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07/10/2024 - Agnès LEVALLOIS - Le livre noir de Gaza

André Bourgey, ancien Président de l’Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, présente Agnès Levallois : vice-présidente de l’Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (IReMMO), chargée de cours à Sciences Pô, ancienne directrice des programmes en langue arabe de France 24.
Malgré l’embargo sur la presse, des ONG internationales israéliennes comme palestiniennes et certaines organisations onusiennes ont dressé des bilans de leurs observations et des rapports sur leurs activités. Agnès Levallois a coordonné un travail de recension des informations collectées, qui fait l’objet d’un livre publié au Seuil : Le Livre noir de Gaza (Le Seuil, octobre 24)

Agnès Levallois a toujours dénoncé les massacres du 7 octobre 2023 qui ont provoqué dans la région un séisme qui va maintenant jusqu’en Iran. Selon l’expression de Rony Brauman, reprise de l’archevêque d’Alger, « La violence du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause ». On estime à 42000 morts et plus de 100000 blessés le nombre de victimes, que Gaza (bande de terre de 365 km2 où vivaient 2,2 millions de personnes), a été détruite à 70 %, et qu’il faudrait 100 milliards de dollars pour sa reconstruction.
Il y a aussi plus de 2000 morts du fait des attaques israéliennes au Liban depuis oct. 2023. 700 000 colons israéliens se sont installés en Cisjordanie au prix de l’accaparement des terres et de violences.
D’après Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur d’Israël en France, « Israël gagne des batailles mais est en train de perdre la guerre. L’Etat Hébreu doit passer de la force à la politique par un cessez-le-feu à Gaza. »

Agnès Levallois :
Partons des faits. La bande de Gaza est sous blocus depuis 2007. Les Israéliens donnent ou non un pass aux Gazaouis ce qui en fait comme une « cocotte-minute ». Le blocus fait que tout y est contrôlé et qu’il est impossible d’y développer une économie stable. Un exemple : des Palestiniens ont voulu exporter des fraises qu’ils cultivaient, leurs camions étaient coincés une semaine avant qu’ils n’obtiennent la permission de faire sortir ces fraises. Il y a un blocus total. La bande de Gaza est ingérable. Le gouvernement a fait partir ses colons par l’armée car ce serait trop cher d’y protéger 8000 colons. C’est donc l’Autorité Palestinienne qui gérait la bande de Gaza mais le contrôle israélien était absolu : aucune liberté sans les décisions d’Israël. Ce blocus hermétique autour de Gaza était assuré par une barrière infranchissable qui avait coûté un milliard de dollars mais pour Israël le danger venait de Cisjordanie. D’où le traumatisme de s’apercevoir que, lors de l’opération du Hamas du 7 octobre 2023, de simples ULM avaient permis au Hamas de s’introduire et de commettre des massacres. C’était inimaginable, incroyable, d’où la violence de la réaction d’Israël. Dès le 8, un blocus total est imposé. Tout le monde soutient cette réaction. Mais la violence de cette riposte croît. Israël veut rétablir la dissuasion face aux Palestiniens. Israël est pourtant l’armée la plus forte de la région.
L’objectif de guerre est-il bien d’éradiquer le Hamas et de récupérer les otages enlevés le 7 octobre ?
Auparavant, la doctrine israélienne était de sauver chaque vie d’otage israélien, comme pour le soldat Shalit, échangé jadis contre 1000 prisonniers israéliens. On s’attend donc à des moyens pour libérer les otages. La négociation passe par le Qatar, l’Egypte, et avec le soutien américain. On échange des prisonniers. Mais il est désormais hors de question de négocier avec le Hamas. Les négociations vont s’arrêter du fait de Nétanyahou. C’est un changement de la doctrine d’Israël sous la pression de l’aile extrémiste des ministres de droite comme Lieberman, et peu importent les morts, peu importe le sort des otages. D’où des débats en Israël avec de grandes manifestations des familles d’otages, et des tensions avec le gouvernement qui a échoué à libérer ces otages. Plus Israël bombarde, plus les otages risquent d’être tués.
Le chef du Hamas veut reprendre les négociations. Mais Israël ne fait pas ce qu’il faut.

