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06/02/2023 - Avec Sylvain Cypel - … que disent ces élections de l’état de la société israélienne, de sa démocratie et de ses relations entre citoyens Israéliens et Palestiniens ?

Sylvain Cypel a étudié à l’Université Hébraïque de Jérusalem, sociologue, historien, journaliste, correspondant du journal Le Monde à New York de 2007 à 2013, auteur de « L’Etat d’Israël contre les Juifs » (La Découverte 2020), « Les emmurés : la société israélienne dans l’impasse » (La Découverte 2006).

La séquence ouverte en Israël avec l’arrivée au pouvoir de Nétanyahou balaie toute chance de rapprochement avec les palestiniens, qui était souhaité par le mouvement démocratique.

Ces élections nous alertent sur l’évolution de la société israélienne. En 2001 déjà, à la conférence de Durban contre le racisme, une déclaration qualifiait Israël d’état raciste et le régime sioniste de régime d’apartheid. En 2019, G.Araud ancien ambassadeur en Israël, fait part de son inquiétude vis-à-vis de l’atteinte portée à l’identité démocratique d’Israël et, dans un entretien au Monde en janvier 2023, une centaine d’anciens ambassadeurs d’ Israël et hauts fonctionnaires publient un texte selon lequel ce pays « court à l’abîme d’un régime d’apartheid ». Ce sont tous les israéliens libéraux qui s’inquiètent de la radicalisation coloniale de la société. Cf. l’article de S.Cypel dans Orient XXI 1 .
Désormais le thème de l’apartheid en Israël revient quotidiennement dans ce journal de référence, libéral au sens anglo-saxon, qu’est Haaretz, et qui constitue aujourd’hui le dernier bastion de l’opposition2.

Pour la gauche, il semblerait que la seule voie soit de faire un pont avec les palestiniens, mais les israéliens même démocrates sont très effrayés par la crainte de l’union de ceux qui cherchent à résister. Or, depuis peu, pour la 5ème fois, 100000 personnes ont défilé dans les rues pour protester contre l’action de Nétanyahou qui a offert des postes à des religieux sionistes reconnus qui se présentent comme fascistes, et effraient beaucoup. La dernière fois qu’on a eu autant de manifestants, c’était en 1982 : il se passe quelque chose ! La menace sur le pouvoir de contrôle des juges de la Cour Suprême qui vérifient la compatibilité des lois votées par le Parlement avec les 14 Lois fondamentales et peuvent les annuler, effraie les démocrates mais Nétanyahou veut casser la Cour Suprême, ayant des procès en vue le menaçant sur des affaires de concussion. Pour modifier ces Lois fondamentales, il faut les 2/3 du Parlement. Il veut donc, s’appuyant sur sa base populiste, les modifier avec la majorité simple de la Knesset, donc annuler des décisions de la Cour Suprême et que le gouvernement choisisse sa composition. La démocratie c’est aussi des contre-pouvoirs, dont la défense des droits fondamentaux !

Les sondages divergent. Il y a plusieurs tendances :

  • Ceux qui s’inquiètent des menaces sur la démocratie, de la dérive autoritaire depuis de nombreuses années, des progrès de l’idéologie coloniale et de la politique d’apartheid. Et si on ne reconnait pas ça, la bataille de la Cour Suprême est perdue.
  • Ceux qui ne veulent pas que la question palestinienne intervienne dans la bataille sur la Cour Suprême. En effet les sondages disent que l’opinion israélienne s’est radicalisée dans le déni de tout droit sur leur terre aux palestiniens. Il y a un courant mystique au sujet de la Terre d’Israël qui ne se réduit pas aux partis coloniaux qui soutiennent les colonies de peuplement dans les territoires palestiniens. Si on mélange les enjeux, comme les 3/4 des juifs d’Israël sont favorables au maintien de l’occupation de ces territoires et comme la moitié des arabes israéliens (21% de la population) ne vote pas, cela veut dire que dans le conflit sur la Cour Suprême, la bataille sera perdue.
  • 25 % des gens sont critiques, adhèrent au rêve de pouvoir vivre séparément, sans le poids de
    la question palestinienne.


