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06/02/1995 - L'islam en France aujourd'hui - Souheïb Ben Cheïk, Imam

Notre invité Souheïb Ben Cheïk est Imam. Il exerce cette fonction de façon itinérante et volontaire dans toute la France. Il connaît donc très bien les communautés musulmanes en France.

À partir de son expérience, Catherine Rozan a écrit  » L’Islam et la République « .

L’Islam est la deuxième religion en France par le nombre de pratiquants. Cependant l’Islam a une mauvaise image liée à la montée de l’intégrisme. Cette image négative ne doit pas cacher une réalité culturelle profonde qui crée un lien social.

Questions proposées pour le débat:

  • comment les communautés musulmanes peuvent-elles s’intégrer dans la laïcité d’origine chrétienne dans sa conception et ses fondements ?
  • L’Islam français est-il perméable à l’intégrisme ?
  • Une autorité musulmane unifiée peut-elle se développer en France ? Peut-elle contribuer à atténuer l’exacerbation des différences ?
  • Pourquoi les autorités morales musulmanes, les intellectuels ne condamnent-ils pas plus nettement les violences de l’intégrisme ?
  • L’Islam est-il compatible avec la démocratie ?

L’intervenant remarque que notre présence témoigne déjà en soi d’une ouverture d’esprit et de tolérance. Il s’affirme comme croyant musulman et comme tel il condamne tous les crimes commis au nom de l’Islam.

 

Islam et laïcité

– Principe : Il n’y a pas d’opposition entre l’Islam et laïcité, pas d’incompatibilité. Il faut définir ce que recouvre la notion de laïcité. C’est un principe neutre, transparent affirmé par la constitution. Ce n’est pas une doctrine parmi d’autres Judaïsme, christianisme).

L’État laïc au nom de la laïcité autorise l’existence et l’exercice de toutes les religions. Mais la laïcité s’est imposée en référence au christianisme. L’Islam et les religions non chrétiennes étaient inexistantes en France quand le principe d’un État laïc s’est imposé. Le mot même de  » laïc  » se réfère à la religion catholique.

L’intervenant remarque que notre présence témoigne déjà en soi d’une ouverture d’esprit et de tolérance. Il s’affirme comme croyant musulman et comme tel il condamne tous les crimes commis au nom de l’Islam.

Un laïc est, au sens originaire, un chrétien sans responsabilité dans l’Église, Mais de façon globale, il n’y a pas de problème entre le principe de laïcité et l’Islam. Le musulman, considère l’égalité reconnue entre chrétiens et musulmans comme possible.

L’Islam est une des rares religions qui accepte les autres religions là où l’Islam est majoritaire et à fortiori là où il est minoritaire. Il n’y a pas d’opposition entre morale chrétienne et morale musulmane : mêmes valeurs d’accueil.

L’Église catholique a évolué. Avec Vatican 2, elle reconnaît qu’il y a d’autres voies vers Dieu.

– Pratique : s’il n’y a pas d’opposition de principe, la pratique est complexe. On oppose Islam traditionnel et  » modernité  »  . Si on entend par modernité, efficacité, organisation, respect de l’autre, entraide, il n’y a pas d’opposition avec l’Islam.

Si la modernité sous-entend un repli des valeurs morales, un relâchement des liens de la famille, l’Islam n’est pas moderne. Or, que propose la modernité de l’Europe notamment au travers des média ? Consommation, violence, une image de la femme provocante et infériorisée…

 

L’intégrisme

Aujourd’hui, chez les non musulmans, on assimile souvent Islam et intégrisme, Islam et terrorisme. On ne prend pas en compte l’immense majorité des croyants sereins. On ne peut sérieusement assimiler un milliard de musulmans à des barbares ou des terroristes.

L’Islam est victime d’un double intégrisme : celui des non musulmans et celui des extrémistes musulmans.

Si on ose parier d’Islam, défendre l’Islam, malgré ce qui se passe en Iran et en Algérie, on est suspecté de fanatisme. Si, musulman, on critique l’extrémisme, on est accusé d’être renégat.

L’extrémisme trouve sa source dans la misère et l’ignorance. Il y a un profond désir dans le monde musulman de retrouver ses origines et de vivre son identité. Cette aspiration s’explique par le rejet de la corruption, de l’exploitation. Des masses sont galvanisées et exploitées sur leur foi. La soif de spiritualité déborde le potentiel des religieux. Les théologiens sont en nombre insuffisant. L’extrémisme relaie de façon détournée les vraies valeurs de l’Islam.

