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06/06/2011 - Quelles énergies demain ? - Claude Mandil

Exposé

Les sujets d’actualité doivent être analysés dans un cadre global et à long terme. Les problèmes doivent être traités au minimum au niveau européen tandis que la croissance des besoins est maintenant concentrée dans les pays émergents.
Il faut distinguer deux domaines disjoints en matière d’énergie :
1 Le secteur des transports avec une archi domination du pétrole
2 La production d’électricité où toutes les énergies sont en concurrence
Trois objectifs majeurs interviennent dans la définition des politiques énergétiques :
1 Assurer la sécurité des approvisionnements 2 Préserver l’environnement 3 Préserver la croissance économique Sur le premier point, trois affirmations pour lancer le débat :
– Ne pas assimiler sécurité d’approvisionnement à indépendance énergétique. Toutes les grandes ruptures d’approvisionnement des dix dernières années sont liées à des causes domestiques. Les bio-carburants de l’avenir devront être produits au Brésil à partir de canne à sucre. C’est la seule filière rentable et intéressante pour l’environnement.
– Ne pas avoir peur de manquer de pétrole. Le débat sur le « peak oil » est théoriquement mal fondé. Par ailleurs, il concerne le pétrole brut alors que l’on consomme des produits transformés que l’on peut aussi obtenir à partir du gaz, du charbon, de la biomasse, de ressources fossiles non traditionnelles…
– Ne pas avoir peur du gaz russe. Il représente 25% de la consommation en gaz de l’UE, mais seulement 10% de la consommation d’énergie de l’UE (hors secteur des transports). Il y a pléthore de gaz dans le monde dans les 10-15 ans à venir et une vaste perspective à partir des gaz de schistes grâce auxquels les USA, gros consommateurs, sont devenus exportateurs. Bref, l’approvisionnement en gaz peut être très diversifié.
Sur le deuxième point, il y a avant tout le grave problème du changement climatique. Trois chiffres pour le mettre en évidence :
– L’on émet aujourd’hui dans le monde 28 milliards de tonnes (Gt) de CO2/an
– La prolongation de la tendance des 10 dernières années mènerait à 65 Gt CO2/an en 2050
– Selon le GIEC, pour espérer réduire la hausse de la température moyenne du globe à 2°C, il faudrait diviser par 5 cette tendance pour la ramener à 13 Gt/an CO2 en 2050. Conclusion : il faut que tout le monde s’y mette. Je suis modérément optimiste sur ce point. On constate de gros progrès en Chine. Mais on ne peut se passer d’aucun des outils qui sont à notre disposition : efficacité énergétique (concept plus stimulant que celui d’ « économies d’énergies ») qui est l’outil le plus performant, énergies renouvelables, nucléaire, gaz en lieu et place du charbon, séquestration du CO2… Tout sera nécessaire, sinon on ne divisera pas par 5. En sens inverse, aucun outil à soi seul ne peut constituer une panacée : pas de miracle du tout nucléaire ou du tout renouvelable.
Cela ne signifie pas qu’il faut tout faire n’importe comment. Pour préserver la croissance économique, l’énergie ne doit pas être plus chère qu’il le faudrait, même s’il est aussi sûr que tout va devenir plus cher : hydrocarbures plus coûteux à exploiter ; électricité sur renouvelables plus chères ; nucléaire sur qui pèsera des exigences accrues de sûreté ; prix du charbon obéré la séquestration coûteuse du CO2 (qui ne pourra s’appliquer à tous les usages du charbon). Il faut donc commencer par les solutions les moins coûteuses.
Je suis très positif sur le photovoltaïque où de gros progrès ont été réalisés. On peut y espérer un coût analogue à celui des énergies traditionnelles …là où il y a du soleil. L’éolien est à peu près compétitif là ou il y a du vent et à condition d’être développé à terre, mais de moins en moins de gens l’acceptent dans leur proximité. En mer il est très coûteux. Fermer des centrales nucléaires qui marchent bien, c’est tout sauf du moindre coût pour la collectivité.
Il faut mettre en place des mécanismes de marché pour arriver au moindre coût, tout en sachant que les marchés sont très imparfaits et qu’on ne peut se reposer totalement sur eux comme le montre le paradoxe du propriétaire et du locataire i.e une situation (courante en fait) où celui qui doit décider n’est pas celui qui profite de la décision. La réglementation doit donc compléter les mécanismes de marché. Si tous les ordinateurs du monde étaient contraints à consommer le moins d’énergie possible, on économiserait 16 GW soit l’équivalent d’une quinzaine de réacteurs nucléaires sur les quelques 400 en service dans le monde. Le marché des émissions de CO2 est une bonne idée, mais elle a donné lieu à beaucoup de déconvenues à cause de sa volatilité excessive. Il faudrait s’orienter vers un Institut d’émission des permis pour lisser le prix pour les opérateurs.
Encore deux points : d’abord être conscients qu’il y a encore 1,6 milliard de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à l’électricité avec tout ce que cela représente pour l’accès à l’école, aux médicaments… Les projections de l’AIE sont que ce chiffre ne va pas beaucoup changer à moyen terme, pas seulement pour une question d’argent mais en raison de problème de gouvernance, de zones de non droit etc… 55% de l’électricité consommée en Inde n’est pas payée par le gratin de la société indienne pour l’essentiel. 2,5 milliards de personnes utilisent encore le bois de feu ou la bouse occasionnant chaque année plus de morts par maladies respiratoires que la malaria.
Ensuite une politique énergétique démocratique ne peut exister d’abord que dans des pays démocratiques mais avec une grosse réserve : ne pas confondre démocratie avec sondages et référendum. La démocratie actuelle est mal armée pour aborder la question énergétique : plus de confiance dans les corps intermédiaires. La science inspire de l’inquiétude

