Exposé Je suis économiste des matières premières. Après 10 ans d’enseignement, j’ai eu envie d’expliquer la mondialisation.
J’ai entrepris un voyage d’étude sur la production du coton. J’ai rencontré des procédés de fabrication très différents. Un jour, dans un village ouzbek, je me suis étonné de voir tous les robinets d’eau ouverts. « Pas de problème, m’a-t-on répondu, on a l’Himalaya ». J’ai fait rapport et ai été contacté par la Compagnie Nationale du Rhône. Cette société originale créée à l’initiative du maire de Lyon associa aujourd’hui à son capital les collectivités locales riveraines du Rhône (17%), la Caisse des dépôts (33%) et ENGIE ex GDF (49,97%). Elle est propriétaire-concessionnaire des barrages hydroélectriques construits sur le Rhône.
La CNR m’a demandé de présider un Club avec une équipe pluridisciplinaire (archéologie, histooire etc…) couvrant les grands fleuves mondiaux.
Situation nationale. Nous avons mené une mission le long de la Garonne en situation d’alerte avec de moins en moins d’eau pour quatre raisons : Net réchauffement climatique ; pompages agricoles surtout en bas étiage, pression démographique (Toulouse a plus de 10000 habitants /an mais aussi Bordeaux) ; 20% d’eau en moins venant de la Dordogne.
La gouvernance de l’eau en France est assurée par six agence de bassin qui fonctionnent bien (Problème particulier de la Bretagne qui en raison de son socle cristallin ne dispose pas de ressources souterraines notables. Des conflits d’usage entre agriculteurs (70% des prises), l’agro tourisme qui a besoin d’eau dans les rivières… y sont de plus en plus tendus.
Dieu a créé l’eau mais par les tuyaux et les filtres. La gratuité n’existe pas. Que faire ? Le secteur public (les régies) a-t-il le monopole du service public ? La DSP (délégation de service public) est-elle admissible ? Ce fut là un des critères de l’identité droite/gauche. Progrès de la gestion privée en matière de transparence pratiquement nulle dans le secteur public.
L’international : Le réchauffement climatique (diminution du débit dans le Rhône du fait de la fonte du glacier d’Aletsch, le plus grand d’Europe) accroîtra l’inégalité des ressources ( Turquie est le château d’eau de la Mésopotamie ; détournement du Jourdain pour alimenter le Neguev. Projet d’amenée d’eau de la mer Rouge vers la mer Morte ? : énorme contrat d’ingénierie de 25 M$C pour en étudier la faisabilité.
Problèmes des deltas où vivent 800 Mhab. Ils sont tous en péril. Ils vivent des sédiments apportés par les fleuves qui diminuent du fait des barrages dont la multiplication pose problème. L’exploitation des gisements de gaz qu’on trouve dans les paleos deltas peut provoquer une subsidence importante (Vallée du Pô). Ces phénomènes provoquent la destruction des mangroves et une augmentation de la salinité des terres, la diminution de la production agricole, du riz par exemple dans le golfe du Bengale. Le Bengladesh est condamné à terme par les barrages construits sur le Brahmapoutre qui l’obligent déjà à importer du riz.
Dans les conflits d’usage, ce sont toujours les pays d’amont qui l’emportent (sauf si des rapports de force temporaires jouent en sens contraire comme entre l’Éthiopie et en aval le Soudan et l’Égypte avec l’appui de l’Angleterre). Ainsi avec le Mékong de la Chine et du Laos dont l’hydroélectricité est la seule ressource.
Une exception à ce sombre tableau : la bonne gestion du fleuve Sénégal par les quatre pays riverains : Guinée, Mali, Sénégal et Mauritanie, malgré les difficiles problèmes qui sont posés. Le fleuve ne prend sa source qu’750 m d’altitude en Guinée. Faible débit. Construction du barrage de Diana pour éviter la salinisation du delta, mais prolifération des oiseaux.
Je suis ambassadeur de l’Institut Pasteur au Vietnam dans la vallée du Nha Trang où se trouve le laboratoire construit par Alexandre Yersin ainsi que son tombeau dans un joli pagodon où pullulent malheureusement les moustiques dans les innombrables coupelles qui l’honorent.
Toujours les mêmes questions : Qui consomme l’eau, qui la produit, à quel prix, qui paie ? La gratuité n’est pas possible pour plusieurs raisons. Apparition d’entrepreneurs en purification de l’eau (avec un kit de purification à 25000 $). À Buenos Aires, les gens paient l’eau parce que cela leur confère un titre de propriété.
Débat Q1. Ne devrait-on pas créer un droit à l’eau au titre des droits de l’Homme ?
R. Allez demander à la Chine de respecter les droits des ………. Le droit du plus fort prévaut. Je crois assez peu au droit mondial. Les problèmes doivent être réglés bassin (hydrographique) par bassin.
