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03/05/2004 - Pourquoi la recherche est elle plus propice à la création d'entreprises aux USA qu'en France ? - Francis Bancilhon, DG de Mandrake Sofware

Préambule : Dans une période de grand chômage où les emplois industriels les moins qualifiés sont détruits par les délocalisations, les pays les plus industrialisés peuvent espérer compenser en partie cette perte d’emploi par des créations d’entreprises dans la haute technologie, difficilement délocalisables.
Or on constate en la matière que les Etats-Unis sont plus performants que les autres pays industriels et que la France en particulier. Plusieurs facteurs sont évoqués : la haute technologie qui appelle la haute technologie, la mentalité entrepreneuriale des américains, l’existence de capitaux mobilisables pour des projets à risque. Parmi tous ces facteurs il en est un qui mérite un examen plus approfondi à un moment où la recherche publique est mise en question en France : le poids et l’organisation des systèmes de recherche public et privé. On sait que la France où la recherche privée est faible, a une recherche publique qui se partage entre des Instituts publics, le CNRS et l’Université. Cette recherche publique est en partie subventionnée par le privé et les chercheurs y ont presque partout le statut de fonctionnaire. Cette organisation est-elle propice à la création d’entreprise par les chercheurs ? Les résultats de la recherche y sont-ils facilement transférables vers l’industrie ?

Exposé : Je ne connais bien que le secteur de l’informatique où j’ai travaillé pendant 22 ans en France et 12 aux USA. Mon parcours a été partagé entre Recherche publique à l’INRIA et dans des labos universitaires où j’ai mené une recherche très théorique (« démontrant des théorèmes qui ne servent à rien »), recherche appliquée et création de « Start-up ». Quelques faits ou idées émergent :
– Un échec français patent dans le secteur économique de l’informatique (depuis 3 ans, 1er secteur en termes de chiffre d’affaires au plan mondial) : dans le domaine des machines, il ne reste que Bull, moribond et lointain descendant de la CII du grand plan Calcul des années 70s. Dans le domaine de l’édition, nous n’avons qu’une position modeste avec Business Objects, Dassault-systèmes et Ilog. La situation est un peu meilleure dans le domaine des services.
On peut évoquer à l’appui notre taille 5 à 6 fois inférieure à celle des USA, un PIB/hab. plus faible, des dépenses de recherche-développement moindres : 2,1% du PIB dont 45% privées chez nous contre 2,8% du PIB aux USA dont 72% privées. Mais cela n’explique pas tout.
– A quoi sert la recherche ?
D’abord à faire progresser la connaissance en soi et pour soi. C’est la recherche fondamentale dont le financement est par nature très largement public. C’est aussi un gage du maintien général de la compétitivité de la recherche en général. Ensuite à développer les techno-sciences et le savoir permettant à l’industrie de se développer. C’est la recherche appliquée dont la finalité et les critères d’évaluation sont différents de la précédente (l’efficacité et la qualité en termes de développement industriel et non en termes d’accroissement de la connaissance jugé par les pairs).
Enfin la formation par la recherche où les jeunes peuvent développer des qualités spécifiques et précieuses.
– Le transfert de la recherche à l’industrie est un souci constant, voire obsessionnel des bureaucrates. J’en suis vite arriver à la constatation/conviction qu’il se fait de façon prépondérante par les hommes car celui qui a une idée géniale est généralement seul au départ à la trouver géniale (Un bon exemple en est Google, moteur de recherche dont l’algorithme est extraordinairement simple mais qui n’a été mis sur le marché que par ses inventeurs). De plus, le parcours qui mène à la création est risqué et compliqué et il faut avoir la foi dans l’idée pour l’engager : la volonté politique de promotion du transfert est en elle-même relativement inefficace (comme en témoigne notamment l’échec du …..Japonais et de sa réplique américaine MCC) ;

