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05/04/2004 - Que faire pour empêcher l' Afrique Noire de mourir ? - Alioune Sall, Coordonnateur Régional du programme Futurs Africains du PNUD

Exposé :

D’emblée, A. Sall tient à se démarquer du pessimisme absolu du récent livre de Stephen Smith (Négrologie), que reflète le titre donné à la soirée. L’Afrique n’est pas morte. Au plan démographique, elle s’est remise des saignées provoquées par l’esclavagisme (d’origine arabe ou transatlantique) et la colonisation. 600 Mh aujourd’hui, 1200 Mh en 2025. Au plan culturel, elle reste bien vivante. Bien sûr, elle traverse une passe économique très difficile. Bien sûr, nombre de gouvernants sont détestables. Mais il ne faut pas généraliser (AFS, Botswana, Sénégal, Ile Maurice…).

– Il faut se donner les moyens de comprendre l’Afrique dans sa complexité. Les indicateurs macroéconomiques sont certes au rouge mais ils ne perçoivent ni toute la réalité ni un certain nombre de dynamiques concernant :
 les mécanismes de redistribution à l’œuvre,
 des systèmes d’économie populaire,
 la prise en charge de services d’éducation par des associations privées…

Le programme « African futures » qui s’est déroulé de 1992 à 2003, avait pour objectif de dresser une prospective des situations « possibles » à l’horizon 2025 en fonction des principales stratégies des gouvernants. Nombre d’Africains y ont participé. Ils y ont fait preuve de courage et de lucidité, conscients que les évolutions peuvent être négatives avec prolongation sans développement d’un passé récent (scénario dit des lions faméliques).
D’autres scénarii sont apparus possibles avec participation plus grande à la mondialisation à condition d’en payer le prix en matière d’éducation (des filles notamment), de bonne gouvernance, d’alliance avec le secteur privé. Rien n’est donc joué : « notre avenir dépend de nous » !

– L’Afrique ne pourra cependant changer seule. Elle doit trouver des complices, des partenaires dont la France. Jusqu’en 1989, les « complices » puisaient leurs motivations dans la rivalité Est-Ouest. Le désintérêt a suivi. Les ONG ont pris le relais appuyées par une Communauté Internationale qui voulait se donner bonne conscience. Mais leur impact sur le développement de l’Afrique est quasiment nul car il faut créer des richesses et non combattre la misère. Aujourd’hui on constate que, depuis B.Clinton, les USA ont redéfini une politique africaine quelle qu’en soit la motivation (lutte contre le terrorisme). Le Japon a de même défini une politique claire. Ce n’est pas vraiment le cas pour la France à ceci près que le champ d’application de sa politique s’est élargi sans augmentation des ressources qui y sont consacrées mais elle se tait sur la question cruciale du changement du régime des subventions agricoles.

Débat :

Q1. Face à la faiblesse des Etats, aux problèmes ethniques, à l’inamovibilité de nombre de gouvernants malgré une gouvernance douteuse, on aimerait des arguments plus convaincants en faveur des scénarii positifs. Pour écouter les africains, il faut qu’existe une parole constructive basée sur une autocritique solide de la période passée.

R1. Beaucoup d’africains ont cessé de se lamenter et d’en rester au blâme du colonialisme. L’Union Africaine (UA) calquée sur le modèle de l’UE et intronisée au sommet de Durban en 2002, en est le fruit. Elle est destinée à être le principal outil d’une sortie de la marginalisation du continent. Le principe de non-ingérence dans les affaires des Etats qui fondait feu l’OUA a été remis en cause pour les crimes de guerre, les génocides et les crimes contre l’humanité (Le général ivoirien Robert Guey, n’a pu siéger à la conférence des chefs d’Etats et de gouvernements de l’UA parce que coupable de coup d’Etat).

Q2. Comment caractérisez-vous le contenu de politique africaine de coopération des USA ?

R2. Ouverture plus grande aux produits et aux étudiants africains.
I2. Ce n’est pas le cas pour le coton. Quant à l’ouverture aux étudiants, n’est-ce pas surtout du brain drain ?
R’2. Le caractère bénéfique de cette politique est une autre question !! En France les ressources allouées aux cercles africanistes vont en diminuant.

Q3. Le « Négrologie » de Stephen Smith n’est qu’un constat radicalement pessimiste sans perspectives. Quels programmes, quels moyens suggérez-vous pour favoriser et réaliser les scenarii positifs ? L’Afrique est très diverse. Peut-on faire l’économie de regroupements régionaux ? Les grandes sociétés sont entre des mains étrangères qui rapatrient autant que faire se peut les bénéfices. Le secteur paysan informel est surtout marqué par une culture de groupes et de redistribution. Les ressources du secteur public sont captées par les Etats. D’où peut venir l’accumulation de capital nécessaire au développement ? Enfin, l’ « Afrique » existe-t-elle ? Quoi de commun entre Sénégal et Zimbabwe. L’Afrique, c’est 2 pays majeurs : l’AFS qui existe depuis 5 ans et le Nigeria, potentiellement riche mais en déliquescence. A quoi sert de mettre le concept d’Afrique en avant ?
R3. S. Smith a péché par excès médiatique pour mieux vendre. L’Afrique subsaharienne a été coupée du reste du monde et en a gardé des traits communs : une culture « lignagère » par exemple. On a fait le pari d’une dynamique partant de ces caractéristiques communes. Ceci étant, les points cruciaux pour l’avenir sont de savoir si le relationnel va continuer à primer sur l’économique et sa rationalité ?… le lien social (les diverses solidarités internes privées) sur les risques entrepreneuriaux ? …si les politiques sauront favoriser des espaces de liberté en faveur des entreprises ? ou s’ils se contenteront de préserver le patrimoine avec une armée de fonctionnaires ? Ce sont des incertitudes majeures pour l’avenir de l’Afrique.

