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06/10/2025 - Saïd SADI - Pourquoi les relations entre la France et l'Algérie sont-elles si difficiles à pacifier ?

Saïd Sadi est un homme politique et écrivain algérien. Il a milité dès sa jeunesse pour la langue berbère et les Droits de l’Homme, ce qui lui a valu plusieurs emprisonnements. Il a fondé en 1989 le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, parti laïc. Il a été député et candidat à l’élection présidentiel. Il a écrit ses Mémoires en 5 tomes dont le dernier est L’Histoire comme miroir en 2025.

Le régime algérien actuel est islamo-conservateur, avec une crispation peu propice au combat pour une Algérie démocratique.
L’Algérie est le second partenaire africain de la France quant aux échanges commerciaux, avec une balance commerciale déficitaire pour la France.

En juillet 2024, le président Macron a reconnu le Sahara occidental comme marocain par une lettre au roi du Maroc, d’où des mesures de rétorsion de l’Algérie, dont le rappel de l’ambassadeur algérien. Une petite guérilla s’ensuivit avec des escarmouches regrettables : suspension de l’accord de 2013 sur les visas diplomatiques et l’octroi de visas de long séjour, arrestation de Boualem Sansal, écrivain qui s’exprime en français, gardé en prison malgré son âge et son état de santé et les demandes de la France.

Ces polémiques sont entretenues par le gouvernement algérien alors que cette crise n’est pas populaire. Le gouvernement a provoqué une crise avec la France, pour e pas aggraver celle avec le Maroc. Cela permet d’occulter les problèmes intérieurs de l’Algérie. Ce gouvernement pourrait être qualifié de prédateur , et il est vain d’attendre qu’il change !
Revenons aux textes fondateurs du FLN de 1954, au déclenchement de la lutte armée le 1 er novembre, jusqu’aux Accords d’Evian, et en 1956, à la plateforme de la Soummam, qui devaient changer l’Etat algérien en un Etat démocratique et social. Les communauté juive et française étaient invitées à y participer.

Pendant les 2 années qui suivent l’indépendance, on avait le droit à la double nationalité algérienne et française. Les dirigeants du FLN combattant, le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, les signataires des Accords d’Evian étaient sur le pont… Aucun ne disait vouloir continuer la guerre contre la France. Ce n’était pas une demande populaire non plus. Les jeunes Français n’ont pas été l’objet d’exactions.
Lorsque l’on postule à l’exercice du pouvoir, soit on obtient la confiance des citoyens, soit on continue un conflit, et dans ce cas, nous sommes en guerre permanente, avec une surenchère de francophobie. Plus le régime algérien est fragile, plus cela aggrave la crise.
Quand l’Algérie était française, la gauche française a montré de manière constante un décalage historique. Elle ne comprenait ni le nationalisme algérien, ni la question coloniale. Pour Mitterrand, avant 1962, « la seule réponse (était) la guerre ». Ministre de la Justice, il n’a pas gracié les prisonniers algériens de la guerre de libération, au lieu de prendre acte de l’inéluctabilité de la décolonisation et de l’indépendance de l’Algérie. De Gaulle les a graciés plus souvent. La question algérienne a fait converger les courants anticolonialistes qui s’opposeront à Guy Mollet aboutissant à scinder la SFIO. D’où la prise de conscience qui va suivre et le départ des pieds-noirs en juillet 62.

