Christophe Deltombe présente Lisa Devignol, master of science de l’université d’Edimbourg, spécialiste de la transition environnementale, des enjeux de transformation des espaces urbains, coordonnatrice du projet Sea’ties au sein de la Plateforme Océan et Climat. Le trait de côte, c’est-à-dire la limite jusqu’à laquelle la mer peut parvenir, se modifie et recule. On estime que ce recul sera de 50 cm à partir de la ligne de 2022-23 si l’on respecte les objectifs de limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré, ce qui est peu probable. Sinon, il s’agirait d’une élévation du niveau de la mer d’1 mètre en 2100. Cette érosion des côtes va concerner 12% de la population en France, et 16% de la population mondiale : près d’un milliard de personnes sont menacées.
Quelles mesures doit-on prendre en France pour s’adapter et pallier les dégâts ? Que va-t-il se passer si la montée de la mer, qui menace un milliard de personnes dans le monde, provoque une immigration massive d’habitants actuels des zones côtières qui en seront chassés ?
Lisa Devignol :
La montée du niveau de la mer sous l’effet du réchauffement climatique du fait de l’érosion et de la fonte des glaces entraîne des risques accrus d’inondations, de salinisation des nappes phréatiques et une perte de biodiversité. Il s’agit donc d’aider les zones concernées à l’atténuation de la montée de la mer par l’atténuation du réchauffement et à l’adaptation côtière.
C’est l’objet du projet Sea’ties qui fédère un réseau issu de la société civile et du secteur de la recherche. Il s’agit de faire le lien entre la recherche scientifique et les politiques et d’aider les collectivités locales à s’adapter à l’élévation du niveau de la mer.
Où en sommes-nous du niveau de la mer ?
Il y a 2 types de phénomènes :
- La dilatation thermique de l’eau de la mer : L’Océan absorbe 80 % de la chaleur de l’atmosphère. L’eau se réchauffe et se dilate. On constate aussi une acidification des océans1.
- La fonte des glaces : déjà avant le réchauffement climatique, mais elle accélère, la rythme en a doublé, il est de 4 mm par an avec des variations locales, jusqu’à 8 mm par an, ce qui est énorme dans des territoires qui n’ont ni connaissances ni ressources. Cela fera 1 mètre en 1 siècle.
Les 2 phénomènes sont lancés, et la mer va continuer à monter.
Les impacts qu’on rencontre déjà : davantage de submersions temporaires par tempêtes et vagues. D’où :
- Plus de d’érosion, aggravée par le niveau de la mer.
- La salinisation des écosystèmes, des champs et des prés.
- Des forêts se retrouvent noyées
Les impacts sur les humains qui vivent sur les côtes (plus d’un quart de la population mondiale). Les 10% de la population vivant dans des zones côtières à basse altitude sont menacés directement par la montée du niveau de la mer. Ceux qui vivent sur les littoraux doivent pour assurer leur sécurité et leur santé avoir des infrastructures de dessalement de l’eau, et des routes pour l’évacuation des populations en cas de montée rapide des eaux. Il y a des impacts économiques à la montée du niveau des eaux : 9% du PIB, les coûts des dégâts (en trillions de dollars) et des assurances.
La subsidence peut aggraver cette montée des eaux : c’est l’enfoncement des terres sous le poids d’une charge (constructions) ou bien en raison de l’extraction ou de forages. En France, la moitié des terres s’enfoncent. Les villes pèsent lourd et la terre s’affaisse alors que la mer monte.
Il faudrait une atténuation de l’élévation des températures. On ne peut pas rattraper les 20 cm de montée du niveau qu’on a déjà notés. Le phénomène va se poursuivre quoi qu’il arrive et s’accélérer. Chaque degré de température compte.
Il faut repenser l’aménagement du littoral pour l’adaptation
Il y a différents niveaux de volonté politique. En 2019, en France, peu de municipalités sont présentes. On leur lit l’essentiel du rapport du GIEC qui réaffirme la réalité de l’élévation du niveau de la mer. Les villes, à part Sète, La Rochelle, on n’entend pas leurs voix, alors que ce sont elles qui sont en charge de l’adaptation.