Q4. L’ONU se contente-t-elle d’un rôle d’observateur ou cherche-t-elle à peser sur les évolutions ? Que penser des politiques d’émigration/immigration ? Où sont les leviers ? Que penser du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) sorti de Durban ? Que faire lorsqu’il n’y a plus d’Etat à proprement parler ?
R4. Les forces capables de pousser au développement sont les jeunes peu disposés à se laisser faire par les vieux ; les femmes ; les émigrés porteurs de nouvelles valeurs et de remise en cause d’éléments sociaux ; enfin les partenaires étrangers.
I4. … et les partis et les syndicats ? Peut-on citer 3 ou 4 Etats qui sont dans la bonne voie ?
R’4. L’AFS, le Botswana, la Namibie, l’Ile Maurice. Mais aussi le Mali qui a réussi une transition démocratique ; le Bénin, le Cap Vert, le Burkina Faso, le Sénégal…

Q5. Vous soulignez l’absence de politique africaine de la France. En un sens vous avez raison : J.Foccart, J.C Mitterrand ne sont plus là ! On a certes banalisé la coopération mais l’intérêt de la France pour l’Afrique demeure. Elle représente 50 % de l’APD à l’Afrique. A Cancun, la France n’a-t-elle pas pris la défense des demandes africaines pour la suppression des subventions aux productions occidentales de coton ? Et le NEPAD, projet soutenu par la France, vous n’en parlez pas ! C’est pourtant une remise à l’endroit de la coopération avec une demande qui doit venir des Etats africains sous condition d’une bonne gouvernance ?
R5. Quel rôle la France joue-t-elle dans la politique africaine de l’UE ? Peut-elle porter un projet pour l’Afrique devant les institutions internationales ? Elle a plaidé jadis pour les PMA. Saurait-elle le faire aujourd’hui ?
Le NEPAD, première initiative globale pour l’Afrique depuis longtemps, est intéressant. C’est essentiellement un cadre d’engagements pour inciter le secteur privé à investir en Afrique. Mais celle-ci est-elle capable de générer des projets à hauteur de 64 milliards de $/ an pendant 10 ans pour soutenir une croissance de 7% ? Ce n’est pas réaliste. Il faudra du temps pour changer l’environnement.
I5. La Mondialisation n’est-elle pas une course de vitesse ? Ce paramètre semble absent des propos tenus. Voit-on des prémisses d’un rôle d’entraînement possible de l’AFS ?
R’5. Les entreprises d’AFS investissent en Afrique australe.

Q6. L’UA peut-elle avoir un rôle dans ce sens ?

R6. L’UA est vieille de seulement 2 ans. La Commission, à l’instar de la Commission de l’UE, a davantage de pouvoirs que l’ancien secrétariat général de l’OUA. L’UA comprendra un Parlement, une Cour de Justice, un Conseil de paix et de sécurité… en tout 18 organes.

Q7. Les spécificités de l’Afrique sont-elles compatibles avec la mondialisation ou doivent-elles être laissées de côté au profit du modèle occidental ?
R7. L’Afrique ne se développera pas sans investissement significatif dans la productivité. Un équilibre est à trouver entre les traits culturels et les exigences du développement. On ne bradera pas pour autant ces traits culturels spécifiques.

Q8. L’ethnicisme ne reste-il pas un frein considérable au développement comme on peut le voir en Côte d’Ivoire ?
R8. La situation en Côte d’Ivoire d’est pas due à un problème ethnique. C’est d’abord la faillite d’un modèle de développement économique totalement extraverti. Que le fait ethnique ait été ensuite manipulé sans doute. Mais il ne faut pas confondre l’effet avec la cause.

Q9. Vos idées ne restent-elles pas un discours académique non porté par des forces réelles ? Où sont les forces capables de porter un scénario positif, de sortir du cercle infernal de la violence et de la corruption ? Comment les mobiliser, les renforcer ? Un Etat autoritaire et éclairé ne peut-il pas dans certains cas être le seul moyen du décollage ? Que penser des grands projets associatifs, du CCFD par exemple ?
R9. Le mouvement associatif est porteur d’un certain nombre de valeurs comme justice, dignité… Il faut qu’elles imprègnent l’action des grandes institutions internationales où ne se rencontrent que les princes et les marchands.

Pour terminer en une boutade, au « Je pense donc je suis » qui fonde votre philosophie et votre démarche scientifique, les africains ont trop souvent opposé un « Je danse donc je suis ». Aujourd’hui ils veulent incarner les deux démarches !

Gérard Piketty

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