Exposé
F.A ne veut pas opposer religion et sécularisation ainsi que fondamentalisme et démocratie. Elle considère qu’il n’y a pas qu’un modèle d’Etat capable d’assurer paix civile et démocratie. Autrement dit elle se place délibérément dans une perspective de progrès possible de la société iranienne au travers des voies de gouvernement empruntées depuis la révolution de 1979, en soulignant qu’on ne peut ramener la société iranienne aux propos de son président de la république.
Elle veut introduire son propos par la « blague » de la femme qui se marie pour la 5ème fois et se prétend néanmoins vierge, (le premier mari était « Ispahani » i.e avare et ne voulait pas toucher à son bien, le deuxième était un « Khatamiste » du nom du président réformateur qui faisait toujours des promesses mais qui ne faisait rien en fait, le troisième préférait les garçons, le quatrième appartenant à un clan fameux ne voulait pas toucher à sa femme par crainte du crime d’honneur en vigueur dans son clan au cas où il se serait écarté de la voie droite !) pour dire qu’en Iran le monde politique et le monde ethnique se rejoignent.
Pourquoi la société a-t-elle voté pour Ahmadinejad (AMDJD en abrégé) ?
En fait il n’y a pas eu un vote réel pour lui. Au premier tour les 5 premiers candidats (sur les 7) ont fait des scores très voisins (près de 5millions d’électeurs) : il y a eu le vote « turc », celui du Khorasan, les frontaliers ont voté pour Karoubi (religieux modéré) qui leur promettait l’autonomie et la décentralisation, les « réformistes » ont voté pour le successeur de Khatami et AMDJD a recherché le vote des banlieues contre Téhéran.
C’est la première fois depuis 1979 qu’il faut un second tour pour élire le président de la République.
Les atouts d’AMDJD au 2ème tour ?
D’abord un effet de génération : il représentait les quadras face à un Rafsanjani qui a 72 ans. Ensuite le sentiment que pendant 25 ans les mêmes personnes ont occupé le pouvoir sans faire grand chose. Enfin le fait que les réformistes ont étouffé le débat politique en prétendant que la Réforme réglerait tout : les deux mandats (de 4 ans) de Khatami ont été mal vécus car il avait peur de son ombre (« Ne bougez surtout pas, les conservateurs vont réagir !). AMDJD est maintenant élu et c’est important : il va peser comme un des acteurs de la scène politique.
Faut-il avoir peur de lui ?
Ce n’est pas le conservateur que dit la presse et il n’était pas le candidat des conservateurs. Ses ministres ont eu des difficultés avec le parlement conservateur qui critique son projet de budget. Ce n’est pas un clerc mais un outsider dans le système. Il n’a pas siégé dans le premier Parlement de 79 à la différence de tous les hommes politiques jusqu’ici. Il n’a pas grandi dans la résistance au Shah. Il a été au front en 1980 pour pouvoir se payer ses études universitaires.
Sa victoire est d’abord la défaite des réformistes mais ce n’est pas la fin de la réforme. Ses mots d’ordre rejoignent des mots d’ordre très « reconstructeurs ». Il se qualifie comme le « fertilisateur ».
On peut difficilement le qualifier de populiste car il prétend refonder le système dans l’esprit de la Révolution (lutte contre la corruption, les « fils à papa »). Il exprime assez bien le vote ouvrier et celui des laissés pour compte (retraités, frontaliers …).
On ne peut non plus parler de militarisation du régime (même s’il a fait partie des gardiens de la Révolution). Et d’ailleurs militarisation au profit de qui ? Les gardiens de la révolution (pasdaran) ? Les Bassijis (milices des anciens mobilisés de la guerre qui assurent la surveillance des quartiers) ? Les forces de l’ordre (police, gendarmerie, comités révolutionnaires) ? L’armée ?
L’hypothèse d’un putsch est à exclure.
Est-ce un fou de Dieu plus ou moins lié au Mahdisme ? Non, il se situe plutôt dans la mouvance de groupes religieux très modernes, de lettrés et d’universitaires qui ne sont pas des suicidaires. Son arrivée a plutôt élevé le débat au sein du monde religieux.
Alors sa victoire est-elle le signe d’une restauration autoritaire ? Ce n’est pas si simple. Il s’est appuyé sur des revendications très pratiques («matérialistes»). Il n’est pas lié au monde de l’argent ni aux milieux intellectuels. Son arrivée a donné de la vigueur aux débats au sein du Parlement. Ainsi a-t-on débattu du fondement du régime : islamique ou démocratique. C’est ce dernier qui l’a emporté. En résumé, il s’agit plus d’un « plouc » que d’un dictateur en herbe. La politique du talion en matière internationale qu’il a voulu mettre en œuvre (blocage des importations coréennes) lui a valu une forte réaction du « Bazar » qui l’a obligé à reculer.
En fait sa légitimité est faible comme l’atteste son score au premier tour de l’élection présidentielle et il a tendance à investir le champs international pour rassurer son électorat.
L’élection montre la force du système politique capable d’intégrer les réformistes (Khatami), puis un radical, tous deux outsiders, et de leur apprendre les règles du jeu. C’est ainsi que la crise des « caricatures » leur a fait prendre conscience de la nature des ambassades. Leur élection était sans doute inévitable.
La société iranienne est maintenant une société urbaine en voie de modernisation :
– 12% d’analphabètes en 2004 contre 53% en 1978 – 97% d’enfants scolarisés en 2004 contre 59% en 1978 – 2 millions d’étudiants contre 75000 – 1,2% de croissance démographique contre 2,7% – 2,7 enfants par femme contre 6,8
Le nouveau régime a donc poursuivi la modernisation amorcée par le Shah.
