Exposé
Depuis ma venue au Club en 1994 la situation en Israêl-Palestine a bien changé. Les accords d’Oslo venaient d’être signés en septembre 1993 et un certain optimisme semblait possible quant à une issue du conflit. Mais plusieurs choses ont joué en sens contraire. Rappelons le triste et triple anniversaire de 2017 :
- Centenaire de na déclaration Balfour de novembre 2017 par lequel le Royaume Uni reconnaissait la légitimité de l’installation d’un foyer national juif en Palestine dont il avait le mandat.
- 29 novembre 1947, vote de l’ONU instituant le partage de la Palestine, premier acte de reconnaissance d’une solution à deux États.
- 1967 guerre des « 6 jours » avec occupation par Israël de territoires arabes (Gaza, Sinaï, plateau du Golan, Cisjordanie et Jérusalem Est). Le Sinaï fut rendu à l’Égypte en 1982.
Il montre bien les questions fondamentales au cœur du problème : une certaine légitimité d’Israël, le développement de la colonisation surtout à partir de 1977. Le conflit s’installe donc dans la durée mais avec des modalités et motivations différentes.
Plusieurs raisons à cela. Il ne faut pas négliger la dimension symbolique : affrontement de deux projets nationaux dans un endroit très symbolique.
Quelle évolution depuis 1993-1994 ?
Les accords d’Oslo devaient mettre en place un régime d’autonomie pour les Palestiniens. De fait un gouvernement va y fonctionner mais sans souveraineté véritable. L’armée israélienne y intervient à sa guise. Pas d’évolution significative depuis lors. La dynamique des négociations a buté rapidement sur une série de drames :
- L’assassinat d’Isaac Rabin en novembre 1995 par un nationaliste religieux qui a revendiqué son geste pour faire dérailler le processus de discussions. Des gestes parallèles sont enregistrés du côté de l’OLP (attentats commis par le Hamas). Ceci aboutit à la victoire de Netanyahou contre Pérès aux législatives de 1996
- Un sursaut important interviendra en 1999 avec la victoire d’Ehoud Barak, chef du parti travailliste. Il déploie une vive activité diplomatique (notamment avec la Syrie) qui aboutira à la rencontre de Camp David avec Arafat en présence de Bill Clinton (11-25 juillet 2000). Ce sera un échec mais qui pour la première fois aura dessiné les grandes lignes de la solution possible :
o Deux États de part et d’autre de la ligne verte de 1967 avant la guerre des 6 jours (avec quelques écarts possibles pour tenir compte des colonies mais avec une logique de compensation territoriale qui impliquerait le déplacement possible de près de 80000 juifs)
o Jérusalem ville ouverte capitale des deux États (sauf pour la vieille ville et les lieux saints).
o Retrait progressif de Gaza.
o Maintien d’un contrôle au moins indirect d’Israël sur la vallée du Jourdain.
o Droit de retour possible des palestiniens sur le territoire de la Palestine. Dédommagement possible pour les autres.
Ceci aboutira au document officieux de Taba et aux accords de Genève signés en 2003 par la seule opposition travailliste israélienne. Depuis pas grand-chose : on sait assez bien ce à quoi devra ressembler la solution à deux États mais on sait aussi que les conditions de réalisation n’existent pas :
- En raison des désaccords entre les palestiniens (islamistes et nationalistes)
- En raison de l’opposition du gouvernement Netanyahou très clairement nationaliste avec le poids très fort des « religieux » et d’une jeune génération israélienne très nationaliste
- Le conflit est devenu un conflit de basse intensité et n’est plus un enjeu régional fort pour quiconque.
- Moindre attachement au problème des USA après Clinton et Obama (John Kerry)
La solution à 2 États est-elle encore possible ?
Elle est certainement plus difficile à organiser avec 350000 israéliens en Cisjordanie hors Jérusalem et 80000 à rapatrier.