Revenons en arrière : après la négociation des accords d’Oslo en 1993 entre Arafat et Yitzhak Rab avec Clinton, Rabin a dit : « Personnellement je préférerai un accord avec les Palestiniens » mais il ajoutait « si c’est impossible, nous devons nous retirer unilatéralement, car chaque jour qui passe rend plus difficile l’option d’en sortir. » Aujourd’hui, le Shin Bet, service de sécurité intérieure israélien qui n’avait pas vu venir l’assassinat de Rabin, est sous la houlette de Itamar Ben Gvir, nommé chef de la police, qui faisait il y a peu l’objet d’un suivi du Shin Bet car incarnant la violence raciste et soupçonné de terrorisme juif… Le général Gantz qui a été candidat pour être premier ministre contre Nétanyahou s’était vanté d’avoir renvoyé Gaza à l’âge de pierre. Le basculement global pour la politique de maintien de l’armée à Gaza est désormais archi-majoritaire


Le pari de la jonction entre les progressistes et les palestiniens est intenable. La droite radicale s’est renforcée et est entrée dans les ministères, hostile à tout compromis, ils ont la police, des positions de pouvoir comme le Ministère de l’Identité Nationale qui a entrepris de réécrire les livres scolaires. Ben Gvir, lié aux cercles extrémistes de colons juifs, fier d’avoir été inculpé pour racisme et violences, s’est précipité sur l’Esplanade des Mosquées après son entrée en fonction, et est partisan du retrait de la citoyenneté israélienne à tout citoyen «déloyal», y compris les juifs partisans des droits des palestiniens, et Smotrich, fasciste déclaré, qui est responsable des affaires civiles en Cisjordanie, fait craindre une dégradation plus violente des conditions de vie des palestiniens.


Le paradoxe c’est que la Cour Suprême, efficace pour défendre les droits des citoyens, a inséré des lois d’urgence contre les palestiniens qui permettent d’incarcérer n’importe qui sans dire de quoi il est accusé. Plusieurs milliers de palestiniens ont subi cette incarcération, ainsi que les démolitions de maisons dans les territoires occupés, donc pourquoi l’extrême-droite coloniale est-elle si pressée de se débarrasser de la Cour Suprême ? D’abord il lui est arrivé de donner parfois raison à des palestiniens. Le Mur construit début 2000 a été déclaré illégal même si son tracé n’a jamais été mis en cause ; et elle a donné raison dans certains cas aux palestiniens, par exemple contre la séparation des familles. Mais il y a une infinité de dépôts de plainte et la Cour Suprême permet de mettre sur la place publique les affaires, même si les juges ne font rien… On est face à une à une aggravation des dénis de droit à l’égard des palestiniens, considérés comme illégitimes par un nombre croissant d’Israéliens. Il s’agit de « laisser une voie et une voix pour la démocratie. »


Q. Comment analysez-vous la situation du parti travailliste ? Que penser de la fracture entre laïcs
et religieux dans la société israëlienne ?

C’est l’hostilité Tel Aviv/ Jérusalem. Les religieux sont ségrégationnistes et intolérants. Pour Les Loubavitch, les textes de leur grand rabbin il y a 50 ans jugeaient que le sionisme était une trahison, et puis ils sont devenus ultra-nationalistes. Les hommes religieux ne travaillent pas, sont pauvres. Smotrich par exemple est maladivement homophobe. Alors que Tel Aviv est très accueillant pour les LGBT. Sur la bande côtière, les gens sont occidentalisés. Certains mangent du cochon le jour de jeûne. Un rabbin idéologue du Grand Israël avait un programme à la radio. Il voyait une fois par mois un Mufti. Excepté le conflit, il disait qu’ils s’entendaient parfaitement contre les modes de vie actuels, les seins nus etc. D’ailleurs, ils s’entendent aussi avec les évangélistes américains…

La notion de laïcité n’existe pas. C’est la gauche qui a fondé l’Etat d’Israël avec les rescapés de la Shoah, originaires d’Europe centrale. Depuis 1977, le Likoud a pris le pouvoir avec le sionisme ethniciste pour qui il n’y a pas de compromis possible avec les Palestiniens. Israël n’est pas une république. Il y a une droite qui mythifie la Terre d’Israël, une mystique de la Terre Promise. La gauche est perdue et la droite est devenue d’extrême-droite. Certains quittent Israël, des jeunes, près d’un million récemment. L’agence juive publie le chiffre de ceux qui viennent s’installer, pas de ceux qui partent … pour faire leurs études, disent leurs parents.


Q. Israël est aussi considérée comme une start up nation, son économie est florissante. Comment
compose-t-elle avec ce système religieux ?


Oui, Israël était en seconde position après les USA. Un nombre important d’entreprises se sont effondrées au NASDAQ. Le système Pégasus, logiciel espion passé par le ministère de la Défense, utilisé en Israël pour espionner des opposants, a été largement vendu dans une centaine de pays pour espionner gouvernants ou opposants. Natanyahou a été mêlé à ça. Ce sont les contradictions d’un milieu souvent libertarien et certaines boîtes de tech. pensent à quitter Israël.


