Exposé
La question est d’actualité. La loi de bioéthique de 2004 donne avec 5 ans de retard sur la date de la révision prévue par la loi de 1994 le point de vue actuel de la société face au point de vue médical qui résulte des perspectives ouvertes par le clonage en 1997 du mouton Dolly et des avancées importantes de la génétique, tout deux posant la question de la possibilité d’expérimentations sur l’embryon humain et donc celle de son statut.
En matière de bioéthique, la relation médicale classique est débordée :
– par les champs des interventions possibles (expérimentation sur sujets humains, prélèvement d’organes et greffes, maîtrise des mécanismes de la reproduction, neurosciences et imagerie médicale, réanimation.
– par les personnes qui rentrent en jeu : le colloque singulier du médecin et du patient ne peut plus marcher en raison de la lourdeur des interventions, de la multiplicité des personnes intervenant dans la fourniture des biens et services médicaux nécessaires, de la complexité nouvelle de la famille.
– par la complexité sociale des problèmes posés qui se traduit notamment dans les comités consultatifs d’éthique (dont la loi ne suit pas toujours les avis) par la présence de juristes, de sociologues, de théologiens permettant de rassembler l’ensemble des points de vue différents sur le bien à promouvoir ou le mal à éviter. Que faire entre le médecin confronté à l’urgence concrète du patient, les chercheurs pour qui ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique, les juristes qui ont besoin de textes ?
Trois nouveautés concernent la transmission de la vie :
– La FIV. Production de 40000 embryons par an en France ;
– La médecine fœtale qui progresse plus vite pour le diagnostic que pour la thérapeutique ;
– La génétique médicale new look capable de détecter les parties sensibles du génome.
Le problème du passage de l’éthique au droit se pose autour de trois questions majeures :
1. l’accession aux possibilités ouvertes par la PMA. Pour n’importe qui ? N’importe comment ? Fallait-il transcrire dans le droit les règles de fonctionnement des associations existantes de mères porteuses ou de don du sperme ? Le couple de recueil de l’enfant doit-il être marié ou non ? La loi impose qu’il existe depuis au moins deux ans (comment le constater en cas d’union libre ?). Quid de l’âge des parents ? La loi ne dit rien sauf pour les femmes (avant l’âge classique de la ménopause) et impose deux parents.
2. Les dons de gamètes Les associations de centres d’insémination artificielle exigent d’avoir à faire à un couple de recueil mais aussi que le donneur soit issu d’un couple ayant déjà des enfants et agisse avec l’accord de sa femme. La gratuité pour le donneur est la règle. Pas plus de cinq naissances par donneur pour éviter les problèmes de consanguinité (point élargi par la loi de 2004). L’anonymat du donneur a été repris par la loi. Le point soulève une controverse entre les psy au nom du droit de l’enfant à connaître ses origines (Même s’il n’y a pas de statistiques capables d’en prouver l’effet pathogène, on y fait quand même attention) et les juristes qui ont besoin de pouvoir établir avec sûreté la filiation de l’enfant face à l’irruption des tests génétiques. La réalité doit donc être camouflée juridiquement avec l’accord des parents qui doivent signer une déclaration déposée chez le notaire ou le juge des affaires familiales qui fixera juridiquement la filiation.
3. Le statut de l’embryon. La FIV donne produits des embryons qui sont congelables à la différence des ovules qui ne le sont pas. La surovulation par la femme est une opération lourde, dangereuse et douloureuse qui ne donne lui guère envie d’avoir à y revenir. On garde donc des embryons en nombre suffisants pour quatre tentatives d’implantation. C’est ainsi qu’on en a des dizaines de milliers en réserve. Qu’en faire ? La loi de bioéthique de 1994 n’avait pas statué clairement sur son statut qui pose un problème au triple plan ontologique (Nature de l’embryon), éthique (Que peut-on en faire ?), juridique redevenu d’actualité avec la question de l’expérimentation sur les embryons.