Et dans la bande de Gaza les journalistes sont interdits d’entrer, exceptés ceux qui sont « embedded » par l’armée israélienne pour sa communication. La presse internationale ne peut pas rentrer à Gaza. L’information est empêchée, les journalistes visés, des journalistes palestiniens tués (plus de 100 en 6 mois en 2023-24) ou en prison.
Quelques journalistes palestiniens, des « fixeurs » qui connaissent le terrain, servent pourtant de traducteurs et envoient par Whatsapp des témoignages et photos, mais la presse doit pouvoir aller voir sur place et documenter ce qui se passe.
Certains comptent 42 000 morts, en ne comptant que ceux qui ont été identifiés, les Israéliens disent 10 000 morts. Dans les différents moments du conflit, les chiffres du Hamas étaient concordants à l’unité près avec ceux qui ont pu être vérifiés. On compte au moins 100 000 blessés alors que les hôpitaux pour la plupart sont hors service. Les hôpitaux de campagne des organisations humanitaires continuent à soigner mais l’aide humanitaire rentre peu. Le flux de camions a diminué, toutes les cargaisons sont contrôlées par Tsahal et les camions d’aide humanitaire ne passent que par quelques dizaines par jour alors que des centaines seraient nécessaires. Les médecins trient les patients, ne soignant que ceux qui peuvent survivre. Ils opèrent sans anesthésie, faute de produits pour.
Dans la bande de Gaza où se serrent 2,2 millions de personnes, il y a au moins 1,9 millions de déplacés, et ils ont souvent été déplacés une dizaine de fois. On leur envoie des tracts en leur disant qu’on va bombarder, ils vont ailleurs mais à un moment, ils ne savent plus où aller. Pas d’abri sûr, car ils se font bombarder aussi là où on leur avait dit d’aller. Ils renoncent souvent à bouger avec leurs matelas et leurs bâches et restent sous les bombes. L’eau n’est plus potable, on se sert d’eau de mer.
L’OMS négocie pour avoir le droit de vacciner 500 000 enfants contre la polio.
A travers les rapports des organisations on arrive à connaître la réalité de ce qui se passe, l’ampleur des destructions : Gaza est détruite à 70% ! Des cimetières ont été retournés, ce qui choque les Gazaouis… Il faudra 4 ans pour enlever les gravats avant de commencer à reconstruire…. Il y a une polémique en Israël contre l’UNRWA1 chargée de l’assistance aux réfugiés Palestiniens et qui a du mal à mobiliser l’aide internationale car Israël accuse cette organisation de sympathie vis à vis du Hamas. Or, les preuves d’une complicité avec le Hamas n’ont pas été apportées. L’UNRWA rappelle à tous que la question palestinienne n’est pas réglée. La France a repris son financement, contrairement à d’autres pays qui estiment l’UNRWA délégitimée.
D’autres rapports permettent de faire connaître les faits constatés et les victimes, femmes et enfants compris. Les rapports de l’UNICEF sont terrifiants. Les hôpitaux ont été visés. Le Droit de la guerre n’est pas respecté dans ce conflit. Sur la disproportion des armes, une enquête a été menée par des Israéliens et est parue sur le média en ligne + 972 Magazine, concernant les bombardements israéliens massifs avec des dévastations énormes sur les hôpitaux, les universités, les écoles, les mosquées. On lance une bombe et ça fait 50 ou 100 morts. Pas de précision, ce sont des dommages collatéraux. Pourtant quand ils ont tué Ismaël Haniyeh, le chef de la branche politique du Hamas à Téhéran, c’était une frappe millimétrée. Le Hamas se met au milieu de la population. Les soldats israéliens engagés ont pour consigne le tir libre au détriment de tout Palestinien réduit à la condition de cible, quel que soit son âge. L’IA permet de définir des milliers de cibles palestiniennes à assassiner à leur domicile.

Questions

Que peut faire le Droit international ? Ne peut-on parler de génocide à propos des Palestiniens ?

L’Afrique du Sud l’invoque. Le 7 octobre ne vient pas de rien : les résolutions de l’ONU les concernant n’ont jamais été appliquées par Israël. A la Cour Internationale de Justice, les mandats d’arrêt n’ont jamais été émis à cause des Américains, des responsables du Hamas et aussi du comportement de Netanyahou et de son ministre de la Défense. Il faudrait que les juristes puissent faire leur travail.
C’est à eux de qualifier de génocide le sort des Palestiniens. Il me semble qu’on peut plutôt parler de nettoyage ethnique, il s’agit de les pousser à aller ailleurs : le plus simple pour Ies Israéliens serait que les Palestiniens partent. Cette terre n’est plus vivable pour eux.

Netanyahou a-t-il atteint ses buts de guerre ?

