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07/06/2010 - Comment stabiliser l'Afghanistan ? - Jean Marie Guehenno

Exposé

Nous vivons dans un système où les États sont en 1ère ligne pour définir et faire respecter les règles nécessaires à la vie collective. Aussi se trouve-t-on désemparé lorsque l’on se trouve confronté à une situation de non droit comme cela a fini par être le cas en Afghanistan qui avait accueilli Ben Laden. Notre objectif premier est donc toujours d’essayer de rétablir le plus tôt possible la présence d’un État responsable.
L’État qui avait accueilli Al Qaïda et favorisé le « 11 septembre 2001 » devait donc en payer le prix. L’ONU ne pouvant autoriser un pays à recourir à la force que sur décision du Conseil de Sécurité reconnaissant qu’une attaque a été commise, ce sont les USA qui ont plaidé qu’ils avaient été attaqués.
Mais cela impliquait aussi d’aider l’Afghanistan à sortir de l’état féodal.
Les deux objectifs (opération militaire aérienne et restauration d’un État moderne) se sont donc trouvés mêlés avec un coût élevé pour les USA qui ont poursuivi militairement à l’économie Al Qaïda et ses protecteurs talibans en soutenant l’alliance du Nord et en laissant à l’écart les grandes familles Pachtounes qui avaient gouverné le pays depuis le XVIII ème siècle. Malheureusement il était aussi pratiquement impossible pendant les opérations militaires d’avoir des talibans à la table des négociations de Bonn engagées en décembre 2001 sous l’égide de l’ONU représentée par son envoyé spécial, Lakhdar Brahimi.
La poursuite de l’opération « Enduring freedom » dans le sud du pays, a par ailleurs vite mené les USA à rechercher des troupes auprès de leurs alliés pour assurer la sécurité dans le reste du pays.
Cette situation a consacré, aux yeux des Afghans, la faiblesse et la partialité de la communauté internationale. Un processus graduel de restauration de l’État fût arrêté à Bonn : convocation d’une Loya Jirga d’urgence avec quelques pachtounes, puis une Loya Jirga constitutionnelle suivie d’élections. Mais tout fût mené à un rythme trop rapide avec pour conséquences :
 La mise place d’un gouvernement corrompu sous l’effet délétère des énormes masses de $ déversées par les occidentaux sur l’Afghanistan alors qu’à l’inverse les talibans avait introduit une certaine rigueur.
 La création d’un système politique sans contrepoids. Les cadres de l’armée venaient de l’alliance du Nord.
 Une aggravation des divisions régionales. Les USA, l’Iran, la Russie, l’Inde soutenaient l’alliance du Nord. Le Pakistan soutenait les Talibans tout en redoutant qu’un nationalisme pachtoune n’en vienne à remettre en cause l’artificielle ligne « Durand » définie par les anglais. ..et naturellement, il se méfiait de l’Inde. Difficile de songer mettre l’Afghanistan hors du jeu des puissances régionales comme la Suisse. Les Afghans s’en méfient.

Que faire donc ?
Les Européens font semblant d’être d’accord avec les USA sans vraiment les soutenir. Ils n’ont pas de vision stratégique et en conséquence ils ne pèsent pas. La stratégie US vise à affaiblir les Talibans et à négocier « Taliban par Taliban ». Elle ne marchera pas : Mollah Omar reste un élément fédérateur fort parmi les Talibans. Le sentiment se développe dans la population que l’aide finalement affaiblit l’État.
Une stratégie purement anti-terroriste n’a pas beaucoup de sens.
La globalisation détruit plus rapidement les structures traditionnelles qu’elle n’en produit de nouvelles même si, comme nous, les talibans sont opposés aux structures tribales.
Penser pouvoir trouver maintenant un grand accord global n’est pas réaliste.
Finalement la solution semble de chercher à faire baisser graduellement le niveau de violence pour pouvoir trouver peu à peu des compromis avec les Talibans sur les règles régissant le fonctionnement de la société afghane. À défaut, en se retirant rapidement, le risque de guerre civile serait grand. Les puissances régionales proches (Pakistan, Asie centrale) le redoutent.
L’idée de prendre en charge le pays est une idée folle. Il faut donc de l’humilité dans l’usage de la force militaire et remettre la politique au centre de la stratégie alors que l’OTAN n’est certainement pas la structure la plus pertinente de ce point de vue. Il y a par ailleurs une inadéquation profonde de nos capacités civiles de coopération aux besoins ressentis qu’il faut chercher à corriger.
Une vision beaucoup plus limitée de nos objectifs est nécessaire : l’insistance sur les élections est risible dans le contexte afghan actuel. Il faut travailler sur l’environnement régional pour éviter que les pays voisins ne tirent dans des directions opposées. Le potentiel de richesses minérales considéré comme élevé (sur la base d’investigations encore superficielles) fait malheureusement des envieux et aggrave les rivalités des puissances.
Le problème fondamental est que le temps de cette stratégie (10 à 15 ans) n’est pas celui de nos démocraties.