Néanmoins le GIP2 littoral de Nouvelle-Aquitaine produit des études de prospective et est un outil de concertation entre tous ceux qui sont concernés et il y a une stratégie régionale et départementale de gestion de la bande côtière. Le trait de côte est une zone mouvante dont on ne voit pas toujours les changements qu’on oublie parfois : la population est positive pour l’adaptation après une tempête dont on se souvient mais à un moment, on oublie la gravité de la situation et on s’oppose aux mesures à prendre. Il y a des intérêts privés qui résistent. Marseille a pris le sujet à bras le corps, mais n’y arrive pas. Globalement la majorité des villes adoptent des mesures de protection.
Il existe depuis 2023 en France un Comité National du Trait de côte pour une gestion intégrée du littoral, avec des acteurs holistiques pour une politique qui ne soit pas en silo. Il s’agit de savoir transitionner d’une adaptation à une autre.
On finance des digues mais elles aggravent l’érosion du littoral d’à côté. Ce ne sont pas les meilleures solutions, elles ne sont pas toujours entretenues, on construit derrière, mais certaines ne sont plus efficaces et la mer s’infiltre.
EDF a sécurisé ses centrales mais il faut s’intéresser aux personnes qui travaillent dans les centrales. On ne peut pas mettre des digues partout, il faut trouver des solutions d’adaptation (surélever les routes, implanter des écosystèmes alliés, mangroves, forêts de macro algues, hybridations.) On peut réensabler les plages, construire des dunes, mais le sable est une ressource de plus en plus rare. Il peut y avoir un recul stratégique.
Il y a des solutions plus ambitieuses mais tabou, comme la relocalisation. Les maisons ne devraient pas être là ! On ne peut pas construire partout ! Il y a des situations dangereuses, avec des familles qui habitent à flanc de falaise et refusent de déménager. Il y a l’enjeu de savoir qui décide qui peut rester ou doit aller s’installer ailleurs. Le littoral est mouvant. On peut parfois construire du transitoire, du temporaire et on enlève ces structures. Il faut changer les mentalités.
L’objectif de Sea’ties est de faciliter l’anticipation des problèmes pour maîtriser les stratégies d’adaptation et d’atténuation. Son projet fait partie de la Plateforme Océan et Climat (réseau international regroupant plus de 100 organisations de la société civile, organisations non gouvernementales, instituts de recherche, autorités locales et entités du secteur privé) créée à la suite de la COP 21 à Paris. Il s’agit de promouvoir l’expertise scientifique sur le rôle majeur joué par l’Océan et ses écosystèmes dans le système climatique, pour une meilleure vision des interactions océan/climat de la part des décideurs nationaux et internationaux. Par l’expertise de ses membres, Ocean &Climate Platform apporte des solutions concrètes pour protéger l’Océan, sa biodiversité, et le climat. Elle coordonne en France les questions et observations relatives à l’Océan, les recommandations sur la pêche, l’aquaculture et surtout l’adaptation des zones côtières.
D’autres zones sont concernées, dont les côtes de l’Europe du Nord, de la Méditerranée, de l’Afrique de l’Ouest, des Caraïbes, des Etats-Unis, et les îles du Pacifique. On organise des projets de recherche, des ateliers d’échange, on pèse les risques et les opportunités, on prépare les plaidoyers pour les COP. Aux USA, les stratégies sont plutôt en silo et le résultat final aggrave parfois la situation. La Nouvelle Zélande cherche à éviter de se retrouver bloquée dans une seule voie d’adaptation. Mais il n’y a pas de pays exemplaire.
Il faut essayer de changer les mentalités. On doit soutenir les villes sur 3 axes :
- En fournissant toutes les données qui leur permettent de planifier
- En renforçant leurs capacités en leur indiquant des spécialistes
- En les réorientant en ingénie financière pour gérer les subventions reçues qui leur permettent non seulement de financer de la protection mais aussi de l’adaptation.
Il y a un défi : la volonté politique ! Ces mises en œuvre de l’adaptation se font dans un temps long, ce qui n’est pas la durée d’un mandat de maire. Et pour les maires, le sujet est parfois impopulaire. Il faut donc renforcer la mobilisation citoyenne, or les personnes impliquées sont toujours les mêmes et les jeunes, les plus concernés, sont peu engagés dans les municipalités.
Il faut du temps, de l’argent et une volonté, mobiliser très en amont pour s’assurer que les aspirations sont prises en compte, pour informer par divers moyens de communication. Il faut planifier les réunions très en avant, et avoir plusieurs scénarios, être flexible.
