux habitudes d’intégration à l’intérieur de l’entreprise prise pendant les trente glorieuses. L’appareil de formation français faisait peu. L’entreprise formait ceux qui n’avaient pas de qualification suffisante mais cette formation n’était pas reconnue hors de l’entreprise. Ceci ne marche plus avec le chômage de masse. Exemples de mauvais plis : l’entreprise ne prévient qu’au dernier moment. Elle fait un tri en choisissant les moins productifs, ceux qui ont déjà mauvaise réputation avant même de sortir de l’entreprise. S’ils disposent d’un quelconque moyen de pression, ils crient et on les arrose d’Euro, ôtant en fait toute incitation à la réinsertion.
L’ Autriche avec ses « fondations de travail » fabrique de l’employabilité et du désir de mobilité. L’objectif est banal : assurer le reclassement des partants. Ce qui l’est moins ,est que leur financement est assuré en partie (minime, mais quand même) par les salariés qui restent dans l’entreprise ; la solidarité est ainsi restaurée entre ceux qui partent et ceux qui restent, mais aussi entre l’entreprise et les agences de l’emploi qui toutes deux apportent aux fondations, le capital de la fondation pour l’une, les fonds destinés à la formation des chômeurs pour les autres etc… pour l’entreprise, l’incitation à sélectionner les moins productifs ne joue plus. Tout le monde a intérêt à ce que le problème soit réglé au plus vite.
Cette culture se heurte au fractionnement syndical français mais surtout au jacobinisme syndical : les accords de branche sont nécessaires. Il ne faut pas s’intéresser qu’aux travailleurs « statutaires ».

Débat

Q1. Vous pointez les blocages français, d’abord culturels. La récente négociation sur l’UNEDIC apporte-t-elle quelque chose de nouveau ?
R. Pas vraiment. L’objectif des syndicats était d’abord de sauver le régime. Le temps de la réforme viendra après. Le jeu traditionnel des « trois syndicats » a été bouleversé en 1995 lorsque Nicole Notat a éjecté FO de la CNAM. Jusques là, on avait le syndicat qui signait toujours : FO qui réclamait en permanence du « grain à moudre ». On avait celui qui ne signait jamais : la CGT et on avait le syndicat autogestionnaire et réformiste : la CFDT qui se présentait comme le syndicat moderne. A partir de 1995, les jeux sont modifié : FO est devenu le syndicat « Je ne signe plus ». La CGT est devenue plus pragmatique et la CFDT a été poussée dans le mauvais coin provoquant des sécessions en son sein avec l’apparition des syndicats SUD notamment. Résultat, les syndicats sont devenus illisibles et la syndicalisation baisse.

Q2. N’est-on pas déjà les champions du monde de la mobilité avec les 35 heurs ? Par ailleurs, les emplois jeunes étaient une bonne idée malgré les réticences des syndicats qui y votaient l’émergence de salariés à demi salaire.
R. Il faut éviter deux écueils. Le premier, celui de la « semaine des quatre jeudis ». Le second celui de « Vive la mobilité, bougeons tous ! ». On a réduit la durée du travail de façon irréversible et malthusienne en France. Les emplois jeunes sont bien des contrats transitionnels mais il faut une vision d’ensemble des transitions. Quant au demi salaire, la question est d’éviter qu’un petit boulot ne débouche que sur un petit boulot. Si on y arrive, la baisse de coût du travail n’est que temporaire et peut être expliquée.

Q3. Bien que ce soit surtout des administrations (Police, EN) qui ont eu recours aux emplois jeunes, l’effort nécessaire pour que ces emplois débouchent sur des emplois stables et qualifiés n’a pas été fait. Cela ne démontre-t-il pas la fragilité du concept de « contrat transitionnel » ? Par ailleurs, pour que ce système très fin de marchés transitionnels de l’emploi marche, il faudrait une régionalisation profonde de leur organisation ? Comment voyez-vous cela pratiquement ?