– Au plan ontologique, on peut dire certes que l’embryon est de l’ordre de l’humain. Peut-on dire qu’il est un individu alors qu’il est divisible jusqu’à l’âge de 14 jours ? Est-il une personne ou plutôt une personne humaine potentielle comme le propose le CCNE ? Pour P. Ricoeur, cette définition est un cache misère et il faut être Dieu pour dire ce que c’est.
– Au plan éthique, l’église applique le principe de précaution : s’il peut devenir une personne, traitons le comme une personne. Les anglo-saxons se réfèrent à l’apparition de la plaque neurale vers 14 jours qui rendraient la douleur perceptible. Atlan parle du pré-embryon.
Ce qui se dessine : on laisse de côté la question du statut pour mettre en avant le projet parental. On n’a pas le droit de créer un embryon pour la recherche mais on peut sortir un embryon existant du projet parental. Ce qui traduit par le CCNE donne : l’embryon doit être respecté, mais pas absolument. Finalement, sous la réserve de sortie du projet parental i.e nécessitant un accord écrit des « parents » avant la conception, les embryons surnuméraires peuvent être utilisés pour la recherche mais le blocage demeure pour le clonage thérapeutique.
Débat
Q1. Un embryon « médicament » peut-il être considéré comme un projet parental ?
R. La loi de 1994 autorisait un DPI si le couple avait déjà un problème avec un enfant. La loi de 2004 autorise de faire naître et maturer un embryon pour soigner le frère aîné, admettant donc que l’enfant n’est pas nécessairement voulu pour lui-même mais qu’il n’en entre pas moins dans un projet parental.
Q2. Où en est l’harmonisation européenne en matière de bioéthique ?
R. Il existe une convention européenne de bioéthique qui a réussi sur certains points à harmoniser les positions où la France se trouve généralement en position intermédiaire entre la Belgique, l’Espagne et la GB (les « libéraux ») et l’Allemagne qui en raison de son passé campe sur des positions très raides (pas d’expérimentation sur l’embryon considéré comme existant dès la formation du génome, une vingtaine d’heures après la pénétration du spermatozoïde).
Q3. Le donneur de sperme sait-il ce qu’on veut faire des embryons ?
R. La question se poserait en cas de recours au sperme d’un donneur pour la réalisation d’une FIV. Elle ne se pose pas encore réellement. La loi actuelle est basée sur l’interdiction du double don.
Q4. Ne peut-on sortir de l’assimilation de l’éthique à la morale ?
R. « L’éthique, c’est la morale qui a perdu son latin !». Le grec « Ethos » signifie la même chose que le latin « mores » ! Pour Ricoeur, l’éthique est une visée bonne ou sensée dont découlent les comportements. La recherche du sens se fait, pour lui, dans trois directions : l’estime de soi, la sollicitude pour autrui, la vie dans des institutions justes. L’éthique aboutit donc à une délibération qui rencontre nécessairement des normes intériorisées par chacun comme faisant sens. Le conflit éthique peut exister : exemple la question du dépistage du dépistage prénatal sur une population a priori saine ? La CCNE y réfléchit. Il faut savoir qu’il y a des îles qui vendent leur génome à des sociétés de dépistage.
Q5. Les limites posées peuvent être contournées. L’édifice éthique ainsi construit est bien fragile. La libération de toutes les pratiques technologiquement possibles n’est-elle pas en effet inéluctable si chaque pays peut faire comme il veut et que le moins disant en matière de règles risque de s’imposer ?
R. Hélas oui, s’il y a un marché solvable ! Il faut ajouter à cette diversité des attitudes de chaque pays, les différences de culture : la Corée et le Japon n’abordent pas du tout le problème sous le même angle. La pulsion cognitive des chercheurs est positive. Sa conjonction avec les marchés présente des risques élevés. Ceci ramène aux institutions « injustes » de P.Ricoeur. Les moralistes disent ce qui devrait être mais savent qu’il pourrait en être différemment. C’est la raison pour laquelle il est important d’insister sur la nécessaire formation d’un Droit.
