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02/06/2014 - Réforme Territoriale - Pierre Veltz

Alors qu’un projet de réforme territoriale est annoncé par le gouvernement, Pierre Veltz a souhaité introduire son exposé non pas par la réforme des institutions, entrée proposée par le projet de réforme, mais plutôt par une analyse du territoire et de son évolution.

En effet, souvent négligée par les économistes au profit des agrégats macro-économiques globaux, une analyse fine, à l’échelle des territoires, des bassins d’emploi, des villes, est un élément majeurde compréhension de l’évolution du pays, de sa capacité à s’adapter aux mutations et en ce qu’elle révèle actuellement du morcellement territorial à l’œuvre.

On observe aujourd’hui que la réussite de l’Allemagne est liée à un « type » de territorialisation : de grosses PME bien ancrées sur les territoires, disposant d’une main d’œuvre qualifiée et de banques locales, avec une production ciblée sur l’exportation.En France,a contrario, on trouve à côté de grandes métropoles en fort développement, des territoires ciblés (petites villes, quartiers périphériques, quartiers d’une ville…)avec des PME de petite taille qui n’arrivent pas à se positionner sur le marché, (taille, valeur ajoutée, qualification…), souvent sous-traitantes de grands groupes qui n’investissent plus en France. Ces territoires   subissent alors de plein fouet les conséquences de l’inadaptation de leur tissu industriel à la mondialisation (fermetures d’entreprises, chômage, précarité…)

Pourtant, la France avait pu s’adapter, lors des « trente glorieuses », aux mutations agricoles et industrielles.En effet, à la sortie de la guerre, les territoires sont dominés par l’agriculture et l’artisanat. Des gains de productivité dans l’agriculture, le développement de l’industrialisation et sa déconcentration (Paris se désindustrialise et se renforce en tant que cœur de conception de l’industrie) ont libéré une main d’œuvre nombreuse, qui est alors recrutée localement par les industries. Les enfants d’agriculteurs trouvent du travail et apprennent sur « le tas » ; la marche de qualification à franchir n’est pas très haute. Les gains de productivité se déversent dans d’autres secteurs. Le pays s’enrichit, gagnants et perdants sont les mêmes.

Or, dans la période actuelle, des pans de territoires n’arrivent pas à « absorber » la mutation profonde due à la mondialisation ; il ne s’agit plus de crises sectorielles (les Houillères de Lorraine, le textile), crises qui pouvaient être régulées alors par une intervention de l’Etat, on assiste désormais à une multiplicationde crises ponctuelles liées à la mondialisation. Les fermetures de sites se produisent en général dans des villes petites ou moyennes où le marché du travail est incapable d’absorber ces crises et où les ouvriers de PME concernés n’ont pas les ressources de la mobilité géographique et professionnelle. La marche de qualification est trop haute à franchir. Ce sont eux les perdants.

Les emplois nouveaux liés à la révolution technologique ou fortement insérés dans la mondialisation se créent surtout dans les tissus métropolitains, ils sont occupés par des jeunes urbains très qualifiés et mobiles, qui sont,eux, les gagnants. Douze zones métropolitaines continuent à créer des emplois.

Mais la réalité territoriale ne se réduit pas à l’opposition entre des zones d’industrie ancienne en déclin et des zones métropolitaines high-tech, et aux déficits d’ajustement résultant de la faiblesse des mobilités interrégionales. Par un paradoxe, soulevé par L.Davezies, une grande partie du territoire est protégée des effets directs de la mondialisation et de la mutation technique. De nombreuses villes petites ou moyennes vivent bien, en ne participant que marginalement à l’économie productive internationalisée, mais en captant des revenus importants de transfert, publics ou privés. L’ajustement territorial, qui ne se réalise pas par la migration comme c’est le cas aux Etats-unis, les Français voulant « vivre et travailler au pays »,se réalise par la redistribution : les retraites, les revenus de la sécurité sociale, les emplois publics, les revenus apportés par la mobilité de la consommation des habitants des grandes villes, le tourisme… Le décalage croissant entre les territoires de la production et ceux de la consommation et de la redistribution joue un rôle d’amortisseur mais a aussi un effet « anesthésiant ». {cf ouvrages de L Davezies : « La République et ses territoires » (2012) et « La circulation invisible des richesses » (2008). Cela peut-il tenir longtemps ?

 

Les territoires sont gérés en France à de nombreux niveaux (le millefeuille institutionnel). Pierre Veltz souligne  le paradoxe français qui réside dans une décentralisation forte avec des pouvoirs locaux éclatés et faibles. Quatre points caractérisent l’architecture territoriale des pouvoirs:

– Complexité et multiplicité des niveaux empilés et présents conjointement sur les territoires.

