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01/06/2015 - Le piège Daech - Pierre-Jean Luizard

Le succès de DAECH dans le contexte de déliquescence de l’état en Syrie et en Irak est-il une explosion passagère ou un phénomène durable ?

Depuis plusieurs mois, un ovni, « l’Etat Islamique (Luizard justifie cette expression en disant que c’est un état en construction et que ses dirigeants revendiquent leur islamisme) en Irak et au Levant » est devenu un acteur essentiel du jihad international, attirant sous son label des groupes de plus en plus nombreux. Demain a lieu à Paris une conférence internationale de la coalition anti-DAECH pour évaluer la campagne de raids aériens depuis août, qui n’a pas endigué les conquêtes de L’EI, comme le montre la prise de Palmyre et de Ramadi. Il n’y a plus de frontière entre la Syrie et l’Irak. Alors, quelle stratégie face à l’EI ? Faut-il engager des combats au sol ? avec des acteurs locaux ? Se rapprocher de Bachar-el-Assad ? Ou bien faut-il réfléchir à la viabilité des états en déliquescence et repenser leurs frontières ?

Depuis un an, l’EI s’est imposé avec l’occupation de Mossoul (2 millions d’h.) La communauté arabe sunnite a fait un choix dont il faut analyser les causes. Al Quaïda en Irak et au Levant est incorporé à l’EI, même si en Syrie, dans les zones levantines, Jahhat Al Nosra , « Front de soutien au Levant», reste une organisation puissante.

Plusieurs temporalités des causes :

–       A l’origine, le salafisme, étymologiquement salaf, ce sont les pieux ancêtres. Ce courant est né en Egypte et en Syrie et est apparenté au wahabisme de l’Arabie saoudite. D’après ces courants, la faiblesse du monde arabe après la colonisation est due à l’éloignement des musulmans de l’Islam des origines auquel il faut revenir à travers une lecture littéraliste des textes alors que les chiites ont ouvert les vannes de l’interprétation. Les salafistes ont longtemps considéré la politique comme corruptrice et sont piétistes et non djihadistes. Mais …

–       Après l’invasion américaine, on a vu boycott et insurrection contre les Américains. Mais entre 2005 et 2010, ces derniers payaient et armaient ceux qui se retournaient contre Al Quaida, peu appréciée par les irakiens qui se voyaient sous la coupe de combattants étrangers. On a assisté à l’échec de la politique américaine : avec des élections démocratiques, on a donné le pouvoir en Irak à la majorité chiite alors que les Kurdes avaient profité de la chute de Saddam Hussein pour conquérir leur autonomie avec le PDK de Massoud Barzani à Erbil. Donc on a assisté à une confessionnalisation et une ethnicisation de l’Irak dont les partis politique s’affaissent et qui se scinde en trois. Cet état irakien, reconnu comme légitime par la France, est faible car soutenu seulement par la majorité chiite, du fait de la sécession kurde, de la politique confessionnelle pro-chiite de Nouri-el–Maliki et des exactions contre les hommes politiques sunnites. Accusés de préparer des attentats et contraints à l’exil, les acteurs sunnites ont du quitter la scène politique.

–       D’autre part le printemps arabe de 2011 dénonçait au départ le népotisme, la corruption, réclamait la justice sociale (alors que 20 % de la population était sans ressources) à travers des manifestations pacifiques en Syrie comme en Irak. Cette répression sanglante a fait basculer les arabes sunnites irakiens désespérés dans la radicalisation sur un mode communautaire, ce qui explique le succès de l’avancée de l‘EI.

–       Enfin, en 2014, la stratégie de l’EI a été de proclamer la mort de l’état irakien qui ne représente plus les arabes sunnites et est dominé par les chiites et les kurdes. Bagdad à majorité chiite n’est défendue que par les milices chiites appelées par Nouri-al-Maliki et l’ayatollah Ali-al-Sistami. Or l’EI voit l’occasion de transcender cette partition en internationalisant leur combat vers la Syrie. Il s’agit d’effacer la frontière née des accords coloniaux de Sykos-Picot de 1916 où le Royaume-Uni et la France trahissaient la promesse d’un Etat arabe unifié. L’EI universalise son discours qui parle maintenant de tous les territoires et appelle à la coalition des musulmans contre celle des mécréants avec la vocation à enfler sans limites dans l’affrontement avec les démocraties occidentales. Cette coalition s’appui sur une propagande très étudiée (qui perfectionne les procédés des sectes et la communication moderne) et très efficace sur les réseaux sociaux.