R. Il y a une dichotomie fâcheuse entre le système UNEDIC-ASSEDIC et le système ANPE. Si l’on indemnise d’un côté et reclasse de l’autre, personne n’est vraiment très motivé et efficace. Dans un système vertueux, certaines des dépenses d’indemnisation doivent pouvoir financer des politiques actives de l’emploi. La région est effectivement le noyau autour duquel doivent être organisés les marchés transitionnels. Elle commence à avoir des responsabilités en matière de formation continue qu’il faut effectivement réformée par la mise en place d’observatoires régionaux de l’emploi. Quant aux emplois jeunes, non seulement ils n’ont pas été de vrais tremplins mais en y recrutant beaucoup de Bac + 5, on a créé un effet d’aubaine regrettable qui aurait été éliminé dans le système danois. Les mesures phares de la nouvelle politique de l’emploi devraient consister à favoriser les rotations (d’après les simulations, 20000 emplois au plus seraient créés par les CNE), à régionaliser avec un dispositif de coordination très militant, enfin à prendre quelques mesures hautement symboliques pour intégrer les laissés pour compte dans les marchés transitionnels.

I. Les CNE ont l’avantage important de freiner le développement des stages au rabais mais aussi de mettre à mal le discours du MEDEF sur la rigidité du marché du travail.

R. La crainte de licencier est assez généralisée même aux USA où l’on assiste à une juridiciarisation croissante de la relation salariale : Les avocats trouvent toujours des voies de remise en cause des licenciements Quant aux stages, tout dépend du rapport de forces qui conduisent le patron à s’expliquer très en détail sur le fait qu’il ne fait pas de discrimination. En France, les gens se crispent sur la protection parce qu’ils ne comptent que sur les marchés transitionnels « internes » aux entreprises et très peu sur ce que la collectivité peut offrir au niveau de ces marchés. La faiblesse du système des PME y ait pour beaucoup.
Entre 1995 et 2000, les USA se sont rapprochés du plein emploi et se sont occupés davantage des salariés, tandis qu’en France, le patronat reste dans une culture de « cueillette ». On multiplie les exemptions au droit du travail sans beaucoup d’effet. Ce n’est pas la bonne voie. Quant aux syndicats, ils ne s’occupent pratiquement que des salariés. Avec les 35h, ils n’ont pas lutté pour l’emploi. Si on flexibilise le marché, il faut donner des garanties massives complémentaires (formation, organisation des marchés transitionnels etc…)

Q4. Ne faut-il pas privatiser l’ANPE qui est une machine administrative qui ne produit rien ?

R. La privatisation est taboue en France. Les hollandais ont procédé à une privatisation massive des services de l’emploi y compris pour le versement des aides. On peut faire un appel d’offres du type : » j’ai 1000 chômeurs, que proposez-vous pour les reclasser et à quel prix ? Cela implique en revanche de « profiler » les chômeurs. C’est très technocratique et conduit à des risques d’écrémage laissant les moins employables de côté que seule l’ANPE, soumise à des demandes de profilage des ASSEDIC, pourrait contrer. En revanche, on pourrait privatiser avantageusement le réseau de collecte d’informations sur les offres et les demandes.

Q5. Quid du statut de la fonction publique dans votre réflexion ?

Au Danemark, l’Etat est obèse mais avec deux noyaux, celui des fonctionnaires centraux et celui des fonctionnaires régionaux moins avantageux. Dans les grandes entreprises, on stabilise les gens en organisant leur mobilité. Ceci devrait jouer dans la fonction publique.

Q6. Avez-vous pu suivre ce que font les associations « intermédiaires » entre les entreprises et les chômeurs ?

R. Elles doivent naturellement avoir une place dans les négociations pour l’organisation des marchés transitionnels.

Q7. On a bien compris votre idée directrice. Concrètement comment mettre en route le système qui réclame une organisation d’ensemble alors qu’on souffre de réformes partielles, parcellaires ? Dans quelles directions vont évoluer les emplois marchands en Europe ? Il faut des passerelles, mais pour quoi faire ?

R. Dans un premier temps, il nous fallait une vision globale avec l’intuition qu’en prenant le problème par des petits bouts, on est perdant. Bref, il fallait mettre en place une boussole. C’est à cela que correspondait le travail conceptuel déjà fait. Il faut maintenant se concentrer sur la pratique. Je fais maintenant partie, d’un groupe d’évaluation de l’ensemble du dispositif de subventions mis en place par la Région Rhône-Alpes. Je travaille aussi dans un groupe international sur les restructurations (contrairement à ce qu’on croit, le problème est plus aigu que chez nous dans un pays comme la Pologne) mais qui en est moins loin. Il devrait exister dans l’UE un système d’aide aux travailleurs français victimes des délocalisations dans l’Union qui préfigurerait ce qui devrait exister à l’échelle mondiale dans l’esprit de la déclaration universelle des droits de l’homme. Je fais enfin regarder la généralisation des bonnes pratiques.

Gérard Piketty

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