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08/03/2010 - Réforme des collectivités territoriales - Anicet Le Pors

Exposé

Pour N.Sarkozy, la France serait une somme d’anomalies qu’il faudrait faire disparaître qu’il s’agisse de l’inscription du principe de laïcité dans sa constitution, de l’intégration basée sur le droit du sol et l’égalité des citoyens, d’une population active dont 25% sont régis des statuts et non par des contrats ou encore de l’existence de 36000 communes et cent départements. Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet, sa stratégie est la « banalisation » : il faut mettre la France aux normes ! Dans cette démarche, la réforme des collectivités territoriale est une pièce maîtresse avec les coups portés à l’autonomie des collectivités territoriales, aux services publics et à la fonction publique.
Il est significatif qu’il la justifie par des raisons extérieures : empêcher les délocalisations, attirer des entreprises alors que leur implantation dépend de bien d’autres considérations.
Dans son discours de St-Dizier du 20 octobre 2009, il appelle à raisonner en « pôles et en réseaux », plutôt qu’en « circonscriptions et en frontières », ce qui est tenir la souveraineté nationale et populaire pour quantité négligeable.
Il invoque encore le « mille-feuilles » des niveaux d’administration, mais en réalité il n’y en a que six qui soient déterminants : les communes, les regroupements de communes, les départements, les régions, la nation et l’Europe.
Or, l’ensemble communes-départements-nation est politique et l’ensemble regroupements de communes-régions-Europe est essentiellement économique. Dans un pays démocratique le politique doit l’emporter sur l’économique. Nicolas Sarkozy tourne le dos à ce principe avec la création des conseillers territoriaux, la création de métropoles, la suppression de la taxe professionnelle. Les agglomérations de communes vont prendre le pas sur celles-ci ; les régions sur les départements ; l’Europe sur la nation, alors même qu’on voit la difficulté à faire émerger son institution politique.
Le nombre de conseillers territoriaux (qui se substitueront aux conseillers généraux et conseillers régionaux) sera réduit de 6000 à 3000 éloignant les citoyens de leurs élus. Leur élection au niveau du canton par un scrutin uninominal à un tour pour 80% et à la proportionnelle pour le reste, favorisera la bipolarisation de la vie politique.
On peut considérer le projet de réforme sous trois angles :

1. LES COMPETENCES. – Régions et départements vont perdre la clause de compétence générale et n’auront donc que les compétences qui leur seront conférées par une loi qui sera discutée ultérieurement.
Elle fixera aussi les champs de compétences pour lesquels la région et le département organiseront un appel à délégation de compétences auprès d’une commune, d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) lorsqu’il y est autorisé par ses statuts ou d’une métropole ainsi que ceux pour lesquels la région organise un appel à délégation de compétence auprès d’un département. La décision de déléguer restera à l’autorité délégante qui devra motiver le refus opposé au demandeur.
– Une nouvelle collectivité territoriale à statut particulier sera créée : la métropole, comprenant au minimum 500 000 habitants. Elle aura pour vocation à se substituer, sur son territoire, au département dont elle reprendra les compétences, auxquelles s’ajoutent les compétences exercées par les communautés urbaines. L’initiative de cette création appartiendra soit à l’organe délibérant d’un EPCI, soit aux communes membres d’un tel établissement, soit au préfet du département concerné qui pourra donner suite ou non aux demandes dont il est saisi. Si oui, il élabore un arrêté de périmètre qui peut moduler la proposition initiale de périmètre afin de définir le territoire qui lui apparaît le plus pertinent pour la nouvelle collectivité territoriale.
La création de la métropole est soumise à l’accord des conseils municipaux des communes incluses dans le projet de périmètre, selon une règle de majorité qualifiée analogue à celle applicable en matière de création d’un EPCI. Le rôle et le pouvoir du préfet de département seront donc significatifs dans leur création.
Les conséquences de ces créations pourront être lourdes : que deviendront les départements amputés des communes intégrées dans les métropoles (50 commune par exemple pour la métropole lyonnaise) ?
– Les préfets auront obligation de faire approuver un schéma départemental de la coopération intercommunale avant le 31 décembre 2011. Il sera arrêté à l’issue d’une concertation menée avec l’ensemble des conseils municipaux des communes et des organes délibérant des EPCI concernés par ses propositions, ainsi qu’avec la commission départementale de la coopération intercommunale. Celle-ci aura la possibilité de proposer des modifications au projet qui lui sera soumis. Si ces modifications sont votées à la majorité des 2/3 de ses membres, le préfet sera tenu de les prendre en compte dans le schéma qui sera révisé selon une fréquence qui ne peut excéder six ans.
La mainmise de l’exécutif présidentiel sur les collectivités territoriales sera donc renforcée en raison des pouvoirs accrus accordés aux préfets et tout spécialement aux préfets de région.

La réforme est nécessaire mais c’est une question difficile qui nécessiterait un débat qui n’a pas eu lieu.
Trois principes devraient la guider : 1. Maintenir l’unité de la République. C’est à ce niveau que doit se définir l’intérêt général ; 2. La libre administration des collectivités territoriales 3. Une subsidiarité « en montant » : ce qui ne peut être fait à un niveau doit être réglé au niveau supérieur

2. LES FINANCES La réforme va se traduire par une réduction des capacités de financement des CT alors que leur dette ne représente que 10% de la dette publique du pays. La suppression de la taxe professionnelle au profit d’une contribution économique territoriale (CET) se traduira par une perte de recettes dont la compensation est encore mal assurée. Il en résultera un allègement de 11GF pour les entreprises en 2010, justifié par la lutte contre les délocalisations.

