Exposé
La France est le pays où il est le plus difficile d’expliquer la laïcité ! Il s’y attache beaucoup trop d’idées préconçues pour parties justes, pour parties fausses. Disons tout de suite qu’en pratique les pays sont plus ou moins laïcs et qu’il n’y a pas de laïcité absolue : la laïcité est mouvement par essence.
La loi de 1905, symbole de la laïcité, a voulu mettre fin au conflit des deux Frances avec 5 principes : • Liberté de conscience et de culte (Art.1) • Pas de religion officielle (mais on salarie des aumôniers dans les hôpitaux, les prisons…) • L’égalité des religions face à la libre pensée • La liberté pour les cultes de s’organiser • La mise à disposition des bâtiments publics pour les religions reconnues.
Elle sera à la base de l’échec de la politique anti-congréganiste dite de « laïcité intégrale » menée de 1899-1904 avec les lois de 1901 qui avait exclu les congrégations de la loi sur les associations et celle de 1904 qui leur interdit l’enseignement. Dès mars 1906, les cardinaux « verts » membres des Académies demandent à leur hiérarchie et contre le pape d’appliquer la loi « texte de tolérance, de liberté et de neutralité ». Les évêques suivent en majorité en mai 1906. Pour parer à des manœuvres possibles d’obstruction de la part du Vatican (une grève du culte qui aurait été en quelque sorte « due à la loi »), A.Briand fait alors voter la loi du 2 janvier 1907 pour que « quoique fasse Rome, l’église catholique ne puisse invoquer l’impossibilité de célébrer le culte ».
En 1945, le MRP fait mettre la laïcité dans la Constitution. Le problème de l’école prend alors de l’ampleur et aboutit à la loi Debré de 1958 qui entretient une polémique entre partisans et opposants d’un financement de l’école privée par l’État. 1984 marque l’échec de la tentative de la Gauche de mettre en place un service public unifié de l’éducation nationale. On en reste à la loi Debré qui impose d’enseigner la même France dans les deux écoles.
Mais dans la foulée, il est entendu que la laïcité devienne un élément fort de l’identité française. Ce sera acquis en 1989 par l’enseignement catholique qui a accompli en interne sa sécularisation. La laïcisation des mœurs est admise (pas d’opposition formelle à la loi Weil). Il ne revendique plus d’orthopraxie.
Cependant les nombreux juifs Sépharades arrivés en France vont revendiquer pour leurs écoles de telles revendication (piscines) sans opposition de la part des autorités à la différence des musulmans qui suivront.
1989 est aussi l’année de la fatwa de Khomeini contre les versets sataniques et de l’apparition des foulards. S’en suit une période de 15ans de dissension entre l’opinion favorable à l’interdiction et le Conseil d’Etat plus tolérant et ne rejetant que les « tenues ».
2003. M.Baroin porte-parole du gouvernement revendique la laïcité comme une valeur de Droite. Chacun raconte l’histoire de la laïcité à sa façon. La loi de 2004, fruit de la commission Stasi, est un peu en trompe l’œil. Résultat : en 2005 la laïcité devient peu ou prou une sorte de religion civile républicaine, propice à une dérive dogmatique, poussant à l’opposé à de nouveaux récits historiques de la laïcité (2006) où des rapports idylliques entre la France et le Vatican flirtent avec la « laïcité positive » de N.Sarkozy.
– Bien sûr qu’il y a des racines chrétiennes de la France ! Mais faire de Clovis le premier souverain chrétien de l’Europe, comme l’a fait N.Sarkozy au Latran, est une schématisation hasardeuse. Clovis ne fut que le dernier chef « barbare » à se convertir au christianisme. Les autres chefs étaient, il est vrai, des ariens que les hasards de l’histoire ont refoulé au rang d’hérétiques lors du concile de Nicée en 325. En s’immisçant ainsi dans une appréciation du dogme chrétien, N. Sarkozy a dépassé le cadre de sa fonction.
…et puis ne faut-il pas souligner que les plus belles œuvres culturelles inspirée par l’Église (peinture, cathédrales, musique…) ont accompagné les pires turpitudes : croisades, extermination des hérétiques par la torture et le feu, dragonnades etc…
Fallait-il ternir son discours de Riad, par ailleurs courageux, en soulignant l’existence d’un dieu syncrétiste au cœur de chacun, laissant ainsi de côté les agnostiques et mettant à mal sa position d’arbitre ?
Finalement, les politiques feraient mieux de s’intéresser davantage à l’avenir qu’au passé, en reconnaissant que chaque pays tâtonne à sa manière vers la laïcité, y compris chez nous où l’on découvre les questions posées par la multiculturalité, les discriminations couvertes par un universalisme abstrait et l’illusion de vouloir limiter cette diversité aux religions.
Il ne faut pas confondre sécularisation et laïcité : on n’a pas à imposer à l’Islam d’être soluble dans la république. Il y a simplement à respecter les lois. Le tort de la laïcité républicaine a été de vouloir imposer la sécularisation à des populations, communautés ou cultures qui sont à des degrés divers de sécularisation.
Débat
Q1. Comment nous situons-nous par rapport à l’Europe ?
