Exposé
Derrière les éléments d’unification de l’Afrique que sont l’unité continentale, l’exposition à la colonisation, l’existence de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), ce continent est, sur tous les plans, le plus varié et le plus divers de tous les continents. Au regard du critère démographique ? Il comprenait 250 Mh en 1960. Il en contient 1 milliard aujourd’hui et en contiendra probablement deux en 2050. Mais il y a une Afrique surdensifiée (Rwanda, Burundi, Comores…) et une Afrique presque vide allant de l’Angola au Soudan en passant par la RDC.
Tous les systèmes de parenté sont présents. Au plan social, le vouloir vivre ensemble n’a pas la même densité qu’en Europe. Il faut surtout éviter de réduire la complexité des structures sociales à un seul référent (religieux, ethnique…) sauf peut-être en période de crise. L’Afrique émet 4% des gaz à effets de serre mais avec excès d’eau ici, stress hydrique ailleurs.
Des transformations radicales se sont produites depuis 60 ans : Sida, Palu, droit aux études ../.
Au plan économique, exception africaine de faible croissance à partir des années 80s avec une chute des cours des matières premières succédant à la flambée des années 70s, endettement des États et politiques dites « d’ajustement structurel » qui ramènent le taux de croissance moyen à 3%.
Inversion de cette tendance à partir de 2000 pour tous les pays : L’endettement moyen est passé de 100 à 30%. Boom des matières premières dû à une énorme demande des pays émergents et effondrement du prix des produits manufacturés importés (une auto low cost à 2000$). L’apparition d’une classe moyenne modifie complétement la donne.
En 1960, l’économie africaine est orientée à 66% vers l’Europe. 45 ans plus tard, les nouveaux partenaires du Sud comptent pour plus de 40 %. Cela rétroagit sur l’APD (Aide Publique au Développement) avec l’accès à des financements beaucoup plus variés. Les investissements directs sont multipliés par 10 depuis 2000. Possibilités de localisation de nombre d’investissements dans des zones franches à des fins de réexportation.
On est passé de l’ère des relations post-coloniales à des relations d’intégration dans la mondialisation. Dans ce contexte, la France a maintenu les fonctions régaliennes (monnaie, militaire, stabilité politique) au sein de la communauté franco-africaine. Cette spécificité reste en arrière plan et est acceptée par nos partenaires. Nous sommes le seul État avec autant de confettis d’empire. Néanmoins les relations se sont considérablement normalisées. La Françafrique ne constitue plus que quelques résidus.
Beaucoup de défis pour l’Afrique qui constituent autant des risques que des opportunités : Le doublement de la population d’ici 2050 où 1 habitant sur 4 de la planète sera africain ; la création d’emplois pour les jeunes ; les tendances d’insertion dans la mondialisation criminelle (drogue, blanchiment). Il y a plein de trafics au Mali. La balkanisation de l’Afrique a été jusqu’ici bien gérée sans remise en cause des frontières (l’exemple du Soudan du Sud n’est pas probant). Des solutions diverses ont été trouvées et pas seulement au niveau des États. Courage extraordinaire des femmes qui à 85% pensent que l’avenir sera meilleur.
Au total, l’Afrique n’est pas si mal partie que cela !
Débat
Q1. Sur la question des frontières, n’y a-t-il pas malgré tout des endroits où la question mériterait d’être approfondie ?
Part de la bourgeoisie africaine et des entreprises étrangères dans le développement ?
Y a-t-il des choix à faire en matière d’organisation des formes d’organisation de la société ? Perspectives d’organisations internationales, type monnaie commune.. ?
R. Dans toutes les sociétés les frontières sont les cicatrices de la violence de l’histoire et n’ont jamais eu de justification naturelle. Les frontières africaines ne sont pas plus artificielles que d’autres. Elles sont aussi le résultat de guerres mais en Afrique ces conflits, pour la part liée à la colonisation, n’ont pas été intériorisés par la population. Les limites de l’ancienne AOF étaient les plus logiques. Les egos de Senghor et d’Houphouët Boigny en ont décidé autrement.
La conférence de Berlin (1884 – 1886) des puissances européennes n’a jamais cherché à diviser pour régner. Les frontières (floues) en résultant le résultat d’un partage militaire. Mais il y a un moment où il faut faire avec. Le Rwanda a une revendication sur une partie du Kivu où il y a 1,3 millions de rwandais. Mais ce n’est pas une justification et il faut dépasser le problème par le haut. Pour le Mali, la IVème république avait dès 1952 caressé l’idée d’un territoire autonome couvrant la zone saharienne avec la création de l’OCRS (Organisation commune des régions sahariennes) en janvier 1957 pour garder la maîtrise des ressources potentielles du sous-sol. Mais De Gaulle a finalement rattaché le pétrole à l’Algérie. L’ASAWAD n’a aucune légitimité historique : les Touaregs, il y en a partout (analogie avec les Kurdes). Le problème des réparations est importants mais d’autres solutions peuvent être recherchées (Autonomie, langue …) Rôle des bourgeoisies africaines ? La montée en puissance de groupes locaux publics ou privés est la grande nouveauté ! Des capitalistes africains se sont développés surtout en Afrique anglophone. Il y a de grands groupes africains en Afrique du sud. La dette angolaise est gérée par Sonangol. Ces bourgeoisies sont parfois dynamiques, parfois corrompues.
