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02/02/2009 - Crise des valeurs démocratiques en Europe - A. Gil Roblès

Exposé

Tous les pays ont leurs problèmes avec le respect des Droits de l’Homme, y compris les pays scandinaves.
On a le meilleur cadre juridique possible avec la convention internationale des Droits de l’Homme. Alors, pourquoi voit-on des défaillances « sociétales » avec des violations des DH ? Les valeurs qui constituent les éléments fondamentaux de l’identité de nos sociétés démocratiques se sont un peu perdues en Europe. Les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe se placent sur la personne et sont donc universelles et indépendantes des cultures. Elles sont fragiles et doivent être défendues. Une société qui ne les ressent plus, dérive vers des formes totalitaires plus ou moins marquées (nazisme, fascisme, communisme…). Après la guerre, on a construit l’Europe sur un projet économique et un message : « il faut faire une Europe des valeurs qui font la démocratie ». D’où la mise en place du Conseil de l’Europe. Cela a fort bien marché : les pays non démocratiques du Nord ou du Sud sont restés hors du Conseil.

Puis deux évènements ont ébranlé l’édifice : • La chute du mur de Berlin qui a entraîné la chute des dictatures • La victoire du capitalisme sur le système d’économie centralisée spécifique du communisme. Ils ont éliminé les ennemis vis-à-vis desquels on défendait ces valeurs. Les valeurs de la réussite individuelle se sont alors imposées au détriment des valeurs collectives… …avec les résultats que l’on voit des manifestations en UK pour réserver le travail aux ressortissants nationaux ! Cela va venir en France.
Un autre facteur a joué : l’arrivée du terrorisme et son cortège de mesures d’exception : • La mise en place d’un système policier clandestin en Espagne pour lutter contre le terrorisme de l’ETA. C’est une honte mais la société ne veut pas le voir car elle a peur du terrorisme ; • Après le 11/9/2001, les valeurs démocratiques disparaissent aux USA car il faut mener la guerre au terrorisme avec ses méthodes et la complicité des pays européens. • T.Blair a mis en place une réglementation spéciale permettant d’arrêter des étrangers non expulsables dans l’opacité totale. Le Parlement a demandé un avis au Conseil de l’Europe qui a rendu un avis négatif. T.Blair a passé outre jusqu’à ce que deux ans plus tard, la chambre des Lords en obtienne l’abrogation. J’ai visité des prisonniers qui ignoraient l’acte d’accusation et ne savaient pas s’ils allaient être jugés. Les gens devenaient fous. C’était là une véritable torture menée par un Etat démocratique à l’origine de l’Etat de droit.
Un pauvre brésilien prend un bus. On lui tire dans la tête. Aucune responsabilité n’est mise en évidence. Les interrogatoires ont été faits par la CIA avec des méthodes de torture inavouables. Le gouvernement, de gauche, se retranche derrière le fait que « les gens demandent cela », donc pas de discussion. Toute l’Europe profite de ce contexte pour diminuer les garanties de l’Etat de Droit sans que les opinions s’y opposent.
D’autres signes inquiétants y sont enregistrés : la limitation des garanties dans les procès : Si vous êtes suspect, vous devez démontrer votre innocence ; la perversion née de la protection des victimes : en son nom, on préfère la vengeance à la justice ; les déclarations racistes de Berlusconi contre les gitans et les étrangers. J’ai vu l’horreur de centre de rétention de Lampedusa ou… du palais de Justice que Sarkozy a fait fermer suite à ma demande.
Personne ne veut entendre parler des prisons au risque de consolider la délinquance.
Il faut faire un effort pour faire respecter les conventions existantes grâce au soutien exigeant de la société et il faut transmettre cette exigence aux jeunes. Le problème n’est pas de faire de nouvelles conventions qu’au demeurant les pays ne veulent plus signer. Notre société est fragile. Rien n’est acquis définitivement. L’héritage de nos parents est essentiel à notre avenir démocratique. Cela peut exiger des sacrifices. C’est grave si la société n’y est pas sensible. Il faut introduire cette exigence et l’instruction des valeurs à l’école (malgré l’opposition de l’Eglise Catholique en Espagne !). Les familles doivent apprendre le respect de ces valeurs.

Débat

Q1. Ce sont les plus faibles, les immigrés, qui sont les révélateurs de notre indifférence. On peut retenir maintenant jusqu’à 18 mois au seul motif que des gens voulaient juste vivre un peu mieux !
R. Il faut accepter qu’on ne peut accueillir tous les immigrés sous peine de clash social, mais il faut travailler simultanément sur les causes du problème : là où il y a de la misère, des guerres…On ne peut rester uniquement dans le policier. On fait valoir que les consulats des pays d’émigration ne coopèrent pas pour identifier les personnes qui doivent être renvoyées dans leurs pays d’origine et c’est vrai. Finalement on crée des illégaux légaux à qui l’on a cependant permis dans une hypocrisie totale l’accès à des services sociaux.

Q2. Il y a aussi des illégaux légaux en France : ce sont des étrangers qu’on ne peut expulser en raison des risques de torture dans leur pays d’origine. Ils restent alors dans la clandestinité. Comment rendre la population vertueuse alors que l’appel au respect des Droits de l’Homme est devenu contre productif ?
R. Obama pourrait sans doute être à l’origine du changement. Pendant longtemps on a longtemps été obsédé à l’idée de faire du suivisme du gouvernement US. C’est dépassé et il faut maintenant en profiter et faire un effort du côté de Bruxelles. On a été trop doux dans le conflit de Gaza sans qu’il s’agisse pour autant de dédouaner le Hamas.