Débat

Q1. Que fait-on là bas ? Ne va-t-on pas boucler la boucle et revenir à la case départ après avoir fait beaucoup de morts ?
R. Il n’y a pas de bonne solution. Partir en catastrophe déboucherait sur une guerre civile et une instabilité régionale dangereuses. Si on met trop l’accent sur l’action militaire, on finit par commettre des crimes de guerre et on se fait tirer dessus. Kandahar est pire que Mogadiscio. La stratégie française est essentiellement une stratégie vis à vis des USA.

Q2. Quel est l’intérêt des Talibans à négocier ?
R. Le Pakistan peut y jouer un rôle en faisant moins la distinction entre Taliban afghan et Taliban pakistanais. Cela n’ôte rien à la nécessité de ne pas avoir d’objectifs de négociation trop ambitieux.

Q3. Quelle la stratégie de la Chine ? Rôle de la drogue ?
R. Les Chinois ont leurs Ouïgours. Ils veulent jouer un rôle mais ne veulent pas être visibles. Ils ne croient pas à une solution militaire. Les Talibans bénéficient de la drogue mais n’ont pas besoin de grosses ressources. Les Iraniens sont les ennemis jurés des Talibans. Ils n’aiment pas le trafic de drogue mais ne veulent surtout pas d’une présence permanente US en Afghanistan avec des bases militaires. Les paysans sont trop endettés pour les semences et ont du mal à se désengager.

Q4. % des différentes populations ? Jeu de l’Inde ?
R. 40% de pachtounes, 17% d’ouzbeks. Les Hazaras chiites au centre sont misérables et laissés pour compte car l’aide internationale se focalise sur les zones de guerre … où il est difficile de faire de l’aide ! L’Inde a des desseins moins tordus que ce qu’imaginent les Pakistanais mais ils sont moins innocents qu’ils ne le disent. Beaucoup d’Afghans sont exilés en Inde.

Q5. Pourquoi les américains restent-ils ? Probablement pas à cause du risque de guerre civile. Alors, pour garder des bases contre l’Iran ? À cause des richesses minières ? Obama ne sera-t-il pas obligé d’en revenir à la stratégie de Bush compte tenu de ce qui se passe en Irak ? Pourquoi ne fait-on pas un effort massif sur l’éducation des jeunes ? Est-il illusoire de penser avoir des Talibans sans terreur ?
R. Il n’y a pas de réponse unique au pourquoi du maintien de la présence US. Les Américains sont très patriotes. Obama a choisi dans sa campagne électorale de se focaliser sur l’Afghanistan pour ne pas donner l’impression qu’il lâchait sur tout. Ceci étant le maintien en Afghanistan crée des tensions au sein de l’armée : pour un bataillon déployé, quatre sont à l’entraînement. L’Afghanistan est de ce point de vue un boulet pour USA, aggravé par la pratique de la sous-traitance. Motif des ressources minières ? Bof ! la vérité est que les Américains ne savent pas comment s’en sortir. Sur l’éducation, du bon travail a déjà été fait : des millions de petites filles sont allées à l’école, mais on s’est donc contenté de travailler sur le cycle primaire. Très peu d’élites sont formées. Terreur et honnêteté des Talibans ? Ce sont des gens très mal dégrossis. Peuvent-ils se modérer ? Sans doute dans un climat de moindre violence. Leur interdiction de la musique est très mal reçue de la population qui adore la musique et ils commencent à le comprendre.

Q6. Pourquoi l’approche politique n’avance-t-elle pas plus vite ?
Quid d’une intervention nucléaire contre un pays qui abriterait un groupe terroriste « nucléaire » ? Est-il pensable que la France n’aligne pas sur la stratégie des USA qui semble avoir renoncé au nucléaire ? Que faire contre les consultants de tout poil qui profitent de la politique d’aide sans grande efficacité ? Pourquoi ne pas découper politiquement le Nord et le Sud du pays ?
R. L’approche politique suppose de la patience et une extrême humilité d’écoute sur le terrain. On adorait Karzaï. On ne l’aime plus parce qu’il résiste ! On n’aime pas travailler avec des gens difficiles ! Pour le nucléaire, la nouveauté de la stratégie américaine est de se cantonner à riposter à une attaque. Les Américains sont excessifs dans leur soutien au « zéro nucléaire » qui compte tenu de leur écrasante supériorité en moyens traditionnels est source d’angoisse pour les puissances petites et moyennes. S’agissant de la France, il n’est pas sûr que l’arme nucléaire ait contribué à la paix. On peut la comprendre, mais elle devrait revoir son discours contre la prolifération. Pour la coopération, on a besoin de gens capables de mettre la main à la pâte. On a aussi besoin de vraies capacités d’analyse stratégique mais opérant sur la durée et non pas disparaissant une fois le conseil délivré. On n’est pas organisé pour cela. Les Afghans sont attachés à leur unité. Les objectifs politiques peuvent revêtir des formes différentes suivant les régions mais certainement pas les opposer. Les gens en avaient marre des chefs de guerre du Nord. Massoud est largement une légende et n’est pas le saint qu’on voudrait donner à penser. Enfin les talibans sont plus unis qu’on ne le dit….

Gérard Piketty

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