Exposé
Difficile pour une sociologue de s’exposer sur un sujet où chacun estime pouvoir se faire une opinion correcte par ses propres moyens ! Il y a pourtant un type de savoir collectif à construire sur un fond marqué par beaucoup d’inquiétude à droite comme à gauche (S. Agacinski) autour des mutations en cours. C’est la filiation qui concentre aujourd’hui les inquiétudes. En ce qui concerne le couple, les réformes ont été faites : réforme du divorce, mariage des couples de même sexe. Les bases du couple du 21 ème siècle sont posées.La question de la diversité des couples parait maintenant dépassée. C’est la filiation qui concentre les inquiétudes.
Je vais présenter le rapport établi avec 23 collègues sur le thème « Filiation, origine, parentalité ». Quel rapport y a-t-il entre la question de l’accès des enfants à leurs origines (adoption, IAD[1], accouchement sous X) et celle de la beau-parentalité (familles recomposées, statut du beau parent..) ? Dans les deux cas apparaissent des personnages sans véritable statut familial, effacés, sans existence institutionnelle, d’où un flou, des ambiguïtés sur des questions comme celle de l’interdit de l’inceste.
Nos générations du baby boom sont pour la première fois interrogées par les générations suivantes, par exemple sur l’accès à leurs origines. Par exemple pourquoi avons-nous ces enfants nés de donneurs anonymes, nés de personne, de matériaux d’engendrement, mais aussi pourquoi des beaux-parents des familles recomposées qui se sentent maltraités, sans aucun statut familial, taxés comme des étrangers par exemple quand ils veulent léguer leurs biens à leurs beaux-enfants.On est encore suspects quand on aime les enfants d’autrui.
La difficulté sur l’accès aux origines tient à ce que la question est immédiatement posée en termes de filiation comme s’il s’agissait de la recherche des vrais parents, or ce n’est pas du tout le cas, les enfants nés de PMA aiment leurs parents. Les beaux parents ne cherchent pas non plus à faire reconnaître une filiation sociale primant la filiation biologique et la menaçant. Bref, nous sommes bloqués parce que nous ne sommes pas clairs sur la filiation.
On a supprimé en 2005 l’opposition entre la filiation fondée sur le mariage seule légitime et la filiation illégitime : en 2013, 57% des premiers enfants sont nés hors mariage. On a vécu la métamorphose du fondement de la filiation mais nous manquons d’un récit commun de ce changement.
Tout le débat de société s’est bâti sur l’oppositionentre parent dit biologique et parent dit social. Pour certains, on vit une biologisation de la filiation et une dévalorisation du statut symbolique de la filiation ; pour d’autres, une dénaturalisation de la filiation, un constructivisme.
Le rapport remis à la ministre sous ma direction ne veut pas choisir et rejette ces deux dérives. D’ailleurs, jamais on n’a autant valorisé la transmission de la vie, mais la valorisation de l’adoption d’un enfant (qui autrefois ne servait que pour la transmission du patrimoine) est aussi devenue très forte. Un couple qui a recours à l’IAD relie ces deux valeurs que nous ne cessons d’opposer : la transmission de la vie (pour celui des parents qui va engendrer) et l’engagement (pour l’autre parent, stérile, ou la femme du couple lesbien).
Nos recherches sont aimantées par la conjugaison-coexistence de ces deux pôles. On ne peut débattre de la filiation sans considérer qu’il s’agit d’un lien institué qu’on ne peut se conférer à soi-même et qui comporte des droits, des devoirs et des interdits. Il unit les générations. Pour un anthropologue, il faut prendre en compte 2 générations au-dessus d’ego et 2 ou 3 en-dessous pour décrire un système de parenté. Le point de vue sur les familles homoparentales changera quand on fera intervenir les grand-mères[2] dans la définition de la filiation.
Sur le temps long (depuis 1800), on observe une tendance très forte à retenir une seule manière de définir la filiation pour tous. Ce sont les modes de son établissement qui peuvent être pluriels
Aujourd’hui, que les parents soient mariés ou non, de même sexe ou non, nous sommes d’accord sur le fait que les droits, devoirs et interdits vis à vis de l’enfant ne devraient pas changer. C’est sur les modalités d’établissement du lien de filiation que notre Droit n’a pas évolué. Le schéma idéal « Un seul père, une seule mère pas un de plus, pas un de moins » ne marche plus face aux nouvelles façons de devenir parents. Devenir parents n’est jamais un donné, mais un engagement. On a trois façons de devenir « parents» :
- Avoir fait l’enfant (très bonne raison de s’engager à en être parent)
- Etre reconnu comme parent car ayant adopté l’enfant déjà là
- L’avoir engendré avec un tiers donneur, façon pour laquelle il faudrait instituer en droit une déclaration commune anticipée de filiation qui lie l’un qui procrée et l’autre parent qui ne procrée pas.
