Olivier Appert est Ingénieur général des Mines, a présidé l’Institut Français du Pétrole, est membre du comité français du Conseil Mondial de l’Energie. Il est aujourd’hui conseiller de l’IFRI1 . Nous avons subi une augmentation des prix de l’énergie qui nous amène à dépendre des USA, fournisseurs de gaz naturel liquéfié, et des Etats producteurs du Moyen-Orient. En 2022, tous les efforts de décarbonation ont ralenti.
L’arrivée de Trump au pouvoir annonce quelques surprises. L’Europe est handicapée de n’avoir que très peu de ressources naturelles. Avec les énergies renouvelables, a-t-on de vraies alternatives au pétrole ? Avec l’hydrogène, il y a eu des pistes, mais aussi des échecs…
Des changements majeurs sont intervenus depuis 2003 où la promotion de la transition énergétique a pris la suite de la notion de développement durable (depuis 1987). Cette transition a une dimension économique, sociétale, environnementale, mais surtout géopolitique, une évidence depuis 3 ans. La géopolitique est une dimension majeure de la politique énergétique.
Quels sont les enjeux de cette géopolitique des énergies ? « Le pétrole est une matière première à fort contenu diplomatique et militaire, avec une valeur fiscale indéniable, et accessoirement un pouvoir calorifique »2 …
Le marché pétrolier est une préoccupation du fait d’un nombre limité de producteurs et de notre dépendance vis à vis de l’économie du Moyen-Orient. Des augmentations de prix nous ont amenés à dépendre de la fourniture de gaz naturel liquéfié alors que nous n’avions pas de gaz de schiste. L’Europe, y compris la Norvège, ne représente que 0,9 % des réserves mondiales tandis que l’OPEP en a 72%.
En 2022, tous les efforts de décarbonation ont ralenti avec l’arrivée de Trump au pouvoir. A propos du gaz, les 2/3 des réserves de gaz se situent dans un croissant compris entre les 50 ème et le 70 ème méridien, en particulier en Russie, en Iran, et au Qatar.
Les Etats-Unis sont devenus le 1 er producteur mondial de pétrole et de produits pétroliers. Ils ont retrouvé leur indépendance énergétique. Il faut prendre en compte les hydrocarbures non conventionnels qui ont rebattu les cartes dans les années 2010. Et entre 2022 et 2026, la capacité américaine d’exportation du GNL3 va croître de 60%. Les énergies fossiles représentent encore 80 % de la consommation mondiale d’énergie et elles n’ont reculé que de 5 points du fait des énergies renouvelables ou nucléaire.
La Chine joue un rôle déterminant dans l’évolution de la consommation énergétique mondiale. L’énergie reste son talon d’Achille et elle entretient une diplomatie active vers les pays exportateurs.
Dans le mix énergétique mondial : le pétrole représente 30%, le gaz = 27%, le charbon = 24%. La Chine consomme 28 % de la consommation d’énergie mondiale, dont la moitié du charbon mondial et elle est pour 50 % responsable de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole.
La Russie est le 3 ème producteur et le premier exportateur de gaz naturel. L’Europe achetait 90 % de son gaz à la Russie. Mais après l’invasion de l’Ukraine, malgré les sanctions internationales et les mesures d’embargo sur le charbon, le pétrole et le gaz russes, les exportations russes ont peu baissé : elles ont augmenté vers la Chine et l’Inde, la Russie ayant diminué ses prix et utilisant une flotte « fantôme » de vieux tankers clandestins pour exporter son pétrole. Les sanctions ont porté sur 55 milliards, soit 3% du PIB de la Russie.