Mais il n’y a pas d’alternative politique pour un État unique qu’il soit un État laïc pour tous les citoyens de la méditerranée au Jourdain ou un État binational avec des cantons largement autonomes un peu comme en Suisse car les deux peuples n’en veulent pas (plus de Palestiniens que d’Israéliens y sont favorables pensant que la démographie jouera pour eux avec le temps) ; car les identités respectives sont particulièrement fortes et cela entretiendrait en fait la guerre civile (vision biblique du loup cohabitant avec l’agneau).
Il y a bien aujourd’hui 260000 juif à Jérusalem ouest contre 70000 en 1974. Mais l’évolution démographique globale à Jérusalem n’est pas pour autant favorable à Israël ce qui l’a conduit en1993 à accepter la perspective des 2 États.
Au total, le fond du conflit demeure depuis 1920.
Débat
Q1. La colonisation ne s’est jamais arrêtée. Cela met-il en doute la volonté d’Israël d’aboutir à une solution ?
- Au début la colonisation est un phénomène spontané que les travaillistes n’encouragent pas. Mais le mouvement religieux est à la manœuvre et l’État israélien s’engage avec l’arrivée de la droite au pouvoir.
Q2. Problèmes posés par le mur ?
- On en parle moins. On ne construit plus rien. Trop cher pour peu de résultat.
Q3. Que pensent de la situation les opinions publiques des deux côtés?
- Elles ne poussent pas à un accord. On essaie de vivre comme s’il n’y avait pas de conflit. On fait le gros dos.
Q4. Le fait que le conflit soit devenu un conflit de basse intensité ne devrait-il pas favoriser un accord ?
Les gens dites-vous font le gros dos. Mais le coût du conflit n’empêche-t-il pas le développement du pays ?
N’y a-t-il pas un groupe (politique) qui ne voit le danger de la perpétuation du conflit face à un poids démographique croissant de la population palestinienne ?
- Coût du conflit ? Les Israéliens s’y sont déjà de fait adaptés avec l’évacuation de Gaza (rapatriement de 5000 colons (face à 1,5 million de palestiniens et la gestion de la Palestine par l’OLP. Mais sans vision globale et pour l’instant ils en restent là.
Il y a bien en Israël des intellectuels et des ONG pour pousser à la paix. Ils sont en butte à une attitude agressive du gouvernement. Mais cela reste marginal. Le parti travailliste n’est plus au pouvoir depuis 15 ans et il est sans lideur. La sociologie interne d’Israël joue au profit de la droite (extension des juifs religieux et nationalistes). Beaucoup d’Israéliens favorables à un compromis sont repartis d’Israël.
Q5. Comment les terres nécessaires à la colonisation ont- elles été acquises ?
- Les terres dites publiques héritées de l’empire ottoman ont été reprises par Israël. Une autre partie résulte d’expropriations et d’achats par des voies détournées (homme de paille). Le patriarcat orthodoxe a également vendu des terres. Beaucoup de terres ont été achetées à la fin du XIXème siècle.
Q6. Pourquoi le projet travailliste s’est-il étiolé ? Le conflit n’est-il pas le ciment d’une société israélienne divisée ?
Les USA financent lourdement Israël et la colonisation est le problème n°1. L’UE ne pourrait-elle pas avoir un impact plus important ?
- Le projet sioniste est très minoritaire dans la population. Il n’était pas inscrit dans l’histoire juive. Balfour était un antisémite forcené. 20% de la population d’Israël est d’origine palestinienne. Il y a enfin une forte imbrication des industries militaires françaises et israélienne.
- Le conflit ne soude pas la société israélienne mais la divise.
Les juifs avec le sionisme se sont coulés dans les nationalismes de la fin du XIXème siècle. Il était effectivement minoritaire chez eux mais le Bundisme antisioniste (Union générale des travailleurs juifs de Pologne, Russie et Lituanie) a été finalement écrasé par les bolcheviks.
Il y a effectivement un mouvement chrétien sioniste principalement chez les évangéliques américains mais qui résulte essentiellement d’une vision religieuse apocalyptique.
D. Trump mène une stratégie de rupture dont il est difficile de mesurer les conséquences. Quant à Gaza, c’est un petit territoire entièrement coupé du monde et vivant sous perfusion de la communauté internationale….
Gerard Piketty
Imprimer ce compte rendu
Commentaires récents