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06/01/2025 - Benoît de Juvigny - Résorber la dette, par quels moyens et pour quelles priorités ?

Jacques de Rotalier présente Benoît de Juvigny, HEC, IEP, Inspecteur général des Finances, Secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers (2012-2023), enseignant à Sciences Po.
Christophe Deltombe introduit le sujet : la dette publique de la France dépasse les 3100 milliards d’euros, soit 110% du PIB, et on prévoit d’aller à 3600 milliards. On tente de réduire l’aggravation de la dette, en réduisant de 60 milliards les dépenses publiques. D’autre part, on hésite à augmenter l’imposition des classes moyennes. La notation de la France par les agences se dégrade. Les autres pays européens ont déjà réduit leurs dettes liées au COVID. Ne faut-il pas sortir de la politique de l’offre dont le but est d’améliorer la rentabilité des entreprises en baissant les impôts et charges, et annuler les cadeaux fiscaux de Macron ?

B.de Juvigny : La France rembourse ses dettes ! La dernière fois où elle ne l’a pas fait, c’est en 1797 !
L’important est le ratio sur le PIB. La dette publique a représenté jusqu’à 290 % du PIB en 1944, une dette énorme qu’on a remboursée grâce à l’impôt et à l’inflation.
En mars 2024, l’INSEE annonce un déficit de 5,5 % du PIB l’Insee annonce un déficit de 5.5%/PIB en 2023 alors que 4.9% avait été annoncé à l’automne précédent. On s’est plantés, une erreur de 20% sur les prévisions de rentrées fiscales et en particulier de l’impôt sur les sociétés 1 . De plus, Bruno Lemaire n’a pas trop tiré sur le signal d’alarme. Nous sommes sur une trajectoire à 6% en 2024. M. Barnier voulait revenir à 5 %, on a fait un ajustement à 5,5%.

Dette en zone Euro. Dans les années 1970, la France a été le bon élève de l’Europe, meilleure que les Allemands, les plus mauvais étant les Italiens. Aujourd’hui, la France n’est dépassée que par l’Italie. La tendance est inquiétante, les Belges font mieux que nous.
La dette publique au sens de Maastricht comprend les dettes de l’Etat (89% du PIB), celles de l’administration centrale (2,4%), celles de la Sécurité Sociale (9% du PIB), celle des collectivités locales (8%). Elle est brute et non pas nette, elle ne comprend donc pas les actifs financiers, ni les engagements hors bilan, ni les retraites des fonctionnaires (retraites futures par répartition, certains pays de la CEE n’en ont pas). Il y a donc beaucoup de Hors bilan, mais l’Etat a beaucoup de patrimoine… Le déficit annoncé n’est pas lié à des investissements porteurs d’avenir. Et il serait difficile de
diminuer les dépenses d’éducation…
On est devenus les champions de la dépense publique (qui varie entre 35% et 55% selon les pays) et les champions des prélèvements obligatoires (46% en France) !

Est-ce grave ? Non ! Combien coûte la dette publique ? La charge de la dette est passée de 1,8% de 2023 à 2,1% en oct. 2024 (54 milliards)
La France a une signature de bonne qualité. On a des dettes qui ont été contractées quand les taux étaient proches de zéro, on en a profité, mais c’est une drogue ! la dette française est plutôt bien gérée : 8 ans en moyenne et jusqu’à 50 ans
La dette française rassure ses créanciers, la France est un grand pays, la dette est très liquide, on peut arbitrer, gérer. Dans les années 2010 on en a trop profité. Il y a eu rupture en 2022, lorsque l’inflation due à la guerre russo-ukrainienne a fait remonter les taux d’intérêt. Mais on n’est pas endettés dans une monnaie tierce, on est dans l’Euro, et le système européen nous protège. Il ne peut pas arriver en France ce qui s’est passé au Royaume Uni à l’automne 2022 ; les marchés financiers ont fait chuter la livre sterling et monter les taux quand Liz Truss a présenté son programme de gouvernement.

Le système européen n’empêche pas les restructurations ; le Portugal a dû adopter un programme d’ajustements drastiques mais cela lui a permis de réduire son endettement, et en 2023 il a enregistré un excédent budgétaire.
Le problème c’est le spread franco-allemand, on en est à 90 points d’écart au-dessus du taux de l’Allemagne et ça s’aggrave.

