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03/12/2007 - Emmaus et le Grenelle de l'insertion - A. Sueur, Secrétaire National UC Emmaus

Exposé

Fondements du mouvement :

• D’abord l’abbé Pierre lui-même. Il n’était pas un organisateur et avait plutôt en tête un mouvement religieux, une sorte d’ordre de la misère à vocation universelle. L’église a plutôt souhaité une déconfessionnalisation et le laisser réinvestir le milieu ouvrier en lui donnant une place à la marge.

• Une dimension internationale qui donnera le jour à un institut de recherche et d’action contre la misère aujourd’hui sorti du mouvement.

• Une conscience indignée jetant en particulier un appel à la dignité humaine en matière de droit au logement.

• La volonté de créer des rencontres sources de nouvelles relations. « Je n’ai rien à te donner, mais à nous deux, on va en aider un autre ! » Dans les communautés, les compagnons se rencontrent sur un pied d’égalité.

• Un esprit de rébellion aussi bien en externe qu’en interne.

• Un rapport à la jeunesse sur qui il faut miser. D’où « l’Europe en vélo ! ».

• La récupération et, à travers cela aujourd’hui, un lien avec l’environnement. Emmaüs en a fait un vrai travail.

Étapes…

D’abord 1949 avec le compagnonnage avec Georges Legay .

• L’appel de l’hiver 54 qui a un formidable écho dans toute la société française, mais pas d’appui des grandes forces politiques.

• 1958 crise dans le mouvement : l’abbé Pierre est fatigué. Rupture entre les abbépierristes et les emmaüsiens (tenants de la laïcité) qui durera jusque dans les années 80.

• 1963, l’abbé Pierre réchappe d’un naufrage sur le rio de la plata. On se rend compte qu’il est le trait d’union du mouvement d’où la création d’Emmaüs international qui tient sa première rencontre en 1969 et publie en 1971 le manifeste d’un mouvement qui se veut universel.

• Développement discret des communautés.

• 1985, création d’Emmaüs France que préside aujourd’hui Christophe Deltombe. Jusque là les groupes se rencontraient peu. Un comité Emmaüs France est mis en place.

• Avec la « nouvelle pauvreté », Emmaüs et l’abbé Pierre reviennent sur le devant de la scène. Création de la fondation Abbé Pierre à la fin des années 80.

• 2000, prise de conscience de la fragilité d’une organisation au maniement difficile. Avec le président Jean Rousseau, on sort d’une culture tribale et orale.

 

Qu’est ce qu’une communauté ?

 

Les communautés forment une des trois branches du mouvement. Elles regroupent les « compagnons » (les personnes accueillies), les « amis » (les bénévoles) et des permanents responsables salariés. Associations de 1901, elles vivent de leur travail de récupération sans attendre de subventions publiques et sans qu’il y ait un véritable statut de la communauté.

Les compagnons qui arrivent souvent en grande difficulté sociale sont soignés, logés, nourris et reçoivent une allocation hebdomadaire de 50€ plus une allocation « vacances » de 30-35 €/jour pendant 30 jours. L’accueil est inconditionnel papier ou pas et pour le temps souhaité par chacun. Les repas sont pris en commun.

Juridiquement, les communautés qui regroupent de 10 à 120 personnes (le plus souvent uniquement des hommes) se situent quelque part entre le droit du travail et l’hébergement d’urgence. Un arrêt de la cour de cassation dit que le compagnon n’est pas un salarié, pas un volontaire, pas un … bref un vide juridique.

Une solidarité existe entre les communautés avec échanges financiers et de personnes.

Au total les communautés comptent en France près de 4000 compagnons, et 8 à 9000 bénévoles répartis dans 120 communautés qui constituent un refuge et un lieu de vie pour une population en grande difficulté, une famille d’où des « responsables émergent grâce à une recherche permanente de la promotion de chacun ». On ne peut répondre à toutes les demandes, d’où une action d’accueil d’urgence avec des « maraudes » et des « boutiques de solidarité » permettant un accueil de jour et une adresse postale. …mais aussi des chantiers d’insertion et des entreprises d’insertion.

Les relais « Emmaüs » sont ainsi devenu le premier collecteur français de vêtements usagés (60%) avec un CA de 120M€, 3,2 Mm3 de matières traitées, 60000t de matières premières récupérées, 2000 salariés dans les structures d’insertion. Les ventes représentent 81% du budget de dépenses contre 19% de subventions. Emmaüs s’est battu pour l’éco-contribution collectée par des éco-organismes qui redistribuent l’écotaxe aux organismes de ramassage et pour que l’écotaxe « textile » soit réservée à des entreprises qui garantissent au moins 15% d’emplois d’insertion. On essaie d’avoir des partenariats avec des entreprises (GDF, Carrefour,…) pour récupérer des idées et des bénévoles…

Enfin le bénéfice du salon Emmaüs va aux solidarités internationales. Pas un sou ne va aux communautés ce dont les compagnons sont très fiers.

 

Débat

 

Q1. Qui sont ceux qui frappent à la porte pour devenir compagnons ? Comment se traite une demande d’adhésion à une communauté ? Refusez-vous des gens ? Quid des compagnons âgés ?