Q6. Donner du sens aux actions se rapportant à la procréation ? Jusqu’il y a peu on « attendait » un enfant. On exige maintenant que cela ait du sens. L’origine biologique est certes moins importante que l’accueil affectif. Il reste qu’il est difficile de répondre à la question de savoir ce qui donne du sens. Pour une FIV, que veut réellement le couple ? Le médecin peut-il rester seul face au couple ?
R. les souffrances liées à l’infécondité désignent quelque chose où les gens mettent de diverses façons le sens de leur existence. Pour les uns, enfanter, c’est défier la mort. Pour beaucoup, la conjugalité ne se concrétise vraiment qu’avec le don réciproque de l’enfant. Les souffrances de l’infécondité sont des souffrances conjugales (Le don du sperme est davantage prôné par le mari que par la femme). Enfin, il y a une dimension intergénérationnelle : engendrer, c’est dire aux parents que, comme eux, on souhaite devenir père et mère, comme en témoigne la joie d’un grand-père FIVETE rencontré. Les choses sont effectivement moins évidentes que ne le donne à penser la formule à la mode du projet parental ! Les parents s’imaginent qu’ils vont « faire » leur enfant et s’aperçoivent que les enfants ne se laissent pas faire ! Il y a quelque chose d’ambigu dans le projet parental. Faire advenir des enfants ne doit pas être comme si on remplaçait Dieu par un projet parental. Il est heureux que les enfants puissent échapper à la « volonté » des parents. Cela n’interdit pas tout projet. Mais cela ne le limite-t-il pas et où ? Ceci dit que veut effectivement le couple demandeur d’une FIV lorsque l’on voit une demande d’IVG faite après une FIV ou encore un bébé FIV devenu un enfant battu !
Q7. Devant la force du désir d’enfant, ne doit-on pas redouter une certaine vénalité du milieu médical qui pousse à l’acharnement ?
R. Ce serait peut-être noircir excessivement la situation. Quoiqu’il en soit, l’introduction d’un tiers est très importante dans le dialogue entre le médecin et le patient.
Q8. J’ai eu l’impression, en écoutant votre exposé, d’avoir affaire à un homme de loi ! Comment êtes-vous perçu au CCNE et dans les milieux où vous intervenez ?
R. J’ai peut-être donné cette impression pensant avoir affaire à des « citoyens » soucieux de la loi. Avec le CCNE qui se fiche de ce que dit le Pape, j’entre donc à fond dans une démarche « sapientielle » et non « prophétique » pour se donner le temps de peser les contradictions de la condition humaine. Mais je souligne aussi les risques d’une médecine techniciste proprement inhumaine. Il y a effectivement quelque chose qui se détraque avec l’acharnement thérapeutique comme le montrent les cas déjà cités. Autre exemple de mon attitude : dans la discussion venue au CCNE à propos de l’affaire Perruche sur le point de savoir ce qui fait le plaisir de l’être handicapé, j’ai tenu à dire qu’il était peut-être capable d’amour. Avec les grands médias, la chose est plus difficile. On est pratiquement l’otage d’un animateur tenté de se livrer au jeu pervers de mettre en contradiction l’homme d’église qui ne « peut dire que ce que dit le pape » et le prêtre qui est à l’écoute des cœurs. Il faut donc parfois refuser d’y aller. Je préfère donc la presse écrite si l’on m’y fait une place.
Q9. La biologie ne peut-elle donner par elle-même des réponses à des questions éthiques concernant l’expérimentation sur l’embryon, par exemple sur la limite des 14 jours pour lui conférer un statut de personne ?
R. Le droit ne pourra bâtir quelque chose de solide sur des limites. Il s’oriente plutôt vers la distinction entre l’embryon implanté ou non. L’implantation doit se faire avant la 20ème heure, alors que pour l’expérimentation on peut attendre jusqu’à au moins 8 jours. Par ailleurs il n’est guère évident que la biologie à venir nous simplifie la tâche. La biologie moléculaire nous interdira bientôt de parler du tout nouvel embryon comme d’un grumeau de cellules en raison d’interactions complexes déjà présentes entre les cellules à ce stade. Enfin dès que l’on procède à un DPI, ne parle-t-on pas en fait d’enfant ?
Gérard Piketty
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