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05/01/2004 - Faut il accepter la Constitution Européenne ? - Pervenche Berès, députée Européenne, membre de la Convention

Exposé

2004 sera une année très européenne avec trois questions dominantes : Quel avenir pour la Constitution ? Mise en œuvre de l’élargissement à 25 avec ses contraintes. Résultat des élections européennes du 13 juin 2004 La notion de citoyenneté européenne a émergé en 1982 avec la proposition de F.Mitterand de créer un espace social européen. Elle a été imposée par Felipe Gonzalez dans le préambule du traité de Maastricht. On a effectivement besoin de cette notion.

La dynamique initiale du projet européen est en bascule du fait manque d’adéquation depuis Maastricht entre les membres de l’Union et le Projet. Cette adéquation a été totale jusqu’à « l’Acte Unique Européen » (AUE) de 1986. A Maastricht, 10 pays sur 12 acceptent le passage à l’Euro. On a minimisé le désaccord en se donnant rendez-vous 5 ans plus tard à Amsterdam. Mais la situation s’y est aggravée pour devenir explosive à Nice en décembre 2000 où n’est traité que l’aspect institutionnel qui lui n’est pas porté par le Projet. Le vrai projet européen est celui de l’Euro. Le projet de Constitution comprend 4 parties : La première traite des institutions (définition et objectifs de l’Union, droits fondamentaux, compétences de l’Union, les institutions, exercice des compétences de l’Union). La 2ème partie intègre la Charte des droits fondamentaux de l’Union dans la Convention. La 3ème partie traite des politiques communes. La dernière comporte les dispositions finales (signes de l’Union, abrogation des traités antérieurs etc…) En France, le débat a porté essentiellement sur la 3ème partie alors que, de par leur mandat, c’est la 1ère partie qui a été au cœur du travail des conventionnels.

Les raisons de l’échec

– La première tient au fait que les chefs d’Etat et de gouvernement ont repris le pouvoir. La méthode de la convention a été inaugurée pour la mise au point de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Proclamée à Nice en décembre 2000, elle a été voulue par les chefs d’Etat qui se rendaient compte que le traité de Nice serait difficile à vendre sans ce supplément d’âme. La Convention réunissait des représentants (62 au total) de la Commission, des Etats, des Parlements et du Parlement européen. Les Chefs d’Etat ont alors eu la sagesse de passer sur leurs petits désaccords pour adopter tel quel le texte des 62.
Après Nice, ils ont décidé de reprendre la même méthode pour mettre au point un projet de Constitution. Les conventionnels ont d’emblée refusé de présenter plusieurs options comme le voulaient les chefs d’Etat. Ils tenu à aboutir à un texte unique s’imposant à eux. Mais ces derniers n’ont pas renoncé au plaisir de rouvrir la discussion, chacun avec ses deux ou trois « petites » questions. Or dans la conférence intergouvernementale (CIG) qui devait conclure, personne n’était porteur du projet européen ; Il n’y avait que des porteurs d’intérêts nationaux. Au fond, à partir du moment où l’adéquation membres-projet n’existait plus, la CIG ne pouvait incarner la double légitimité des Etats et des peuples qui est au cœur de la construction européenne et le risque d’échec en était fortement accru.

– La deuxième tient au couple Franco-Allemand. Le couple est accepté comme moteur de la construction européenne lorsqu’il est porteur d’un développement, mais n’est pas suivi lorsqu’il est avec arrogance sur la défensive comme on l’a vu pour l’affaire d’Irak ou celle du pacte de stabilité et d’une certaine façon ici.

