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07/10/2011 - Croissance sélective ? - Jean Gadrey

Exposé

« La croissance n’est pas la solution. Elle est le problème » Je suis conscient de m’attaquer au dogme le plus répandu, à droite comme à gauche, depuis un demi siècle.
– Quelques bonnes raisons de dire « Adieu à la croissance » :

• Sir Nicholas Stern en 2009 : Les pays riches vont devoir le faire pour éviter le réchauffement climatique
• Une croissance de 2%/an signifie en 2100 6 fois plus de biens et services à consommer. Cela a-t-il un sens ?(NDLR : Cela dépendra de la part immatérielle de la valeur ajoutée dans cette croissance ?)
• La croissance considérée est celle du PIB (progression de la somme des valeurs ajoutées des biens et services marchands vendus + coûts de production des services non marchands, diminuée de l’inflation). On n’y compte pas ce qui fait que la vie vaut d’être vécue. Les dommages écologiques de la croissance ne sont pas pris en compte alors que les activités de réparation de ces dommages sont incluses dans le PIB.
On ne compte pas ce qui échappe au marché (bénévolat, travail domestique…)
• Stiglitz souligne qu’on vient de connaître une décennie de forte croissance du PIB mais aussi de déclin de la qualité moyenne de la vie
• La progression du PIB ne s’accompagne d’une amélioration des variables de bien-être (santé, éducation …qu’en deçà d’un certain seuil.
• Enfin la crise écologique rend impossible une croissance(NDLR : matérielle) infinie : il faudrait n’émettre pas plus qu’1,7 tCO2/hab dans le monde. On est à 3,5. La France est à 8,5. Avec la population prévue en 2050, l’émission moyenne de 1,7 devrait être réduite à 1,2 tCO2/hab Ces arguments ne sont pas contestés par les croissancistes, mais pour eux la réponse est dans « la croissance verte ».

– Que faut-il en penser ? C’est la tentation scientiste. Il y a de sérieux doutes qu’elle soit la réponse au problème posé car : • Il faut diminuer par un facteur 5 les émissions de C des pays développés. On n’a réduit que de 4% en dix ans : il faut faire 10 fois plus. Le scénario de l’association « Négawatt » montre le chemin.
• Le pétrole s’épuise. Il semble bien que le « peakoil » soit dépassé et que les prix du pétrole vont s’envoler
• La croissance verte suppose aussi toujours plus de matières premières dont l’épuisement est également prévu. Sans compter les besoins en terres arables, l’eau etc..
• On nous dit que le salut viendra de nouvelles technologies : EPR plus voiture électrique,OGM, agro-carburants, immatériel. Mais mesure-t-on qu’il faudrait 18 EPR pour faire tourner un parc français de voitures électriques, que « l’immatériel » aujourd’hui (NDLR : en France ?) consomme l’équivalent de la production de 7 EPR.
Au total, la croissance des émissions de C ne cessera pas et ma conviction est que la croissance va prendre fin dans tous les cas de figure.Si on n’anticipe pas, ce sera bien pire. Bien sûr à court moyen terme, il faudra encore de la croissance en France. Son arrêt, de même que l’arrêt du nucléaire ou de l’agriculture productiviste, ne se décrète pas. Il faut du temps. Mais il faut préciser la trajectoire à suivre après le virage. On aura la non croissance des quantités globales avant d’en arriver à la décroissance.

– Les alternatives : Aller chercher avec les gens le bien vivre sur la base d’une économie « du prendre soin » (le « care ») et non « du produire plus ».L’idée de « sobriété volontaire » permet d’économiser ce qui est précieux : la nature, le lien social, la démocratie…
Peut-on avoir le bien vivre sans produire plus ?Oui, en mettant en place des assises citoyennes avec une place privilégiée pour les citoyens et non des économistes, pour décider des besoins à moyen et long terme. Si les gens ont le temps de délibérer, ils savent décider des scénarios prioritaires. J’ai participé en 2009 à une conférence citoyenne avec 15 citoyens tirés au sort acceptant 4 WE successifs pour se former. À la fin, ils indiquaient clairement les priorités.Il y a une formidable intelligence populaire en friche.
Exemple : l’agriculture. Vu les dégâts causés par l’agriculture productiviste,l’eau qui s’épuise, le pétrole pour fabriquer les engrais etc… il faut avec Olivier de Schutter, rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, prôner le retour à une agriculture de proximité respectueuse de l’environnement : l’agro-écologie.
Aujourd’hui les gens n’ont pas le choix. Le « bio » coûte plus cher malgré plus de 30 traitements aux pesticides pour faire une Golden et on ne prend pas en compte les dommages écologiques collatéraux du gigot néo-zélandais. Il faut donc réorienter la production agricole vers les circuits courts, encourager les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) … Mais il n’y a ni volonté politique ni politique globale alors que cela serait bon pour l’emploi : privilégier les gains de qualité sur les gains de quantités, créerait 30% d’emplois de plus dans l’agriculture soit 200 000. Seulement 0,4% du potentiel de l’INRA travaille au problème d’une trajectoire durable.
On pourrait dire la même chose de l’énergie. Un Kwh renouvelable est compté comme un Kwh nucléaire. La dissémination de la production d’énergie serait très créatrice d’emplois.
– Mais la transition implique une grande condition sociale :Une forte réduction des inégalités. À défaut on creusera l’écart entre ceux qui peuvent s’offrir la production verte et ceux qui ne le pourront pas. Parler de consommation responsable à des gens qui ne s’en sortent pas est proprement irresponsable.