S. Ce pourrait être pourtant un moyen de susciter des recherches. Il y a un problème de gouvernance. Un tel droit permettrait de poser quelques règles.
R. Le droit existe mais tout le monde le néglige. Aucun progrès dans la gestion internationale du droit à l’eau. Je suis effrayé par le problème posé par l’accélération de l’urbanisation et la pression démographique qui s’accroît (au Sahel : fécondité par femme passée de 6,8 à 7,2 enfants par femme.)
Q2. On parle d’eau douce sous la mer ? qu’en est-il ?
R. Il est moins cher de la dessaler que d’aller la chercher. La dessaler suppose la disponibilité de beaucoup d’énergie. À Alger où il y a sans arrêt des coupures d’eau, le gouvernement a décidé d’agir sur tous les fronts : dessaler, créer des barrages, réhabiliter les réseaux de distribution. Si vous êtes maire et avez le choix entre accroître l’offre et réhabiliter les réseaux (ce qui est peu médiatique pour les élus), que ferez-vous ? les élus doivent avoir un vrai sens de l’intérêt général. Notre démocratie est-elle compatible avec les politiques de long terme ?
Q3. Un droit de la gestion de l’eau existe à l’oNU. Ne peut-on en retirer un modèle exportable ?
R. Sur le Mékong, rien ; sur le Brahmapoutre, rien ;… Là où il n’y a qu’un seul pays concerné comme les USA avec le Mississipi, le problème peut être énorme. La Louisiane est sous l’eau. Il faut pomper avec le gaz du Texas et les problèmes de subsidence qui vont de pair. En somme, c’est l’économie circulaire, comme si Bayer soignait Monsanto.
Q4. À Addis Abeba tout le monde veut l’eau potable mais il n’y a pas de système de traitement de l’eau. On envisage un barrage qui servira de bassin de décantation. C’est vrai que ce n’est pas médiatique.
L’ONU ayant refusé de financer le grand barrage « Renaissance » sur le Nil bleu à 100 km de la frontière avec le Soudan, l’Éthiopie (de Mélès Zénawi) a décidé de le financer seule et a fait appel à la diaspora éthiopienne qui a répondu à l’appel pour se venger de l’affront fait par l’Égypte et le Soudan en 1929 en refusant d’attribuer des droits à l’eau conséquents à l’Éthiopie. Rappelons que le Nil bleu contribue à hauteur de 59% au débit du Nil en aval de Khartoum et que l’accord de 1929 réservait 66% des prélèvements à l’Égypte et 22% au Soudan.
R. La question principale avec l’urbanisation est le traitement des eaux usées. 1 milliard d’hommes n’ont pas accès à l’eau potable mais 2 milliards d’hommes n’ont pas de toilettes alors que l’assainissement n’intéresse personne.
Il y a une corrélation forte entre les systèmes de distribution de l’eau et l’éducation des filles (qui sont occupées à aller chercher de l’eau). La conjugaison de l’urbanisation et de la pression démographique créera des z à haut risque.
Q5. Eau et démocratie ?
R. Je suis frappé par les processus électoraux dont les échéances sont incompatibles avec les actions à mener. Singapour est le seul endroit où l’on réfléchit avec un horizon de 30 ans. Ils traitent l’eau, la recyclent et la distribue immédiatement. On ne ferait pas cela chez nous. J’ai trois propositions de thèse :
- Droit de vote inversement proportionnel à l’espérance de vie
- Que met-on dans le prix de l’eau ?
- Quelles sont les vraies dettes (environnementales, liées à l’énergie) ? Nous transférons le coût de l’eau sur les générations futures.
Q6. Vous avez souligné à juste titre la relation étroite en eau et énergie. Si on disposait dans tous les bassins d’une ressource énergétique importante, on pourrait atténuer le problème de l’eau. A contrario si les capacités en énergie ne suivent pas au rythme de la croissance des besoins en eau, on va vers de gros problèmes.
R. On ne peut effectivement pas parler d’eau sans parler énergie. À une date que je crois prochaine, le problème de l’énergie sera réglé par le solaire. Si on peut ainsi avoir un autre golfe Persique (où l’on désalinise à tour de bras grâce au gaz), le problème sera tout autre. Le problème sera alors celui de la transition avant d’en arriver là. Il y a toujours des nouveautés techniques mais là on cumule les difficultés sur l’eau et l’énergie et tout s’accélère.
J’ai visité Newcastle (Australie), premier port d’exportation de charbon (130 Mt/an). On y double les capacités en vue notamment d’exporter vers l’Inde. Comment dire non à un pays qui veut se développer ?
Q7. Interconnexion entre bassins hydrographiques où avec l’océan ?