Cette dernière idée a du mal à passer parce que nous ne racontons pas l’histoire de la filiation et que nous avons laissé croire que les valeurs n’étaient attachées qu’à la famille traditionnelle, laissant de côté les nouvelles valeurs qui ont émergées et sont liées :
- à l’égalité des sexes.
- à l’engagement de filiation, seul lien social aujourd’hui considéré comme inconditionnel, indissoluble et échappant à l’incertitude.
- Au respect de l’identité narrative de l’enfant qui devrait nous obliger à assumer la diversité des histoires que nous imposons aux enfants.
Débat Q1. Qu’est ce que serait une « déclaration commune anticipée de filiation » ?
- La question est apparue depuis 2 ans avec l’homoparentalité. On a accusé les homosexuels de mentir aux enfants, ce qui leur est impossible (ce sont les couples hétérosexuels qui peuvent être tentés de ne rien révéler à l’enfant et de mentir par omission) alors que ce sont en revanche les institutions qui aujourd’hui poussent au mensonge avec un livret de famille où l’enfant est dit « né de… » alors que l’on devrait utiliser l’expression « fils (ou fille) de M. et de M.) Arrêtons ce montage « ni vu ni connu » Ce serait donc un engagement solennel devant juge ou notaire comme « Je (ou nous) assumerai le statut de parent de cet enfant lorsqu’il naîtra » et cela permettra à l’enfant de savoir qu’il est né avec un tiers donneur.
Q2. Le père est toujours celui qui reconnaît l’enfant. Quel besoin d’une telle déclaration ?
- On a dans le mariage des présomptions de paternité qui sont des présomptions de procréation charnelle. Les techniques de reconnaissance de paternité sont de type charnel sinon la paternité peut être contestée. On propose de pouvoir substituer une déclaration anticipée à la reconnaissance en paternité. Les institutions doivent soutenir les personnes qui ont recours à l’IAD au lieu de « faire comme si… », de les pousser au secret et au mensonge. Considérons que faire une famille par un «don» doit être reconnu et soutenu par l’État !
Q3. Vous parlez d’institutionnalisation du mensonge, mais vous excluez que les parents veuillent avoir des enfants avec la même couleur de cheveux que la leur. Quid lorsqu’il faudra rechercher des antécédents à telle ou telle maladie (groupe sanguin…). A-t-on assez de recul pour apprécier l’impact de la vérité sur les enfants ? Faites-vous la même analyse pour don du sperme et don d’ovocyte ?
- Les parents souhaitent que leur statut soit reconnu. Pendant longtemps on a considéré que la meilleure solution pour qu’ils soient bien parents était le secret et l’anonymat. On a ainsi mis ces parents dans la difficulté (Ah, la 1ère visite chez le pédiatre qui demande s’il y a du diabète dans la famille). L’assomption par la société d’une reconnaissance des parents face à une naissance avec tiers donneur a manqué. C’est à la société de rassurer les parents qu’ils le sont bien.
– Sur l’impact sur l’enfant, je ne peux pas dire. Voyez la position de Fleur Pellerin qui dit que l’accès aux origines n’est pas son problème. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il faut voir le problème en Droit : Qu’est-ce qui autorise la société à détenir sur vous des informations importantes que vous, vous ne pouvez pas avoir ? Les enfants ne cherchent pas un père quand ils veulent savoir qui est leur géniteur.
– Oui, il faut différencier don de sperme et don d’ovocyte. Toute la réflexion s’est faite à partir des dons masculins mais plus les dons sont féminins, plus cela devient difficile d’occulter les faits[3] (. Il y a une différence avec une nouveauté pour les femmes : qui est la mère génétique ? Là, la mère est incertaine. C’est encore celle qui accouche en droit français. La pourvoyeuse d’ovocyte ? Notre société ignore la mère génétique.
Q4. Et le livret de famille ?
- L’homoparentalité révèle la difficulté. Il faudrait distinguer « Né(é) de .. » et « Fils (ou fille) de … » à introduire pour rassembler, unifier, la situation de tous les enfants. Un enfant peut être fils de 2 hommes, même s’il ne peut être né de deux hommes.
Q5. Pourquoi la réticence de la société alors que l’intérêt de l’enfant doit primer ?
- Le débat était autrefois celui de la rivalité: Est-ce le mari ou l’amant qui est le père? Il faut passer d’une logique du « ou » à une logique du « et » : il a fallu un sperme et un engagement. On a laissé émerger une rivalité parce qu’on n’a pas institué une complémentarité.
Q6. Quid du désir des donneurs d’afficher ou non leur identité ? On a l’exemple des mères accouchant sous X.
