Exposé
Je me retrouve bien dans l’expression US « d’intellectuel public » en ce sens que j’estime devoir valoriser publiquement mon métier d’intellectuel notamment via les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) qui permettent de se confronter crument au terrain.
Je ne suis pas un économiste et je passerai donc vite sur les enjeux économiques pour me concentrer sur les enjeux politiques du moment très particulier présent où nous ne savons pas bien où nous allons.
Il y a d’abord et de fait une inquiétude généralisée professionnelle, pour les enfants. Tout le monde a des inquiétudes à partager.
Il y a en second lieu la remise en cause par la mondialisation du modèle économique et social où nous vivons depuis 1945 avec un durcissement de la crise dans la crise dont on n’est plus sûrs de sortir par le haut. C’est une crise permanente dont on ne comprend pas l’intégralité du fonctionnement. Beaucoup en profitent mais pas la majorité, du moins dans notre pays.
Enfin nous avons une transformation géopolitique profonde avec un rééquilibrage général de la puissance dans le monde.
Tout ceci se traduit par une extrême difficulté pour appréhender notre destin commun.
Trois points sont à souligner :
1. Nous sommes dans une transition économique et sociale. On arrive au bout de la construction de la société française autour et par l’État. La place et le rôle de l’État sont en question. L’État au sens large s’est beaucoup étendu au cours de la période précédente puisque la dépense publique frôle les 60% du revenu national. Partis, associations, syndicats sont financés par le l’argent public. Situation très différente de ce qui existe ailleurs.
Il y a donc une difficulté historiquement nouvelle sur la place et le rôle de l’État :Quelle capacité militaire ? Quelle sécurité sociale ? Quel modèle économique ? Veut-on rester une grande puissance industrielle et comment ? L’économie compte d’abord. Mais d’autres questions comptent tout autant !
2. La question identitaire et culturelle. Qu’est-ce que la France par rapport aux autres ?
Frontières, immigration, intégration, identité nationale. Questions sociétales – ce qui a trait aux mœurs, à la famille, à la vie en société – Question du haut et du bas, du rôle des élites, de leur légitimité de moins en moins forte …Ces trois difficultés ont rendu la société illisible. Comment faire alors pour vivre ensemble ?
3. La question politique. Rapport aux institutions, taux élevé d’abstention hormis encore pour l’élection présidentielle quoique…, anomie démocratique, fatigue généralisée vis à vis des institutions se traduisant par une valorisation des institutions du bas, du faire plutôt que du dire.
L’institution familiale reste un roc dans la tourmente actuelle. De même pour l’Hôpital ou l’École malgré les critiques qui lui sont adressées (Enkystage d’une partie de la population et reproduction sociale des élites).
Les élites doivent être regardées comme légitimes alors même que la mondialisation les détachent toujours plus de la société. Elles exigent le respect de règles dont elles sont les premières à s’affranchir. Un pays peut-il vivre dans une telle coupure avec ses élites ?
Face à cette difficulté d’ensemble, quelle est l’offre politique ?
– À gauche celle qui gouverne depuis 2012 et qui échoue parce qu’il est vrai que c’est difficile. Plus d’alternative pour un bon moment. C’est une période difficile qui va durer. Les partis n’ont rien à dire.
– À droite, une forme de silence assourdissant : un pacte de compétitivité à 50 G€, c’est insuffisant ! Il faut au moins le double quitte à négliger les effets récessifs. Pas d’offre claire.
À droite comme à gauche, on se retrouve donc sur les questions de société : mariage homosexuel, PMA, GPA pour recréer du débat et donner des repères aux électeurs pour se porter d’un côté ou de l’autre.
Les valeurs, c’est de la morale, pas de la politique. Depuis 2002, la gauche n’a pas travaillé son retour au gouvernement.
Que reste-t-il ? Le FN et Marine Le Pen. C’est là que commenceront les difficultés pour le FN.