– La troisième tient à la Pologne et à l’Espagne a qui on a trop donné à Nice. Mais ils ne sont qu’à demi coupables car on y a effectivement consenti. J.Chirac s’y était imposé comme objectif absolu de continuer à disposer du même poids que l’Allemagne malgré le différentiel de population (82 contre 60 Mh). Cela a conduit à un système complexe à trois étages attribuant, sans référence solide, 29 voix aux 4 grands pays fondateurs (Fr, All, It, UK), et 27 à l’Espagne qui s’est donné le gant d’en demander autant pour la Pologne. Hors les domaines relevant de l’unanimité, une décision pour être prise, devra donc :
 obtenir une majorité de 74% voix (255/345), chaque Etat disposant d’un certain nombre de voix.
 être soutenue par au moins 50% des Etats.
 la population des Etats favorables devant représenter au moins 60% de celle de l’Union.
Le projet de constitution propose simplement de supprimer le premier étage de ce mécanisme.

L’avenir du texte.

Le texte a été rejeté en bloc au lieu de n’en conserver que ce qui agréait à tous. C’est une bonne chose. C’est le seul « équilibre » connu à ce jour. Mais il faut le faire vivre dans un calendrier difficile marqué par les élections espagnoles des 7 et 14 mars. Les socialistes espagnols ont accepté le mécanisme décisionnel à deux étages sans provoquer de réaction de J.M Aznar. On peut penser qu’il pourrait finalement s’y rallier s’il gagne les élections. Il paraît difficile à la Convention de se ressaisir du texte. Dès lors l’espoir est soit que la présidence irlandaise s’accroche au dossier, l’Irlande, petit pays ultra-bénéficiaire de l’UE cherchant à avoir l’aura d’en être le sauveur, soit que le dossier soit renvoyé après les élections européennes de juin. Celles-ci risquant de poser, davantage le contenu de la 3ème partie du projet, la Convention pourrait être alors ressaisie pour retravailler uniquement cette dernière, ce qui serait un enjeu risqué mais très excitant.

En cas d’échec, faut-il prévoir une avancée à 6 ? Le fond de la question n’est pas de se replier à 6 mais de savoir si le couple franco-Allemand peut relancer une véritable dynamique de projet car le nerf de l’Europe est le projet économique qui n’est pas achevé : on n’est pas allé au bout de la logique de l’Euro. L’idée de transformer le Parlement européen en constituante pointe le nez mais n’est pas viable car l’institution constituante a besoin d’incarner la double légitimité peuples-Etats sur laquelle est bâtie l’Union Européenne, double légitimité qu’incarnait bien la Convention « Giscard ».

Débat

Q1. Ne faut-il pas prendre le parti de l’échec si les « politiques communes » (3ème partie du texte), une fois ratifiée la constitution, ne sont plus modifiables ?
R1. Tout ce qui a pu être fait sur les politiques communes dans le texte constitue des améliorations de l’existant. Aujourd’hui pour changer le contenu d’une politique commune, il faut réunir une CIG proposant un texte recueillant l’unanimité en son sein et ratifié à l’unanimité. Initialement le texte proposait une procédure pour sa révision, dure en ce qui concerne les parties 1 et 2 et plus souple pour la 3ème. On y a renoncé pour ne pas effaroucher le Parlement européen. Sans doute avons nous eu tort de ne pas dire qu’il y avait là matière à discussion. Mais en tout cas, on n’aggrave pas la situation présente. Par ailleurs il ne peut y avoir de Constitution sans 3ème partie : le terme « Constitution » est impropre car les institutions européennes sont d’abord au service d’un Projet et non de l’Etat-nation que constituerait l’UE. On ne peut pas décrocher par rapport au Projet. Il faut savoir ce que nous faisons ensemble i. e les politiques communes. Enfin certains s’émeuvent du libéralisme de la Constitution alors que le libellé de ses objectifs est nettement amélioré par rapport à celui du traité de Rome de 1957 qui voulait un espace de « concurrence libre et non faussée par des aides des Etats ». On veut désormais « une économie sociale de marché, hautement compétitive qui tend au plein emploi, au progrès social et à un niveau élevé d’amélioration de la qualité de l’environnement ».
I1. Personne n’a vu en 1957 l’exigence de l’objectif posé. La CJCE aurait pu dès le début, l’interpréter de façon à adoucir la concurrence. C’est l’AUE de Delors qui a relancé la Commission dans un sens dur. Il est effarant de voir dans le cas d’Alstom la Commission s’arc-bouter sur l’interdiction des aides parce qu’il n’y a pas de politique industrielle communautaire.
R1.2 Non. En 1957, les économies européennes étaient malades d’un protectionnisme excessif et les pères fondateurs ont voulu faire sauter les bouchons au développement des échanges. Il est vrai que le hiatus s’installe en 1986 avec l’AUE qui a voulu faire sauter les derniers bouchons (les monopoles de services publics notamment) avec une législation « bulldozer ». Mais ceci allait de pair avec la possibilité de mettre en place des politiques d’accompagnement pour assurer la cohésion sociale et territoriale. La vérité est qu’on n’a jamais voulu « tirer sur ce fil » pour instaurer une philosophie européenne du bien public. Quant à l’affaire Alstom, le gouvernement a choisi délibérément contre toute évidence d’attendre le dernier moment pour saisir la Commission et passer ainsi en force. Enfin, on ne peut laisser dire qu’il n’y ait pas eu dans les faits de politique industrielle. Où en seraient la sidérurgie, la construction navale et l’industrie automobile autrement ?