 

R. Le paysage a un peu bougé : des exclus de la vie rurale, des sans papiers d’Afrique noire, beaucoup de gens d’Europe de l’Est. Plus généralement tous ceux qui ne trouvent pas place dans les systèmes d’accueil et d’insertion. Pas de clochards, ils relèvent de la « maraude ». Il y a un temps de découverte pour les primo arrivants. L’objectif n’est pas de vendre un projet d’insertion. À la base, il y a les communautés. On fait attention aux pyromanes. L’alcool est interdit (avec une petite tolérance de fait dans les communautés du nord) dans les communautés. La mise à la porte peut arriver. Il y a des compagnons qui posent un problème qui relève de la psychiatrie. On nous demande de faire un travail qui relève d’hôpitaux qui ferment.

 

Q2. Peut-on dire que Sœur Emmanuelle, c’est Emmaüs ? Qu’est ce qui fédère les différentes composantes du mouvement ? Le mouvement risque-t-il de perdre ses valeurs de base avec son développement ? Y a-t-il un projet de réinsertion des compagnons dans la vie pour éviter d’être submergés ? Quelle est la place d’Emmaüs dans le règlement du problème des étrangers en situation irrégulière ? Pourquoi les jeunes ne viennent-ils pas davantage à Emmaüs alors qu’il y en a de plus en plus en déshérence ? Quelle action en leur direction ? Liaison avec des associations comme ATD quart monde ? Quelle est la politique d’Emmaüs en matière de logement ?

 

R. Le mouvement compte 250 structures en France et une centaine à l’étranger réparties dans trois branches :

• Les communautés,

• la branche action sociale et logement qui inclut l’accueil d’urgence, l’assistance au surendettement, le micro-crédit alimenté par les communautés. Elle comprend une société d’HLM, Emmaüs habitat, qui gère 13000 logements ciblés sur les personnes les plus en difficulté) et la fondation Abbé Pierre qui collecte les dons pour lutter contre les causes du mal-logement, dénonce les taudis pour forcer à des travaux de réhabilitation et publie chaque année un rapport sur le mal-logement.

• La branche d’insertion par l’économie (chantiers, ateliers et entreprises d’insertion) Les solidarités évitent les catastrophes mais on a des salariés compétents. La communauté de Maubeude, en difficulté économique, a fait preuve d’innovation (échanges avec des communautés allemandes (vieux meubles « Henri II appréciés outre Rhin contre des meubles pour le quotidien). La question de la perte du militantisme rejoint celle du sens. Elle demande un travail de réanimation permanent mais ne pose pas de réelle inquiétude.

– Emmaüs a beaucoup de relations avec le secours catholique et la FNARS mais avec un discours différent « On est là pour remettre les gens debout ». Les « Don Quichotte » posent un problème en instrumentalisant des familles et en se plaçant dans une logique de médiatisation et de rapport de forces qui brouille les priorités. On a créé avec des SDF « Emmaüs défi ». Mais c’est en partie à eux que l’on doit la loi du droit opposable au logement. On a des réserves vis à vis du DAL, mais si besoin on leur amène du matériel (matelas..).

– Vis à vis des clandestins, on est dans l’illégalité.On a eu peur à un moment d’être la cible de filières instrumentalisant les communautés. On compte environ12% de compagnons sans papiers.

– La moyenne d’âge des compagnons est voisine de 48 ans avec une espérance de vie plus courte que la moyenne. Les solutions pour la retraite sont très diverses (On travaille avec des maisons de retraites, on essaie de renouer des liens avec la famille, on les garde dans la communauté avec un rythme particulier…).On a abandonné l’idée d’une maison de retraite pour les vieux compagnons.

– Pour les jeunes, on a repris les camps de jeunes avec des stages de 8 à 15 jours en communauté. C’est une source de responsables extraordinaire. Quant aux jeunes que l’on accueille, ils sont souvent gravement cassés, marqués par un individualisme grandissant, des parents que souvent ils n’ont pas vu travailler et un nouveau rapport à la consommation.

 

Q3. En faisant de l’insertion à coût nul pour la société, ne courez-vous pas le risque que vous soyez instrumentalisés pour se dégager du modèle classique très dévoreur de subventions ? Pourquoi pas des communautés de femmes ?

 

R. Le modèle d’Emmaüs avec ses communautés n’est pas reproductible. L’entrée en communauté est un engagement original pour lequel beaucoup ne se sentent pas attirés. Nos structures d’insertion, indépendantes organiquement des communautés, fonctionnent exactement comme ailleurs. On n’est en aucune façon une caution pour permettre à l’État de se dégager. Dans le cadre du « Grenelle » de l’insertion, nous allons réfléchir à la simplification des contrats d’insertion et à une reformulation du concept pour ne pas le limiter à la question du travail. L’insertion est un tout ! La solitude est importante. Beaucoup de micro expériences.

– Il y a quelques communautés pour les femmes avec quelques échecs au début. La mixité n’est pas simple à gérer. La femme est mieux protégée que l’homme. Mais quand elle arrive en communauté elle est beaucoup plus atteinte personnellement et son intégration est d’autant plus difficile.

 

Gérard Piketty

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