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03/03/2003 - La suppression du Collège Unique : nécessité ? Echec d'une utopie ? - Martine Kherroubi, Maître de Conférences, co-auteur de "Quand l' Ecole se mobilise" Ed. la Dispute. 2001

Exposé.

La question doit répondre à trois types d’attitudes souvent rencontrées :

1. Le principe du CU était bon. L’échec tient aux modalités de mise en œuvre sur lesquelles il faut se pencher ;

2. C’est la fin d’une chimère. Le CU n’a jamais existé et n’a donc pas de réalité ;

3. Les acteurs n’y croient plus : les enseignants sont dans le doute même ceux qui s’étaient le plus engagés dans l’aventure à partir d’une réflexion sur l’échec scolaire. Mais cela touche aussi les familles favorisées ou non, ou les élèves eux-mêmes. Le phénomène de déscolarisation (rupture radicale de l’élève avec l’école) s’accroît : le CU en est responsable.

 

Le CU a été créé en 1975 pour réduire les inégalités sociales. Il s’agissait de mettre sans distinction tous les élèves d’un secteur donné dans un même établissement sur un même programme dans des classes hétérogènes, l’orientation suivant les résultats et qualités de chaque élève étant repoussée à la 3ème.

 

Une statistique a été faite sur la population rentrée en 6ème en 1989, donc après la suppression de l’orientation possible en 5ème qui date de 1985 (30% des élèves qui rentraient en 5ème étaient alors orientés vers la filière professionnelle). Les résultats sont les suivants :

– 93% des élèves atteignent la 3ème contre 70% en 1980.

– les redoublements ont été beaucoup réduits (ndlr : a-t-on poussé les élèves vers la troisième ?)

– 52% sont rentrés en 2ème contre 45% en 1980.

– La scolarité dans les filières professionnelles a été allongée.

– 8% sortent sans qualification contre 14% auparavant. Dès le début (rapport d’André Legrand) la nécessité de modifier la forme scolaire pour arriver à gérer l’hétérogénéité, a été soulignée : la « classe » est un système trop rigide. Mais la conviction d’Alain Savary sur la nécessité de donner une large marge d’autonomie aux établissements, conjuguée à un certain conservatisme syndical, a conduit en fait à en rester à une coexistence de la « classe » traditionnelle avec des dispositifs « périphériques » annexes marginaux, non obligatoires et mal valorisés, autour des études, de la méthodologie, du travail personnel, de la remise à niveau, des comportements, d’une amorce de classes relais. Ces dispositifs d’aide à la solution des difficultés rencontrées, ont vite été « externalisés » sans intégration dans la quotidienneté du travail enseignant ordinaire. Pour la masse des enseignants, c’est quelque chose qui se fait ailleurs et ne les concerne pas directement. D’où un statut ambigu peu clair par rapport aux enseignants : seuls des volontaires et le plus souvent des « nouveaux », ont acquis les spécialisations correspondantes. A la différence des classes elles-mêmes qui continuent en fait à fonctionner de façon traditionnelle, ces dispositifs ne font pas l’objet d’inspections ou d’évaluations. Finalement, on peut dire que le problème de l’hétérogénéité n’a pas été pris de front.

 

La réflexion sur le CU doit aussi intégrer une réflexion au niveau de l’enseignement primaire : tous les élèves du CU en très grande difficulté ont connu des échecs importants dans le primaire qui se contente trop de les « pousser » vers le CU par une politique de flux qui a décidé d’ignorer les redoublements. Le phénomène du « décrochage » scolaire commence ainsi dès la 6ème et l’on voit que ces élèves n’intègrent pas en fait les fameux dispositifs annexes. Paradoxalement, on les pousse aveuglément de classe en classe, alors que les élèves moins faibles qui commencent à reprendre pied grâce à ces dispositifs, ont « droit » au redoublement. On commence donc à reconnaître que la partie des élèves « tout à fait difficiles » pose un problème relevant d’un autre système d’éducation : il ne leur est pas facile de travailler sous le regard des autres. Etre interrogés par le professeur est vécu comme une humiliation. Finalement seule la révolte contre le système et le « décrochage » leur permet de bâtir leur identité, d’autant que face à la difficulté de gestion des classes qui en résulte, l’absentéisme est de plus en plus toléré et que les exclusions pour 3-4 jours ne font que le favoriser. Le CU est-il un leurre ? D’une certaine façon, oui. On constate depuis 1980 une énorme augmentation des écarts entre établissements scolaires qui aboutissent à une segmentation. Sur des zones d’une certaine importance, des jeux de concurrence conduisent à des CU ayant une population homogène d’élèves faibles ou forts. Des établissements très sinistrés, foyers de conduites déviantes, sont apparus. Dans certaines conditions, un travail d’équipe arrive à faire vivre un projet éducatif pédagogique permettant à des groupes hétérogènes de fonctionner, mais ceci est fragile et il reste difficile à un établissement de s’en tirer seul :

– sans une action volontariste contre une ségrégation sociale rampante (ne pas accepter la régulation de la carte scolaire).

