Exposé
L’Italie est en grande difficulté. L’opération « Mains propres » née en 1992 en raison de la corruption importante de la classe politique, les partis traditionnels (DC, PSI) ont disparu. L’ancien parti communiste, le PDG, peu impliqué dans la corruption a alors espéré pouvoir accéder au pouvoir. Mais c’est Berlusconi avec Forza Italia, allié à la ligue du Nord et au parti fasciste MSI, qui prend la place en avril 1994 poussé par les socialistes de Bettino Craxi.
1996, dissolution du Parlement. Le Centre gauche conduit par Romano Prodi l’emporte de peu. Mais la gauche est divisée sans grand leader. Berlusconi revient au pouvoir en 2001 sans autre programme que de suivre les fluctuations de l’opinion avec beaucoup de PME qui vivent sans payer d’impôt.
En réalité le pays se retrouve abandonné à lui-même avec un Berlusconi qui ne semble intéressé que par le fait d’être là et de se faire voir dans les réunions internationales et une gauche handicapée par l’obligation de devoir remettre les comptes en ordre.
Rien est fait face à la crise. Le « spread » des obligations d’État italiennes monte à 6%. Berlusconi pers sa majorité au Sénat. Le président de la République, G. Napolitano, favorise l’arrivée de M. Monti. Mais Berlusconi décide de lui retirer sa confiance provoquant les nouvelles élections générales sans qu’ait pu être votée une nouvelle loi électorale.
Celle-ci rend totalement imprévisible les résultats au Sénat compte tenu des « primes de majorité » définies région par région. Elle aboutit à des majorités très faibles ou à l’absence de majorité.
La Gauche se retrouve donc aujourd’hui avec une courte majorité à la Chambre mais pas au Sénat dans un contexte où la cote de confiance des politiques. Monti en présentant sa liste avec l’idée qu’il pourrait être le leader d’une Droite modérée, lui a en fait aussi enlevé des voix. Elle est dans une impasse. Elle ne peut gouverner sans l’appui du mouvement de Beppe Grillo qui le lui refuse. S’allier à Berlusconi serait le baiser de la mort.
On comprend mal les motivations de l’animateur de Télé Beppe Grillo, très violent dans ses invectives avec des idées en apparence géniales (voiture à H2 !!) mais toutes fausses dans les détails. Son objectif : détruire les Partis et ne faire aucun accord avec eux. Il a développé un modèle de démocratie directe avec des robots à la Chambre guidés par chacun grâce à Internet. Ce serait un référendum permanent. Les jeunes découragés par la crise et le chômage mais habiles au Net ont adoré.
Il a plus de 100 députés et 60 sénateurs qui sont les « gens d’à côté », souvent jeunes et pleins de bonne volonté mais sans expérience et cohérence entre eux. Il est farouchement anti-européen et c’est la première fois que l’on a une majorité contre ou mollement pro-européenne. La Gauche a décidé de le défier et de monter un programme pour engager une discussion avec ceux de ses jeunes députés qui sont honnêtes et qui vont vite s’apercevoir de l’impasse.
Mais le plus probable est qu’on sera obligé d’aller à de nouvelles élections sans être sûrs d’avoir une majorité à cause de la loi électorale. Il est cependant préférable d’attendre un peu. Ce sera donc a priori après l’élection prochaine du président de la République. L’UE est en crise au seuil de la déflation. Les gouvernements en place perdent leurs élections. Il en est de même au niveau de l’UE.
Le Comité des Régions a été créé par Delors au moment où il mettait en place une politique de développement structurel. On lutte pour maintenir les fonds structurels sans savoir si les stratégies élaborées verront effectivement le jour en raison des disputes continues entre les gouvernements. La bonne voie serait d’endetter l’Europe pour le développement des grandes infrastructures européennes internes ou pour une meilleure connexion avec les nouveaux pays. Le printemps arabe nous appelle aussi : beaucoup de jeunes sans travail qui attendent des investissements de l’Europe (un « plan Marshall » pour ces pays) qui sont d’intérêt commun. On est face à une crise d’essoufflement d’un continent qui a tout. Ce n’est pas le marché européen qui nous sortira de la crise. Mais pour prendre ces décisions, il faut une Europe plus politique. L’ « élargissement » avant l’ « approfondissement » a été une erreur. Il faut maintenant faire une Europe restreinte plus politique.
Cela nous donnerait « une adresse », une capacité militaire réelle alors que les américains lâchent l’OTAN. Les pays de l’Est ont peur de la « Fédération ». Rien ne se fera avant les élections allemandes. On a besoin de plus d’Europe pour faire face à la spéculation financière et tenir sa place dans la mondialisation. On ne peut continuer avec la volatilité financière. La finance est trop forte alors qu’il faut aider l’économie industrielle. Une monnaie non adossée à un État fort n’est pas viable. Il n’y a pas de sortie « en arrière ». Il faut aller de l’avant avec du courage. Je ne suis pas sûre que cela se passera ainsi. Je commence à avoir des doutes.