– Différences entre France et USA : 1/ complexité des structures de la recherche publique française, partagée entre grands organismes, universités, grandes écoles est patente face la simplicité des structures US basée quasi exclusivement sur des universités ayant toutes la même structure. Cette complexité reflète celle de l’enseignement supérieur où les meilleurs vont dans les grandes écoles qui ne développent que peu une recherche de haut niveau.
2/ le chercheur français fait en gros ce qu’il veut. L’effort de recherche ne peut donc être orienté que par des « carottes », nombreuses, pas toujours cohérentes, exigeant une lourde dépense d’énergie et un professionnalisme exigeant pour être décrochées. Aux USA, on est frappé par la mobilité des chercheurs.
3/ Complexité du financement de la recherche française, financement ouvert aux labos universitaires, aux universités et aux entreprises, avec le risque de la régulation budgétaire (gel de crédits plus ou moins temporaire pour assurer l’équilibre du budget national). Au niveau de la recherche privée, le très important système français du CIR (crédit d’impôt recherche) n’existe pas aux USA ou les commandes militaires constituent la source principale de crédits publics pour la recherche privée.
4/ la fonctionnarisation des chercheurs n’est pas une différence aussi importante qu’il y paraît à première vue : elle existe aussi dans les universités américaines mais au terme d’un parcours très dur de 6 ans jalonné par deux évaluations et qui en fait n’est pas très attractif. Au total, la recherche française est sérieuse mais dans l’ensemble de qualité moindre et moins productive : l’INRIA (institut national de la recherche en informatique et automatique) avec 3000p et un budget de 130 ME est une référence internationale. Cependant en 10 ans, il ne revendique que la création de 60 Start-up, ce qui n’est pas très brillant (de l’ordre de 20 ME en moyenne pour une start-up !)
– Fonctionnarisation ? Il est très difficile d’être un bon chercheur à vie (sans compter les risques de mandarinat !). Ce devrait être dans l’ensemble une activité à durée limitée mais il ne faut pas que cela soit interprété comme un échec. Mentalité très différente en France et aux USA sur ce point. La fonctionnarisation est à peu près neutre pour le transfert quoique le parachute du statut du fonctionnaire ouvert par la loi Allègre de 1998 le favorise un peu.
– La France a rattrapé son retard de la fin des années 80 dans la mise en place d’un écosystème de la recherche favorable à la création d’entreprise (capital-risque ; incubateurs ; business angels etc…).

En conclusion : Chez nous, la quantité de recherche fondamentale paraît raisonnable. L’écosystème de même. La qualité et la productivité de la recherche peuvent être améliorées par un effort d’organisation. Le tissu actuel peut générer plus de Start-up. Ce qui manque le plus sont les bonnes idées et les gens capables de les mener à bien. Tout repose finalement sur les créateurs et leur enthousiasme.

Débat

Q1. Comment générer plus de créateurs ?
R1. C’est essentiellement une question de culture. Il faut créer une image positive de l’entrepreneur et modifier la perception de l’échec qui fait partie de la démarche (La faillite est encore marquée de l’opprobre en France. Aux USA, elle est normale et même perçue positivement dans le domaine de la haute technologie). On s’était bien engagé dans cette voie dans les années 90. On assiste actuellement à un reflux. Le départ d’un chercheur de la recherche fondamentale pour créer une start-up relève encore du miracle. A un moindre degré le problème est le même au sein des structures de recherche des grandes entreprises françaises. Ceci dit, le monde de la recherche est pluriel et diffère d’un secteur à un autre par le type de la recherche, l’environnement, les relations avec l’aval etc… Il faut se garder de généraliser sans y regarder de près.