Nous proposons de venir séquencer selon l’urgence et l’acceptabilité des projets, d’hybrider différentes solutions : relocaliser, surélever, re-naturer avec un effet tampon, mettre une digue. Il s’agit d’avoir une vision collective pour le futur, qu’on arrête de laisser aux groupes d’intérêts les décisions pour l’avenir, en négation des risques et des vulnérabilités.
Un Point d’actualité
Les Etats insulaires, violemment concernés, ont poussé le sujet des menaces portées par la montée du niveau de la mer. Le 25 septembre 2024 a eu lieu un sommet à Nice où se sont réunis 18 maires de grandes villes et régions côtières, dédié aux enjeux d’élévation du niveau de mer. Ils ont signé la Déclaration Sea’ties de la Plateforme Océan Climat et lancé officiellement la Coalition future, Ocean Rise and Coastal Resilience, présidée par le maire de Nice, C.Estrosi, dans le cadre de l’UNOC 3 et organisée par La France avec son Président et le Costa Rica.
Ainsi la Troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC 3) aura lieu à Nice du 9 au 13 juin 2025 « pour donner une réponse à ceux qui feront face à l’élévation du niveau de la mer »
Aujourd’hui, la Cour Internationale de Justice auditionne les représentants de différents pays insulaires (par exemple le Vanuatu), qui ont été ou sont victimes de catastrophes climatiques, pour tenter de faire reconnaître leur droit à l’existence. Ils ne veulent pas remodeler leurs frontières et affirment que les Etats riches ont été et sont encore responsables : du fait de leur utilisation (plus ou moins) séculaire du charbon et du pétrole, ils ont produit les GES3 et causé le réchauffement climatique, donc la montée des océans qui recouvrent en partie leurs territoires. La Cour auditionne les plaignants contre les pays extracteurs et les anciens pollueurs du Nord global qui sont accusés pour pertes et dommages mais les obligations juridiques internationales des Etats en matière de protection climatique ne sont pas reconnues… du moins pas encore !
Questions
L’eau douce s’évapore, les mers se vident dans certaines régions. Pourrait-on remplir la mer d’Aral asséchée ou la mer Morte ?
Le coût énergétique du transport serait démentiel ! Ce qui fait le plus sens c’est d’accompagner les changements, les transitions pour les environnements arides et de s’y adapter plutôt que des méthodes d’ingénierie.
Le notaire vous envoie des documents d’information des risques naturels. A quoi ça sert ?
Il y a des listes de communes menacées par l’érosion (qui n’est pas une catastrophe naturelle) ou d’autres risques naturels, si on est impactés par le recul du trait de côte. Il faut informer un éventuel acquéreur. Des associations de propriétaires se soulèvent contre les avertissements qui allaient faire baisser la valeur de leur bien. Et des agriculteurs ne peuvent parfois pas revendre leurs terres agricoles et les risques ne sont pas présentés clairement.
L’Etat a-t-il un financement pour aider les petites communes ?
Il n’y a pas de fonds dédiés. On essaie d’en construire un.
En Afrique de l’Ouest, il y a des banques de développement. Pas en France. On pourrait créer une taxe touristique ?
ça risque de créer des conflits.
Les Pays-Bas, ils ont le tiers de leur territoire en polders. Comment font-ils ?
Ce sont les leaders dans le monde. Ils restent très vulnérables. Ils font du ré-ensablement, des infrastructures de protection. Ils ont beaucoup de solutions fondées sur la nature et des moyens financiers importants.
Comment organise-t-on une ville face aux risques ? risques d’inondation ? risques sanitaires ?
C’est un travail de politique publique et les assureurs sont des acteurs de la ville. Dans leur processus de gouvernance, les états mettent-ils en place des lois cadres ? Par exemple le Zéro Artificialisation Nette, qui réduit les risques d’inondation en laissant des espaces vacants et dépollués. Les villes peuvent être financées par des acteurs privés. A La Rochelle il y a une université où on a créé un Institut Littoral Durable Intelligent pour former des acteurs de l’aménagement.
Vous êtes devant des maires. Quelle est l’aptitude des élus sur le sujet ? Sur quoi les poussez-vous prioritairement ?
Il y a la banque des territoires qui finance beaucoup les villes. Les assureurs comme AXA sont très innovants. Tous les états ne sont pas dotés d’une réglementation. Il ne faut pas laisser les villes à elles-mêmes, il faut qu’elles soient en réseau. La réglementation ZAN lutte contre l’artificialisation.
Est-ce que vous utilisez la gestion intégrée des risques naturels ?