Débat
Q1. On comprend mal le succès de Beppe Grillo.
R. Au début ses jeunes élus lui seront fidèles, mais cela commence à bouger. Une part d’entre eux est très ben éduquée même si sans expérience politique. C’est pourquoi il faut attendre les élections présidentielles pour gagner du terrain.
Q2. Monti a-t-il fait du bon travail ?
R. Il fallait d’abord restaurer la confiance dans l’Italie. Il a montré que le pays était capable d’assainir sa situation. C’est un libéral pur. Il croît au marché unique avec élimination des corporatismes, des monopoles etc … Il a perdu sur ce plan faute d’avoir l’autorité politique de l’élu.
Q3. Nous venons de constater l’échec de la réforme de la carte administrative en Alsace. M. Monti a supprimé, lui, un certain nombre de Régions. Comment cela s’est-il passé ? Comment l’appréciez-vous en tant que présidente du Comité des Régions ?
R. M. Monti voulait réduire le nombre de « provinces », l’équivalent de vos départements, de 110 depuis à 46. La loi est votée mais les décrets d’exécution ne sont pas signés. Au total, on ne comprend plus rien. La fusion des communes de moins de 1000 habitants a été décidée ramenant le nombre de communes à 8000. La France apparaît comme un cas unique en Europe.
Q4. Quel délai pour sortir du vide politique actuel ?
R. L’élection du président commence le 18 avril (NDLR : Georgio Napolitano vient d’être réélu). Cela repousse de nouvelles élections générales fin septembre. Aujourd’hui les sondages disent que Beppe Grillo perdrait un peu et que Berlusconi gagnerait sans doute les élections. La Gauche pourrait gagner avec le jeune maire de Florence, Matteo Renzi 37 ans, comme leader mais pas avec son leader actuel P. L. Bersani, ancien apparatchik du PC. Monti se présentera peut-être dans une alliance avec nous (le PD) mais pas tout seul.
Q5. Beppe Grillo sera-t-il une parenthèse et va-t-on revenir à une logique de partis ?
R. Les partis s’affaiblissent partout en Europe. Les gens veulent le changement mais ne savent pas quoi et comment. Beppe Grillo ne durera pas mais l’on va entrer dans une période de petits partis à travers le web. On est devant une crise des partis traditionnels. La manière de faire de la politique va changer.
Q6. Peut-on espérer quelque chose des élections européennes de 2014 ?
R. Oui. Le traité de Lisbonne donne le pouvoir au Parlement de convoquer une convention. Mais il faut beaucoup de courage. Notre candidat sera Martin Schulz.
Q7. Qui va prendre l’initiative d’un changement de perspective par rapport à la dynamique imposée par A. Merkel ?
R. Il faut au mois 3 ou 4 personnalités ayant un bon courage. On (i.e le PSI) a misé sur F.Hollande. C’est un vrai européen. Mais il ne parle pas. Cela peut être mis au compte de la situation fragile pour la France qu’il a trouvé en arrivant et puis il y a le Moloch allemand. Mais A. Merkel est aussi en position de faiblesse qui peut conduire à un gouvernement de grande coalition. Pour elle, l’Europe c’est l’Allemagne. Elle gère l’économie comme une physicienne.
Q8. Comment imaginer une campagne électorale qui ne soit pas la juxtaposition de campagne nationales ? R. Il faut d’abord un programme socialiste clair avec un leader fort s’appuyant sur une équipe qui ira dans les divers pays de l’UE.
S. Il faut inventer une vingtaine de Cohn-Bendit !
Q9. Perspectives de croissance ouvertes par le monde arabe ? Au Maroc, cela se passe plutôt mal : problème de transparence, système de clans …
R. Il est vrai que le système des fonds structurels traditionnels y fonctionne très difficilement. Ils ont besoin d’apprendre à respecter les règles de procédure. Un plan Marshall avec des prêts pour acheter dans l’UE serait nécessaire. C’est ainsi que l’Allemagne a tiré profit des fonds structurels polonais.
Il faudrait dans la même veine un élargissement plus rapide vers la Turquie.
Q10. Aucune de ces mesures ne peut remédier au déficit de compétitivité entre l’Allemagne et les autres pays de la zone Euro. L’Allemagne a fait sa réforme de « compétitivité » il y a dix ans dans un contexte économique général de croissance qui la rendait possible. Ce n’est pas le cas aujourd’hui pour des pays au bord de la récession. Comment traiter ce problème ?
R. L’Allemagne est aussi au bord de la crise. En 2014, elle en aura peut-être pris conscience. Notre problème est de tenir jusques là (vague de suicides dans les PME italiennes). Heureusement aussi que Mario Draghi est là. Il faudrait donner plus de pouvoir à l’ensemble BCE-BIE…..
Gérard Piketty
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