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03/11/2003 - L'école peut elle corriger les inégalités sociales ? - Claude Thélot, Président de la commission du "Débat National sur l' Ecole"

Exposé.

Ce n’est qu’en France que, depuis 40 ans, un tel accent est mis sur les inégalités sociales face aux autres types d’inégalités : territoriales, sexuelles… L’art.1 de la loi de 1989 dit « Le système éducatif contribue à l’égalité des chances » alors qu’avant la guerre de 40, le credo était «Tu feras comme ton père mais mieux ».

Nous sommes dans une société inégalitaire. La question serait donc plutôt d’analyser en quoi l’inégalité sociale contribue-t-elle à l’inégalité devant l’école et à voir d’ailleurs si l’école elle-même n’« en rajoute pas ». Il faut d’abord prendre conscience de ce que depuis 150 ans, il y a une profonde réduction des inégalités économiques et sociales et que, non sans lien, l’école s’est développée massivement dans le même temps.

Sur le plan de l’analyse et des constats, la question doit être abordée :
1. par l’amont : En quoi le milieu social d’origine influe-t-il sur la réussite scolaire ?
2. par l’aval : En quoi l’école réduit-elle les inégalités sociales ? Peut-elle générer plus de mobilité sociale ?
Sur le premier point, l’accès au bac, à l’université, au collège témoigne d’une très forte réduction des inégalités face à l’école depuis 30 ans. Effet de la massification croissante de l’enseignement bien sûr. Mais les trajectoires des enfants des milieux populaires ont été au-delà de cet effet sauf dans les grandes écoles qui n’ont fait que suivre l’évolution de la structure sociale. Sur le deuxième point, notre société est entrée dans le développement depuis 1835, développement qui implique, impose une évolution structurelle, une mobilité où les enfants ne peuvent plus se retrouver dans la même position que les parents. La fluidité des structures de la société s’est accentuée depuis 50 ans. L’ascenseur social ne s’est pas arrêté : il évolue simplement moins vite que les aspirations. La rigidité sociale s’est moins assouplie que la rigidité scolaire engendrant une forme de frustration se traduisant par le sentiment que la réussite scolaire conduit moins à la réussite sociale. La rentabilité de la réussite scolaire dépend encore de la position sociale. La dépendance par rapport au milieu d’origine est certes seconde, mais pas nulle.

Depuis toujours le diplôme protège relativement du chômage. Cette protection s’est accrue depuis 25 ans. La crise est surtout une crise de la main d’œuvre peu qualifiée, d’où la nécessaire attention au grand échec scolaire qui ne représente plus que 8% d’une génération soit 4 fois moins qu’il y a trente ans où le chômage alors ne sévissait pas. Notre société n’offrira plus de possibilités d’insertion aux peu qualifiés. Pour éviter le chômage, l’école joue donc un rôle plus important, ce qui n’est pas le cas pour caractériser le type d’emploi obtenu à la sortie de l’école. Dans la réussite sociale, la réussite scolaire n’est guère plus qu’une condition nécessaire.

Sur le plan de la réflexion politique, nous sommes peut-être trop attachés à l’égalité des chances. Même si nous savions y pourvoir, il faut voir que cela va de pair avec une très grande inégalité des résultats. Ne faut-il donc pas mettre en avant un objectif d’égalité des résultats ?
Que cela voudrait-il dire ?

Cela renvoie à la problématique du « socle », pas simplement en termes de connaissances mais aussi en termes de maîtrise de certaines compétences ou en terme de règles de comportement, avec l’affrontement inévitable avec les « lobbys du socle » car c’est équivalent à moins enseigner pour enseigner mieux. Cela renvoie aussi à la diversité des voies car l’égalité de résultats y est intrinsèquement liée. Conjuguée avec la scolarité obligatoire (égalité des chances), cela signifie que chacun doit réussir dans sa voie et que chaque voie doit être une voie d’excellence : est-il possible de distinguer la voie « Bocuse » de la voie « Madame de Romilly » ?

Si l’on veut l’égalité des résultats, il faut se poser la question de savoir où sont les inégalités justes ? De droit et de fait, le système éducatif fonctionne différemment à Paris et à Strasbourg. L’article 18 de la loi de 1989 demande à chaque établissement d’avoir son propre projet. Chaque lycée ne peut être comme Henri IV. Le système éducatif doit-il donc être inégalitaire ? Faut-il accentuer les inégalités ? Nous sommes en fait aux antipodes de l’égalité formelle mais nous craignons aussi que la reconnaissance de la diversification n’induise des inégalités sociales. Pourquoi la même politique familiale à Lille et à Marseille ? L’objectif devrait être de produire une diversification contrôlée et évaluée. Les ZEP relèvent bien d’une telle diversification mais l’évaluation en est incertaine et il est certainement insuffisant de concevoir la politique éducative sur un mode binaire : ZEP ou non ZEP.

Il y a 40 ans le ticket gagnant était d’avoir un père cadre sup et une mère au foyer. Aujourd’hui c’est toujours le père cadre sup mais une mère professeur ! Etre professeur est la façon moderne d’être à la maison ! Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que l’enfant réussit mieux à l’école : celle-ci propose des compétences qui ne sont pas socialement universelles. Exemple : la lecture. Si on part du présupposé qu’il s’agit d’une compétence universelle, on favorise l’inégalité sociale. Autre exemple : la dissertation en trois parties : il y a d’autres façons d’organiser sa pensée. Au nom d’une recherche de l’égalité, on peut affaiblir ce que l’école peut transmettre. Une autre façon de diversifier est de garder les mêmes disciplines mais de moduler le lien entre discipline et carrière. Dans notre tradition on sait introduire des critères « hors épreuves scolaires» en fonction des profils que l’on veut produire. Ceci pourrait être privilégié pour réduire certaines inégalités sociales, par exemple l’accès des filles aux métiers d’ingénieur.