Les maires peuvent s’associer entre eux, repérer l’échelle la plus pertinente, mutualiser pour plus d’idées. C’est bien d’aller parler à la population et mobiliser les acteurs privés, la population est peu mobilisée aujourd’hui. Il s’agit d’abord de relocalisation des activités et des biens.
Le Bengladesh est un des états les plus vulnérables. Comment peuvent-ils réagir ?
Il y a une élévation du niveau de la mer. On prévoit qu’il monte de 30cm d’ici à 2050 ce qui ne menace pas seulement les villes de bord de mer. lls sont en première ligne face au changement climatique, menacés par les cyclones ou tempêtes récurrents et la forte érosion. Beaucoup d’ONG essaient d’y œuvrer pour lutter contre la pollution des eaux qui provoque des maladies : intoxications et maladies infectieuses transmises par les moustiques, mais aussi aux maladies dues à la salinisation des aliments, maladies des reins, fausses couches, morts de nouveaux-nés.
New-York est-il vulnérable ?
Ils ont des moyens ! ils essaient d’atténuer le phénomène de façon très diversifiée : ils recréent des récifs d’un milliard d’huitres qui vont freiner les vagues, des digues hybrides avec des ecosystèmes plus efficaces que des digues classiques et les huitres dépolluent l’eau de mer. Néanmoins New York n’est pas préparé. Des relocalisations se font dans la douleur. Les moins favorisés sont déplacés. Ils ont utilisé des moyens intéressants mais ne s’occupent pas beaucoup des moins riches qui ne sont pas en mesure de se reloger.
D’autres villes ?
Seattle aussi lance des mesures mais omet de s’occuper des populations défavorisées qui restent en zone inondable et très polluée. Elles ne sont pas relogées. La Nouvelle-Orléans est très vulnérable, c’est l’épicentre de la crise climatique. La maire est très impliquée et a fait voter un plan de 50 milliards de dollars pour protéger, construire des murs de sable, des digues, protéger l’écosystème fragile, mais néanmoins le sol s’enfonce du fait des exploitations pétrolières, accentuant la montée des eaux. La relocalisation semble la seule solution qui soustraira la population aux inondations. Djakarta se relocalise mais en déforestant à tour de bras alors qu’il aurait fallu améliorer la résilience.
St Louis : Ville très impliquée mais l’urbanisme n’est pas organisé. C’est une gouvernance traditionnelle et on ne sait pas très bien qui fait quoi. La communauté des pêcheurs refuse la relocalisation.
En France, avez-vous des liens avec tous les partis politiques ?
Nous avons de bons liens avec le gouvernement qui a l’air de nous écouter, comme le centre et la gauche. Les partis de droite ne sont pas mes interlocuteurs. Certains pensent que ce n’est pas aux collectivités de payer ! On a plutôt des liens avec le Secrétariat Général de la Mer avec Olivier Poivre d’Arvor qu’avec l’Aménagement du Territoire.
Y a-t-il une Gestion Intégrée des Territoires ?
Les GIP viennent pallier le manque de compétences, il y a une polyvalence des compétences, un comité des risques, c’est encouragé, ça se développe.
Un problème sous-jacent : trait de côte et démocratie. Comment les décisions peuvent-elles être discutées et approuvées ou non par la population, comment mobiliser un groupe de travail citoyen ?
Je n’ai pas de réponses universelles. Une convention citoyenne locale. Les villes arrivent à mobiliser mais il n’y a pas de retour après coup et les gens perdent confiance. Il faut renforcer les mobilisations. Une bonne communication est nécessaire. Il y a une éducation à faire, il faut donner aux gens les moyens de participer et réduire le turn over des gens qui s’en occupent.
Quelle est votre autorité ? Votre financement ?
L’expertise acquise par les élus, la Plateforme Océan Climat émet des recommandations, la légitimité du réseau Cities activement soutenu par des villes en réseau au sein de la COP.
L’association est financée par nos membres et des fondations La Fondation Albert de Monaco, La Fondation Veolia, la Fondation de France etc.
Compte-rendu par Sylvie Cadolle
1 Conséquence du CO2 dont la concentration atmosphérique d’origine anthropique augmente dans l’eau de mer. Le CO2 se transforme en acide carbonique.
2 Groupement d’Intérêt Public, avec des membres du Conseil Régional et des Conseils Départementaux, créé en 2012.
3 Gaz à effets de serre
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