Q3. Le tapis de bombes sur Dresde en février 1945 ne marque-t-il pas le début de cette perte des valeurs ? N’y a-t-il pas là une sorte de péché originel qui se prolonge avec les ventes d’armes et qui nous rend peu crédibles ?
R. On était en état de guerre. Nous parlons maintenant d’un état de paix et de droit avec néanmoins la perte de valeurs qui ont été vivement ressenties par la société jusque dans les années 80.

Q4. Le nazisme est né d’une énorme crise économique comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui. A l’époque, les démocraties ont fait preuve d’un angélisme coupable, notamment vis-à-vis du franquisme. Ne faut-il pas mettre des garde-fous au dessus des gouvernements semblables au Conseil de l’Europe ?
R. Ne croyez pas trop au Conseil de l’Europe. Ce sont les Etats qui sont là ! Le budget du Conseil de l’Europe décroît régulièrement parce qu’il est gênant pour les Etats. L’UE a pris pour drapeau et hymne ceux du Conseil de l’Europe, mais plus personne ne le sait. On l’a oublié alors que c’était le fondement de notre société pour faire face aux crises.

Q5. Je suis gêné à propos de la question des ventes d’armes. Les Droits de l’Homme débouchent facilement sur un certain irénisme quand ils sont dissociés d’une mise en perspective politique. Heureusement que les algériens ont pu se procurer des armes pour se débarrasser de la colonisation ! Il faudrait aussi parler des atteintes aux DH qui résultent des réponses techniques données aux problèmes posés.
S. Gandhi a fait mieux !
R. La Fédération de Russie qui est au Conseil de l’Europe, n’a pas demandé la mise entre parenthèse du respect des conventions signées comme elle aurait pu le faire dans la guerre de Tchéchénie. Je suis arrivé là-bas en pleine crise. Que pouvais-je faire dans cette sauvagerie ? Que dire dans ce contexte ? On a pu obtenir qu’un médiateur soit présent sur le terrain et éviter ainsi que des brutalités soient ignorées. Etait-ce suffisant ? Assurément non, mais ce petit grain de sable a permis de faire beaucoup d’autres choses bien qu’on ait eu l’impression de travailler dans un vide total. Mais que dans des pays démocratiques riches, on commette des violations conscientes des DH, c’est inacceptable ! Pas un parti n’a réagi au rapport du Conseil de l’Europe sur la France parce que c’était un étranger qui parlait des DH en France !!

Q6. Quelles passerelles possibles entre les valeurs de l’ordre du collectif identifiables aux valeurs démocratiques et les valeurs individuelles qui sont dans l’air du temps ? Les prochaines élections européennes ne pourraient-elles pas amener cette question dans le débat ?
R. Il n’y a pas de contradiction entre les unes et les autres. J’ai toujours été frappé en France par la question de la laïcité. Pourquoi n’explique-t-on pas aux jeunes l’origine et la raison des différentes religions ? On ne peut comprendre le monde sans cela. Les églises sont impliquées dans les problèmes rencontrés avec les Droits de l’Homme comme cela est apparu clairement dans le conflit bosniaque. Il est dangereux de les laisser à l’écart. Je préconise que le Conseil de l’Europe organise une formation des formateurs !

Q7. Je récuse l’idée de péché originel du au bombardement des villes allemandes : il ne faut pas oublier qu’ils font suite aux bombardement de villes anglaises (Londres, Coventry…) par les Allemands. Il y a aussi des petits progrès sur les armements : TNP, armes chimiques, mines anti-personnels …. Quant aux dangers présentés par les techniques modernes utilisées dans la lutte anti-terroriste, nous en sommes tous un peu coupables avec la multiplications des réseaux sociaux (Facebook et autres). Ne faudrait-il pas d’abord se montrer plus circonspect à leur égard ?

Q8. N’y a-t-il pas aussi un recul des familles dans la transmission des valeurs démocratiques ?
Q9. L’élection présidentielle française comme celle d’Obama ont d’abord été centrées sur les valeurs. La valeur « travail » pour N. Sarkozy. Les crises économiques ne modifient-elles pas les systèmes de valeurs en faisant primer l’économie sur tout le reste ?
R. Il ne faut pas mélanger guerre et démocratie. Il est impossible de contrôler la part de l’internet dans la criminalité internationale. Quant au rôle des familles : lorsque le besoin de la transmission a été perdu de vue pendant longtemps, il est difficile de le refaire vivre. Obama représente quelque chose de nouveau et de très positif dans le retour des valeurs démocratiques. Il est triste de constater que les USA nous devancent sur ce plan. Ceci étant, on ne pourra pas détruire le monstre de Guantanamo du jour au lendemain. Obama a reconnu l’existence d’autres prisons secrètes aux USA. Que faire des gens qui y sont ? Comment rouvrir les procès devant d’autres tribunaux ? Que faire des informations obtenues sous la torture ? Le problème n’est pas facile à régler. Quant à l’Europe, j’espère un débat sur « Quelle Europe veut-on ? » Est-ce que c’est « L’Europe va-t-elle défendre mon camembert ou non ? ». ce débat n’a pas eu lieu. Il faut ouvrir un grand dialogue avec les nouveaux membres de l’Est. Q10. Quel regard portez-vous sur Rama Yade ?

R. C’est le marketing des gouvernements. Tous les pays font cela.

Q11. J’ai l’impression que la HALDE est dotée de pouvoirs intéressants. Elle peut se pourvoir en justice. On n’est donc pas partout dans un mouvement de régression des valeurs. C’est également le cas des Droits de la Femme. Ne faut-il pas être plus nuancé sur le constat général de l’affaiblissement des valeurs démocratiques ?
R. Certes. Mais ne pas oublier le problème majeur de la torture…et finalement que l’ennemi est en nous-mêmes.

Gérard Piketty

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