 

L’islam en France

Les musulmans de France cherchent à retrouver leur identité, leur culture. Les canaux pour y accéder sont les parents et les Imams. Les parents ont une culture simple, fruste et sont incapables de transmettre l’Islam universel ? Ils assimilent réellement l’Islam et coutumes ancestrales. Ils ne sont pas capables d’adopter les préceptes de la société moderne. En majorité analphabètes et peu cultivés, les parents (harkis ou travailleurs immigrés) véhiculent des préjugés rétrogrades, assimilés à des préceptes religieux. Si par exemple une fille passe la nuit dehors, c’est une catastrophe, un déshonneur frappant toute la famille.

Pour eux,  » Dieu ne veut pas ça « , et ils ne pensent qu’à  » laver ce déshonneur « . Si c’est un garçon qui passe la nuit dehors, on lui recommande simplement d’éviter les mauvaises fréquentations. Ces conceptions ne reflètent pas les préceptes de l’Islam. Les recommandations visent d’abord l’Homme, et l’Islam s’inscrit dans la tentative de libérer la femme d’une excessive domination de l’homme.

On peut expliquer la dérive machiste, dans son origine, par les guerres de clans, où les femmes étaient le butin de l’ennemi. Les hommes se sont attachés à assurer la première protection de leurs femmes et donc à les surprotéger.

 » La femme est le centre de l’honneur de l’homme « .

 

Compatibilité des notions de laïcité et d’État avec l’islam ?

La laïcité en Algérie est fondée :

– sur une méfiance et une hostilité à l’égard de l’Islam,

– sur une erreur des laïcs repoussant l’Islam comme facteur d’obscurantisme.

Le musulman ne peut se reconnaître ni dans l’athée ni dans l’intégriste. Mais, à tout prendre, s’il doit choisir il ira vers l’intégrisme. Or, l’intégriste rejette l’État et la laïcité qui sont des inventions occidentales et chrétiennes. Il est difficile de contrer les arguments de l’intégrisme car l’autorité religieuse de l’Islam n’est ni unifiée, ni hiérarchisée. Il n’y a ni sacerdoce, ni clergé. Il n’y a pas une voix unique de la vérité islamique. Tous les docteurs religieux sont sur un pied d’égalité.

– Le voile : le port du voile découle d’une prescription coranique (qui rejoint des prescriptions analogues mais tombées en désuétude chez les chrétiens et les juifs). Cette prescription à valeur forte de symbole, incite à une relecture des textes fondateurs. Le voile visait à protéger la dignité de la femme.

Ce qui permet d’abord de protéger la dignité de la femme, c’est son ouverture à l’instruction, le droit d’aller à l’école, et à l’université. Face à un texte, il faut, distinguer l’objectif visé par le texte et le moyen. L’objectif reste (la dignité affirmée) niais le moyen peut évoluer. À titre d’exemple de moindre portée mais significatif, les textes recommandent l’hygiène sanitaire et l’usage d’une plante pour se frotter les dents. Certains musulmans se frottent aujourd’hui les dents avec cette plante par une fidélité à la lettre du texte. Pour les intégristes, toute interprétation, est une remise en cause de la religion. L’Islam modéré n’a pas les moyens de se faire entendre.

– L’Islam en France : En France, le problème est moins de représenter une communauté que d’éduquer cette communauté. Les lieux de culte sont insuffisants, souvent sordides (hangar, sous-sol). La construction d’une mosquée est souvent vécue comme une catastrophe dans la commune. On a besoin d’une représentation savante, éclairée de l’Islam, d’avoir plus de mosquées et d’imams. On a moins besoin de représentants d’une communauté de musulmans, que d’autorités reconnues sur le plan religieux.

Cela correspond de plus à la tradition française qui reconnaît plus volontiers une religion qu’une minorité. La France aura l’Islam qu’elle mérite. Si on maintient un Islam de l’ombre, démuni, on générera des frustrations et donc de l’obscurantisme, base de l’intégrisme.

La communauté musulmane ne souhaite pas s’enfermer sur elle-même. Il faut un Islam visible dans un espace qui le banalise.

Notes prises au cours du débat

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