A qui appartient la dette publique ? A la Banque Centrale (28%environ) aux étrangers (environ 50%) et aux résidents. En 2025 on devra lever de la dette au national et à l’international dans de bonnes conditions. Le danger serait d’avoir besoin de renouveler cette dette auprès d’un créancier qui exigerait des contreparties.

Monétariser la dette. Pour soutenir la croissance et lutter contre la déflation, les banques centrales peuvent acheter des titres de dette publique (quantitative easing) : la conjoncture actuelle ne réunit pas ces conditions et conduirait à plus d’inflation

La situation est grave économiquement. Les taux sont plus élevés pour nous que pour nos voisins. Vont ils rebaisser ? La hausse des taux se transmet à toute l’économie française et impacte les coûts Elle a aussi un effet d’éviction des financements destinés au secteur privé par les financements destinés au secteur public, ce qui a des effets dépressifs sur la croissance. Le Japon a plus de 200% de dette publique, mais c’est un pays de vieux qui dépend moins de la concurrence parce que l’essentiel de la dette est détenu par des Japonais et il a enregistré une faible croissance…

Que dit l’Europe ? L’Europe (la Zone Euro) n’est pas un État intégré D’où la mise en place de règles pour éviter que certains ne profitent du parapluie européen avec une dévaluation. C’est pourquoi le traité de Maastricht fixe des limites de 60% / PIB pour la dette publique et 3% pour le déficit public. Il prévoit aussi des sanctions qui ont été désactivées pendant le COVID. Une nouvelle procédure des déficits excessifs est en place depuis 2024.
Mais les Européens en ont marre des Français : les Européens ont une retraite à 67 ans, parfois 70, et il faut qu’ils supportent la dette européenne alors que les Français prennent leur retraite à 62 ans. C’est mal perçu. Il faut aller à un redressement accepté par la Commission vers une dette soutenable, à 5% de déficit. La France a présenté à la Commission un plan de redressement budgétaire et structurel. On a annulé des amendes.
Heureusement que la France est un grand pays ! Plus on attend, plus l’atterrissage sera difficile.
Le vrai sujet : comment réduire le déficit, créer un excédent primaire (1% du PIB ?) pour stabiliser le ratio dette sur PIB sans tuer la croissance. Pour cela, il faudrait que les taux de croissance soient supérieurs à ceux des taux d’intérêt ((r-g ). Est-il encore possible de booster la croissance par l’augmentation des dépenses publiques ?

Comment faire pour alléger notre dette ? Plus d’impôts et moins de dépenses publiques !

Débats sur les élasticités
L’augmentation des impôts
, cela rapporte vite, l’impact récessif est moindre, Mais La France est la championne du monde du taux des prélèvements obligatoires (46% du PIB) = 2 . Il aggrave le problème de compétitivité, il encourage les délocalisations.
La baisse des dépenses publiques : c‘est plus conforme aux modèles des autres pays, cela prend plus de temps, cela peut se faire par une baisse des dépenses des administrations ou une baisse des transferts Cela peut rapporter vite, mais cela fait mal …

Y a-t- il des marges de manœuvre fiscales ?
Peut-on revenir sur la politique de l’offre et les allègements fiscaux accordés depuis l’arrivée du Président Macron ? ? Ils ont considérablement pesé sur les recettes budgétaires : suppression de la Taxe d’Habitation et de la redevance TV, baisse des impôts de production… Un certain nombre d’économistes (P. Aghion) proposent de rétablir un impôt local bien utile au niveau local. Mais, même discutable, la politique de l’offre semble difficile à remettre en cause.
Ne peut-on pas taxer les riches ? Aller vers plus d’égalité ?
Certains disent que la France est un paradis fiscal pour les très riches et que l’imposition des milliardaires est faible (notamment pour les 0,01% les plus riches). Propositions à débattre : réduite les avantages Dutreil qui permet une taxation réduite de 5 à 10 % des successions sur grosses entreprises ; créer un ISF réduit à 0.3% sur une très large assiette pour les très riches ; taxer les plus-values latentes au décès ou au départ pour l’étranger ; augmenter l’Impôt sur les successions (mais c’est impopulaire, 87% des français
veulent le baisser, 9% l’augmenter)