La ségrégation hommes-femmes a débouché sur des quotas, sources de modernisation : autant de camerawomen que de cameramen ! Le secteur des banques s’est modernisé à travers leur islamisation ! L’émigration n’a jamais été interdite. Le pèlerinage (La Mecque, Kerbala, Syrie) a été favorisé contribuant à ouvrir la société sur l’extérieur.
Le programme nucléaire a commencé en 1974. L’Iran entre alors à l’AIEA avec le soutien américain. Il achète du yellowcake, préalable à l’enrichissement et prend une participation dans le consortium Eurodif monté par la France pour réaliser une énorme usine d’enrichissement à fins civiles (Tricastin). Aujourd’hui l’Iran ne cherche pas à avoir une arme secrète mais veut pouvoir sanctuariser le territoire national pour rassurer la population après les huit ans de guerre avec l’Irak.
AMDJD ne décide pas seul. Le Guide (Khamenei), Rafsandjani et Khatami participent aux décisions. Ils veulent le relâchement des sanctions économiques imposées par les américains depuis 25 ans et qu’on cesse de les rattacher à «l’axe du mal ». Le durcissement en matière nucléaire a été décidé sous Khatami. Ils comprennent mal la prime donnée aux non-signataires du TNP (Inde, Pakistan, Israël…).La France qui a soutenu le programme nucléaire irakien et a admis l’Iran dans le club Eurodif, est mal placée pour faire la leçon.
Une guerre serait catastrophique pour l’Iran mais pas facile pour les agresseurs car le peuple est aguerri !
Débat
Q1. Vous n’êtes pas très critique à l’égard du nouveau président. Peut-il faire émerger une nouvelle classe politique ou est-il seul ?
R. Le débat de société est plus important et intéressant avec lui qu’avec Khatami !
Q2. L’élection d’AMDJD a mis fin à la façon dont les occidentaux ont espéré mettre fin à l’islamisme iranien i.e par un thermidor iranien. La modernité de l’Iran se joue donc au sein de l’Islamisme. C’est inquiétant pour nous. Si l’on veut être optimiste on peut espérer que les iraniens sauront sortir du guêpier de l’islamisme radical, mais cela demandera du temps.
R. C’est une spécificité de l’Iran que de s’être modernisé au sein de l’islamisme en continuité avec son passé islamique depuis 684.
I. Peut-on parler de modernité quand on voit le statut accordé à la minorité juive ?
R’. AMDJD est antisioniste mais ne s’attaquera pas à la communauté juive. En fait Israël comme l’Iran utilisent la religion pour renforcer l’unité nationale. Seuls les sunnites vivent comme une minorité négligée. Ceci étant, il y a beaucoup de mariages entre chiites et sunnites. Le slogan de Khatami est « l’Iran à tous les iraniens »
I’. Quel est le sens des provocations antisionistes virulentes d’AMDJD qui nuisent plutôt à l’Iran? Est-ce purement verbal ?
R’’. AMDJD est isolé dans la société civile. Il essaie de jouer à l’international pour se récupérer. Il ne fait que répéter les propos de l’Imam Khomeiny dans un autre contexte de défense des palestiniens. Il a provoqué un débat en Iran : le président peut-il dire n’importe quoi sans se soucier de ses implications sur « l’honneur du système ».
Q3. Ces propos d’AMDJD sur Israël marquent-ils néanmoins un changement dans la politique traditionnelle d’une certaine connivence avec Israël, maintenant que le danger irakien est éloigné ? Quelle est la politique de l’Iran vis-à-vis de la guerre civile qui sévit en Irak ? A-t-il pris le parti d’appuyer la communauté chiite ?
R. Les chiites irakiens n’ont pas refusé la guerre contre l’Iran. L’ayatollah Sistani (Irak) joue une carte indépendante de l’Iran et le modèle iranien est plutôt un modèle repoussoir en Irak. Idem avec Hakim. En fait la religion n’est pas un facteur déterminant de la politique extérieure iranienne.
Q4. Comment AMDJD, isolé, élu par hasard peut-il s’en tirer ? Dispose-t-il d’un soutien au Parlement ? Quelle est l’évolution des mouvements féminins ? A vous écouter, on a l’impression d’un autre monde, avec de multiples centres de pouvoirs et pas de partis politiques. Comment cela peut-il marcher ? Les trois pôles de la société iranienne que vous avez cités (« savakis », « britishis » et « révolutionnaires nostalgiques du passé ») s’affrontent-ils ? Y en a-t-il d’autres ?
R. La force du régime vient de l’absence d’alternative politique. AMDJD s’appuie sur un groupe très limité d’amis. Par la force des choses, il sera contraint de s’ouvrir et de composer. Les trois pôles cités s’affrontent au niveau du contrôle des différentes forces de sécurité.
Le pouvoir est effectivement organisé autour de 4 centres : Le Guide de la révolution (Khamenei), monarque constitutionnel ; le président de la république chef de l’exécutif ; le parlement dont les décisions doivent approuvées par le conseil des gardiens de la révolution ; le conseil de discernement qui modère ce dernier.
Il y a 30 quotidiens aux tendances diverses. Pas de mouvement marquant des femmes contre l’assujettissement : l’obligation du voile date de 1982 !
Le chiisme fait partie intégrante de l’identité nationale depuis le VIIème siècle.
Gérard Piketty
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