Q2. Quant on est sur un problème pratique, on voit que la discussion et la négociation entre les partenaires européens conduit à des progrès heureux : c’est le cas pour la négociation de la directive européenne sur l’ouverture du marché de l’électricité où les contours de l’idée de service public ont été clarifiés et cernés heureusement. Le gouvernement socialiste a très bien négocié mais a donné ensuite l’impression, face à l’opinion, d’être comme honteux de ce qu’il avait fait. Pourquoi n’a-t-il pas saisi cette magnifique occasion de faire une pédagogie de l’édification de l’Europe ? Le poids du parti communiste dans la majorité plurielle en a –t-il été la raison, et si oui, peut-on espérer mieux à l’avenir ?

R2. Le problème est davantage celui des courroies de transmission : tous les acteurs, syndicats compris, se sont mobilisés de façon exceptionnelle dans cette affaire où la CGT a vu l’importance d’être représentée à la CSE. Mais le transfert au niveau politique et syndical sur le terrain local n’a pas été bon. Le Parlement européen a joué un rôle décisif favorable à la France en rejetant un 1er texte de directive très ultralibéral. S’agissant du service public, cette négociation a révélé l’impact considérable de chaque vision nationale d’organisation du secteur et l’ignorance crasse des uns vis-à-vis des autres en la matière : Le secteur de l’électricité est fait pour dégager une rente au profit de l’Etat en France et au profit des communes en Allemagne ! Enfin la question de la réciprocité a joué beaucoup pour la pédagogie : Comment penser qu’EDF, le plus puissant électricien européen, puisse aller acheter des parts de marché dans l’Union sans une ouverture réelle du marché français ? Tout le monde a vu le tollé suscité par ses tentatives sur le marché italien.

Q3 Que penser de la proposition de Cohn-Bendit de soumettre le texte actuel de la Constition à référendum dans chaque pays et de le considérer adopté sous deux conditions : oui dans plus de la moitié des pays. Les pays devant aussi représenter plus de 60% de la population de l’Union. Les autres devraient suivre ou quitter ?

R3.D’accord mais un projet pour tout le monde, avec des avancées plus grandes pour certains, serait mieux.

Q4 Comment dire que la CIG est morte et aller ainsi à l’encontre de chefs d’Etat élus au suffrage universel ?

R4 Il faut absolument les deux légitimités : celle des Etats et celle des peuples. La convention y satisfaisait.

Gérard Piketty NDLR .La richesse du débat ne peut malheureusement, faute de place, être ici correctement rapportée

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