– Ces niveaux ne sont pas hiérarchiques. Les lois de décentralisation ont réparti des blocs de compétence mais les clauses de compétence générale permettent à chacun de s’occuper de tout.

– Faiblesse du niveau régional.

– Révolution silencieuse de l’intercommunalité : la « seule grande innovation territoriale »

  • Les communes :36 683communes,dont 2,5% ont plus de 10 000 habitants ; les communes sont aujourd’hui trop nombreuses dans les grandes agglomérations ; les plus petites sont plus des structures de sociabilité ;maisles communes disposent de nombreuses compétences dont l’urbanisme (Permis de construire)
  • Le regroupement communal dans des intercommunalités représente une avancée significative, obligatoire depuis le 1er janvier 2013. Plus de 2145 EPCI regroupentla presque totalité des communes, et rassemblent 62,6 millions d’habitants. Début 2014, 41 communes de la petite couronne parisienne seront regroupées avec les 19 EPCI existants sur ces départements et Paris, afin de constituer au 1er janvier 2016 une seule et grande intercommunalité : la métropole du Grand Paris.

Malgré une progression certaine des intercommunalités, bon nombre d’entre elles ne couvrent pas un périmètresuffisant, les compétences d’urbanisme (PLU) restent toujours de la compétence des maires et les présidents des intercommunalités ne sont pas élus au suffrage universel direct, ce qui limite d’autant les capacités d’intervention et la légitimité des intercommunalités.

  • Les départements : le découpage en cantons n’a plus de signification en milieu urbain. Les départements gèrent des budgets sociaux considérables en progression (RSA, APA…). Ils ont plutôt un rôle d’agences publiques.
  • Les régions de création plus récentes sont encore à renforcer, elles ont des budgets importants mais qui n’ont rien à voir avec les budgets des landers allemands. Elles devraient être, avec l’intercommunalités, les deux échelons territoriaux à renforcer. Mais reste que ce sont toujours les départements et les communes qui l’emportent…
  • L’Etat déconcentré, cherche ses « marques » ! et n’a plus de moyens. On peut s’interroger sur l’intérêt de maintenir les sous-préfectures…
  • La place de Paris, il faut en finir avec l’idée de « Paris et le désert français ». On ne peut pas avoir une région capitale qui va mal…

La réforme du millefeuille territorial est indispensable pour redonner de la lisibilité au système institutionnel et doter les territoires et leurs acteurs de leviers efficaces pour répondre aux nouveaux défis structurels de la société et de l’économie dans la gestion des territoires.

Les niveaux territoriaux infranationaux (bassins d’emploi et de vie, grandes agglomérations, régions) ont un rôle décisif à jouer.

 

 

 

QUESTIONS…..

 

QI : Le regroupement des régions annoncé dans le projet de réforme territoriale est-il le bon angle d’attaque ?

PV : Le regroupement des régions n’est pas la bonne entrée, car on a pris le sujet par le système institutionnel ; il faut partir des problèmes. Il y a en Allemagne des landers de taille très diverse. Il fautaussi que les citoyens se reconnaissent dans l’identité de leur région.

Maisle rôle des Régionsdoit être renforcé : taille, budget, compétence.Elle doit jouer un rôle de chef de file en matière de développement et de régulation économique.Il faudrait mieux réformer les départements qui jouent désormais plus un rôle d’agences. Il faudrait les « dépolitiser »et élargir leurs frontières. L’exemple mené par l’agglomération du grand Lyon et le département du Rhône est très intéressant (transformation de la communauté urbaine du Grand Lyon et une partie du département du Rhône en une métropole d’intérêt européen).

 

Q2 : L’intercommunalité semble être l’échelle de gestion territoriale pertinente et à ce titre être dotée de nouvelles compétences ?

PV : Il faut renforcer les agglomérations, élire leur président au suffrage universel direct, il faut imposer des regroupements entre agglomérations pour permettre le développement de grands projets. Il faudrait surtout inscrire dans la loi l’obligation du PLU intercommunal, ce qui permettrait enfin une construction de logements plus nombreux, mieux répartis et plus diversifiés.

 

Q3 : Comment fonctionne Toulouse qui allie développement d’emplois très qualifiés avec l’aéronautique et conditions de vie très appréciées ?