Débat

Q1. Quelles conséquences auraient pour les citoyens et l’Europe une décision d’arrêter le nucléaire ?
R. Il y a un marché européen de l’électricité qui, à part quelques goulets d’étranglement techniques, y circule librement. 30% de l’électricité européenne est d’origine nucléaire. Sa disparition n’est pas impossible. Les allemands sont viscéralement hostiles au nucléaire. Fukushima n’a été qu’un petit déclic dans leur récente décision de sortir du nucléaire. Ils se sont aussi donnés des objectifs très ambitieux de réduction de leurs émissions de CO2. Ceci ne pourra se faire qu’au prix d’importations conséquentes d’électricité. Leur projet Désertec d’inspiration un peu colonialiste jongle avec l’impossible. L’accroissement des prix du Kwh sera donc très important et le serait encore plus en France où le Kwh est aujourd’hui moins cher. Le caractère intermittent de la puissance fournie par le solaire ou l’éolien serait partiellement atténué grâce au marché unique de l’électricité sous réserve d’être déployé sur un vaste territoire, d’avoir de très grosses fermes solaires ou éoliennes et d’avoir un système électrique très performant de transport et de distribution de l’électricité (Smart grids). L’idée que les ENR puissent permettre des systèmes de production très décentralisés près des lieux de consommations n’est guère valable.
S1. Désertec ressemble fort à un « projet d’ingénieur » ignorant les dégâts considérables que peut causer la Nature, en l’occurrence les vents de sable, sur des installations extrêmement étendues. Du fait du marché unique de l’électricité, l’augmentation des prix de l’électricité résultant de la décision allemande tirera nécessairement les prix vers le haut dans l’ensemble du marché unique.
S2. À l’inverse de la France, les Allemands depuis 10 ans se sont dégagés de l‘électricité au point que leur consommation est de 40% inférieure à celle des français et que se dégager du nucléaire (20% de leur production d’électricité) ne leur est plus un problème majeur. NDLR . Les statistiques les plus récentes donnent une consommation de Kwh par habitant de 7573 en France contre 7185 en Allemagne. L’intervenant a sans doute confondu la consommation propre moyenne de chaque habitant pour le logement avec la consommation totale ramenée au nombre d’habitants.

Par ailleurs, la consommation d’électricité de pointe ne peut provenir du nucléaire qui pour être intéressant doit marcher en base. De ce fait l’Allemagne nous envoie 15 Twh/an (15000 milliards) sur quelques 400 consommés. À l’avenir les français vont avoir du mal à se les procurer. R. On ne peut raisonner au niveau national alors que les systèmes électriques allemands et français sont interconnectés. La décision allemande aura effectivement des répercussions importantes sur ses voisins. Pour le Danemark, on oublie de dire que leur recours important aux ENR n’a été possible que grâce à une excellente interconnexion avec les réseaux norvégiens et suédois. Aucun pays ne peut être indépendant.