Débat

Q1. Il faudra bien rémunérer les emplois de l’agro-écologie. Cela ne rendra-t-il pas plus attractifs les produits de la mondialisation ?
– Comment concilier 9 milliards d’habitants de la planète en 2050 et la décroissance. L’objectif de celle-ci n’est-il pas contre nature ? La voiture d’aujourd’hui est très supérieure à la 2CV, revient 2 à 3 fois moins cher et cause beaucoup moins d’accidents.Ce progrès est-il conciliable avec la stagnation qui semble sous-jacente avec l’économie du « care » ?
– Votre diagnostic est juste mais l’articulation du processus idéologique proposé avec le monde réel n’est pas évidente. Comment tenir votre discours aux pays émergents ? La productivité est un critère absolument indépassable. Dire que ce qui est à produire est« autre » est flou et, même en l’admettant, on n’échappera pas à la productivité. Le nier serait vouloir faire de l’organisation de la production le bonheur même de la société. La démocratie a besoin d’être dérangée à chaque instant pour n’en pas rester à une espèce de soupe molle. Elle va de pair avec l’instabilité, le sens du malheur.Penser un système où tout serait rendu harmonieux, fait dresser les cheveux sur la tête !
R. – la montée en qualité de la production agricole rendra plus chers les produits, mai ce ne seront pas les mêmes.
– Les chinois vont continuer à faire du bas de gamme peu coûteux mais ils commencent aussi à changer leurs pratiques.
– Il n’y aura pas de solution au libre échange de l’OMC sans obtenir qu’elle à adoption les normes contraignantes du BIT et du PNUE. À défaut, il faudra des contrôles aux frontières.
– Coût de la voiture ? Jusqu’où peut-on aller dans les gains de productivité sans intégrer l’épuisement des réserves et les dommages collatéraux sur le sens du travail ?
– Articulation entre le diagnostic et les propositions ? Prendre conscience qu’il faudrait les ressources de 5 planètes Terre pour que le Monde accède durablement au niveau de vie des USA.
– Limite à la démocratie ? Pourquoi m’embêter avec cette question alors que je prône le débat citoyens ?

Q2. – pourquoi vouloir anticiper sur l’épuisement des matières premières et ne pas laisser jouer les mécanismes de marché ? L’épuisement de certaines d’entre elles conduira à une augmentation progressive de leur prix et à une adaptation des consommateurs. C’est vrai qu’il faut tenir compte des dommages collatéraux causés à l’environnement et qu’il faut arriver à les faire « internaliser » dans les coûts et les prix. Mais ce n’est pas un combat perdu. Loin de là.
Le problème du réchauffement climatique se pose différemment de celui de l’épuisement des matières premières : C’est le problème de la taxe Carbone ou Droite et Gauche (à l’exception des écologistes) se sont entendues pour contrer Rocard et Sarkozy qui avaient raison.
– Il faut une gouvernance politique musclée pour opérer la transition que vous proposez. Où la trouver ?
– Il manque une grande théorie de la régulation. En voyez-vous une ? Quels renoncements peut-on envisager ?
– Que faites vous de la désindustrialisation et du chômage qui s’ensuivrait alors que l’Allemagne a su l’éviter ? – Sentez-vous un frémissement politique dans votre sens dans la précampagne présidentielle ?
R. – Comment arriver à une taxe carbone alors qu’il n’y a pas deux économistes pour se mettre d’accord sur son montant ! (NDLR : Pourquoi pas la démarche pragmatique proposée par Rocard – Martin ? :on commence à un niveau bas que l’on fait évoluer en fonction des résultats constatés ?) Et puis, attention à ne pas renforcer les inégalités (NDLR : C’est un autre problème : celui des corrections à apporter aux inégalités de revenus)
– C’est la société civile qui est en pointe par des méthodes démocratiques. Les expériences de solidarité sont menées par l’économie sociale et solidaire. C’estvers elles qu’il faut se tourner pour organiser la transition.
-Renoncements ? L’engagement collectif et la transformation des modes de production priment sur les renoncements individuels car la majorité des gens n’ont pas la marge de manœuvre nécessaire.
– Désindustrialisation ? J’ai vécu le débat citoyen sur la fermeture de la raffinerie TOTAL de Dunkerque car TOTAL n’était pas légitime à fermer « sec » avec 9 milliards de profits. Elle devait financer sur place la reconversion et la ré-industrialisation, d’autant que le développement des énergies renouvelables nécessitera plus d’emplois que l’effectif de la raffinerie.
On ne peut copier le modèle allemand de déflation salariale. D’ailleurs l’Allemagne se désindustrialise aussi.

Q3. Que pensez-vous d’un contrôle des naissances ? Y a-t-il une durabilité possible avec 8 à 10 milliards d’habitants sur la planète ?
R. Sur la base d’expériences agro-écologiques menées en Afrique, De Schutter estime qu’en peut nourrir 10 à 11 milliards de personnes tant en rendement qu’en qualité. Le néolibéralisme fait plus de dégâts que la démographie.

Gérard Piketty

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