Q. Quelle relation le judaïsme américain entretient-il avec Israël ?


Il y a le début d’un schisme entre le judaïsme américain et Israël, une distanciation par rapport à l’alliance fusionnelle avec Trump, qui a été très mal perçue par les juifs américains, plutôt démocrates. Il y a 2 organisations juives américaines : La Conférence des Présidents des institutions juives qui s’occupe de la communauté des juifs, de leur vie, et le Lobby pro-israélien qui s’occupe d’obtenir des soutiens pour Israël. En France le CRIF les regroupe et veut faire les deux, il défend le point de vue israélien dans la communauté juive française. Il y a 6,5 millions de juifs américains, ils veulent que leurs enfants fassent leur Bar-mitzva et parfois aillent dans les départements d’études juives des universités. Les juifs français ne trouvent pas de départements d’études juives dans les universités françaises. Certains vont alors en Israël.

Q. Que devient la communauté arabe d’Israël ?


Ils représentent 21 % de la population, soit 1,2 millions d’habitants. Pendant 17 ans ils ont supporté un gouvernement militaire. Leur position sociale progresse un peu. Il y a eu d’abord un numerus clausus pour faire médecine ou droit. Aujourd’hui, il y en a un nombre important dans la santé, médecins, infirmières, aide-soignants. Politiquement ils ont le droit de vote. Des centaines de bourgades israéliennes refusent les non-juifs, et elles en ont le droit, donc ils ont du mal à louer un appartement. Par exemple, il n’y a pas de route pour accéder aux villages arabes à partir de nombreuses bourgades israéliennes. Un parti islamiste a 4 députés (Frères musulmans), alors au gouvernement, ils ont un peu écouté la rue arabe.


Q. Avec Macron ?


Macron a eu le même discours que Blinken. Aux Etats-Unis, Blinken est venu parler de l’Iran et il a parlé à Nétanyahou à propos de la Cour Suprême. C’est le parti républicain qui le soutient. Les démocrates auraient voulu un état palestinien, échec, aujourd’hui il y a un rejet d’Israël flagrant. Des somnités juives d’Harvard et Yale ont lancé une pétition de grands juristes émérites : « Si la Cour Suprême d’Israël est privée de son rôle… on vous laisse avec l’Iran ». Blinken a dit qu’il faut modérer Nétanyahou. Macron aussi. Et Israël a refusé d’envoyer des armes à l’Ukraine.


Q. La réaction du monde arabe ?


Les accords d’Abraham voulus par Trump en septembre 2020 mettent fin à l’isolement d’Israël par rapport au monde arabe, les EAU (monarchies du Golfe), et le Bahrein. Par un accord signé 3 mois plus tard sous l’égide des Etats-Unis entre Israël et le Maroc, l’état chérifien reconnait Israël en échange de son soutien sur le Sahara Occidental. Et Israël peut fournir des aides technologiques sur le plan agricole.


Q. Où en est la démographie en Israël ?


Les femmes palestiniennes ont un taux de fécondité de 2,4 et les femmes juives de 2,7. C’est une situation coloniale. Dans un film, on voit un professeur d’urbanisme qui fait une visite d’un quartier à Jaffa, un guide explique qu’il y avait des juifs, des roumains, et que la municipalité a rasé le quartier pour faire de beaux hôtels touristiques. Le prof dit au guide qu’il oublie de dire qu’à la fin des années 1940, la population palestinienne a été expulsée. C’est l’Histoire. « J’emmerde l’Histoire » répond le guide. Et on voit un truc. Qu’est-ce que c’est ? un minaret. Il y avait un village, on a rasé tous les villages du coin. La version officielle est qu’Israël n’a expulsé aucun arabe, ils sont partis volontairement ! A l’école on dit aux jeunes : « Nous avons été attaqués, on s’est défendus… ». Si on reconnait ça, on ne peut plus revendiquer le rôle de la victime. On est dans le déni. On donne quitus à l’expulsion. Et il y a l’accoutumance. Plus de nakba3. On reste là quoi qu’il arrive. On ne sortira pas d’une politique coloniale. Et les vieux partis politiques ont disparu. La question clé, c’est l’occupation. Je crois que si un jour un premier ministre israélien disait aux colons : j’ai un accord avec la communauté internationale avec une volonté très forte, vous avez 6 mois, deux options : ou bien un état commun si vous voulez rester ou bien un petit état à nous mais plus personne, plus de colons dans les territoires palestiniens… Ce n’est pas à échéance visible ! Parfois l’inattendu peut advenir !


Il y a une dégradation de l’image d’Israël que montrent les sondages…

Compte-rendu par Sylvie Cadolle
François Colly nous conseille : Danny TROM : L’Etat de l’exil. Israël, les juifs et l’Europe, PUF, 2023.

1 Israël. Toujours plus à droite, une course à l’abîme, Sylvain Cypel, Ezra Nahmad, Orient XXI.
2 Haaretz, dernier bastion de l’opposition juive en Israël, enquête de Sylvain Cypel, Orient XXI, 3 novembre 2022.

3 La catastrophe : l’exode forcé des palestiniens, plus de 700000, surtout à partir de 1948

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