L’impact de la crise ukrainienne
La hausse du coût de l’importation d’énergie en Europe (124 milliards d’euros) a eu un impact sur l’économie européenne, comme la flambée du prix du gaz en 2022. Même si les prix ont re-baissé, il y a un différentiel du prix du gaz qui en Europe est 5 à 10 fois supérieur à son prix aux Etats-Unis. Trump veut accélérer la production de pétrole (« DRILL ! », c’était déjà le cas avec Biden, Trump et Obama). Il y a un changement majeur de paradigme et une grande attention de la part des Américains. Au début des années 2000, ils étaient dépendants, et il y a eu flambée des prix. La production américaine a doublé et les Etats-Unis sont devenus le premier exportateur de gaz liquéfié, ce qui constitue un avantage
concurrentiel. Les technologies « bas carbone » :
Il y a une évolution des investissements de l’ordre de 70 % en vue de 2035. 3 scénarios intégrant les politiques en faveur de 2 énergies qui sont intermittentes, demandent l’établissement de réseaux, et dont les coûts d’acheminement sont significatifs :
- Augmentation du solaire (panneaux photovoltaïques), pouvant être offshore (l’hydro
électricité en mer). - Augmentation de l’éolien.
Malgré les problèmes de stabilité des réseaux, il y a ainsi croissance de ces 2 énergies
renouvelables. - Le Nucléaire doit croître, car c’est une énergie pilotable qui compense
l’intermittence de l’éolien et du solaire. La Chine a 27 centrales en construction, 58
sont programmées.
Les défis géopolitiques de la transition pour la souveraineté dans les approvisionnements impliquent une croissance forte de la demande de ressources rares, métaux et minerais (cuivre, lithium, nickel, cobalt, etc.) pour leurs propriétés magnétiques et chimiques, mais il faut les transformer pour les utiliser.
La Chine a vite compris l’enjeu des dépendances en minerais rares dont elle est riche. Elle en limite la production et les prix s’envolent. On commence à se rendre compte des défis qu’ils représentent.
L’Europe a des ressources limitées, elle est dépendante de ses importations. Les prix de l’énergie y sont supérieurs à ceux des USA et les divergences s’accentuent.
L’Allemagne n’a eu de cesse d’augmenter ses importations de gaz russe. Les objectifs de la coalition allemande au pouvoir ont été de réaliser un mix électrique pour leur grande politique de maintenir « fermé » le nucléaire. L’hydrogène a été présenté comme la solution.
Ils ont importé de l’hydrogène vert en grandes quantités, du Maroc et du Chili entre autres, et il y a eu un blocage sur la couleur de l’hydrogène4. Ils ont eu des projets plus ou moins réalisés de champs de panneaux photovoltaïques. Mais ces objectifs se heurtent à la congestion des réseaux de transport électrique.
En France, le gaz de schiste a été interdit pour ses risques environnementaux et sanitaires, bien que l’IFP ait travaillé sur la géologie du Bassin Parisien et qu’une compagnie y faisait de la fracturation hydraulique.
L’hydrogène est un produit chimique dangereux qu’on peut utiliser dans l’industrie mais avec des précautions. On fait de l’hydrogène vert à partir du renouvelable, mais le grisou, c’est de l’hydrogène… Certains pensent qu’il y a un marché mais les utilisateurs prennent des risques, même si les batteries sont en progrès. Airbus a essayé dans le transport aérien, mais le coût de production des SAF5, dont l’e-fuel, est triple du prix du kérosène.
Questions
Le réchauffement climatique ?
Le climat, c’est très compliqué ! Pour lutter contre le réchauffement climatique, le protocole de Kyoto a établi un dispositif de financement pour inciter à investir dans les pays en développement pour leur adaptation. La totalité de la demande d’énergie viendra des pays en développement. En France, la consommation d’énergie baisse. Les statistiques montrent que la totalité de la demande viendra des pays en développement. La Chine de Xi Jin Ping a pris des engagements selon lesquels elle aura atteint la neutralité carbone à échéance de 2060. L’Europe sera incapable de la respecter. On verra à la COP 30, si elle se tient sans les Etats-Unis.
Mais la Chine refuse d’entrer dans le mécanisme de la COP.
Ne peut-on obtenir du gaz par méthanisation, du bio gaz ?