3. LES ASPECTS GESTIONNAIRES. La réforme est inséparable de la politique générale de réduction de la dépense publique et par là des moyens des services publics. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite en est la mesure emblématique imposée sans justification. Les moyens des administrations déconcentrées seront donc réduits. À cela va s’ajoutera une réduction des moyens des administrations décentralisées, due à la suppression de la TP ainsi qu’une contractualisation accrue des emplois en invoquant la réforme elle-même (création de métropoles etc.) au risque d’un encouragement du clientélisme, voire de corruption dans la concurrence qui va se développer entre collectivités. Au total un affaiblissement du service public alors même que la crise a révélé qu’il en avait été un amortisseur et le garant d’une éthique républicaine.

Débat

Q1. La création des conseillers territoriaux n’annonce-t-elle pas la fusion des régions et des départements ?
R. Elle n’est pas annoncée pour l’instant mais la région va être favorisée. Si l’on y ajoute la création des métropoles,on va vers un bouleversement du paysage des CT.

Q2. On voit bien les limites des communes en matière d’habitat ou d’urbanisme. L’intercommunalité ouvre beaucoup d’espaces. On a l’impression que vous sous-estimez leur impact au plan économique bien sûr mais aussi au plan politique.
R. Je ne méprise pas l’économique. L’intercommunalité est une réalité déjà installée mais ce n’est pas un plus du point de vue de la démocratie. On a 500000 élus qui s’intéressent à la chose publique et 500000 qui aspirent à les remplacer, il faudrait être fou pour s’en priver. Le « faire plus gros » ne peut être l’unique critère.

Q3. Pour l’opinion, le comité Balladur était relativement bipartisan. Le projet de réforme a été absent de la campagne électorale. Comment le citoyen peut-il prendre conscience du problème dans ces conditions ?
R. Nous sommes dans une période de forte décomposition sociale. On ne quitte pas un siècle de fortes idéologies messianiques sans un désarroi qui est normal. Deux voies de recherche : – Quelles sont les contradictions à l’œuvre aujourd’hui ? – Que doit-on garder de l’héritage ? Certainement la citoyenneté.

Q4. En regardant par exemple la question de l’habitat, Il paraît évident que l’économique doit faire évoluer les frontières du politique. Comment faire bouger les frontières du « politique » tant vers le « supra communal » que vers « l’infra communal » (démocratie de proximité) avec votre position ?
R. C’est pour cela que j’ai parlé de subsidiarité montante. Je ne vois pas en quoi la question de l’habitat délégitime la commune.

Q5. Le projet de réforme n’a pas été débattu car le sujet n’accroche pas l’opinion. Mais je ne suis pas d’accord avec votre distinction entre l’économique et le politique. Quand on parle d’économie, on ne parle pas que de marché. On réfléchit aux inégalités entre territoires, aux échelles auxquelles il faut travailler, à la façon de s’organiser pour le faire etc… le politique et l’économique sont étroitement intriqués. Les modes de vie ruraux et urbains sont de plus en plus dissemblables. Ne faut-il pas d’abord réfléchir à ce que doit être le projet pour la ville, pour les divers territoires et, partant de là, s’interroger sur les meilleurs organes et institutions pour les gérer. Les très grosses villes peuvent irradier du développement autour d’elles mieux que ne le pourrait régions ou départements. Il faut acter cette réalité et donner la priorité » au citoyen.
R. Vous privilégiez le local par rapport au national et l’économique par rapport au politique. Il faut certes une spontanéité citoyenne mais on risque, ce faisant, d’abandonner les décisions maîtresses à ceux qui ont le pouvoir. Il faut la primauté du politique et de la souveraineté nationale. Je suis plus à l’aise pour défendre une citoyenneté mondiale qu’une citoyenneté européenne !
S. Les 500000 élus constituent un groupe de pression pour s’opposer à toute réforme. Il y a des effets pervers à la décentralisation. Les élus ne peuvent être porteurs du débat. R. Les idéaux ont disparu. Les élus se replient sur la gestion. Qu’est ce qui distingue maintenant un élu d’un autre si ce n’est la compétence sur la gestion ? Le PS n’a jamais eu autant d’élus. Les 10000 élus du PC font le parti.

Q6. 1/ N’est-on pas en face d’une recentralisation importante ? 2/ Vers quoi va-t-on au plan des finances ? 3/ Qu’est-ce qui pourrait apparaître dans la plateforme socialiste pour 2012 sur ce sujet ?
R. 1/ Oui. Tous les effets de concentration du pouvoir sont contraires à l’article 72 de la constitution. 2/ Personne ne le sait. 3/ Médiocrité de l’offre politique.

Q7. 1/ Comment tenir compte de l’hétérogénéité des communes ? 2/ N’y a-t-il pas besoin d’une clarification sur les financements croisés ?
R. 1/ Il n’y a que des cas d’espèce et il ne faut exclure aucune forme de regroupement. Il ne faut pas donner la « compétence générale » aux métropoles.
2/ Ils ne représentent que 6 à 12% des financements. La procédure des CPER (contrats de plan État-Région) est bonne dans son principe.

Gérard Piketty

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