Les modèles de développement ? Au moment des indépendances, beaucoup de développements se sont faits sur la base d’un schéma marxiste (Guinée de Sekou Touré, Mali de Modibo Keita et même Algérie de Ben Bella – Boumedienne…). On ne trouve plus aujourd’hui de référence à ces modèles globaux alternatifs par rapport à une logique d’économie de marché. L’absence de réformes fiscales est éclairante.
Institutions internationales Un siège pour l’Afrique au Conseil de sécuruté de l’ONU serait justifié mais de nombreux problèmes sont à résoudre pour y arriver. La création d’une monnaie régionale ne se décrète pas par des bureaucraties. Le socle de la zone franc devrait être le socle de départ mais avec un retrait progressif du Trésor Français.
Au plan militaire ? Oui il faudrait trouver les moyens d’une pax africana. C’est une question de motivation, de formation, d’équipements. Il faut aller dans ce sens mais l’Europe ne souhaite pas y être impliquée.
Q2. Faut-il se réjouir du nouveau président de Madagascar ? Quid de l’envahissement des investissements chinois ? Le déficit d’une justice indépendante est-il un handicap ?
R. Madagascar ? Il faut être prudents. Les résultats seront sans doute invalidés. On va vers de fortes tensions. La France a une position différente de celle des USA ou de l’Afrique du Sud. Il y a aussi un enjeu de puissances. La Chine, premier partenaire économique, est présente dans tous les pays sauf quatre. 10 G$ d’investissements en 2000. 100 en 2013. La Chine a un besoin de diversification minière, pétrolière et en ressources naturelles du sol. Dans 20 ans, l’Afrique comptera pour 30% dans la satisfaction de ses besoins en énergie fossile. L’ « Atelier du Monde » voit aussi la croissance des besoins des populations africaines auxquels il peut répondre facilement. Des zones spéciales se sont créées qui sont essentiellement des zones de traitement et de réexportation disposant d’un régime fiscal favorable. La Chine a un déficit de MO dans des zones périphériques a salaires élevés et cherche à le combler par ce moyen en Afrique.
Mais l’Inde est également très présente à tous les niveaux technologiques (pharmacie, services…). 7 G$ d’investissements en 2000, 70 aujourd’hui.
Justice ? À l’exception de Maurice et de l’AFS, la faible indépendance de la justice est une question centrale. Il y a là une priorité sur les rémunérations et pour le traitement des biens mal acquis. Il y a eu des avancées dans le cadre du NEPAD freinées par la crainte d’ingérences. Il est reproché à la CPI de ne s’intéresser qu’aux dictateurs africains.
Q3. Quels sont les facteurs clés d’une croissance plus homogène de la croissance ?
R. Les deux Afriques vont continuer à coexister. Il y a des zones où la croissance démographique est trop difficile à gérer (Mali, Somalie…), des espaces où le contrôle régalien est trop faible avec des zones d’instabilité politique croissante à caractère mafieux. L’arc soudano-saharien est très instable avec des risques de contagion non négligeables aux pays limitrophes qui justifient en particulier des interventions comme celle en RCA. Bref l’Afrique sera de plus en plus contrastée. Il paraît difficile que l’UE reste durablement insensible à la question mais les solutions devront être politiques.
Q4. – En matière de développement, on semble se reposer sur la main invisible du marché et les ajustements structurels alors que des projets industriels importants pour répondre aux besoins des 5 à 600 M d’urbains en 2050 sont concevables et seraient justifiés. Les Africains pourraient-ils avoir une approche originale de cette question ?
– Pourquoi la croissance des pays francophones est-elle moindre que celle des anglophones ?
– L’Islam influera-t-il sur la dynamique de développement ?
– Quels liens construire entre l’UE et l’Afrique sur la question des migrations ?
R. Différence pays anglophones et francophones ? Les pays francophones ont de facto pris beaucoup plus tardivement leur indépendance réelle en main retardant la prise en charge des responsabilités. La zone Franc offre d’énormes avantages (comme l’€) mais elle est trop rattachée à l’€ avec une surévaluation de la monnaie. Il pourrait y avoir des réponses mais avec le même type de problèmes que ceux rencontrés avec la zone €.
L’Islam progresse de façon générale dans un contexte d’une religiosité de plus en plus radicale qui caractérise une rupture intergénérationnelle qui prend plus d’acuité en contexte de crise où la religion devient un référent critique (départ des maliens musulmans de RCA)
Stratégie industrielle ? Le pouvoir commercial et l’attrait du commerce sont encore déterminants. Les grands projets industriels impliquent un minimum de protection de l’espace spatio-temporel. Ils se feront quand même si l’on parvient à organiser le « temps long des décideurs ».
Migrations. L’Afrique s’est toujours régulée dans le passé par des migrations essentiellement internes. Cette capacité d’accueil de populations hétérogènes se maintiendra-t-elle ? Voir la Côte d’Ivoire, l’AFS et le Zimbabwe. En RCA, des populations installées depuis 2 à 3 générations sont en train de partir.
La migration internationale ne vient pas des pays les plus pauvres. Elle est déterminée par des réseaux organisés à étudier au cas par cas dans des sociétés très différenciées. Contradiction de l’UE avec la création de l’espace de Schengen mais l’absence de politiques migratoires communes. Gérard Piketty
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