Oui, on l’obtient par la fermentation de matières organiques, par exemple des déchets de bois et dans le méthaniseur on obtient du gaz vert. Mais y aura-t-il assez de ressources de biomasse ? On peut utiliser les cultures inter-saisonnières mais c’est très peu de choses. La forêt vieillit. Avec le réchauffement climatique sa productivité est changée. On n’a plus assez de biomasse. Donc ce gaz vert c’est 5% de l’approvisionnement gazier.
Le prix du pétrole ?
Le pouvoir de marché de l’OPEP fondé en 1960, est limité dans la mesure où la demande de pétrole est en diminution significative. Après le triplement du prix du pétrole avec les chocs de 1973 et 1979, et le contrechoc pétrolier de 1986 où les prix se sont effondrés et où l’Arabie Saoudite a réduit sa production (10 à 3 Millions barils/j). En 2014, la Russie et d’autres producteurs rejoint l’OPEP, d’où l’OPEP+ qui contrôle le marché et les prix. Il y a alors une explosion de la production américaine alors que la demande croît moins vite. Le prix du pétrole connaîtra sans doute une légère baisse. Le Vénézuéla produit 1 million de b/j.
Et Nord Stream ?
Les gazoducs Nord Stream 1 et 2 sont abandonnés à l’eau de mer, et il sera difficile de les remettre en l’état. Et on n’a plus besoin de gaz ni de pétrole russe… Qui va les acheter ? Le 1 mars 2022, Nord Stream fait faillite.
L’Inde, quel scénario ?
Le changement climatique n’est pas son problème. Ses perspectives économiques sont assez
positives. Mais ce pays est compliqué. Il y a croissance de la demande énergétique et l’Inde
ne se sent pas du tout avoir été responsable du changement climatique : c’est l’Occident qui
l’est et l’Inde a à se développer économiquement. C’est l’Occident qui ne doit plus
contribuer aux émissions de GES6.
La demande énergétique est croissante, mais elle repose encore sur le charbon.
Les Allemands ont choisi d’avoir le 100 % d’énergies renouvelables en 2025. Qu’en pensez-vous ?
L’éolien offshore, c’est 35 %. Il peut n’y avoir ni soleil ni vent. En novembre dernier, il y a eu une panne de vent. Les prix ont flambé, mais comme il y a interconnexion des réseaux, les prix se sont mixés. Et il y a des moments où on produit trop d’électricité bas carbone, or ça ne se stocke pas, une dizaine d’heures seulement.
Le Danemark est arrivé à 52% de sa production d’électricité à partir d’énergies renouvelables.
Mais l’Allemagne a du mal à poser ses panneaux solaires. Siemens a eu 1 milliard de pertes, surtout avec sa filiale espagnole. Mais ils ont développé l’éolien flottant.
L’Allemagne et le nucléaire ? C’est un refus profond ?
C’est difficile de redémarrer des tranches. En Allemagne le nucléaire c’est tabou.
Quels investissements en Afrique ?
Des pays ont des ressources, le Nigéria par exemple. Il y a du soleil, il suffit de mettre des batteries. Le photovoltaïque connait une forte croissance surtout à partir de 2015 et se distribue assez vite pour ces pays. L’Afrique du Sud, l’Egypte, le Niger, l’Ethiopie, sont très favorisés par rapport à ceux qui sont plus humides avec moins de luminosité.
L’Iran a des ressources plus importantes que les pays sunnites ?
L’Iran a des réserves de gaz qu’ils ne sont pas prêts d’épuiser, la seconde réserve du monde, mais ils n’ont pas d’usine de liquéfaction. Ils ont aussi du pétrole. Et les Iraniens contournent l’embargo décrété par les Etats-Unis en passant par des pays tiers comme la Malaisie.
Note prises par Sylvie Cadolle.
1 Institut Français des Relations Internationales
2 A. Giraud, ministre de l’Industrie (1978-1981) et de la Défense.
3 Gaz de schiste, « shale gaz ». 4 On parle d’hydrogène noir s’il est réalisé à partir de charbon, gris à partir de gaz, vert s’il est produit par le solaire ou l’éolien. 5 SAF Sustenable Air Fuel. 6 Gaz à Effets de Serre.

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