Il a été longtemps un problème pour la droite, voulu par Mitterrand et qui a sauvé la gauche. Mais il est devenu un problème pour la gauche elle-même, à voir notamment sa percée dans les syndicats. Aujourd’hui il va devenir un problème pour lui-même. Marine présidente et les déçus vont se multiplier. Bref le FN au pouvoir ne sera pas la solution !
Alors plus de solution à la crise ? Les signaux perçus sont bien faibles.
Débat
Q1. Vous dites que le PS ne s’est pas préparé au pouvoir depuis 2002. Est-ce conjoncturel ou structurel ? N’est-ce pas dû au système politique actuel où tout se résume à l’élection d’un seul personnage ?
Q2. Vos conclusions me laissent perplexes. La question ne tient-elle pas au fait de savoir d’où nous regardons la réalité ? La politique est inefficace lorsqu’elle porte sur des points sur lesquels elle ne peut être efficace. Il faut regarder la réalité autrement. Un problème sans solution est un problème mal posé.
Q3. Votre exposé est accablant car il y a des dynamiques très fortes dans le domaine associatif, un intérêt très fort pour la politique, pour l’Europe. Ne pas oublier qu’une large partie du monde a émergé grâce à la mondialisation. Bref vous nous livrez un discours sinistrosé qui n’apporte rien.
Q4. Il faudrait conceptualiser le fait que nous sommes une société en transition.
R. La mondialisation profite certes à beaucoup mais pas à la majorité de la population.
Je travaille à partir de représentations. La réalité n’existe pas.
Sur quoi débouche le « formidable mouvement associatif » biberonné plus qu’ailleurs aux subventions publiques ? C’est un problème car cela produit des représentations qui ne donnent pas grand-chose.
Les partis ne sont plus adaptés à la transition que nous vivons. Ils ont été créés à une époque où la société était en voie de démocratisation. Aujourd’hui les institutions leur donnent une place extravagante à cause de leur poids dans le financement public.
Le régime politique réside essentiellement dans le mode de scrutin et dans celui du financement de la vie politique. On vit sur des modes qui ne correspondent plus à la demande et aux besoins. Personnellement je pense qu’on devrait aller vers un régime présidentiel à l’américaine.
Q5. Je comprends que vous disiez « Je n’ai pas de solution », mais il ne peut pas ne pas y avoir d’offre politique en 2017. On n’aura pas le vide.
Q6. Deferre avait engagé un mouvement de décentralisation pour rapprocher le politique du citoyen. Ne faut-il pas y réfléchir de nouveau ?
Q7. Quand le politique ne propose plus, le peuple propose comme en 1848.
Q8. Vous êtes devenu un agent d’ambiance pessimiste. Il faut trouver de nouveaux repères. Il s’élabore au sein de l’Europe une morale démocratique tournée vers la protection d’autrui. Cela bouge positivement.
Q9. Pourquoi n’assiste-t-on pas à des mouvements de révolte face à tous ces pessimismes ?
R. Il n’y a plus de peuple. Les trois figures du peuple née de 1848 – le peuple démocratique, le peule social (La sécu), le peuple national (la carte d’identité) – sont en voie d’extinction et sont remplacés par la société des individus. Le rôle de Jean Gabin dans la « Bête humaine » dans les années 30s et celui de Jean Carmet dans « Dupont la joie » en 1970 illustrent bien cette évolution. Bien sûr il y aura une offre politique en 2017. La question n’est pas là mais de savoir si les tomates qu’elle proposera auront du goût ! Sur l’Europe, le problème est que ce qui se fait ne correspond pas à l’attente des citoyens. Il n’y a pas de peuple européen.
Q10. On est arrivé néanmoins à sortir quelque chose d’intéressant de l’Europe au niveau du droit dans le cadre d’une démarche dite fonctionnaliste. On commence à parler d’Irak au niveau de l’UE. C’est un progrès.
