Gilles Candar est un historien spécialiste de la politique du 19° siècle et du 20°s., et particulièrement des gauches françaises et de Jean Jaurès. Il est Président de la Société d’Etudes Jauressiennes, ayant coordonné les 17 volumes de l’œuvre de Jean Jaurès chez Fayard, il a contribué à la célébration du centenaire de l’entrée au Panthéon de Jaurès.
Il a entre autres écrit de nombreux articles dans la revue Mil Neuf Cent, il a contribué avec J.J Becker, à L’Histoire des gauches en France et dans la collection Les Questions républicaines, il a publié : Pourquoi la Gauche ? De la Commune à nos jours. Il a été aussi militant associatif et politique, au PCF puis au PS.
Christophe Deltombe présente la question posée à notre invité :
Aux dernières élections législatives, en 2024, la gauche n’a rassemblé que 24 % des voix. Nous souhaiterions éclairer les alliances possibles des partis de gauche. Y a-t-il des liens avec les forces syndicales ? Quel sens ont ces alliances ? Qu’est-ce qu’être de gauche ? Y a-t-il des travaux programmatiques dans les partis de gauche ? Peut-on en savoir un peu plus sur LFI ? La Gauche a-t-elle encore un avenir ?
G. Candar : J’interviens en historien et sociologue plus qu’en militant, même si j’ai une carrière militante, je n’ai pas eu de poste très élevé dans cette carrière, j’ai l’expérience d’un conseiller municipal de gauche dans l’opposition et j’en ai l’outillage mental. Qu’est-ce qu’être de gauche ? Le philosophe Alain a écrit : « Celui qui dit que la coupure entre droite et gauche n’existe plus, n’est certainement pas un homme de gauche ». Sur le fond, la gauche est de mieux en mieux reconnue et sa définition est très inclusive. Mais il y a eu longtemps très peu de travaux sur la gauche.
Par exemple dans Les Lieux de Mémoire (P. Nora), on n’en parle pas beaucoup. Il n’y a pas d’histoire de la gauche. On a écrit l’histoire de l’anarchie, du radicalisme. Marcel Gauchet a fait paraître La Droite et la Gauche en 2021. Maintenant, il n’y a qu’aux Etats-Unis qu’on n’utilise pas ces termes, alors que la dyade Républicain/Démocrate correspond largement à Droite/Gauche. En Amérique Latine, cela ne signifiait pas grand-chose avec le Péronisme qui n’est pas placé sur l’axe droite/gauche.
A un moment, on a parlé de convergences droite-gauche. On parle en France des Gauches au pluriel. Ce n’est pas raisonnable de ne parler que d’une seule gauche. Certains ont recadré le camp de la gauche et celui de la révolution. En Italie, on parle des antifascistes, plus que de la gauche. Les historiens Jean-Jacques Becker1 , ou J. Julliard2 , ont utilisé un essai de Norberto Bobbio, antifasciste italien du courant républicain libéral, puis socialiste. La gauche est le camp qui demande plus d’égalité sociale, par exemple le suffrage universel au 19ème siècle, , une volonté de justice et de solidarité, valeurs du solidarisme qui sont portées par Léon Bourgeois, ce qui sera repris par Jaurès puis Léon Blum en 1919 et qui fera pendant à la revendication des communistes. F. Mitterrand a répondu à un questionnaire en mai 1994 : La Gauche, c’est par où ? Par le pouvoir ? l’opposition ? l’engagement ? l’enthousiasme ? la fidélité ? La méditation des leçons de l’expérience ?
On peut classer par courants les Gauches : libertaire, collectiviste, libérale, jacobine, de rupture, de gouvernement, de consensus …
On promeut une République indivisible et en tant qu’aiguillon révolutionnaire Etienne Fajon, instituteur et député communiste de la Seine, directeur du journal l’Humanité, de 1946 à 1958, qui a sa fonction tribunitienne. Les gauches convergent sur la demande d’égalité et le réformisme social.
Dans les actions syndicales et militantes, on caractérise les courants politiques à Gauche, on demande la liberté de la presse, la liberté de réunion syndicale, la journée de 10 heures, mais on promeut aussi les lois laïques des Républicains en 1920-1930 et la journée de 10h.
C’est le Front Populaire de 1936 (et les grèves) qui fera les grandes réformes comme la journée de 8h et les congés payés.
Aujourd’hui on invente des conventions citoyennes, on a trop dévitalisé le rôle des Parlements : il faudrait en refaire des lieux de débats.
A quelles conditions la Gauche peut-elle faire des propositions ? Le socialisme municipal a été très utile, pour apporter l’eau, le gaz, mais aussi les municipalités communistes ont fait faire des progrès à l’hygiène, aux loisirs, aux bibliothèques. La Droite n’en voit pas l’utilité car les gens de droite en ont déjà l’usage. C’est la Gauche qui porte ce communisme municipal dans les collectivités locales. Pour le sport, il y a concurrence entre la Gauche et la Droite.
C’est la Gauche avec Waldeck-Rousseau qui impose la vaccination obligatoire. Il y a aussi la loi sur l’hygiène de 1901, pour laquelle les forces de Gauche collaborent avec les médecins.