R. L’océan est la poubelle de la Terre. Il n’y a pas de frontières.
Q8. Ethiopie –Egypte, va-t-on vers la guerre ou le statu quo ?
R. Un accord a été signé en 2015. Les Éthiopiens ont obtenu ce qu’ils voulaient. L’Égypte s’est lancé dans un nouveau projet pharaonique, « la nouvelle vallée [1]» financé par l’Arabie Saoudite. Fou ! Il prélèvera l‘eau dans le lac Nasser créé par le barrage d’Assouan.
Je suis frappé de voir qu’à l’ONU on n’a plus le droit de parler de la question démographique. La bombe du Sahel est allumée. Le système éducatif est en miettes. Les garçons en sont réduits aux trafics en tout genre et au djihad. Au Mali, tous les endroits normalement riches sont devenus pauvres parce qu’on n’a pas inclus l’agriculture dans les programmes de développement. On marche cul par-dessus tête : de la corruption sans progrès significatifs de la pacification.
En Europe, la gestion de l’eau marche encore bien que la pollution du Danube à Budapest devienne préoccupante.
Q9. Quels enseignements retirer de la gestion du fleuve Sénégal ?
R. Cela marche bien car il n’y a pas de grandes disparités entre les pays gestionnaires. Cela marche aussi bien entre les USA et le Canada pour le Saint Laurent. En revanche c’est plus difficile entre les états canadiens. Notre Club, par sa pluridisciplinarité et son caractère étranger, a pu jouer un rôle de médiateur utile dans le problème posé par l’agrandissement du port de Montréal (résolu par la création d’un port de conteneurs à 20km de la ville en zone réservée à la « population première ». La situation la pire est celle d’un pays relativement très faible et sans argent. Nous avons eu une collaboration en termes de métiers sur le Parana (Rhône 8000 m3/an. Parana 30000 m3/an). Gigantesque ! Le barrage d’Italpu est le plus puissant du monde (14000 MW ou trois grosses centrales françaises). Tous les ports du Brésil sont saturés et il faut détourner les trafics vers Buenos Aire
New Valley project (Égypte)[2]
Q10. Que veut dire donner la personnalité juridique à une rivière comme vous l’avez évoqué à propos de la Nouvelle Zélande ?
R. Les rivières néo-zélandaises sont dans un état épouvantable à cause des pollutions causées par l’élevage. Leur donner une personnalité juridique signifie qu’il convient de les respecter comme un être humain.
Q11. L’eau utilisée comme moyen de guerre (Israël, Cachemire….),devant tant de cynisme, ne peut-on rien dire ?
Y a-t-il des pistes de recherche sérieuses pour économiser l’eau ?
R. Oui, le recyclage. L’énergie est rare, pas l’eau. Dans la nature il n’y a pas de déchets. Il faut retraiter les mâchefers qui contiennent beaucoup de choses. En Suède, il y a un industriel du recyclage de la miette de pain. On apporte le pain à la raffinerie d’où il ressort en sucres et graisses.
Économie de l’eau À Calcutta l’eau est gratuite. Résultat : il n’y a pas d’entretien des réseaux ; Les fuites augmentent. La question de l’agriculture est centrale. À consommation stable, il faut apprendre à consommer différemment. Il faut consommer moins de viande. Problème des protéines ? Il y a un déficit mondial en protéines. On est au début d’une grande révolution dans l’alimentation.
Q12. L’eau est-elle réellement intransportable ,
R. La Chine a un déficit structurel d’eau qui au surplus y est très mal répartie entre la population majoritairement au nord et des ressources d’eau majoritairement au sud. Trois canaux du sud vers le nord avec des pompes gigantesques sont en construction . Il y a donc des possibilités mais le coût est faramineux et il y a un énorme problème de retraitement.
La question de la solidarité est posée mais « l’eau minérale » n’a en soi aucun sens : seul le couple eau-énergie en a un ! (Voir ci-
[1] New Valley Project) est un programme du gouvernement égyptien visant à porter la superficie des terres arables en Égypte de 6 % à 35 %. Il consiste en un système de canaux destiné à détourner les eaux du lac Nasser vers des régions désertiques du désert Libyque.
[2] La station de pompage Moubarak (du nom de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak) dans le Toshka, inaugurée en mars 2005, est la pièce centrale du projet. Elle pompe l’eau du lac Nasser dans la région désertique de Toshka, destinée à devenir en 2020 une zone agricole de 588 000 feddans (2 340 km2) soit 10 % de plus de terres arables pour l’Égypte. La région de Toshka devra alors accueillir trois millions d’habitants.
Les lacs de Toshka sont le résultat accidentel de l’élévation du niveau du lac Nasser. Ils se situent dans la même région que le projet Nouvelle Vallée.
Gérard Piketty
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