Q2. Comment expliquer l’amoindrissement progressif de la recherche pharmaceutique française alors que la qualité de la recherche académique n’a pas régressé. Pourquoi Aventis délocalise-t-il sa recherche aux USA ?
R2. C’est le fruit d’une déstructuration continue des centres nerveux de l’industrie pharmaceutique française depuis 30 ans. Par ailleurs, le seul poids du marché US (50%) pèse considérablement. Ajouté à la qualité des chercheurs et des centres de recherche US, il donne aux USA un atout en matière de rentabilité de la recherche aux USA.
I2. Ceci montre que la vitalité du système de recherche français est étroitement dépendante du succès d’une certaine politique industrielle capable d’accroître l’attractivité du pays vis-à-vis de ces centres nerveux. En la matière, les « coups » se jouent de très loin, bien avant que le public et souvent…les pouvoirs publics n’en aient conscience. La politique industrielle de l’informatique s’est jouée quasi définitivement dans le début des années 70. On peut voir a posteriori que le montage très « hexagonal » réalisé sous l’égide des pouvoirs publics avec la création de la CII était d’ailleurs voué à l’échec compte tenu de la faible motivation des deux partenaires (CGE et Thomson) a qui l’on a demandé de se marier dans cette aventure à coup d’incitation financières considérables qu’ils ont finalement gaspillé en refusant d’y mettre la « crème » de leurs ingénieurs et chercheurs. C’est aussi une leçon amère de politique industrielle qui ne se suffit pas d’exister pour être bonne.

Q3. La comparaison France-USA a-t-elle un sens ? Ne faut-i lpas créer des structures au niveau européen pour concurrencer les USA ?
R3. Théoriquement rien n’empêche les créateurs d’entreprise de jouer dès le départ à la dimension du marché européen et dans l’ensemble cela se fait. Mais en raison des pratiques culturelles, administratives, fiscales etc… cela n’est pas toujours simple et cela exige beaucoup plus d’énergie que pour aborder le marché US, notamment de la part d’entreprises naissantes. La Commission, via le programme commun de R&D (PCRD), favorise par ailleurs les projets associant des acteurs de divers pays européens. Bien que cette règle puisse toujours être contournée par des arrangements de pure forme entre le porteur du projet et tel ou tel « partenaire » de l’Union, elle a eu dans l’ensemble un effet réel positif. On ne voit guère comment aller au-delà sinon à favoriser toujours plus le brassage des cultures au niveau des jeunes, à unifier et/ou simplifier autant qu’il est possible les diverses procédures administratives se rapportant à une création d’entreprise et à son fonctionnement durant ses premières années, à harmoniser le plus possible sur les différents plans correspondant en matière fiscale, de droit du travail etc …Pour le PCRD, 1 dossier sur 4 est accepté en moyenne. Il appartient aux différents secteurs d’activité de s’organiser pour mettre en place des soutiens techniques efficaces pour constituer de « bons dossiers » et les plaider à Bruxelles comme cela existe par exemple dans le secteur pétrolier.
I3. Bien que la nature des relations entre les Universités et les entreprises ait profondément évolué dans le sens du dialogue, notamment depuis la loi « Chevènement » d’orientation de la recherche en 1982 et la création (éphémère) d’un ministère Fabius de l’industrie et de la recherche en 1984, une fonctionnarisation de la recherche mal appliquée (loi de 1946) dans les Universités a créé un climat délétère peu propice à la qualité de la recherche qui s’y mène. Il manque fondamentalement une culture de l’innovation et du transfert de technologie.

Q4. Ne faut-il pas se préoccuper davantage des PME existantes pour lesquelles les structures de transfert au niveau des régions et l’appui des écoles d’ingénieur est a priori fondamental ?
R4. Certes, mais le gap culturel et l’étroitesse des problèmes posés par ces PME, rend bien souvent la coopération difficile. Il est plus facile de travailler avec une Start-up technologique moderne qui est aussi une PME.

Q5. Quid de la comparaison France-US à partir des 2 critères : création de valeur, durée de vie des Start-up ?
R5. La durée de vie englobe à la fois l’échec et, ce qui est normal, son rachat au bout de quelques années. Tout créateur US se préoccupe de sa sortie (mise sur le marché, vente). Les français n’ont généralement pas conscience du problème ou n’y sont pas très favorables. La création moyenne de valeur par entreprise est supérieure aux USA.

« I » = intervention de la salle
Gérard Piketty

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