Q2. Efficacité énergétique et nucléaire sont incompatibles. EDF ne peut être efficace. Les Allemands entrent dans un système où l’efficacité énergétique sera intégrée au système électrique.
R. Je suis en désaccord complet avec cette assertion qui ne pourrait avoir de sens qu’à condition de dire qu’EDF définit la politique énergétique, ce qui n’est pas le cas : l’efficacité énergétique est du domaine des individus éclairés par un signal prix convenable et non de celui des producteurs qui cherchent quoiqu’ils en disent à vendre le plus possible de Kwh.

Q3. N’y a t-il pas un décalage entre le rythme de découverte de nouvelles réserves pétrolières et le rythme de consommation ? Incertitude sur le coût du retraitement des déchets nucléaires ? Prise en compte du coût du démantèlement ?
R. Un beau jour nous n’aurons plus de pétrole à un prix massivement accessible. Mais la réalité d’aujourd’hui est que nous avons trop de pétrole et d’énergies fossiles au regard de la capacité d’absorption de la planète en CO2. Le coût du nucléaire est renchéri par le coût du retraitement. Mais cela ne pèse pas beaucoup. Quant au démantèlement, nucléaire ou pas, il faut le faire. Il reste que des exigences accrues sur la sûreté nucléaire augmenteront le coût de l’électricité nucléaire.

Q4. Le monde est-il capable de faire un effort suffisant pour limiter les émissions de CO2 et en même temps résorber le sous-emploi ?
R. On n’est pas parti pour cela ! On ne peut abandonner aucun des outils disponibles. Une étude de l’AIE a montré que l’effort nécessaire pourrait se partager à raison de 50% pour l’efficacité énergétique, 20% pour les ENR, 20% pour la séquestration du CO2, 10% pour le nucléaire. Il n’y a aucune chance de voir une nouvelle centrale nucléaire aux USA (1er producteur mondial d’électricité nucléaire), mais à cause des gaz de schistes. La capture du CO2 sera indispensable mais sera mal acceptée (réflexe NIMBY) par manque d’explications.

Q5. Que valent les critiques sur les gaz de schistes ?
R. On a vraiment mis en France la charrue avant les bœufs. La technique pose des problèmes (consommation d’eau, que deviennent les produits chimiques utilisés…) mais on ne sait même pas s’il y a des réserves en France et alors qu’on a tous les instruments juridiques nécessaires pour imposer les conditions requises pour une exploitation respectueuse de l’environnement. Le film « Gasland » est un faux grossier.

Q6. On a peut-être eu en France un discours trop monolithique tenu sans débat démocratique. La techno-science a trop pris le pouvoir.
R. Oui, mais ce temps est révolu et il faut faire attention par quoi on le remplace. Le débat démocratique implique des politiques courageux. La question : « Voulez-vous sortir du nucléaire ? » est absurde tant qu’on ne présente pas les avantages et les inconvénients. Il y a toujours des inconvénients à toute solution.

Q7. En fait on a eu l’embargo pétrolier en 1973 et nous n’avions pas le charbon de la Ruhr. Le gaz de mer du Nord et d’URSS (on était encore dans la guerre froide) n’était pas encore disponible. Qu’entend-on exactement par énergies renouvelables ? Que peut-on en attendre en pourcentage ?
R. Renouvelables ? éolien, solaire, biomasse, hydraulique, géothermie pour l’essentiel. Les changements d’utilisation des sols pour produire des agro-carburants émettent des quantités considérables de CO2. Pour ceux dits de 1ère et de 2ème génération, seul l’éthanol produit à partir de la canne à sucre est bénéficiaire. Partir des algues pour l’avenir ? Cela reste du domaine de la recherche.

Q8. Justification d’ITER ?
R. Pas de percée technologique importante depuis longtemps. On se contente de faire 2 fois plus gros à chaque fois. On n’a pas le temps d’attendre le XXIIème siècle. Je ne suis pas convaincu de la pertinence de ce projet.

Gérard Piketty

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