Il ne faut pas jouer avec le feu ! En étant complaisant avec les islamistes, les socialistes et les intellectuels français, et le journal Libé en 1998, les ont acceptés, respectés, accablant le manque de compréhension de ceux tolérant mal cet islamisme !  Certains intellectuels avaient des formules telles que « C’est une pandémie et vous le paierez très cher ! » Certains, par peur, préféraient se taire.
Le pouvoir actuel en Algérie se montre médiocre, et l’Algérie s’est enfoncée dans une aventure dont elle va payer le coût, un islamisme à la Erdogan. Cela donne un gage de fidélité à Ankara. L’Algérie fonce dans l’islamisation du pays. D’abord par l’éradication de la langue française, en décidant d’angliciser l’enseignement à commencer par la fac de médecine. Saïd Sadi affirme qu’en cherchant à éradiquer la langue française, l’Algérie perd toute une part de son patrimoine. Le temps qu’une langue infuse, cela prend 3 générations. Dans les familles, il y a beaucoup de locuteurs français. Avec cette décision du gouvernement, beaucoup de parents veulent faire partir leurs enfants en France, ou au Québec. Ils veulent également échapper à la menace des islamo-conservateurs qui, n’étaient pas partie prenante de la guerre de libération. Eux voulaient éradiquer la langue française et sa culture. En éradiquant ils passent par pertes et profits toute la société qui a fait la guerre d’indépendance et qui a gardé le français comme langue d’émancipation.
Pendant la guerre de libération, les vrais combattants algériens n’avaient aucun ressentiment contre les Français. Et il y a aujourd’hui des journaux indépendants en français. Il n’y a pas de raison de perpétuer la guerre avec la France et il est absurde de faire une surenchère sur la guerre de libération !
On a des apparatchiks qui s’en mettent plein les poches…les trois cents officiers supérieurs ! L’armée algérienne a tenu le pouvoir pendant longtemps, elle est aujourd’hui sur la défensive. L’armée laisse faire des prédations, et les hydrocarbures enrichissent de moins en moins. Le directeur de la sécurité est en fuite, victime d’une guerre des clans qui s’opposent dans l’armée et dans la classe politique. 300 officiers supérieurs sont en prison. L’armée n’a plus l’aura d’avant. Le chef de l’Etat-Major est le Président Tebboune, qui connaît bien les réseaux de l’intérieur. Mais il n’a plus l’aura ni la cohésion populaire d’avant !

La population peut-elle jouer un rôle dans l’avenir ?

Elle l’a fait en 2019, elle demandait une rupture radicale. On a observé à l’époque par satellite qu’un algérien sur 2 manifestait… sans perspectives !
Aujourd’hui les élites ont peur ! En Algérie, presque personne ne s’est mobilisé pour Boualem Samsal. Il y a une démission des élites. Peu d’algériens s’élèvent contre les attentats islamistes. On dit « il y a des dizaines de milliers de morts à Gaza » mais il y a peu de réactions. C’est un gros problème de faillite intellectuelle et éthique.
Dans la diaspora algérienne en France, il y a des partis, des chefs, une évolution sociologique considérable : autrefois un mâle de la famille venait travailler et repartait au bled, et l’immigration a été à l’avant-garde de l’Indépendance algérienne. Le FLN est parti de la diaspora. Après l’indépendance, la mobilisation de la diaspora exerçait une influence, il y avait des meetings à la Mutualité. Maintenant, elle a perdu intellectuellement. La population a peur. Il n’y a pas de cohérence dans le positionnement des jeunes. Le gouvernement accepte que les jeunes quittent le pays en bateau.
Le FIS est maintenant dans l’institution. Il est lié au GIA. On est en train d’islamiser l’Algérie. C’est le FIS qui contrôle l’Education Nationale, la Justice (un copié/collé d’Erdogan). On élimine ce qui est francophone et ce qui est francophile. Il y a une arabisation alors que les dirigeants mettent leurs enfants dans les écoles françaises et qu’il y a 100.000 universitaires algériens francophones.

Le pouvoir algérien s’isole ?

Le pouvoir est illisible. Nous sommes seuls. Au début Boumediene avait une cohérence qui n’existe plus.

Le Sahara Occidental ?

Cela fait plus d’un demi-siècle qu’on s’acharne sur ce dossier. Cette cause est abandonnée. Boumediene a soutenu le Polisario ce qui a rassemblé les Marocains autour d’Hassan II.
L’Algérie est riche, elle a un grand gisement de fer outre le pétrole, elle aurait pu s’allier avec le Maroc et la Tunisie mais on a privilégié un conflit et on a hypothéqué le développement de l’Afrique du Nord. Si on se concertait au sujet du blé …
Par mesure de rétorsion, les Marocains soutiennent l’indépendance de la Kabylie, à l’image de la république du RIF en 1920.

Les Islamistes ?

Ils ont regagné tout ce qu’ils avaient perdu. Ils sont déjà au pouvoir.

Et les femmes algériennes ?

On va vers l’Afghanistan !!! Erdogan intervient lui-même. Beaucoup de femmes sont parties. Ceux/celles qui partent sont les jeunes et les cadres, les femmes en font partie. D’autres résistent mais subissent des pressions !
Deux exemples : un barbu qui a vu une femme avec sa fille dont le comportement ne lui plaisait pas fait une voie de fait sur l’enfant sans réaction des autorités…un loustic a porté plainte contre un universitaire pour des propos qui ne lui plaisaient pas, et le pouvoir plie sous la doxa islamiste.
Christophe Gleizes a écopé de 7 ans de prison, accusé d’être un sécessionniste pour la Kabylie.

Notes prises par Sylvie Cadolle

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