R. En Norvège le roi est luthérien et l’église luthérienne a statut d’église nationale. Pour autant il y a été jugé que la loi de l’État n’a pas à se conformer à celle d’une église, fut-elle nationale. Une certaine laïcité européenne a sa source dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ainsi chez nous, la CEJ a été saisie d’une plainte de l’union des athées français au motif qu’ils ne bénéficiaient pas des mêmes subventions que les religions. Le foulard est toléré dans les écoles privées sous contrat mais non dans les écoles publiques. Les écoles juives sous contrat ne respectent pas la loi Debré. Comment l’imposer dans ces conditions aux écoles musulmanes ?
Q2. Quel a été l’objectif de Sarkozy en parlant de laïcité positive ?
R. Il est fasciné par la force que la religion donne aux croyants. C’est un peu l’inverse d’Émile Combes qui poursuivait de sa hargne l’église catholique coupable de l’avoir exclu, séminariste, de la prêtrise. Derrière tous ses discours, il n’y a rien sur le plan des faits. Il s’agissait davantage de rassurer un électorat âgé de droite épouvantée par ses frasques et son côté bling-bling !
Q3. En préface à un « Traité pour l’Europe », N. Sarkozy explique que le traité doit reprendre le traité de Lisbonne. Il en omet la charte des droits fondamentaux. N’est-ce pas une nouvelle lecture de l’Europe ? Toute religion étant par nature impérialiste, peut-on avoir la même tolérance en matière culturelle et en matière religieuse. La « laïcité positive » ne va-t-elle pas trop loin ?
Quid de vos différends avec la Cion Stasi dont vous étiez membre et du lien entre N.Sarkozy et le CRIF ?
R. On ne peut écarter le religieux du culturel : la religion est une ressource culturelle pour beaucoup de gens. Le Québéc pratique très heureusement « l’accommodement raisonnable » : cela permet par exemple des discriminations pour des individus tout en en excluant les groupes. Aucun pays n’est religieusement neutre (cf. les calendriers par exemple).
Je reproche à la commission Stasi de n’avoir pas mis au vote la proposition que j’avais déposée. La logique de la loi de 2004 sera l’ouverture d’écoles privées musulmanes en raison du profond ressentiment qu’elle a créé dans la communauté musulmane : la loi n’a interdit le port du foulard que dans l’école publique.
N.Sarkozy en a fait trop à l’égard du CRIF (affaire du parrainage des enfants morts à Auschwitz). Il y a communautarisme lorsque le groupe étouffe l’individu. Ce n’est pas pour autant qu’il faut interdire les communautés.
Q4. Le discours d’Obama s’est terminé par « Dieu vous bénisse ! » comme s’il y avait un dieu de paix qui surplombait tout. Qu’en pensez-vous ?
R. La déclaration d’indépendance des USA fait de Dieu le créateur des Droits de l’Homme, mais la constitution US ne fait aucune référence à Dieu. Mais il n’aurait pu dire : « Je suis athée, j’en ai le droit » n’eut pas été politiquement correct. En France, les Droits de l’Homme ont été proclamés par la Révolution sous les « auspices » de l’Être Suprême et non de Dieu sinon il aurait fallu redonner une place officielle à l’église catholique. N.Sarkozy recherche une imitation de la religion civile US, mais cela ne marche pas en France qui s’est construite dans un conflit entre religion et modernité. Le pape de l’époque n’a pas reconnu la déclaration des Droits de l’Homme bien qu’elle ait été promulguée pour 1/3 par des curés. L’universalisme n’est pas donné dès le départ, il ne peut s’agir que d’une visée de longue haleine. L’inverse est une erreur de nos républicains.
Q5. Vous avez fustigé la religion civile républicaine. N’est-elle pourtant pas nécessaire dans une période où sont piétinées toutes les valeurs ? L’«accommodement raisonnable » ? Là où la situation n’était pas simple, la loi nous a facilité la vie. Enfin l’Islam n’est-il pas une religion non laïque par essence, comme le montre la situation aux Pays Bas ?
R. Il faut certes structurer des valeurs, mais les partisans de la religion civile républicaine sont inconscients de leurs motivations. À partir du moment où les valeurs deviennent des dogmes, on dérape. Le contraire de l‘imposition du foulard est-il de l’interdire ou de laisser à chacun sa liberté ? L’EN a eu une gestion calamiteuse de la question entre 1989 et 2004 en voulant être plus restrictive que le Conseil d’Etat. Avec l’« accommodement raisonnable », le Québec n’a pas eu le tiers de nos problèmes. Il y a un siècle, le catholicisme était tout autant non laïque par essence que l’Islam peut encore l’être aujourd’hui. Le problème est que tant aux Pays Bas que de façon plus générale, la parole est accaparée par les fondamentalistes. Si la situation internationale se décantait, tous les éléments sont réunis pour une modernisation de l’Islam. Reportez vous à l’essai du démographe E.Todd qui montre chiffres à l’appui que les pays musulmans sont tous en train de se séculariser et que l’extrémisme est une réaction désespérée pour contrer cette dynamique. La république du début du XXème siècle était encore très machiste : « J’en ai marre que ma femme aille se confier aux curés ! » ou encore l’encyclopédie Berthelot qui attribuait à la femme un cerveau différent ! Beaucoup de filles musulmanes ont aujourd’hui du mal à se marier. E.Todd a raison !
Gérard Piketty
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