Avons-nous des marges de manœuvre budgétaires ?
Macron a été élu sur un programme d’économies budgétaires mais il y a eu les Gilets jaunes et ensuite le COVID ! Nous avons un système social très ambitieux, une politique culturelle ambitieuse et le poids des retraites sur les finances publiques est très important. Le niveau de vie des retraités est en moyenne de 105 %de celui des actifs, ils épargnent en moyenne 25% de leurs revenus, leur taux de pauvreté est très inférieur à celui de toutes les autres catégories sociales, mais ils votent beaucoup. Cesser de revaloriser les retraites ? Le débat public porte plus sur la quantité que sur la qualité du service public. On dépense autant que les autres pays comparables mais on est plus inégalitaires.
L’épargnant français finance l’Assurance-Vie, on a trop favorisé l’Assurance-vie, il faudrait plus d’investissements à risque.
Que peuvent faire les administrations publiques locales qui représentent 11% du PIB en 2023, et 19,6 % des dépenses publiques ?

Questions

Quelles sont nos possibilités d’économies sur notre budget ?

La Défense pourrait gagner à être européenne. La Transition écologique pourrait être financée par un grand emprunt public européen.

Le problème des inégalités qui s’aggravent…On a des très riches qui échappent à l’impôt. L’Impôt sur les successions. Quelle est la part des successions fiscalisées ?

C’est un impôt mal accepté. 87 % des français veulent le baisser, seuls 9 % l’augmenter. Près de la moitié des ménages français ne touche aucun héritage au cours de leur vie.

Pourquoi les 55-65 ans travaillent si peu en France ?

45 % d’entre eux travaillent. A 62 ans, 25% des femmes seulement travaillent. On est très mauvais, les entreprises préfèrent avoir des plus jeunes.

Le millefeuille territorial est-il nécessaire ? N’y a-t-il pas chez les élus locaux empilement d’arbitrages, les collectivités locales sont coûteuses.

Hollande a voulu des grandes régions, mais il faudrait un pouvoir politique très fort qui fasse plus qu’une micro-réforme et qui supprime des étages.

Tout ce qui touche à la croissance en Europe est une catastrophe ?

En Allemagne, aujourd’hui, la croissance est à 0,8 et nous à O,9. Il y a un problème démographique, trop de personnes âgées, trop aussi de retraites à payer, les personnes âgées coûtent cher. Il faudrait créer des CDD seniors, pouvoir prendre quelqu’un de 57 ans pour 5 ans ! Il faudrait aussi suspendre l’indexation des retraites. Et réduire les ressources des collectivités locales et leur nombre de fonctionnaires. Et il y a un problème industriel et énergétique. Il faudrait une restructuration de l’industrie.

A-t-on fait des diagnostics sur l’effet des réductions fiscales ? Sur le Crédit-Impôt-compétitivité-emploi ?

Il a été pérennisé mais les instances d’évaluation constatent son peu d’efficacité.

Et le Crédit Impôt Recherche ?

Pareil. Le CIR et la réforme de 2008 ont eu quelques effets positifs sur les activités de Recherche et Développement et sur le chiffre d’affaires. Mais on fait moins de recherche que les autres pays.

A qui les milliards d’allègement de Macron ont-ils profité ?

Il a multiplié les réductions d’impôts, les allègements. Aux entreprises, aux riches, mais aussi aux classes moyennes. Il a fait une politique de l’offre mais si on fait le mouvement inverse, si on écoute certains, on va remonter le chômage. Comment les autres pays s’en sont-ils sortis ? Les Italiens ne vont pas bien, ce n’est pas un modèle, le Portugal était en 2010 au bord de la catastrophe, il a été gouverné à droite puis par un socialiste prudent, ils s’en sont sortis.

Quid des responsabilités politiques ? Celles de Bruno Lemaire par exemple ?

Pendant 7 ans on lui a demandé de dépenser ! Le Parlement est structurellement dépensier. Ce n’est qu’en 2022 que Valérie Pécresse dit à l‘Assemblée qu’il faut moins de dépense publique.
Il faut se comparer avec les autres pays européens !

Notes prises par Sylvie Cadolle (et S. Vacheret)

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