–       Mais aussi l’EI revendique son ancrage local contrairement à Al-Quaïda. Et il donne le pouvoir aux acteurs locaux qui lui font allégeance, chefs de tribus, de quartiers, de clans. Il leur remet le pouvoir local. Il impose : _                                                   – un seul drapeau, celui de l’EI.

–       – les normes en matière de mœurs, la charia.

–       – la lutte contre la corruption par la terreur et la propagande : décapitations, crucifixions. Les miliciens investissent des lieux où ils trouvent des trésors de lingots d’or volés au peuple.

–       D’où des marchés bien achalandés, des prix divisés par trois, et un soutien populaire. Avant, c’était le non-droit, avec l’EI,c’est le droit islamique et ceux qui se soumettent y gagnent.

–       La force de l’EI n’est pas militaire. On le vaincra en proposant mieux, plus de sécurité aux populations.

Q- Est-ce un Etat ?

R- Il y a un pouvoir exécutif, le califat (Abou-Bakr-Al-Baghadi)

Le pouvoir judiciaire de cadis locaux

Pas besoin de pouvoir législatif puisqu’il y a la charia.

Une armée payée avec les revenus du pétrole, du trafic d’antiquités, du pillage des banques (Mossoul), des impôts en fonction des revenus et de la confession qui rentrent dans les caisses. L’EI frappe monnaie.

Des médias en toutes les langues, qualité de la maquette, utilisation des faiblesses de nos sociétés en ce qui concerne le lien social.

L’EI est dirigée par les têtes de l’ancien état de Saddam Husseim, revanchards mais très compétents .

Q-L’EI s’assagira-t-il avec le temps ?

R – L’EI tire sa force de la guerre à tous les états. Il fait la politique du pire. Plus il a d’ennemis, plus il apparaît aux gens comme un recours. C’est un Etat qui essaime comme un cancer. Il ne veut pas de frontière.

Q- Et l’Iran ?

R – Les Iraniens engagés auprès des peshmergas accusent les USA d’avoir créé L’EI pour réaliser le morcellement du Moyen-Orient. C’est une épine dans l’épaule de l’Iran.

Q. Quelle est la stratégie de la coalition ?

Bombarder les puits de gaz et de pétrole pour amoindrir la noria de camions qui vendent en Turquie mais l’EI est très riche et cela n’est pas efficace contre la base locale de l’EI.

Q ; La position de la Turquie ?

R ;- Erdogan est très critiqué pour sa prétention à jouer les sultans ottomans. Mais il a 2 ennemis, les kurdes et les djihadistes. Donc il facilite leur combat entre eux en passant par la Turquie. Mais en fait la Turquie a renforcé ces 2 menaces et est gagnée par le confessionnalisme avec les revendications des alevis.

Q. Et le Kurdistan ?

Le Kurdistan vit normalement avec une grande énergie vitale. L’EI ne peut s’y implanter : Erbil est à 95% kurde.

Q- Faut-il se rapprocher de Bachar el Assad ?

R- C’est le problème et non la solution comme le montre le succès de la libération par l’EI de la prison de Palmyre où Assad torturait ses opposants : elle a été saluée par tous les rebelles. Notre diplomatie invente une opposition démocratique mais elle a été laminée.

Q- Et Israël ?

R- Israêl n’a pas intérêt à voir les états arabes s’effondrer, et l’EI sur le Golan. Israël est tétanisé comme nous.

 

Sylvie Cadolle

 

 

 

 

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Comment ( 1 )

  • GUILLAUME dit :

    La conférence de Luizard apporte un éclairage original sur EI. Mais est -il crédible de dire que l’EI a progressé sans un coup de fusil apportant la libération des populations ? Peut être ai-je mal compris. Mais ce genre d’affirmation rappelle des faits historiques dramatiques fondés sur la libération des populations

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