Ces grandes réformes sont portées aussi par les pressions extra-parlementaires comme celles des syndicats. Il y a une opposition entre l’idéologie révolutionnaire avec sa fonction tribunitienne d’une part, fonction reprise par LFI aujourd’hui, et les forces de pression qui font avancer les réformes d’autre part. Une gauche de rupture peut-elle faire passer des réformes ? Les grandes réformes sociales comme Les Congés Payés ou les Retraites ouvrières en 1936 n’étaient pas dans le programme du Front Populaire. Mais Blum les a fait passer. L’historienne Michèle Perrot disait que les retraites n’étaient pas demandées dans les grèves de la fin du 19 ° siècle. Millerand porte la journée de 10h maximales. La loi sur le Repos hebdomadaire est passée avec l’appui des députés catholiques et a été adoptée en 1905-1906. L’idée nationale n’est alors pas importante au départ de la Commune de Paris qui accepte des non-français pour combattre. Tridon, ami de Blanqui, meurt à la fin de la Commune. Jules Guesde, qui a soutenu la Commune, fonde le Parti Ouvrier, puis le Parti Ouvrier Français avec un certain nationalisme de gauche. Mais historiquement, la Gauche a lutté contre les tendances racistes et nationalistes. Avec l’Affaire Dreyfus, ce qui est nationaliste est chassé de la gauche qui devient dreyfusarde et refuse l’antisémitisme. Certains racistes quittent alors la gauche. Galliffet, ministre de la Guerre, le fusilleur des communards faits prisonniers, a été traité d’assassin par toute la gauche. En 1899, la République a été en danger, il a fallu réagir. La colonisation a été une occasion de divisions et de conflits historiques qui ont fracturé les socialistes. Il y eut une gauche pro-colonisation. A partir de 1951, certains lisaient Rivarol et se disaient à gauche mais nationalistes au point de soutenir une domination coloniale plus ou moins réformée. L‘idéal de la gauche, c’est une propriété sociale, une socialisation de la production et comme
le disait Jaurès, « que chacun ait son jardin ». C’est un idéal vague. Mais c’est la défense de la République. Edouard Vaillant (1840-1915), élu de la Commune, est l’un des fondateurs du socialisme, il fonde la Section Française de l’Internationale Ouvrière.
Aujourd’hui, il y a le PS, le PC et les Insoumis. La stratégie de Mélenchon ne fait pas l’unanimité à gauche. On peut noter la variété des attitudes de gauche. Les syndicats et les partis sont faibles aujourd’hui. Il y a moins de monde dans les réunions de partis et les meetings.
Questions :
L’antisémitisme de LFI est-il de gauche ?
Il y a un certain flou programmatique de LFI. Le député LFI David Guiraud a été accusé d’antisémitisme : il parle des juifs sans les nommer quand il parle de « dragons célestes », en référence au manga One Piece et cette expression a été empruntée par des antisémites pour échapper à la modération des réseaux sociaux. LFI travaille en accord avec les syndicats avec des objectifs fixés, pour défendre les Services publics et les revendications ouvrières. Des lieux de débat doivent être revitalisés. Les Assises du Socialisme avec Rocard et Mauroy ont été des moments politiques importants. Le Plan a été aussi un lieu de débats. Le CESE3 , contesté aujourd’hui, donne son avis sur les projets et propositions de lois. Ces lieux devraient être plus puissants et revitalisés.
Vous avez peu évoqué les mutations de la société ?
Nous sommes dans une autre civilisation du travail. On a fait la grève pour les 60 heures ! Il y a des chantiers inaboutis. Dans l’entreprise, l’héritage reste très important. Comment encadrer le capitalisme et le pouvoir patronal ? Il y a du travail non rémunéré. Il faudrait de la participation. La CFDT a des projets sur le management.
On fait beaucoup de critiques à la gauche, d’abord qu’elle ne représente plus les classes populaires !
Il y a tous ceux qui ont migré vers le RN, et particulièrement les milieux populaires dans les campagnes et les petites villes. F.Ruffin lui-même constate que les quartiers ouvriers votent RN. A cause des questions de sécurité, la droite a reconquis St Ouen, par exemple. Si des sections socialistes ou municipalités communistes empêchent le foncier de monter, ce n’est plus la gauche qui gagne mais le RN, alors que des sections socialistes faisaient tout pour empêcher le foncier de monter.
Il y a la revue Progressistes qui est très intéressante par les thèmes qu’elle aborde pour renouveler la Gauche, mettre en avant et faire vivre des thèmes avec un Forum de formation socialiste et une Université d’Eté.
A Lille, les socialistes, parti et syndicats présentent une équipe qui tient la route.
Entre les Insoumis et les socialistes, il y a des divergences très fortes.
C’est vrai, mais ça n’empêche pas socialistes et communistes de participer au Nouveau Front Populaire. La justice fiscale par exemple fait consensus.
Que pense la gauche des référendums ?
Le référendum plébiscitaire est admis chez les Blanquistes, chez Jaurès. Mais il appartient au passé de la gauche. La gauche s’est accommodée aussi du colonialisme. La tradition du référendum a été réveillée après mai 68.
Il n’y a pas de majorité absolue, la gauche est très désunie. Faut-il une 6 ème République ?…
Le droit de pétition, ça a existé, et a été oublié.
Les problèmes de la Gauche semblent dater des années 90, avec la mondialisation, comment un pays resterait-il de gauche tout seul ?
Faut-il faire une Europe de la Défense ?
Staline a fait le communisme dans 1 seul pays, Trotski diverge : la Révolution partout… ? ça craque, ça se gangrène…Le problème se pose à toute la gauche.
Les socialismes utopiques ne sont-ils pas de gauche ? pour 2060 ?
1 Histoire des gauches en France, 2004, co-auteur avec G. Candar.
2 Auteur de Les Gauches françaises, Histoire, politique et imaginaire, 1762-2012, Flammarion. 3 Conseil Economique, Social et Environnemental

Commentaires récents