Exposé
Nous sommes en crise. Beaucoup de raisons à cela. Les visions sur le problème posé sont diverses. D’abord dire clairement que c’est nous qui avons imposé la machine bureaucratique de Bruxelles.
Nous voulons une Europe qui conjugue citoyenneté nationale et citoyenneté européenne. Cela implique de faire des concessions de citoyenneté vers l’UE pour avancer. Mais on ne peut parler de l’avenir sans dire d’où l’on vient. On n’en parle pas dans les écoles et c’est regrettable.
Nous sommes nés de la crise formidable qu’a été WW2. Puis il y a eu la CECA(Communauté européenne du charbon et de l’acier dont l’objectif était de permettre à tous, via le jeu du marché, un égal accès à deux ressources essentielles pour la reconstruction. C’était une démarche économique. Mais elle était conditionnée par un cahier des charges politique (respect de la démocratie, droits de l’Homme etc…) discuté et déposé au sein du Conseil de l’Europe créé en 1950. L’adhésion à ce Conseil était un préalable à l’entrée dans la Communauté. Par la suite on a fait preuve de quelque laxisme à l’égard de ce préalable lors de l’élargissement de la Communauté.
L’Espace européen a été créé et existe. L’Euro, Schengen, Erasmus … . Nous avons une Cour de Justice, une administration. Tout cela nous paraît maintenant naturel. Ce ne l’était pas il y a vingt ans. Le mouvement pour la construction de l’Europe a été stoppé par l’échec du TCE et le mauvais compromis de Lisbonne.
Pourquoi ?
Pendant la période d’abondance tout a bien marché. Puis la crise est venue d’hors de l’Europe et insensiblement, de négligence en négligence (contrôles dévoyés dans certains pays, apparition de partis anti-européens avec des députés…), l’Union n’a plus été perçue par chaque État que comme un moyen d’aide économique. Ce n’est pas l’UE qui a aidé les pays de l’est à sortir du communisme, mais les USA ! En gros, les pays de l’UE ont fait le nécessaire pour que cela ne marche pas. La Commissaire aux affaires étrangères, « il fallait le faire » ! Résultat, A. Merkel est maintenant seule à décider et ce n’est pas le faible Barroso qui aura le courage, comme M. Monti en son temps de la menacer d’un veto !
Tout cela va changer mais demandera du temps. Il ne faut pas faire une autre Europe. Il faut faire l’Europe. Pour cela il faudra donner plus de forces au Parlement européen. Il faut que nous, citoyens de l’Europe, cessions de penser en fonction de la politique nationale. Il faut faire en sorte que nous ayons de bons parlementaires comme l’Allemagne l’a bien compris, et cesser de considérer que les élections municipales est le plus important. On a perdu de vue les idées simples. L’heure est plus à la consommation d’Europe qu’à la production d’Europe. Il n’y a pas à inventer, il faut aller au bout du chemin, mettre à la tête de l’Europe des gens capables de faire l’Europe, avoir des citoyens qui pensent l’Europe et non des institutions. Il n’y a pas de marche arrière !
Débat
Q1. Où est l’enjeu principal ?
R. Il n’y a pas de centre politique significatif dans l’UE. Il faut que les États les plus forts acceptent de perdre de la souveraineté. Aucun des grands pays de l’Union n’arrive à se faire à cette idée. On n’a que des intérêts nationaux qui discutent entre eux. L’Espagne a été très européenne pendant un temps. Les travaux financés par l’UE (FEDER) étaient clairement affichés partout. Rien de tel en France. Les préfets qui géraient les fonds FEDER considéraient qu’ils étaient mis à leur disposition par l’État!
Q2. a/ Vous avez omis de signaler l’échec de la CED rejetée par la France en 1954. De ce jour, l’Europe politique n’est plus dans la continuité de l’Europe économique. C’est ce qu’on retrouve aujourd’hui.
b/ Le projet européen est né du choc de WW2 . Invoquer la paix comme moteur de la construction européenne, c’est regarder dans le rétroviseur : Où est le choc comparable à WW2 qui justifierait qu’on vive une transition politique ? C’est la mondialisation qui marginalise l’UE dans l’espace économique de demain. Il faut se réinsérer dans les circuits mondiaux. La civilisation musulmane à sombré faute de l’avoir fait. Là sont les enjeux !
c/ Pour y arriver un simple jeu à l’intérieur des institutions actuelles n’est pas suffisant. Il faut créer un espace public qui fasse apparaître de nouvelles forces en marge du système.