Le Hamas est affaibli mais les otages qu’ils ont pris ne sont pas libérés. Nétanyahou détourne l’attention en luttant contre le Hezbollah iranien. Il réussit l’élimination des chefs, Nasrallah puis Safieddine. Il y a une fragilité du Hezbollah. Pourtant certains de leurs responsables ont combattu en Syrie et ont de l’expérience mais ils se sont embourgeoisés. Les Israéliens ont un très bon renseignement, pour remonter et aller jusqu’à la personne visée. On exagérait l’importance du Hezbollah, le mouvement est affaibli.
Netanyahou veut attirer l’Iran dans la guerre. C’est un pays sous sanctions. Le président Ibrahim Raïssi est mort dans un accident d’hélicoptère, en raison de la vétusté de cet appareil. L’Iran a un matériel militaire obsolète. L’armée iranienne tire des missiles, mais avec un petit résultat, ils sont interceptés par la Jordanie, les Américains… Il y a une supériorité évidente d’Israël, créé pour que les juifs y soient en sécurité. Israël et les Saoudiens ont été furieux des accords d’Obama et de l’Iran sur le nucléaire. C’est une faille sécuritaire d’après Israël. Les Israéliens ont été contents de Trump qui les a rompus. L’Iran depuis a intensifié son programme nucléaire ce qui constitue un danger malgré les contrôles de l’AIEA. La sécurité peut s’obtenir avec la force, la guerre, mais aussi avec des accords !

La situation en Cisjordanie ?

C’est dramatique. C’est la stratégie du feu vert de la part des « ministres du chaos », Smotrich et Ben-Gvir. 14 députés à la Knesset font la majorité. Les Palestiniens sont pour eux les coupables car la Palestine est la Terre Sainte des Juifs ! Ce sont les descendants de ceux qui ont tué Yizhaak Rabin. Pour eux, les accords de 93 et la poignée de mains à Arafat sont à oublier. 30 ans après, ceux qui sont au pouvoir sont ceux qui ne voulaient pas des accords d’Oslo. Pour eux, il faut faire disparaître les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Il faut écraser ses voisins pour être en sécurité, pour reprendre « cette terre qui est la nôtre » ! Cette stratégie est dramatique. Biden a pourtant dit aux Israéliens « Ne tombez pas dans la vengeance, comme nous après le 11 sept. 2001 ! »
L’Iran ne veut pas de cette guerre, il est humilié par les meurtres de ses chefs. Israël veut bombarder
ses sites iraniens pétroliers et nucléaires.

Il y a un plan de paix d’Ehud Olmert et de Nasser Al Qidwa. Quelles chances a-t-il ?

Des plans, on en a des cartons ! Aujourd’hui tout est mort-né avec cette coalition gouvernementale en Israël ? Pas de plan de paix avec les mêmes ! Comment retrouver des interlocuteurs ?

Est-ce qu’il y a une économie à Gaza ?

L’objectif a été de rendre Gaza invivable. Ils ne peuvent aller ni en Israël, ni en Egypte qui craint les Frères Musulmans. Les Egyptiens ne veulent pas d’une seconde Nakba. Elle serait accusée de l’exode des Palestiniens.

Le Hamas se conduit de façon terrible avec les Palestiniens au milieu desquels ils se cachent ?

Tous les pays arabes le confortent.

Ce gouvernement israélien d’extrême-droite dans un pays démocratique, il ne changera pas ?

Il y a eu de grandes manifestations contre Netanyahou mais il a habilement tout fait pour rendre les Palestiniens invisibles. Le Hamas en lançant l’attaque du 7 octobre 23 savait que ce serait dramatique, que ce comportement criminel conduirait à une situation catastrophique à l’égard de la population palestinienne, conduisant au processus d’invisibilisation des Palestiniens : on les qualifie d’animaux humains ! on ne veut plus les voir !

Les kibboutz, y habitaient des gens qui n’étaient pas d’extrême-droite ?

Oui, mais ça a explosé !

Qui finance le Hamas ?

Le Hamas2 est une émanation des Frères Musulmans en 87 pour déstabiliser le Fatah mouvement nationaliste laïc de Mahmoud Abbas et les Israéliens ont financé des projets du Hamas pour affaiblir
l’Autorité Palestinienne d’Arafat et le Fatah.
Le gouvernement du Hamas a fait en quelque sorte Netanyahou. Ce dernier ne risque rien ; il y a un accord avec des états arabes : le Qatar et le Bahreïm. Trump a participé aux accords d’Abraham, il voulait faire de Gaza un autre Dubaï ! un grand délire … Le monde a laissé faire. La question palestinienne n’existe plus !