Débat.

Q1. Les inégalités sociales sont complexes. Au fur et à mesure que l’école est plus accessible, les classes supérieures inventent d’autres filières pour maintenir leurs privilèges ?
On a l’impression que les bons élèves sont noyés dans le phénomène de massification, notamment dans les ghettos. Pourquoi critiquer les ZEP, elles ne sont pas si mauvaises ?
R1. On met effectivement plus de moyens dans les ZEP, mais pas de façon significative : une prime de sujétion sociale inférieure à 1000 Euro/an ; une taille moyenne des classes réduite de 2 élèves ! C’est une diversification très accrue, contrôlée et évaluée, qu’il faut mener à l’intérieur des ZEP mais aussi hors des ZEP. C’est très difficile et très exigeant. Une meilleure attention aux débuts de cycle est aussi nécessaire, y compris pour le premier cycle universitaire. La diversification des métiers d’enseignant devrait notamment être expérimentée pour atténuer le choc du passage de CM² en 6ème : des professeurs bivalents permettraient de réduire le nombre d’enseignants dans une classe de 9 à 4. : les profs de 6ème -5ème ne sont pas les mêmes que ceux des classes suivantes. Il faudrait aussi se concentrer sur les classes des milieux défavorisés plutôt que de saupoudrer comme on le fait.

Il n’est pas vrai qu’il y avait plus d’élèves des milieux populaires qui passaient autrefois dans l’ascenseur social ; simplement l’importance accordée à la réussite scolaire est aujourd’hui beaucoup plus grande dans ces milieux. Les bons élèves de ces milieux ne sont pas ignorés sous réserve du problème de la carte scolaire.
Au départ celle-ci assurait une mixité sociale précieuse. Aujourd’hui elle s’insère dans un contexte très différent où les quartiers deviennent des lieux de polarisation sociale. De ce fait elle va à l’encontre de l’objectif recherché et accentue les inégalités. Deux attitudes possibles pour faire face au problème, soit redonner aux parents la liberté de choix de l’établissement scolaire soit dépolariser socialement le quartier par une politique d’urbanisme et de logement adaptée. Il faut choisir. Le problème dépasse celui de l’école à strictement parler.

Q2. Rôle de l’orientation ? Ne faut-il pas plus de transparence ? Ne faut-il pas revaloriser les enseignements professionnels ? Les filières privées sont parfois très importantes à cet égard, particulièrement en médecine .

R2. L’orientation joue un rôle important. Elle est faite en fonction de la réussite. Les autres facteurs sont secondaires. L’école fait nettement moins que les familles et les entreprises dans l’orientation sociale et sexuelle. A niveau scolaire égal, les demandes des familles sont beaucoup plus inégales que ce que fait l’école. Quant au menu des parcours, un compromis entre multiplication des passerelles pour s’adapter à la diversité des talents et leur lisibilité est inévitable. Le compromis actuel est perfectible mais n’est que perfectible.

Q3. Comment mettre en œuvre la diversité ? Modalités de contrôle ? Quelle évaluation ? Par qui ? Est-elle finalement compatible avec le mammouth ?

R3. Notre organisation au niveau national est très bonne et sans équivalent ailleurs. En revanche on ne sait rien de ce qui se passe à la base : 900000 enseignants font en gros ce qu’ils veulent (1 inspection tous les 4 ans dans le primaire, tous les 7 ans dans le secondaire et aucune à l’université). On ne connaît pas la diversité de fait des pratiques. On ne sait donc pas les optimiser. Entre le niveau national et une base grouillante d’initiatives locales, il n’y a aucun niveau intermédiaire consistant. Nous avons besoin d’un tel niveau puissant et actif pour mettre en place une diversification maîtrisée. La question se pose alors de savoir ce qu’il faut garder au niveau national (par exemple un examen national est plutôt favorable au système éducatif : le bac tire les lycées alors que rien ne tire les collèges qui ne sont pas bons) et ce qui doit être laissé à l’autonomie des établissements. Il ne faut pas confondre celle-ci avec la décentralisation qui, à l’inverse, peut exercer une directivité beaucoup plus forte sur les établissements. On peut enfin être pour la liberté éducative des établissements à condition :
 que les élèves fassent des progrès,
 qu’elle nourrisse la réussite des autres (appropriation des bonnes pratiques). Un professeur qui ne sait pas utiliser la liberté qui lui est donnée est dans le désarroi.
Le « niveau intermédiaire » devrait donc pouvoir évaluer les établissements, y compris les chefs d’établissements (10000), avec des éléments d’auto-évaluation, ceci débouchant sur la mise en place d’un contrat de moyens et de méthodes sur 3-4ans pour remédier aux faiblesses mises à jour et sur la remise en cause de ces moyens si les résultats ne sont pas obtenus à l’évaluation de fin de contrat. Il faut être capable de tirer des conséquences des évaluations. Ceci n’a pas été fait pour les ZEP avec pour effet de rigidifier ce dispositif.
Compte tenu du nombre des enseignants et des établissements, cette gestion ne peut être que sélective. A défaut et sous l’emprise d’une puissance syndicale craintive d’une diversité mal maîtrisée, on en restera à une gestion à l’ancienneté et à une égalité superficielle de traitement qui ne permettra pas de faire face aux inégalités de résultats.

Gérard Piketty

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