– sans moyens donnés aux établissements qui jouent la mixité sociale et vérification de l’usage qui en est fait.

– sans une gestion des ressources humaines profondément revue et une meilleure présence des IPR.

 

En conclusion : On a acquis maintenant une grande expérience qui est à valoriser. Il est assez clair que le CU actuel n’est pas fait pour les élèves en très grande difficulté. Il faut aménager des espaces de vie et de réflexion pour les enseignants. Les CU doivent être insérés dans des bassins de formation beaucoup plus larges et par-dessus tout il faut un engagement politique beaucoup plus fort pour persister dans cette voie avec plus de succès.

 

Débat

 

Q1 : Les problèmes pédagogiques sont passés sous silence au profit d’un exposé sociologique. Faut-il en rester à un seul type de réussite scolaire ? Ne vouloir préparer que le futur lycéen et encore en section générale, n’est-il pas à l’origine de l’échec ?

 

Q2 : (d’un proviseur) Le CU a tué l’ascenseur social et creuse les inégalités. Le problème est bien celui de l’objectif qu’il faut définir puis d’admettre des voies et moyens diversifiés pour l’atteindre. Les dispositifs indiqués sont marginaux et « en plus ». L’académie a refusé de supprimer un certain nombre d’heures pour monter des classes à petits effectifs. Autrement dit, l’EN n’accepte pas une véritable diversification des moyens, ni n’est disposée à donner une réelle souplesse dans le système pour l’immense masse des CU. A côté de cela, quelques établissements privilégiés peuvent n’en faire qu’à leur tête. Les aménagements suggérés en conclusion par l’orateur ne sont que cosmétiques.

 

R : Il faut bien une formation de base pour construire des parcours diversifiés. L’école doit apprendre à savoir et ne peut se contenter d’apprendre le savoir faire. Le débat se développe entre ceux qui se méfient des réussites diversifiées (régression vers l’enseignement professionnel) et ceux qui pensent qu’il faut valoriser d’autres approches que l’accès à l’abstrait. Pour d’autres, c’est une question de mesure, faut-il obliger tous les élèves à absorber tout le programme de littérature ? Ne faut-il pas en rabattre sur les exigences de base, mais s’assurer que tout le monde y satisfait correctement ? Il faut ne pas faire une fixation sur le problème de ceux qui ont décroché pour trouver la solution et s’intéresser davantage à ceux qui sont en situation difficile mais maîtrisable et qui ne sont pas suffisamment aidés.

 

Q3 : Pour ceux qui décrochent, y a-t-il des pistes de solutions dans un décloisonnement des établissements et dans une ouverture sur la ville sous réserve d’une politique culturelle de celle-ci ?

 

Q4 : Comment baisser les exigences alors qu’il y a des familles avec des exigences élevées pour leurs enfants ? Ne les rejettera-t-on pas plus encore vers l’enseignement privé ? Il ne s’agit pas de baisser mais de valoriser d’autres approches fait remarquer un participant.

 

Q6 : La question de l’ «ambiance » dans les collèges est importante. Il y a des valeurs à transmettre. Comment le faire ?

 

R : Les enseignants ont l’avantage de dominer le langage (humour, ironie..) et cela pose des problèmes éthiques pour sortir des rapports de force. Des formules de médiation peuvent être utiles pour introduire le changement. Oui, on a besoin d’acteurs de la cité dans la périphérie des CU et d’autres interlocuteurs (pompiers…) pour que les enfants rencontrent d’autres types d’adultes que des enseignants. Et pour répondre à la question « A quoi l’école sert-elle ? ». Les élèves désertent l’école parce qu’elle est extérieure à la vie qu’ils perçoivent. Quant aux autres approches à valoriser, il faut garder une ambition dans le projet pour les élèves et ceci ne peut se faire avec du… «n’importe quoi scolaire »..

 

Q7 : Les enseignants font-ils l’effort suffisant pour savoir qui ils ont en face d’eux ? (Le proviseur) « Je récupère beaucoup de jeunes profs sortis des IUFM, généralement remarquables. Je les préfère à des vieux profs conformes. Compte tenu de cela, un collège de ZEP coûte 15% de moins qu’un collège très favorisé »

 

Q8 : Va-t-on accepter la sorte de fatalisme qui conduit à renoncer au CU en réorientant vers les filières professionnelles malgré les résultats somme toute positifs mentionnés par l’orateur en début de son exposé ? A-t-on épuisé le gisement des discriminations positives ? Faut-il reprendre le statut des enseignants uniquement centré sur les cours à donner ?

La discussion souligne que l’enseignement professionnel est bien mieux valorisé dans d’autres pays comme l’Allemagne et la Suisse. On a à faire à une situation typiquement française qui est le résultat de notre enseignement : on aura besoin au mieux de cinq cosmonautes mais on manque de carreleurs !

 

Une remarque d’un prof en conclusion : « Notre système est très bien, mais je n’y mettrai jamais mes enfants » !!

 

Gérard Piketty

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