L’Autorité Palestinienne ?

Mahmoud Abbas à 88 ans est délégitimé. Il s’accroche désespérément mais on n’en veut plus. Il a annulé les élections. L’AP est devenue un interlocuteur pour les basses œuvres et la coopération sécuritaire. Le Hamas est très peu en Cisjordanie. Il y a une majorité à Gaza anti-Hamas. En Cisjordanie, les massacres du 7 octobre font qu’on n’oublie pas les Palestiniens, mais ils ne sont pas très pro-Hamas, mais il n’y a rien d’autre. L’intérêt pour ce qu’a fait le Hamas ne se laisserait pas voir dans les urnes.

L’année dernière, Netanyahou devait partir, et il est resté. Israël avait envie de sauver les otages. Comment peuvent-ils vivre encore ?

Netanyahou a une lourde responsabilité quant à son abandon des otages, mais aujourd’hui les sondages ont tourné : le narratif contre le Hezbollah et l’Iran l’a emporté, toute l’énergie sur l’Iran !

Qu’en est-il de la diaspora aux Etats-Unis ? ailleurs ?

Cela ne jouera pas beaucoup. Mais les français juifs soutiennent beaucoup Israël, expriment leur solidarité. Le Liban est très fragmenté. Certains Libanais soutiennent le Hezbollah quand Israël bombarde. Les diasporas aident les leurs. Sauf les diasporas iraniennes qui ne soutiennent pas la République Islamique où des fragments de la population manifestent mais le régime ne s’écroule pas.

Le Hezbollah est-il menacé ?

Il est loin d’être éradiqué avec son armée bien organisée.40 000 miliciens surarmés. Le Hezbollah a une surface politique au Liban mais il ne faut pas la surestimer.

Israël veut-il faire tomber le régime iranien des mollahs ?

La menace de la guerre fait bouger la société iranienne. Il y a en Iran un sentiment nationaliste très fort. Il y a contestation de la part d’une fraction de la population mais il n’y a pas de mouvement qui agrège l’ensemble, il y a le mouvement des femmes mais les faubourgs défavorisés votent pour les mollahs et on ne veut pas être humiliés par Israël.

Le Hezbollah est partie prenante. Que se passerait -il si on bombarde les installations pétrolières ?

Aujourd’hui, si Israël attaque l’Iran, toutes les options sont sur la table.

Quelle relation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ?

L’Arabie Saoudite a normalisé ses relations avec Israël. La question sunnite/chiite est à relativiser.

Il y a la possibilité de renverser la théocratie ?

Grand classique ! qui peut l’écarter ?

Pourquoi le Hamas a-t-il fait ce qu’il a fait le 7 octobre 2023 ?

Pour faire main-basse sur la résistance des Palestiniens. Le résultat est inverse, il peut y avoir entraînement de foule au-delà de l’opération prévue.

Il y a une plainte émise par les Israéliens qu’il y a un manque d’empathie. Mais on n’oublie pas les otages.

Dans la jeunesse, la question se pose. Il y a un manque d’empathie chez une partie des jeunes à l’égard des israéliens. Ce qui choque, c’est l’invisibilité des Palestiniens par les Israéliens. A Gaza, il y a 5000 habitants au km2. Qui va financer la reconstruction ? Israël détruit et attend que les autres financent.

L’AIEA a beaucoup de données sur ce qui se passe avec le nucléaire iranien. Il y eu des inspections. Ils disent ne vouloir que du nucléaire civil et pas de militaire, mais …

Pourquoi les Américains ne font-ils pas pression sur les Israéliens ?

Biden pense que c’est légitime qu’Israël se débarrasse du Hezbollah malgré les pressions du Sud global qui voit le double standard entre la guerre Russie-Ukraine où l’Europe proteste et agit contre les crimes de guerre russes et pas dans la guerre inégale Israël-Arabes palestiniens. Les Palestiniens sont des citoyens de seconde zone, qui rasent les murs, Netanyahou n’est pas inculpé !

(notes prises par Cadolle)

1Agence de l’ONU dédiée aux réfugiés créée en 1949 au moment de la première guerre israélo-arabe de 1948-49 et de l’expulsion des palestiniens

2 Cf. Le Monde, 20 janvier 2024 : « Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell accuse Israël d’avoir créé et financé le Hamas pour tenter d’affaiblir l’Autorité Palestinienne. »

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