PV : L’agglomération de Toulouse est une agglomération très puissante et la région est aussi puissante, elle peut traiter des réseaux de sous-traitance. Le couple agglo/région puissante fonctionne bien. L’agglomération dynamique accueille une migration très élevée de jeunes qualifiés.

Les jeunes viennent à Paris faire leurs études et quittent de plus en plus l’Ile-de France pour les grandes villes de province où la qualité de vie est meilleure et surtout la question du logement est moins problématique. Les entreprises veulent des logements pour leurs cadres et ce problème de manque de logements est un problème récurrent particulièrement en Ile-de-France.

 

Q4 : L’idée que les régions se choisissent elles-mêmes aurait peut-être mieux préservé les identités régionales ?

PV : le regroupement régional n’était pas une priorité il aurait fallu proposer une redéfinition des compétences et une fois les compétences redistribuées, on aurait pu juger qu’il fallait élargir, rétrécir ou supprimer tel ou tel maillage territorial. Or la France qui était un pays très centralisé s’est considérablement décentralisé mais avec des compétences territoriales faibles.

 

Q 5 : Quid du Grand Paris ?

PV : On n’est pas sorti de l’idée qu’il faut équilibrer le territoire national en freinant le développement de Paris… Or les métropoles à 2heures de TGV (Lille, Rennes, Lyon, Nantes…) marchent le mieux et font un contrepoids à Paris. Vu de Shanghai ou de NY, Paris est une métropole mondialisée avec des métropoles en réseaux reliées par le TGV.

Paris et sa région sont un des principaux centres d’impulsion de l’économie mondiale. En 2012 le PIB de l’Île-de-France calculé par INSEE était de 612 milliards d’euros. Ainsi la région parisienne est la plus importante région européenne par son PIB. Bien que sa population n’en fasse que la 20ème métropole mondiale, le PIB de l’Île-de-France est la cinquième des grandes métropoles du monde.

Donc Paris a de nombreux atouts qu’il faut valoriser.

Mais Paris a deux handicaps : le manque de logements, et les transports de banlieues à banlieues. Comment sortir de cette situation ?

La question des transports devrait se résoudre par la création du métro en automatiqueà l’échelle de la métropole (le grand 8 de Christian Blanc). Les financements sont encore à trouver mais devraient l’être prochainement.

Le problème récurrent du manque de logement est lié notamment à l’émiettement communal. L’Ile de France compte près de 1300 communes dont 674 communes rurales. Le grand Paris existait avant son découpage en 8 départements (1964,) qui a enfermé Paris dans son périphérique. Les enjeux de développement sont dans sa périphérie et il n’y avait pas de collectivité à cette échelle territoriale.

Mais depuis,la loi de janvier 2014 a promulgué la création de la Métropole du Grand Paris (EPCI)), qui regroupe de façon obligatoire Paris et les 123 communes des 3 départements de petite couronne et de leurs EPCI, soit 6,7 millions d’habitants. Les départements de petite couronne sont supprimés. Les communes limitrophes auront également la faculté d’adhérer à la métropole  à statut particulier. Disposant de ressources financières propres, elle est un outil de péréquation financière et de solidarité entre communes. Elle a pour vocation d’améliorer le cadre de vie des habitants, de réduire les inégalités territoriales et de développer un modèle urbain, social et économique durable. Ses principales compétences sont :

– L’aménagement : approbation d’un PLU métropolitain, grandes opérations…

– Le logement : programmation et construction de logements, résorption de l’habitat insalubre…

– La protection de l’environnement : lutte contre la pollution de l’air, transition énergétique, plan climat-énergie…

– Le développement économique et la réalisation de grands équipements structurants à caractère culturel, socio-éducatif ou sportif.
La Métropole est organisée en territoires d’au moins 300.000 habitants ; Paris constitue un territoire. Les Conseils de territoire exerceront un certain nombre de compétences, comme la politique de la ville

La métropole est gouvernée par un Conseil métropolitain de 340 membres environ dont 90 représentants pour Paris. Deux inconvénients dans ce nouveau dispositif : les départements de grande couronne (avec Roissy, Saclay) ne sont pas intégrés et la gouvernance à 123 collectivités peut poser des problèmes de fonctionnement.

 

Q6 On a le moral dans les chaussettes ???

PV Le monde politique a du mal à se réformer…. mais il y a des réussites : le grand projet de cluster à Saclay qui rassemble universités, grandes écoles et entreprises de haute technologie.

 

Deux ouvrages de Pierre Veltz peuvent compléter son intervention :

Paris, France, Monde : repenser l’économie par le territoire (2013)

La grande transition. La France dans le monde qui vient (2008)

 

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