Q3. Pour contourner les conservatismes nationaux et le blocage politique qu’ils entraînent, le meilleur moyen n’est-il pas de mettre fortement l’accent sur de grands projets communs (infrastructures de tous genres, recherche….) ?
R. L’évolution politique doit être en cohérence avec une évolution économique mondialisée. Produire en Europe est aujourd’hui très cher. Il faut le regarder en face. Le moins de force politique on aura au niveau de l’Europe, le plus de diktat on aura de la part d’un ou deux pays de l’Union. La France a perdu sa fonction de contrepoids de l’Allemagne. Le mot Europe était totalement absent de la dernière conférence de François Hollande !! Il faut changer cela.
Q4. a/ Où faut-il aller en matière de politique européenne des migrations ?
b/ Sur quels leviers peut-on s’appuyer pour avancer vers plus de politique alors que nos partis ne sont pas très innovants ? Comme travailler la pensée publique?
R. L’Europe a toujours avancé par les crises. Cette crise a permis : – de nettoyer les services bancaires européens, grâce notamment à la BCE.
– d’avancer en matière fiscale même s’il faut en faire plus et en finir avec les paradis fiscaux qui font perdre beaucoup d’argent aux États nationaux.
Migrations ? Une des causes de Lampedusa tient à ce que l’UE a laissé Berlusconi promulguer une loi interdisant l’aide aux clandestins au lieu de faire une politique de solidarité. On n’a pas beaucoup travaillé avec les pays d’origine. Le taux des migrations est de 3% en Europe ce qui n’est pas énorme. Pour le gérer il faut une orientation politique claire pour savoir où l’on va.
Q5. Quid des jeunes pour réenchanter l’Europe ? Comment faire ?
R. On a déjà fait beaucoup pour les jeunes , notamment avec Erasmus. Ils sont de facto beaucoup plus européens que nous qui avons du mal à vaincre nos réticences. Ils vont déjà plus loin à un niveau mondialisé. Il faut en faire des européens conscients de ce que cela a impliqué et impose. Ils sont responsables de l’Europe de l’avenir.
Q6. Pourrait-on avoir un discours clair au niveau européen au sujet de la négociation UE – USA . Il y a de vrais enjeux.
R. Belle opportunité pour les prochaines élections européennes. Que va dire le PS ? …l’UMP ? Il faut dire aux jeunes d’aller voter. Il faut occuper le terrain. N’est-il pas stupéfiant que le président Hollande n’ait pas prononcé une seule fois le mot « Europe » lors de sa dernière conférence de presse ?
Q7. Comment constituer une opinion politique européenne ? Pas de salut à attendre des partis politiques et de leurs appareils. Par exemple, je crois très peu à la capacité des ministres de la Culture des pays de l’UE à faire apparaître une orientation claire sur la question de l’exception culturelle. Il faut agir en marge du système pour créer des mouvements d’opinion nouveaux.
R. La France est un pays spécialiste de la discussion. On l’a bien vu lors du TCE. Ouvrir des débats dans les communes, dans les mairies. Il faut se battre.
Didier. On voit que dans la plupart des pays de l’UE, les syndicats sont taraudés par la question de la retraite à 60 ans mais incapables d’impulser l’ombre d’une politique européenne.
R. On ne peut pas demander tout en même temps. Il faut une Europe avec une orientation politique puis des compromis économiques et sociaux.
Q8. Peut-on renforcer la question des majorités d’idées, tous les pays n’avançant pas du même pas ? R. On a déjà des domaines qui ne nécessitent pas l’unanimité. Tout le mal n’est pas dû à la GB. Nous avons besoin d’eux. Il ne faut pas les rejeter. Ils ont un côté pragmatique utile. Les esprits ne sont pas encore fait à la généralisation des décisions prises à la majorité sans unanimité.
S. C’est certes une rupture inconcevable aujourd’hui ! Mais sans aller jusques là, ne peut-on tirer profit de conjonctures où dans un domaine précis, une conjonction favorable à une prise de décisions à la majorité apparaîtrait possible. Il n’y faudrait qu’une espèce de loi-cadre permettant au PE et au Conseil européen statuant dans des conditions à préciser d’en décider ainsi sans mettre en branle la nécessité, trop lourde à manier, d’un nouveau traité.
Q9. Quid si les partis populistes obtiennent une position dominante au PE ? R. Cela ne se fera pas.
Gérard Piketty
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