Q11. Il y a beaucoup de points importants à traiter pour faire émerger « La Solution » : la réforme du mille feuilles territorial, une meilleure organisation des intercommunalités, les retraites où il faut à l’évidence aller plus loin que la réforme Sarkozy sur l’âge de départ en retraite, l’absurdité des 35 heures, l’organisation des négociations entre partenaires sociaux…
Q12. Tant qu’on en reste à la macro-mécanique politique pour ne pas dire politicienne, il y a effectivement peu de chances de détecter des voies d’avenir, d’une part par ce qu’il faut zoomer nettement plus fort pour percevoir les germes d’une évolution possible, d’autre part par ce que ces germes sont d’abord aujourd’hui au croisement d’une analyse économique et d’une analyse politique. Il faut d’abord répondre à la question « Pourquoi le dynamisme de l’économie est-il si faible avec une perte de compétitivité, notamment sur les marchés extérieurs, qui pèse lourdement sur notre taux de chômage et sur l’avenir de notre protection sociale? » C’est essentiellement sur la réponse à cette question qu’il faut greffer une offre politique qui réponde efficacement à cette question.
Dès lors que vous vous dites incompétent sur l’analyse économique, vous n’avez guère de chance de trouver non pas la solution durable mais un cheminement politique pertinent susceptible de la faire émerger. C’est sans doute la raison de la frustration que l’on éprouve à vous écouter.
Vous donnez par ailleurs l’impression que Marine Le Pen arrivera à la présidence. Rien de moins évident. C’est plus vraisemblablement l’adversaire du FN au 2ème tour qui l’emportera. Comment la gauche doit-elle se présenter au 1er tour pour être cet adversaire ? Voilà la question et la réponse est sans doute moins simple à dégager que vous ne le suggérez. Il est sans doute prématuré de la formuler.
Sur l’UE, j’ai le sentiment qu’il y a une énorme défaillance des médias, des politiques et des intellectuels pour faire comprendre à la nation la réalité actuelle de l’UE avec ses limites mais aussi l’inéluctabilité et la pertinence d’une progression à petits pas au fil des opportunités comme la posture à adopter en cas d’agression russe vers la Lettonie pourrait en donner l’occasion. On préfère faire fantasmer dangereusement et stérilement avec le « trop » ou le « trop peu ». C’est évidemment plus facile !
Q13. Nous en avons fait l’expérience douloureuse au Club avec la venue en 2005 de Pervenche Bérès venue plaider pour le projet constitutionnel avant de prendre quelques semaines plus tard le parti du « non » !.
Q14. Que donnerait une analyse comparée de la situation dans les différents pays de l’UE ?
La mondialisation fait peur à beaucoup de gens qui pensent qu’il faudrait revenir en arrière. Que pensez-vous à cet égard de la réponse donnée par l’Écosse au récent référendum sur l’indépendance ?
Vous parlez de fatigue de la démocratie. Comment offrir de « bonnes tomates » ? Les promesses sont difficiles à honorer. N’est-ce pas un problème de système électoral ? Les partis ne vont-ils pas être contraints d’innover ?
R. Le repli identitaire va de pair avec la mondialisation. L’Écosse comme la Catalogne illustrent un nationalisme économique, un désir de sécession fiscale. Mais cela suffit-il pour que régions puissent devenir des nations ?
La démocratie représentative est en crise sur la question de la représentativité. La coalition ne correspond pas à la culture politique française. D’où pour une part la difficulté avec l’UE. Je suis par ailleurs sceptique sur la démocratie participative comme en témoigne une récente expérience faite par la mairie de Paris.
Il faut un régime qui corresponde à notre identité politique profonde (???). Comment améliorer la représentativité ? C’est la question. Si l’on n’est pas fonctionnaire, avocat ou retraité, on ne peut pas être élu.
La gauche est revenue sur la défiscalisation « sarko » des heures supplémentaires. Ce fut une grosse erreur !
Les réseaux sociaux peuvent être un lieu du politique. Descendre de plein pied sur le terrain n’est pas forcément agréable mais c’est le prix à payer pour la démocratie.
S. Et cela donne quoi en termes de « faire » ?….
Gérard Piketty
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