- L’enjeu n’est pas le même dans ces 2 cas. On a l’expérience des autres pays. On n’observe pas de chute des dons avec la levée de l’anonymat mais un changement du profil des donneurs. Pour les mères sous X, la question est plus difficile. Parfois l’accouchement sous X est imposé par la famille. Il faut maintenir l’anonymat de l’accouchement et distinguer la question de l’accès à l’identité laissé au CNAOP de celle de l’accès à la rencontre. Dans la moitié des cas, la mère, si on peut la retrouver, dit oui. Mais nous pensons qu’il ne peut y avoir aucun droit à la rencontre.
Q7. Lien entre transparence et démocratie ? Une société peut-elle fonctionner sans fiction ? Peut-on réellement miser sur un lien inconditionnel et indissoluble issu d’une déclaration anticipée ?
- IL faut distinguer ce qui relève de l’individu dans la possibilité de bénéficier d’une certaine obscurité et ce qui relève de la société : Mettons en question les cas où on a construit une fiction pour défendre un modèle convenu fondé sur la procréation. Sur le reste, je me sens un peu mal à l’aise avec mon propre discours sur ce sujet de la transparence.
Q8. L’adoption est possible pour les couples homosexuels mariés. Et les autres ?
- Oui elle devrait aussi être possible. Il faut une grande réforme de l’adoption. On n’a pas osé y toucher lors de la loi sur le mariage pour tous. Beaucoup de gens à droite et à gauche sont descendus dans la rue car ils étaient inquiets parce qu’on était en train de leur dire « Il n’y a plus d’homme, il n’y a plus de femme ! Parent 1, parent 2. » Aucune réponse des politiques sauf : « Non à la discrimination ». Il fallait répondre à cette question. Aujourd’hui les droits du père et de la mère sont les mêmes, mais on ne dit pas du tout qu’être père et être mère c’est la même chose. Le politique ne réfléchit plus ! Soit on est pour le changement, soit on est attaché au symbolique. Moi je suis pour les deux. La question c’est comment on donne des repères symboliques dans ces situations.
Q9. Je comprends les 3 façons d’endosser le statut de parent mais quid d’une fille violée par son père ?
- La filiation est toujours juridique, statutaire. L’enfant issu d’un inceste est dépourvu de filiation juridique. Mais on ne peut en rester à cet aspect juridique. Quand on parle de la filiation, il faut parler du rapport au corps, de la procréation. Ce n’est pas anecdotique que dans l’immense majorité des cas la procréation soit charnelle.
Q10. Frontière entre ces nouvelles filiations et la marchandisation ?
- Il faut employer le mot marché avec circonspection : il n’y a pas plus de marché de la PMA que de marché de la médecine. Pour la GPA, le problème est qu’on met tout dans le même sac. Je n’arrive pas à penser ainsi. Il y a des cas où les femmes sont considérées seulement comme un moyen. Personne ne veut de cette instrumentalisation, mais cela se développe parce que le monde est comme cela quand il n’y a pas de régulation. Il y a aussi des trafics d’enfants. Mais il y a des cas où c’est différent. Or la femme (qui n’est pas la donneuse d’ovocyte) peut être valorisée par ce don d’engendrement. La société est faite de dons et de contre-dons[4]. Aujourd’hui nous organisons un don sans contre-don. Or, voir le bonheur de ceux à qui on donne est un contre-don.
Q11. Croyez-vous l’institution (ou l’administration) capable de faire dans la dentelle, de distinguer les cas où elle serait possible de ceux où elle serait risquée ? Pour ma part j’en doute.
- Les situations sont très différentes. Oui, ce n’est pas parce qu’il y a des cas de GPA éthiques possibles que l’institutionnalisation est possible. On n’a pas l’habitude en France de l’accompagnement des candidats par des agences. Ces agences peuvent avoir des chartes éthiques. On ne peut même pas développer la médiation familiale. Est-ce qu’on aurait les moyens d’empêcher que ça tourne mal ?
S. Si les agences sont à 100000 $ !!
[1]« Insémination avec donneur ». Aujourd’hui 5% des naissances se font en procréation médicalement assistée (PMA) et sur ces 5% , 5% se font avec recours à l’IAD.
[2]Ou les grands-pères pour les enfants de lesbiennes : on retrouvera alors le fait que la famille croise différence des sexes et différence des générations.
[3]Car le don d’ovocytes est une opération très engageante pour la donneuse.
[4]Les anthropologues ont mis en évidence les circuits de l’échange social : donner/recevoir le contre-don/rendre. Le don (d’ovocytes, ou celui de la mère porteuse) pourrait être valorisé par le bonheur de ceux qui reçoivent (ce qui est interdit par la loi française des dons d’organes, ou d’ovocytes).
Imprimer ce compte rendu
Commentaires récents